OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 [App] Subventions à la presse: le Juste pris http://owni.fr/2010/12/20/app-subventions-a-la-presse-le-juste-pris/ http://owni.fr/2010/12/20/app-subventions-a-la-presse-le-juste-pris/#comments Mon, 20 Dec 2010 07:59:00 +0000 Admin http://owni.fr/?p=39283 “Deux ans après les états généraux de la presse écrite, des députés constatent que les éditeurs de journaux se sont, le plus souvent, contentés d’aller à la pêche aux subventions sans remettre en question leur fonctionnement. Le rapport et les avis qu’ils ont examiné dans le cadre de l’élaboration du budget 2011 parle de « fiasco », d’« effet d’aubaine » et parfois de « scandale »”, résume Vincent Truffy. Il y a de quoi en pleurer, OWNI a préféré faire une application un peu LOL pour vous expliquer les projets financés par l’argent public, en se focalisant sur le fonds d’aide à la modernisation de la presse (FDM), dont nous nous sommes procuré le détail cet été.
Comment ça marche ? Le Juste pris vous propose de deviner le montant de la subvention de 16 projets. Gardez à l’esprit que cette subvention équivaut à 40 à 60 % du coût total. À chaque fois, la demoiselle du Juste pris vous suggère une somme. Vous devez indiquer si ce montant est vrai ou faux. Une fois la solution donnée, vous pouvez accéder à des explications sur le projet en cliquant sur le bouton “+” qui s’affiche à droite. Si vous essayez ce jeu au travail, nous vous déconseillons de mettre le son ;-)

Comme vous le constaterez au cours du jeu, certains bénéficiaires n’ont pas cru bon de devoir rendre des comptes, d’autres ont utilisé des intitulés cryptiques pour nommer leur projet, avec un goût prononcé pour le champ lexical de la modernité, des fois que le FDM aurait des doutes. Si la gabegie semble évidente dans certains cas, d’autres semblent plus cohérents avec les visées du fonds.

Textes : Sabine Blanc et Martin Clavey

Design : Loguy

Développement : Julien Kirch

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Subventions à la presse: chère jeunesse http://owni.fr/2010/09/17/subventions-a-la-presse-chere-jeunesse/ http://owni.fr/2010/09/17/subventions-a-la-presse-chere-jeunesse/#comments Fri, 17 Sep 2010 16:12:18 +0000 Admin http://owni.fr/?p=24481

Tu fais ce que tu veux avec le journal le jeune, mais tu l'achètes. Merci.

La (re)conquête du lectorat jeune fait partie des grands objectifs des titres éligibles au fonds de modernisation de la presse (FDM). Sur la période 2003-2009 qui correspond à nos documents, environ 16,5 millions d’euros auraient été dépensés à cet effet, ce qui semble cohérent avec les chiffres indiqués au cours de la réunion du comité d’orientation du FDM du 8 juin 2009 : depuis 2005, 14 millions d’euros a été consacrée à cet effet indique le compte-rendu.

Plus précisément, les projets “consistent à aider au financement d’abonnements, créer des sites Internet ou pages web dédiées aux jeunes, ou encore repenser le contenu avec la création de suppléments ou pages spéciales.” Certains sont individuels, d’autres collectifs.

Le décret détaillant le fonctionnement du FDM stipule que “peuvent faire l’objet de subventions au titre du fonds les actions de modernisation permettant d’atteindre un ou plusieurs des objectifs suivants : [...] “c) Assurer, par des moyens modernes, la diffusion des publications auprès des nouvelles catégories de lecteurs, notamment les jeunes. En guise de modernité, on peut noter, à titre d’observation générale, que le jeune est surtout incité à continuer de lire du papier -logique-, comme vous pouvez le constater sur le tableau récapitulatif [pdf].

L’argument “citoyen”, avancé parfois pour justifier les fonds – ainsi l’opération Un Journal gratuit définie comme un “défi démocratique, citoyen et éducatif”- peut faire sourciller : pourquoi l’accent n’a pas plutôt été massivement mis sur l’éducation aux médias, dans un contexte d’infobésité où chacun doit faire son choix parmi la masse de contenus disponible et devenir son propre éditeur ? De mauvais esprit pourraient y voir une excuse pour défendre une industrie défaillante.

Comment l’efficacité de ces subventions a-t-elle été jugée ? “Le bilan qu’il est possible de dresser aujourd’hui, au vu des bilans d’exécution dont le FDM dispose, fait apparaître le succès des projets collectifs”, note lors de la réunion du 8 juin 2009 du comité d’orientation du FDM Mme Lecointe, adjointe du chef du bureau du régime économique de la presse et des aides publiques. La commission de contrôle proposait de continuer le contrôle des projets jeunes, annonçant des bilans “plus étoffés”. Lors de la réunion du 20 octobre 2009, M. Leclerc, du syndicat de la PHR (presse hebdomadaire régionale), “souligne que la pertinence d’un projet s’inscrit dans une démarche de modernisation de plusieurs années de l’entreprise. Il n’est pas toujours évident de mesurer les effets immédiats d’un projet. Il cite l’exemple d’une publication qui a vu son lectorat rajeunir au fur et à mesure des années. Cela résulte de plusieurs facteurs qu’il est difficile de séparer.” Ensuite, le président de la commission de contrôle du FDM, M. Arnaud, à propos du projet sur la diffusion des journaux auprès des lycéens menées par A2 Presse depuis plusieurs années, indique que “le partenariat est utile, mais il existe peu d’études sur la satisfaction des lycéens jusqu’à présent. Cela demande du temps.” Argument acceptable et bien pratique. La région Bourgogne, qui a réussi à faire une première évaluation en 2007 (voir ci-dessous) soit dès la première année de la mise en place de l’opération, a réalisé un exploit sans le savoir.

La commission indique aussi, et ce n’est guère étonnant, qu’”afin d’évaluer les résultats des opérations destinées aux jeunes lecteurs comme l’opération « kiosque au lycée », il apparaît nécessaire d’assurer un suivi et des bilans plus réguliers en partenariat avec les établissements concernés. Il serait également intéressant de sonder les élèves qui ont eu accès au « kiosque » au lycée pour évaluer leur intention de continuer à lire la presse à titre personnel et de mesurer les chances que cette prise en main du quotidien au lycée se traduise ensuite par une démarche d’abonnement.”
Réel retour sur fonds publics ? OWNI a contacté les organes de presse et associations qui ont bénéficié de cette manne pour en savoir plus sur le détail des projets, aux intitulés souvent sibyllins.

En 2006, 2007 et 2009, L’Humanité aurait demandé, selon nos documents, respectivement 257.862, 260.702 et 190.397 euros pour son projet Libres-échanges laissant la place, tous les jeudis, aux articles de ses jeunes correspondants. Contacté par OWNI, le directeur de L’Humanité Patrick Le Hyaric, ne confirme pas les différents montants inscrits dans nos documents et précise même que L’Humanité a oublié de faire le dossier de demande en 2009.

D’après la vidéo ci-dessous, L’Humanité propose aux jeunes d’être correspondants contre… un abonnement de 6 mois (d’une valeur de 180 euros en 2010). Cet abonnement est la seule rémunération qu’ont reçue les jeunes apprentis journalistes. Ces subventions auront donc permis de financer 3.938 abonnements de 6 mois. Sur le nouveau site internet du journal, on peut retrouver les 1.764 articles (en 4 ans et 8 mois) de ces jeunes correspondants. Patrick Le Hyaric nous précise que chaque année 4500 à 6000 jeunes reçoivent un abonnement dans le cadre de ce projet et 300 à 400 d’entre eux demandent à écrire dans les pages du journal.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Le directeur de L’Humanité explique que “le projet Libres-échanges est une expérience commencée en 2003 et devenue pérenne en partenariat avec l’État, les amis de L’Humanité et les lecteurs de L’Humanité pour faire découvrir le journal aux 18-25 ans. Toutes les semaines, le journal inclut une voire deux pages d’articles rédigés par les jeunes correspondants. Enfin, une fois par an, le journal organise un week-end à la rédaction avec les jeunes pour rédiger le numéro du lundi. Cette édition est distribuée dans les universités.” Patrick Le Hyaric explique que le coût du projet concerne le coût de l’envoi postal et de fabrication du journal. “Il n’y a pas de coûts journalistiques car les correspondants ne sont malheureusement pas payés”, reconnait-il. Enfin Patrik Le Hyaric déclare “Je me réjouis que, depuis la fin du mandat de Jacques Chirac, L’Humanité et La Croix ont accès au fonds d’aide à la modernisation de la presse auquel ils n’avaient pas accès jusqu’alors”.

