OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Les trolls, ou le mythe de l’espace public http://owni.fr/2012/06/26/les-trolls-ou-le-mythe-de-espace-public/ http://owni.fr/2012/06/26/les-trolls-ou-le-mythe-de-espace-public/#comments Tue, 26 Jun 2012 14:57:53 +0000