“Je vais les donner à l’État, pas à vous, c’est lui le payeur”

En 2007, 2008 et 2009, La Croix a reçu respectivement 105.778 euros, 135.945 euros et 121.313 euros au titre des opérations “Parole de jeunes”, “poursuite de la mise en main de la Croix auprès des jeunes” et “l’étude et le développement de la présence de La Croix auprès des jeunes”. Globalement, elles consistaient en des partenariats pour obtenir des fichiers ciblés, avec des abonnements de quatre mois offerts. Une fois l’abonnement fini, les prospects étaient relancés. Ainsi, à l’occasion des municipales de 2008, La Croix a présenté des initiatives de jeunes en local, en partenariat avec des associations d’étudiants chrétiens des grandes écoles, qui correspond tout à fait à leur cible de lectorat. Lorsqu’on en vient au retour sur investissement de ces opérations, on se heurte à un mur qui a pour mérite d’être de plus en plus clair : “Je n’ai pas le détail des résultats des opérations”, répond Arnauld de La Porte, directeur adjoint de la Croix. “Mais vous pourriez les chercher ?” “Je ne suis pas sûr de pouvoir vous les donner, mes équipes sont tournées vers l’avenir (ndlr : il prépare une nouvelle formule), c’est dans les archives, il faudrait chercher.” Ultime insistance : “Je vais les donner à l’État, pas à vous, c’est lui le payeur”. Ok, mais qui finance le budget de l’État ?.. Interrogé sur le développement de leurs contenus pour les jeunes sur le web, Arnauld de La Porte nous a indiqué que cela faisait partie des projets pour début 2011 et qu’avant il n’y avait rien de particulier.

Play Bac Presse, le groupe de presse jeunesse qui a fait fortune grâce aux Incollables et qui édite L’Actu, Mon Quotidien et Le Petit Quotidien aurait demandé (selon les documents du FDM dont nous disposons), depuis 2003, 3 009 957 € de subventions au fonds de modernisation.

On peut tout d’abord s’étonner qu’une entreprise qui a créé son premier quotidien en 1995 ait déjà besoin d’autant de subventions pour se “moderniser”. Contacté début septembre, François Dufour, rédacteur en chef du groupe, ne confirme qu’une somme de 846 366 euros de subvention du fonds et nous répond par l’égrainage de tous les projets du groupe  (1995 : Mon Quotidien, 2002 : Quoti (échec), 2009 : My Weekly, 2009 : L’Actu éco) et déclare que “plus on est petit plus on doit lancer de nouveaux projets pour grandir”. La nouvelle responsable du fonds, Annabel Mousset confirme que le FDM a accordé un total d’environ 3 millions d’euros au groupe mais que la somme effectivement versée, après abandon de certains projets, serait plutôt proche de 2 millions d’euros.

En regardant d’un peu plus près les projets financés, on y trouve cinq projets de relance de la diffusion des journaux (“Éditions des 17/20 ans”, “20/20″, “projet ZEP”, “Si j’étais président”, “lancement de deux suppléments”), deux projets éditoriaux (refonte de maquette…), la création d’une salle de rédaction multimedia et internationale et deux projets liés à Internet. En principe (voir le décret de création du fonds) le fonds d’aide à la modernisation de la presse n’a pas vocation à financer des projets éditoriaux. François Dufour nous a précisé qu’”aucun projet de diffusion n’a abouti en dehors du projet « Si j’étais président »,  une édition spéciale de Mon Quotidien sur l’élection faite dans les classes par les élèves (pour une subvention de 123 157 €)”.

“Notre positionnement est même anti-internet”

Sur le projet de six sites Internet dont parlent les documents du FDM, François Dufour explique qu’ “il s’agissait en fait des trois sites de nos trois quotidiens et qu’après des tests, nous avons gardé le plus novateur : www.monjtquotidien.com avec un journaliste à plein temps faisant le seul JT vidéo pour enfants en France.” Les autres sites testés renvoient désormais  à www.playbac.fr, simple boutique en ligne, pour que les parents s’abonnent. François Dufour considère que “Internet ne marche pas pour nous. les parents refusent de payer pour que leurs enfants passent… encore plus de temps sur internet ! Notre positionnement est même “anti-internet” : la lecture d’un journal.

Autrefois les jeunes étaient gentils, ils lisaient la presse.

Malgré ce positionnement “anti-internet”, Play Bac Presse a monté, en 2009, un projet “Après le papier” cité dans les documents du Fonds d’Aide à Modernisation de la presse en notre possession(et une demande de subvention de 53 913 euros), bien que Francois Dufour affirme que la demande “n’était pas pour ce fonds mais pour le nouveau fonds FSEL :(32 313 euros de subvention).” Ce projet a permis de financer une application Iphone pour l’Actu à laquelle seuls les abonnés ont accès.

“Vive le FDM !”

François Dufour explique par ailleurs qu’”aux États généraux de la presse écrite , j’avais recommandé que le Fonds d’aide à la modernisation de la presse soit entièrement tourné sur les innovations de contenu et plus de modernisation de rotative. Pour moi le rôle essentiel du Fonds d’aide à la modernisation de la presse est d’aider à l’innovation en permettant de cofinancer des tests de nouveaux médias, papier (ex : suppléments) ou pas (ex : appli iphone).“  Le récent rapport Cardoso sur les aides à la presse relève qu’entre 2005 et 2008 les aides directes représentent environ 45% du chiffres d’affaires du groupe Play Bac Presse. On peut donc comprendre que François Dufour conclue ses explications d’un “Vive le FDM !”

Le syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR) s’intéresse particulièrement aux jeunes. Sur son site, trois opérations de “conquête” sont ainsi citées (La presse à l’école, Opérations mille lycées, Opération lectorat jeunes). Il faut dire qu’un lucide méchant proverbe dit que quand un vieux meurt, c’est un abonné de la PQR qui disparait. Et Kevin n’est pas très enclin pour l’heure à lire le journal de ses aînés. “La crise de la presse quotidienne régionale (PQR), se manifeste notamment par un vieillissement et des difficultés de renouvellement de son lectorat”, indiquait ainsi Aude Rouger dans son mémoire “Les jeunes et la (non) lecture de la presse quotidienne régionale” [pdf]. “L’âge moyen du lectorat de la presse écrite n’a cessé d’augmenter” indiquait quant à lui le livre vert des États généraux de la presse écrite [pdf].

Dans le détail, en 2008 1.498.640 euros, en 2007 1.999.712 euros et en 2005 1.762.153 euros ont été donné au titre du projet du “développement du lectorat jeune”. Pour être précis, en 2005, l’intitulé était même “À la conquête du lectorat jeune”. Que recouvre précisément ces termes ? Vincent de Bernardi, directeur du SPQR, nous a expliqué que ces projets consistaient en des abonnements offerts aux jeunes de 18 à 24 ans qui en faisaient la demande, à raison d’un exemplaire par semaine. Une initiative impulsée par le ministre de la Culture d’alors, Renaud Donnedieu de Vabres. Chaque opération a permis d’offrir 70.000 abonnements. La PQD (Presse Quotidienne Départementale) en a aussi bénéficié. Il précise qu’une partie des journaux s’est efforcé, le jour où les bénéficiaires recevaient leur exemplaire, de proposer plus de contenus orientés vers les jeunes.

Sur la structure du lectorat, Vincent de Bernardi s’est montré hésitant et en contradiction avec l’étude citée plus haut : “Il n’est pas vieillissant, nous a-t-il d’abord indiqué. Avec 17 millions de lecteurs, nous touchons toutes les catégories.” Certes, mais ça n’empêche que le lectorat peut être vieillissant. “Est-ce que les jeunes sont tournés vers d’autres supports ? On peut l’imaginer, certaines études le disent.” Nous insistons donc un peu et cela devient : “La structure est constante et à l’issue des opérations à l’attention de jeunes, il y a un peu plus de jeunes qui lisent. Il faut aussi noter que la population française vieillit, il n’y a pas de raison que la PQR ne soit pas concernée.” Nous avons demandé par mail au SPQR de nous donner ses sources sur la structure stable de son lectorat, nous n’avons pas eu de réponse.

Quoi qu’il en soit, quel bénéfice a tiré la PQR de ces opérations ? Comme sa réponse ci-dessus l’indiquait, il est positif selon Vincent de Bernardi. “Il y a eu fidélisation, avec un taux de transformation entre 12 et 15%.” En clair, 12 à 15% des bénéficiaires se sont abonnés l’année suivant leur abonnement gratuit. Soit de 8.400 à 10.500 abonnements par opération, autant dire une goutte d’eau.

L’opération Un Journal gratuit, abondée à hauteur de 5.033.030 euros en 2009, vise sur trois ans à “financer 200 000 abonnements par an pour un montant total de 15 millions d’euros. Elle permettra aux jeunes de découvrir 59 quotidiens de la presse nationale, régionale ou locale. Seront disponibles, par exemple : Le Monde, L’Equipe, Sud-Ouest, Nice-Matin, etc. Chaque bénéficiaire recevra un jour par semaine un numéro du quotidien qu’il aura choisi lors de son inscription sur le site www.monjournaloffert.fr. Les 200 000 abonnements seront offerts aux 200 000 premiers inscrits sur le site.”

C’est L’Agence Française Abonnement Presse (A2Presse) qui a été mandatée comme prestataire technique de la gestion des abonnements par les syndicats du SPQN, SPQR et SPQD. Une agence dont certains participants du comité d’orientation soulignent la fragilité financière lors de la réunion du 8 juin 2009. “M. Regazzo soulignent que les capitaux propres de cette société sont en effet négatifs.” Ce qui n’empêchera pas qu’elle soit chargée de cette mission avec toutefois “la nécessité de surveiller l’évolution de la situation financière de A2Presse.” Vu le caractère récent du projet, il est effectivement très difficile de savoir si l’opération est parvenue à “cré[er] une habitude de lecture qui amènera [le jeune] plus tard à lire ou à s’abonner à un journal.” Financièrement, il sera préférable que les jeunes ne se contentent pas de lire, au passage.

Jeune lecteur deviendra vieux.

L’opération kiosques, projet pour lequel A2Presse est prestataire, consiste à diffuser des titres auprès des lycéens dans les établissements scolaires, en partenariat avec les conseils régionaux. L’objectif est double : relancer l’intérêt des jeunes pour la lecture de la presse -une “pratique citoyenne”- et soutenir les entreprises de presse. Le projet a débuté en 2006 en Aquitaine avant d’être étendu dans d’autres régions, cinq au total (Bourgogne, Rhône-Alpes, Pays-de-la-Loire et Poitou-Charentes.Les établissements via la région payent 25% du prix total des abonnements, 25% proviennent du FDM et les 50% restants sont payés par les éditeurs. La contribution du FDM va, selon les années et les régions, de 16.978 euros à 65.635 euros.

Lors du compte-rendu de la réunion du comité d’orientation du fonds d’aide à la modernisation de la presse du 7 décembre 2006 : à propos du kiosque Aquitaine, M. Casedebaig parle de “succès de cette opération, le nombre d’établissements intéressés s’établira finalement à 138 au lieu de 95 initialement prévus.” Le rapport de contrôle indique lui que l’agence A2 PRESSE n’a pu mesurer ni l’impact éducatif réel de la mise en place du kiosque presse dans les 119 lycées sélectionnés ni l’impact économique ou social de la subvention sur les éditeurs participants.” Et pour (bête) cause : “aucun questionnaire n’a été adressé par la société aux participants du projet. Aucune enquête de satisfaction permettant de déterminer les titres les plus consultés ou de dresser un bilan global de cette opération n’a été effectuée. De même, la société n’a pu communiquer sur les initiatives prises dans chaque établissement autour de la création de club de presse ou de journaux des lycéens.” En revanche, “les comptes-rendus hebdomadaires rédigés par la société ne permettent de rendre compte que des seules difficultés de livraisons.” Intéressant, indeed, au vue de l’objectif fixé.

Heureusement, des évaluations ont été mises en place. Nous avons pu obtenir des précisions dans les deux régions qui nous ont répondu. En région Rhône-Alpes, où le dispositif a été mis en place en 2007 dans 100 établissements, deux évaluation ont été effectuées, en 2008 et 2010. Yohann Pignon, responsable du service action éducative à la direction des lycées, juge le bilan plutôt positif : tous les établissements ont souhaité poursuivre, les journaux ne se sont pas languis sur leurs étagères – avec des fortunes diverses, L’Équipe, Le Monde ou Libération ont mieux marché par exemple-, des journaux lycéens ont été créés. En revanche, il ignore si les jeunes se sont ensuite abonnés aux journaux. Quand on demande pourquoi l’accent a été mis sur le papier, ce qui peut sembler étonnant alors que les jeunes ont une affection très limitée pour le papier, notre interlocuteur rappelle l’objectif économique de soutien à la presse en difficulté. Il souligne ensuite que les jeunes ont accès au site et aux archives et que la région développe aussi les pratiques numériques via les ENT (espace numérique de travail), dont le lancement est prévu en 2011. “Il faut être sur les deux angles d’attaques, le papier a encore des atouts” “Lesquels ?” “Je ne sais pas quoi vous dire, j’essaye de trouver des idées. On peut la lire partout, tout le monde n’a pas des tablettes”. Certes, mais le journal papier, hors opération particulière, n’est pas donné, et cela fait partie des facteurs de désaffection. Yohann Pignon note aussi la presse doit réfléchir à la complémentarité papier/web.

En Bourgogne, l’opération a commencé au début de l’année scolaire 2006/2007. Deux évaluations ont été effectuées en 2007 et 2008. Nicole Eschmann, vice-présidente du Conseil régional de Bourgogne en charge des lycées, dresse un bilan très satisfaisant de l’opération : “Nous estimons les objectifs atteints : développement de l’esprit critique des jeunes et soutien de l’activité économique “presse”. Elle a dans l’ensemble relancé l’intérêt des jeunes pour la presse écrite. Il y a un taux de satisfaction très important, aussi bien côté adultes que côté élèves. Un quart des élèves interrogés a déclaré que l’opération les incitait à acheter des journaux eux-mêmes, en dehors du lycée (on peut aussi considérer que 75% n’ont pas envie d’en acheter, et qu’entre être incité et acheter, il y a un pas, ndlr)” Dès 2007/2008, le dispositif fut étendu à tous les lycées volontaires, pour arriver à 106 établissements bénéficiaires sur 119 lycées.

En 2005, Ouest-France aurait reçu 492.701 euros au titre du projet “nouvelle génération de lecteurs”; Après moult coups de fil, on nous indique enfin qu’il faut envoyer un mail à Jeanne-Emmanuelle Hutin, éditorialiste au journal (et accessoirement fille du président du groupe François-Régis Hutin), directrice des activités pour la jeunesse et vice-Président du groupe « jeunesse » de la sous-commission « Jeunesse » du pôle « Presse et société », lors des États généraux de la presse écrite de 2008. Nous attendons toujours sa réponse. Il faudra donc s’en tenir à ces propos laconiques de la direction financière : “Je ne suis pas sûre qu’on soit en mesure de vous donner l’élément”. “C’est possible, je n’ai pas les chiffres, je ne confirme pas les chiffres ni n’infirme.”

En 2006, Le Quotidien de la Réunion avait obtenu une subvention 185.234 euros pour le projet “Le Quotidien des jeunes”. Le Quotidien des jeunes est un supplément de huit pages, encarté le mercredi. “La subvention s’est établie à 15.930 euros, après réduction du projet. Elle concernait non pas la création du Quotidien des jeunes mais l’abonnement”, nous a expliqué Thierry Durigneux, le rédacteur en chef du Quotidien de la Réunion.

L’Alsace a reçu en 2008 une subvention de 59.800 euros pour financer à hauteur de 40% le site Le Journal des enfants, lancée fin 2008. Ce site, qui est une extension de sa version papier, propose des jeux, des articles, et moyennant finance, une version numérique du Journal des Enfants. Sa V2 est déjà en route. Car, de l’aveu même du directeur Francis Laffont, “il y a moyen de mieux faire”. En terme de fréquentation, c’est pour l’heure un fail : 20.175 VU en juin dernier,  soit environ 660/jour. Si les quelque 44.000 écoles françaises ont la possibilité de s’inscrire sur une plate-forme, seules “1.000 à 2.000″ l’ont fait selon M. Laffont. La version numérique du JDE a elle 709 inscrits. On notera bien que les presque 150.000 qu’a coûté en tout le site n’ont servi qu’à cette V1. Pour booster la V2, il est prévu de faire plus de liens et de relancer les contacts avec les écoles. C’est une bonne idée.

En l’état actuel, on note un paquet de publicités qui renvoie des jeux, de la loterie au concours, des sites d’achat d’app pour mobile ; le blog ne marche pas. Nous avons aussi noté un codage de la fiche utilisateur qui laisse à désirer, un nuage de tags qui laissent songeur (cf capture d’écran).

Également interrogé sur les diverses opérations jeunes, le directeur répond, sans rire “avoir identifié l’importance de l’impact du contact avec les jeunes”. L’Alsace bénéficie ainsi de l’opération “un journal gratuit pour les 18-24 ans”, un journal au collège et journaliste d’un jour. Quand on en vient à essayer d’avoir une réponse sur l’impact des projets destinés à inciter le jeune à acheter le journal, c’est le bottage en touche : “il est difficile d’identifier l’efficacité, on n’a pas l’âge des clients. On raisonne moins en chiffre d’affaires qu’en lien global, c’est une mission démocratique.” Au passage, on se demande comment font leurs commerciaux pour refourguer de la publicité s’ils ne connaissent pas le profil des abonnés. On sait que les jeunes ne lisent plus la PQR mais on ne sait pas s’ils la lisent de nouveau. Lorsqu’on lui suggère que le SPQR pourrait payer une étude à ce sujet, Francis Laffont reconnait que “cela peut valoir le coup (coût ?)”. Qu’on se rassure, des études ont déjà été menées, on trouve ainsi dès 1985 une étude de l’Union des syndicats de la presse quotidienne régionale (USPQR), Les jeunes de 25-35 ans et l’information locale

“Oh la la vous êtes pire que le FDM, ils nous posent de plus en plus de questions”

En 2006, La République des Pyrénées et L’Éclair (groupe SA Pyrénées presse) auraient reçu une subvention de 10.398 euros pour un projet “actions jeunes lecteurs en zone Urbaine”. Sur le détail, nous n’en saurons pas plus “Oh la la ma pauvre dame, j’en sais plus rien du tout, réagit Philippe Carrère, du directoire de La République des Pyrénées. J’ai pas le temps de rechercher. Vous voulez savoir quoi exactement ?” “Et bien le détail du projet, s’il a porté ses fruits”. Et l’intéressé de répondre : “Oh la la vous êtes pire que le FDM, ils nous posent de plus en plus de questions, c’est de plus en plus compliqué.” Ah ce FDM qui se met à faire son boulot de contrôle !

L’association presse enseignement aurait eu une subvention de 751.391 euros en 2005 au titre du projet “L’école aux quotidiens pour 1.000 établissements scolaires”. Une association que nous n’avons pas réussi à contacter, ses coordonnées retrouvées sur Internet étant apparemment obsolètes. Le FDM n’a pas été en mesure pour l’heure de nous donner plus d’indications. Au vue des autres opérations menées dans les établissements, on peut parier sans trop de risque qu’il s’agissait de proposer des journaux gratuitement aux élèves…

Outre ces opérations spécifiques, d’autres investissements sont considérés comme susceptibles d’”assurer par des moyens modernes, la diffusion des publications auprès des nouvelles catégories de lecteurs”. Le rapport 2004-2007 de la commission de contrôle [pdf] cite ainsi “le renouvellement du parc d’ordinateurs permet le développement d’Internet et donc la réalisation du journal en ligne parallèlement à la version papier.” On serait plutôt tenté de dire que le renouvellement du parc est la condition sine qua non pour une rédaction papier moderne de travailler dans des conditions correctes sans péter un câble à la moindre tentative de visionner une vidéo sur YouTube.

De même les changements de maquette, sans que les résultats soient probants. Le même rapport indique que quatre projets ont concerné le renouvellement de la maquette du journal, dont l’une concernait une étude sur le lectorat. “Ces investissements n’ont pas les mêmes effets sur les titres de presse. Pour l’une des entreprises de presse nationale, les investissements ont permis tout au plus de limiter la chute des ventes. La modernisation de la maquette avec plus de couleur et une mise en page plus accessible n’a pas eu pour effet d’attirer un lectorat plus jeune comme l’escomptait l’éditeur. [...] L’amélioration de l’impression et l’augmentation des pages couleurs n’ont pas nécessairement d’impact sur le rajeunissement du lectorat. Ainsi, pour une entreprise nationale de presse par exemple, le glissement de la tranche des 25-49 ans vers les plus de 50 ans n’est pas freiné.”

Décidément, le jeune est un être insaisissable…

Sabine Blanc et Martin Clavey
Image CC Flickr Aleksandr Slyadnev, postaletrice et OiD-W

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Rapport Cardoso : les subventions inorganisées d’une presse sous perfusion http://owni.fr/2010/09/17/rapport-cardoso-les-subventions-inorganisees-dune-presse-sous-perfusion/ http://owni.fr/2010/09/17/rapport-cardoso-les-subventions-inorganisees-dune-presse-sous-perfusion/#comments Fri, 17 Sep 2010 15:42:40 +0000 Martin Untersinger http://owni.fr/?p=28371 Le 8 septembre dernier, le consultant Aldo Cardoso a remis aux ministres du Budget et de la Culture son rapport sur “la gouvernance des aides publiques à la presse”. Long d’une centaine de pages, ce rapport présente 15 propositions, applicables sur une période de 5 ans (2012 – 2016) et destinées à améliorer le contrôle, l’utilisation et l’efficacité des aides que l’État octroie à la presse.

Le 23 janvier 2009, lors d’un discours détaillant les grandes mesures tirées des États Généraux de la presse écrite, Nicolas Sarkozy avait souligné la nécessité de “clarifier les objectifs, modifier la gouvernance et contrôler l’utilisation” de la vingtaine d’aides à la presse qui existent aujourd’hui en France. C’est dans cette optique que Christine Albanel et Eric Woerth, alors respectivement ministre de la Communication et ministre du Budget, ont commandité ce rapport en juin 2009.

Un secteur en crise

Le rapport rappelle dans un premier temps les chiffres bien connus d’un secteur économique en crise. La baisse de 12 % de la diffusion payante depuis 1995 et le fort reflux des recettes publicitaires (-17 % en 2009) ont ramené le chiffre d’affaires de la presse française à son niveau exceptionnellement bas de 1993.

Si ce constat n’est pas nouveau, c’est sans doute la première fois que des chiffres aussi détaillés sont dévoilés, à la fois sur la santé globale de la presse française, mais aussi et surtout sur le détail des différentes subventions que l’État lui accorde. OWNI avait par ailleurs pris part à cet effort de transparence il y a quelques semaines, en publiant un document inédit révélant le détail des subventions accordées par le fonds de modernisation à la presse (FDM).

Des aides publiques inefficaces

Tout aussi inquiétant que l’état économique de la presse : l’inefficacité des aides publiques. Le rapport Cardoso dresse ainsi un bien triste portrait de leurs effets sur le dynamisme de la presse.

Depuis la libération, le dispositif des aides s’est étoffé, complexifié, sédimenté et force est de constater que même s’il représente aujourd’hui environ 12 % du chiffre d’affaires du secteur économique, il n’a pas permis l’émergence ou la présence de titres de presse forts et indépendants de l’aide publique.

Le rapport avance même un chiffre éloquent : près de 80 % des aides distribuées par l’état seraient utilisées à des seules fins de fonctionnement, contre seulement 20 % pour des investissements.

L’accent est également mis sur la dépendance forte de certains types de presse aux aides publiques. Ainsi la part de ces dernières dans le budget de la presse d’information politique et générale (IPG, les journaux d’information et/ou partisans soutenus dans un soucis de “pluralisme”) est bien plus importante que pour les autres secteurs. A titre d’exemple, elles représentaient 55 % du chiffre d’affaires de France Soir en 2008 (contre 12 % en moyenne).

On peut s’attendre en toute logique à ce que cette part aille en augmentant dans les années à venir. Cette concentration a déjà été amorcée depuis plusieurs années et aujourd’hui, près d’un tiers des subventions publiques cible déjà la presse IPG.

Le rapport pointe également l’extrême complexité du système des aides publiques. Il suffit de jeter un oeil au tableau qui y figure pour comprendre : grand nombre de fonds et programmes d’aides, multiplicité des bénéficiaires et stratification des dispositifs empêchent presque mécaniquement une bonne gouvernance globale et stratégique des fonds publics.

Plus préoccupant encore, on constate dans le rapport que jusqu’ici, les pouvoirs publics n’ont eu ni stratégie globale, ni moyens de contrôle suffisants sur les aides qu’ils ont accordés. Ainsi, un interlocuteur anonyme rencontré par Aldo Cardoso explique que, loin de subvenir aux besoins d’une ‘fonction’, en l’occurrence celle d’informer, les subventions tendent au contraire à soutenir ‘des acteurs et une industrie’”. “Défaut de pilotage global”, “expertise insuffisante”, “faible adéquation de certains projets aux besoins du secteur”, “indigence des indicateurs”, “faiblesse des moyens consacrés à l’évaluation” sont autant de reproches formulés à l’encontre de la puissance publique.

Fort de ce triste constat, le rapport propose 15 solutions réparties sur 4 grands axes afin de réformer la gouvernance de ces aides.

Une structure d’octroi et de contrôle des subventions repensée

Le rapport propose ainsi le conditionnement de l’octroi des aides à un dialogue et à une “prise d’engagements clairs et évaluables” dans le “respect des priorités” stratégiques de l’État. Il liste également une série d’outils qui pourraient être pris en compte dans la mesure et l’évaluation en amont et en aval des subventions : taux de profit, de réabonnement, le coût moyen annuel d’impression, les effectifs du journal… Ce qui ne manque pas de susciter des interrogations quant aux procédures qui ont cours actuellement.

La structure administrative de contrôle et de suivi des aides doit également être repensée. Le rapport préconise une séparation stricte entre les fonctions de pilotage stratégique et celles de contrôle de l’utilisation des fonds publics, tout en établissant un pilotage global et commun à toutes les aides. Et rappelle également qu’en vertu de la loi n°2000-321 du 12 avril 2000, les détails des subventions sont librement accessibles à qui en fait la demande (journalistes inclus). Un autre moyen de contrôle…

In fine, la structure d’octroi et de contrôle devrait ressembler à ceci, si les préconisations du rapport sont appliquées.

Priorité à l’innovation !

Une autre proposition significative est celle de la réorientation des aides vers l’innovation et “l’invention de nouveaux modèles”, c’est à dire sur des projets susceptibles de provoquer “un effet de levier”, susciter la “diversification plurimédia” et soutenir “les laboratoires et incubateurs d’innovation”. Tout ceci afin d’encourager ce qu’Aldo Cardoso considère comme “l’avenir de la presse”, à savoir “sa capacité à réinventer ses contenus”. Il faut noter par ailleurs qu’à l’heure actuelle, seuls le FDM et le SPEL ont pour mission explicite de favoriser l’innovation (accordant un financement sur projet et non pas de manière automatique).

Au niveau structurel, le rapport préconise une maîtrise des coûts plus stricte mais annonce des effets surprenants par leur ampleur, puisque d’après les calculs de l’Inspection Générale des Finances menés sur une structure de coûts classique d’un titre de presse, le taux de profit pourrait passer – si les préconisations du rapport sont mises en oeuvre – de – 2 % à + 13 % !

Création d’un fonds stratégique unique pour 2012 – 2016

Une des réformes clés appelées de ses vœux par le rapport Cardoso est la création d’un fonds stratégique de la presse, qui rassemblerait l’essentiel des aides publiques. Ce qui n’est pas sans poser problème puisque des instances globales de régulation existent déjà, comme l’ARCEP (pour l’aide postale) ou la DGMIC.

De plus, le rapport élude un peu la question de savoir comment cette nouvelle gouvernance va respecter les règles de concurrence, et surtout comment elle conciliera ce contrôle accru avec l’impératif de neutralité de l’État. Par ailleurs, il est quelque peu surprenant que l’objectif affiché du fonds de soutenir l’innovation ne soit mis en oeuvre que par la fusion de fonds prééxistants et non par la création de nouveaux fonds.

Maintenir le montant des aides directes

En raison notamment d’un fort recul des aides indirectes (distribution, crédits d’impôts…) du à la fin des accords État Presse Poste, il est extrêmement probable que le montant global des aides connaisse un net reflux, de l’ordre de 20 % d’ici à 2016, explique le rapport. Ce dernier propose de compenser cette perte en maintenant l’augmentation des aides directes initiée après les Etats Généraux, à hauteur de 900 millions d’euros sur cinq ans, qui seraient redéployés progressivement vers le fonds stratégique nouvellement créé.

Et la presse en ligne ?

Si le rapport ne préconise rien de révolutionnaire concernant la presse en ligne, plusieurs de se propositions semblent à retenir.

En premier lieu, il envisage de ramener la TVA applicable à la presse sur Internet, aujourd’hui de 19,6 %, au taux super-réduit (2,1 %) qui profite actuellement à la presse traditionnelle. Remédier à ce déséquilibre illogique – après tout, seul le support change, pas le contenu – est dans l’air depuis un bon moment déjà. Seul problème, cela nécessiterait une modification de la législation européenne… Plus largement, le rapport préconise de ne pas établir de différence de “traitement hermétiquement différent” de celui de la presse traditionnelle à quelque niveau d’intervention étatique que ce soit.

Le rapport déconseille par ailleurs d’adopter le projet un temps envisagé de mettre en place une taxe sur les fournisseurs d’accès à Internet pour résorber le déficit de la presse papier et met en évidence les difficultés de répartition qu’une telle mesure entraînerait.

Enfin, il rappelle qu’Internet n’est pas responsable de tous les maux de la presse écrite traditionnelle :

L’offre de presse en ligne n’est pas à l’origine du reflux de la diffusion de la presse écrite, qui s’inscrit dans une tendance de long terme.

À l’inverse, le rapport place au coeur des dynamiques d’innovation à encourager l’exploitation “des opportunités de mise en valeur qu’offrent les nouveaux supports de diffusion” afin qu’ils “collent à des usages en perpétuelle évolution”.

Et maintenant ?

Même si des questions subsistent, le rapport soulève plusieurs points cruciaux, notamment en incitant les pouvoirs publics à se doter d’une gouvernance globale et de véritables instruments de contrôle. Il convient également de retenir la concentration des efforts en vue de transformer des subventions de fonctionnement et aux acteurs (donc inefficaces) pour les concentrer sur un secteur et pour l’innovation.

Le ministre de la Culture Frédéric Mitterrand a annoncé le 9 septembre dernier la mise en place d’un forum qui se réunira au mois d’octobre afin de définir “les modalités de mise en œuvre progressive” des mesures préconisées par le rapport Cardoso. De là à envisager une mise en application rapide ?

La multiplication des annonces d’économie budgétaires, des priorités gouvernementales bien loin des médias, couplés au climat délétère qui règne actuellement entre la presse (trotsko-fasciste) et le pouvoir permettent malheureusement d’en douter.
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Merci à Vincent Truffy et à Albéric Lagier pour leurs précieux éclairages.

> Téléchargez le rapport Cardoso dans son intégralité
> Voir la structure actuelle des aides publiques à la presse.
> Retrouvez l’intégralité de notre dossier du jour sur les aide à la presse .
> Consultez tous nos articles sur les subventions à la presse, notamment “Subventions à la presse : l’heure des fuites ?”.

Crédits Photo CC Flickr : .zahrky

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Subventions à la presse: dix ans sans contrôle strict http://owni.fr/2010/08/19/subventions-a-la-presse-dix-ans-sans-controle-strict/ http://owni.fr/2010/08/19/subventions-a-la-presse-dix-ans-sans-controle-strict/#comments Thu, 19 Aug 2010 14:24:48 +0000 Admin http://owni.fr/?p=24829

Durant les huit premières années de son existence, le fonds d’aide à la modernisation de la presse quotidienne et assimilée d’information politique et générale (FDM) a distribué ses substantielles subventions sans qu’une évaluation précise n’ait été mise en place pour contrôler la pertinence et l’efficacité de ces investissements. C’est en substance ce que conclut le Rapport de la commission de contrôle du fonds d’aide à la modernisation de la presse quotidienne. Ce rapport, évaluant 65 des 260 projets financés entre 2004 et 2007, pose en effet de nombreuses questions sur ces subventions, dont nous avons publié le détail le 9 août dernier.

Pas d’objectifs précis et quantifiés pour les subventions

À titre de recommandation, le rapport est d’une clarté limpide : “La principale recommandation porte sur la nécessité d’identifier clairement, au moment où la subvention est accordée, des objectifs quantifiés et mesurables par des indicateurs”, est-il ainsi indiqué en conclusion.

Le rapport s’interroge clairement sur ce qui devrait être le but même de la commission de contrôle, en vertu de l’article II-13 du décret du 5 février 1999 : “Quels sont les effets réels de la réalisation du projet sur l’entreprise ?”, “dans quelle mesure les objectifs du décret ont été effectivement réalisés ?”, “comment différencier les investissements défensifs des investissements de modernisation ?”.

Ce rapport avouerait-il à demi-mot son impuissance à contrôler et à mesurer l’impact des millions qu’il distribue à la presse ? Il précise en tout cas que :

La réalisation des objectifs du décret n’est, à de rares exceptions près, jamais chiffrée par les entreprises et repose bien souvent sur des indications déclaratives invérifiables.

Des entreprises de presse qui ne communiquent pas leurs chiffres

Les entreprises se sont de fait bien gardées d’apporter une pierre aiguisée à cette évaluation et n’ont pas aidé le FDM dans sa tâche. Toujours selon le rapport, une grande partie d’entre elles se sont refusées à communiquer aux rapporteurs des chiffres précis. On peut s’étonner du recours à cet argument, s’agissant d’entreprises qui ne sont globalement pas en concurrence : les lecteurs de Ouest-France ne seront jamais tentés par Les DNA et il serait difficile de faire acheter Le Figaro à un adepte de Libération

“Certaines informations ne sont pas communiquées aux experts car elles sont considérées comme confidentielles par les entreprises. Cela est un handicap pour mener à bien le contrôle. [...] On peut  s’interroger sur la portée réelle du contrôle, si le rapport ne peut mentionner aucune information nominative concernant les entreprises.”

Des méthodes d’évaluation en question

Le FDM a ainsi financé la mise en place de “kiosques de presse” dans des lycées en région, destinés à offrir des magazines et des journaux aux jeunes dans l’optique de les amener vers l’achat. Il est donc surprenant d’apprendre que lesdits élèves n’ont pas été interrogés dans le cadre de l’évaluation de l’efficacité de la subvention :

“Il serait également intéressant de sonder les élèves qui ont eu accès au « kiosque » au lycée pour évaluer leur intention de continuer à lire la presse à titre personnel et de mesurer les chances que cette prise en main du quotidien au lycée se traduise ensuite par une démarche d’abonnement.”

L’article II-3 du décret de 1999 donne aux subventions accordées par le FDM trois grands objectifs : l’augmentation de la productivité, l’amélioration  de la “forme rédactionnelle” et la diffusion à de nouvelles catégories de lecteurs. Les subventions ont-elle permis aux projets sélectionnés d’atteindre ces objectifs ? Le rapport se montre en tout cas prudent quant à ses conclusions, comme en témoigne l’utilisation du verbe “semble” :

“Dans 97 % des projets contrôlés, l’aide du FDM semble avoir contribué à l’amélioration de la productivité de l’entreprise”, “dans 57 % des projets, l’aide du FDM semble avoir contribué à la modernisation de la forme rédactionnelle”, “dans 40 % des projets contrôlés (24 sur 65), l’aide du FDM semble avoir contribué à l’amélioration de la diffusion auprès de nouvelles catégories de lecteurs”

L’imprimerie est le poste de dépense qui semble donner les meilleurs résultats, en améliorant la productivité et l’organisation de la chaîne de production, en repoussant l’heure du bouclage et en permettant une impression de meilleure qualité. Elle constitue cependant le poste le plus lourdement subventionné, représentant même jusqu’à 80 % des aides versées par le fonds en 2006 et 2007.

Les aides ayant vocation à encourager la numérisation des outils journalistiques font également partie de celles qui semblent avoir le plus d’effets positifs. Il faut cependant noter qu’Internet n’a jamais dépassé les 4 % du montant total des subventions accordées, ce qui peut sembler paradoxal pour un fonds de modernisation.

Le rapport pointe également une carence, et non des moindres : la lenteur de l’ensemble des processus de contrôle et d’évaluation (entre 3 et 6 ans selon le rapport). Ce qui semble avoir un effet dommageable sur la qualité du rapport, selon lequel le délai entre la remise des informations à la commission et la date de remise du rapport n’a “pas laissé tout le temps nécessaire pour pouvoir exploiter toutes ces informations de façon approfondie“. Le rapport préconise ainsi des mesures pour pallier cette difficulté, notamment en revoyant les dates limites de clôtures des dossiers.

Autre point qui nous étonne, c’est le fait que la commission n’ait pas pris la peine d’utiliser les données de l’OJD, organisme pourtant parfaitement à même de fournir des données fiables et précises, notamment sur l’évolution du tirage des journaux ayant reçu des fonds du FDM.

Un fonds de 8 millions inapproprié, faute d’étude préalable

En 2005, l’institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC) s’est vu attribuer 8.000.000 d’euros pour la création en son sein d’un fonds de garantie dédiée à la presse quotidienne et assimilée d’information politique et générale. C’est la plus grosse somme sur la période 2003-2010.

Elle surprend autant par son ampleur que par l’établissement qui a reçu la somme : a priori, l’IFCIC a peu de rapport avec la presse quotidienne, si l’on s’en tient à la définition de ses missions. Comme le rappelle le rapport, “l’IFCIC est un établissement de crédit agréé sous la forme d’une SA de droit privé, dont la mission est de contribuer au développement, en France, des industries culturelles, notamment en partageant avec les banques les risques spécifiques liés aux crédits qu’elles leur consentent.” Certes Le Figaro ou La Montagne ont des pages culture…

L’IFCC était mandatée par huit entreprises de presse. Le projet “consistait à offrir aux entreprises de presse éligibles au fonds d’aide à la modernisation la garantie de leurs prêts en vue de financer leurs projets de modernisation à compter de janvier 2006.” Sauf que dans les faits, seules deux entreprises, L’Yonne républicaine et La Nouvelle République du Centre-Ouest, en ont bénéficié.

“Le fonds de garantie de la presse sous-employé apparaît, de fait, peu adapté aux besoins réels des entreprises visées”, explique le rapport. Et surtout, “les projets n’ont eu qu’un caractère purement défensif pour les deux sociétés bénéficiaires”, contrairement aux objectifs fixés par la convention instituant le fonds : “Ces concours doivent avoir pour objet de financer un projet de modernisation tel que défini par le décret n°99-79 du 5 février 1999.”

“La commission constate que ce projet ne répond pas au besoin de fonds propres des entreprises de presse. À ce titre, elle considère que le projet n’a pas atteint ses objectifs, faute d’une étude préalable sur les règles de fonctionnement de l’IFCIC.”

Une fois de plus, l’art de faire les choses à rebours. Du coup, au terme de l’échéance de la convention de trois ans, une grande partie des sommes allouées (5 millions d’euros sur 8,574 millions d’euros ) a été redéployée vers le fonds pour les industries culturelles (FIC) “sans individualisation particulière”. Une décision jugée avec circonspection par la commission :

“La commission de contrôle prend acte de cette décision et exprime pour l’avenir sa réserve sur le choix qui a été fait : on peut en effet redouter que ce choix de fongibilité totale des crédits alloués fonde les sociétés de presse dans un ensemble de projets beaucoup plus vaste et diversifié dans le domaine culturel. En effet, le FIC accorde sa garantie à de nombreux projets (80 en 2007 et 70 en 2008) d’un montant moyen inférieur à 100 000 €.

Il apparaît, dès lors, nécessaire d’assurer un suivi régulier et spécifique des fonds alloués afin de veiller à ce que les garanties accordées concernent des projets d’entreprises de presse à due proportion des crédits ainsi transférés. Dans ses prochains rapports, la commission examinera les résultats obtenus dans le cadre de ce nouveau dispositif.”

Rajoutez trois ans pour élaborer la convention-cadre

Le rapport de 2007 appelle de ses vœux la mise en place d’une convention-cadre [PDF] plus stricte pour évaluer les impacts des subventions. Mais ce n’est que le 16 mars dernier que le FDM a adopté une telle convention, soit près de trois ans après les recommandations du rapport de 2007. Le texte de la dite convention le reconnaît d’ailleurs implicitement :

10 ans après la création du FDM, il s’avère nécessaire de tirer les enseignements de la période écoulée, et de mieux s’assurer de la bonne adaptation des critères d’octroi des aides à l’évolution notamment technologique et économique du secteur de la presse. Dans ce contexte la présente convention a notamment pour objectif de mieux adapter les aides publiques octroyées dans le cadre du FDM.

Bien entendu, nous avons contacté le FDM mardi 17 août pour avoir des explications que les questions que nous venons de soulever. Nous attendons leur retour.

Sabine Blanc et Martin Untersinger

Dans le cadre de notre dossier sur les subventions à la presse, vous pouvez retrouver l’interview de Philippe Jannet (PDG du Monde.fr) ainsi que notre article intitulé “Aides à la presse, un équilibre délicat”.

Image CC Flickr debcll et ivoryelephantphotography

À lire aussi Subventions à la presse, l’heure des fuites ?

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http://owni.fr/2010/08/19/subventions-a-la-presse-dix-ans-sans-controle-strict/feed/ 10
Philippe Jannet (LeMonde.fr): “Une plus grande transparence serait la bienvenue” http://owni.fr/2010/08/19/philippe-jannet-lemonde-fr-une-plus-grande-transparence-serait-la-bienvenue/ http://owni.fr/2010/08/19/philippe-jannet-lemonde-fr-une-plus-grande-transparence-serait-la-bienvenue/#comments Thu, 19 Aug 2010 14:19:35 +0000 Admin http://owni.fr/?p=25266 Le 9 août dernier, nous avons publié un premier article sur les détails du fonds de modernisation. Nous y abordions l’attribution au Monde interactif, qui détient Lemonde.fr, d’une subvention alors même que son PDG Philippe Jannet avait déclaré ne pas en avoir reçu depuis 2002. Ce dernier avait répondu à nos interrogations une première fois

“Surpris de la transcription de [s]es propos dans [n]otre article”, Philippe Jannet nous a ensuite expliqué dans un long mail qu’il n’avait “sans doute pas été assez complet dans [s]es réponses.” Il faut dire qu’il était en vacances lors de notre premier échange.

Il est entre autres revenu sur le fonctionnement du fonds de modernisation, que nous aurions mal compris, favorisant une mauvaise perception par les lecteurs. “Les aides attribuées par le fond de modernisation de la presse ne sont pas « versées » directement aux journaux comme vous semblez le penser. Elles sont déclarées « attribuables » sur la base de projets détaillés présentés par lesdits journaux, par une commission composée d’experts issus de la presse et du ministère de la Culture. La crainte des médias sur cette fameuse transparence vient sans doute de la crainte de l’incompréhension du grand public. Je pense que cette transparence est nécessaire si elle s’accompagne de pédagogie et je pense que l’excellent travail entamé par votre équipe ne peut d’ailleurs échapper à cette pédagogie.

“Si je vous ai dit ne pas avoir « vues » les sommes annoncées dans nos comptes, c’est qu’elles ne sont versées par le FDM qu’après que les projets aient été réalisés et exclusivement sur la base de factures détaillées dont seulement 40% sont remboursés. Or, l’enveloppe attribuée en 2004 n’a toujours pas totalement été dépensée, celle de 2008 non plus, la numérisation de nos archives de 1994 à 1987 n’ayant par exemple pas encore été menée à son terme. D’où le fait que je vous ai dit « ne pas avoir vu 1,5 million d’euros dans mes comptes »…”

Précisons que les journalistes d’OWNI qui ont traité ce dossier ne se sont pas lancés à l’aveuglette. Et in fine, que les aides soient versés après réalisation des projets n’empêche pas de poser des questions sur le montant et la pertinence des aides.

En substance, Philippe Jannet semble indiquer que la rigueur n’a pas toujours été la qualité première du mécanisme d’aide : “Pour choquant qu’il a pu être, il est aujourd’hui plutôt en voie de « professionnalisation ». (je peux témoigner de l’excellent travail des équipes du Ministère de la Culture dans le cadre du SPEL, traquant les devis surévalués avec beaucoup de talent).”

Il poursuit ensuite sur les aides demandées au fonds SPEL, créé à l’automne 2009 suite aux États généraux de la presse écrite. Celui-ci est dédié aux entreprises de presse en ligne, pure players compris, ce qui est nouveau, en remplacement du SEL. “Pour être complet, nous avons bien déposé deux demandes complémentaires auprès du fonds SPEL (une pour Lemonde.fr et l’autre pour Lepost.fr) mais n’avons aujourd’hui aucune réponse sur ces demandes. Nous avons également été retenus pour un projet de serious game par les équipes de Nathalie Kosciusko-Morizet, en coopération notamment avec l’ESJ Lille, mais n’avons pas encore reçu quelque montant que ce soit.”

Philippe Jannet fait aussi un point général sur son entreprise de presse, sous-entendant que ses aides sont dans son cas utiles et n’ont rien d’abusif : “Pour rappel, le Monde interactif est rentable, paie des impôts chaque année sur ses bénéfices, participant ainsi quelque part au remboursement direct des aides lui étant attribuées. Par ailleurs, le Monde Interactif a créé directement plus de 60 emplois et indirectement (via commande de prestation) plus d’une vingtaine de postes.”

Il tacle au passage les pures players. En toute confraternité en partie puisqu’il met dans le même sac Rue89 et Google, dont les métiers sont bien différents : “Si vous voulez compléter vraiment votre enquête, je pense que vous devriez également vous pencher sur les aides directement reçues par les « pure players » soit auprès d’Oséo, de l’ANVAR, du FIS, du Ministère de la recherche ou auprès des équipes de Nathalie Kosciusko-Morizet… Soit via les montages fiscaux malins de nos amis de Google (en Irlande), d’Ebay, d’Apple, d’Amazon (au Luxembourg), ou encore de SFR, Bouygues et Orange (TVA tripleplay très innovante)… ”

Il finit sur un plaidoyer pour les aides à la presse, garantes selon lui d’une pluralité d’opinions. “Sans elles, nous n’aurions collectivement à lire, à écouter et à regarder que des journaux, à des radios ou des chaînes de télévision détenus par des grands groupes industriels. Je me suis battu, en tant que président du Geste, contre mes confrères du papier, pour que les aides à la presse soient ouvertes aux sites web pure players, parce que je crois à cette nécessité de préserver la liberté d’opinion et que l’omniprésence de certains groupes m’inquiète.

“Même si parfois ces aides sont en effet curieusement attribuées, je pense qu’elles ne sont pas un objet de scandale.”

Je persiste à penser qu’une plus grande transparence serait la bienvenue, dès lors qu’elle est comprise par les analystes de ce marché et aisément comparable avec les autres modes de financement de l’ensemble des acteurs dudit marché.”

En complément, Philippe Jannet a accepté de répondre à nos questions, une interview réalisée par mail aujourd’hui.

Le Fond de modernisation ne concerne que la presse d’information générale, cela n’induit-il pas un biais concurrentiel vis-à-vis des autres publications ? Est-ce que les autres types de subventions suffisent à rééquilibrer cela ?

Les aides à la presse sont destinées à garantir le pluralisme d’opinion et donc, par définition, réservées à aider avant tout les journaux d’opinion. Elles ont été créées après la Seconde Guerre mondiale pour éviter un malthusianisme exclusivement basé sur l’argent qui avait amené avant 1939 à la confiscation quasi-totale des grands quotidiens par les patrons des principales industries françaises. Il n’y a donc pas là de biais concurrentiel puisque tous les journaux d’opinion y ont accès.

Le reste de la presse, y compris de la presse professionnelle, bénéficie  d’autres modes d’aides, moins importants certes, mais tous les acteurs profitent aussi de dispositifs tels que le taux de TVA réduit (2,10%), des tarifs postaux réduits, le dispositif Bichet pour la vente en kiosque, etc., dispositifs initialement prévus exclusivement dans ce souci de garantie d’une pluralité d’opinions.

Pourquoi la plupart des médias (à l’exception notable du Monde.fr) ont privilégié des investissements vers des postes traditionnels (maquettes, imprimeries… etc.), au détriment par exemple d’Internet (alors que le fonds a pourtant vocation à “moderniser”) ?

Je pense que beaucoup d’acteurs avaient besoin d’aide pour la modernisation de leurs outils de production industriels en particulier leurs imprimeries, dont les salariés bénéficient d’un statut très spécifique, lui aussi lié à l’après-Guerre, avec des coûts très élevés. D’autres ont également utilisé ces fonds pour acquérir des outils de CMS mixtes papier-web, pour la numérisation de leurs archives, etc.

Pensez-vous que les subventions aux médias déjà bien installés ont réellement favorisé le pluralisme de la presse, par exemple lorsque l’on connaît la collusion (annonces légales, actionnariat, publicité, relations d’intérêts économiques…) de certains titres avec les pouvoirs (que ce soit en PQN ou PQR) ? Les subventions pour des médias déjà installés n’ont-elles pas empêché le développement de nouveaux médias ?

Je ne crois pas qu’on puisse raisonner ainsi. Ces aides ont permis à des journaux tels que L’Humanité, La Croix, Libération ou Le Monde…, de garder une ligne éditoriale propre, sans être condamnés à disparaître ou de se renier. Le fonds SPEL, créé l’an passé, spécifiquement pour le développement de sites d’information sur Internet, doté de 60 millions d’euros sur trois ans, est venu s’ajouter aux dispositifs existants et va permettre aux sites « pure players » de se développer.

Vous parlez de “professionnalisation” des mécanismes d’attribution des aides, est-ce à dire qu’ils ne l’étaient pas auparavant ? C’est en tout cas ce que semble suggérer la convention cadre de la commission de contrôle du fonds de modernisation. Avez-vous eu à un moment donné le sentiment d’une forme de laxisme ? En quoi concrètement pensez-vous que cette professionnalisation a eu lieu ?

Je ne pense pas qu’il y ait eu laxisme, mais il a fallu du temps aux commissions diverses pour acquérir une connaissance approfondie des dossiers et nous héritons aujourd’hui de cette expérience. Les fonds auxquels j’ai pu participer, au titre d’expert, m’ont semblé particulièrement vigilants sur celle-ci. Au fonds SPEL par exemple, les représentants de la DGMIC, issus du Ministère de la Culture, sont d’une extrême attention et n’hésitent pas à revoir à la baisse bon nombre de devis, accompagnés en ce sens pas les représentants de la profession. Leur exigence et leur indépendance sont une garantie totale de la neutralité des aides apportées.

Au-delà des subventions que nous abordons dans notre article, quels sont selon vous les véritables obstacles (aide au portage, dépendance aux commandes de l’État…) à l’indépendance de la presse ?

L’aide au portage n’est pas un obstacle à l’indépendance de la presse, au contraire. La presse paie aujourd’hui sa sous-capitalisation et ne peut investir qu’en allant quêter de l’argent auprès de l’État ou auprès d’actionnaires généreux.

Cette sous-capitalisation est la résultante d’une longue histoire et la multiplication des crises récentes a encore fragilisé la presse. Mais je pense que vous faites fausse route en imaginant qu’un journal sera éditorialement redevable à l’État parce qu’il a reçu des aides. Libération ou L’Humanité prouvent chaque jour leur indépendance alors qu’ils sont les quotidiens les plus aidés proportionnellement. C’est faire injure à la déontologie des journalistes que d’imaginer ce type d’allégeance. On a d’ailleurs bien vu que lorsque le Président de la République a jugé utile de menacer la direction du Monde de supprimer les aides de l’Etat à la modernisation de l’imprimerie du quotidien, il n’a obtenu que le rejet des candidats qu’il soutenait dans le cadre de la recapitalisation de notre quotidien.

Vous dites que les aides sont “un mécanisme nécessaire à la survie d’une partie de la presse, celle dite d’opinion”. La France subventionne plus sa presse que la plupart des autres pays européens. Est-ce à dire que la pluralité de la presse y est moins assurée ?

Les dispositifs français sont spécifiquement liés à l’histoire. Ainsi, les coûts d’impression et de distribution sont très élevés en France, du fait du statut particulier des salariés de ces secteurs. L’État compense quelque part ces surcoûts. Mais ne vous méprenez pas, les autres pays aident leur presse aussi. Le taux de TVA de la presse anglaise est à zéro et même les États-Unis s’interrogent aujourd’hui sur des modèles d’aide spécifiques.

Concernant LeMonde.fr, en quoi ces aides ont-elles permis concrètement de vous développer ?

Il suffit de regarder les courbes d’audience, elles parlent d’elles même… Ces aides nous ont permis d’innover, de tester de nouveaux formats, de nouvelles technologies, d’embaucher de jeunes journalistes, des techniciens, etc., à un moment où le journal Le Monde traversait une crise terrible. Sans ces aides, lemonde.fr n’aurait pas eu les moyens de se développer aussi fortement. Lemonde.fr, en étant rentable et en payant des impôts depuis 2005, a d’ailleurs ainsi remboursé l’essentiel des aides qu’il a pu recevoir…

Je comprends bien vos doutes sur ces aides, mais elles viennent quelque part compenser les avantages fiscaux et sociaux dont bénéficient aujourd’hui les grands acteurs de l’internet mondial, qui sont aussi nos concurrents sur le marché de la publicité, grâce notamment à l’ implantation de sièges dans les paradis fiscaux européens. Google déclare 40 millions d’euros de CA en France et moins d’un million de bénéfice, somme sur laquelle il sera taxé, alors que le CA généré par les annonceurs français frôle le milliard d’euros, facturés directement en Irlande. Dès lors, puis je considérer que les impôts que Google n’a pas payé en France est une forme d’aide de l’État ?

Pourquoi un tel silence de vos confrères sur ce sujet ?

Les réactions à vos premières publications expliquent et peuvent justifier ce silence. Sans explication, sans pédagogie, les aides à la presse ne peuvent être prises que comme des subsides injustifiés. Alors que les éditeurs investissent eux-mêmes 50 à 60% des sommes allouées, avancent l’ensemble des sommes, voire ne dépensent pas tout ce qui leur est alloué, ne peuvent investir que sur des domaines très encadrés, ces aides éveillent le soupçon… Si, comme les autres acteurs de l’Internet, voir comme bon nombre d’entreprises,  nous allions chercher des aides auprès de l’ANVAR, du Ministère de la Recherche ou de Nathalie Kosiuscko-Morizet, nous n’aurions pas à nous justifier ainsi…

Propos recueillis par Martin Untersinger, Sabine Blanc et Martin Clavey.

Dans le cadre de notre dossier sur les subventions à la presse, vous pouvez retrouver notre article pointant les carences du contrôle du fonds de modernisation ainsi que notre article intitulé “Aides à la presse, un équilibre délicat”.

Crédits Photo CC Flickr : Tonton Copt.

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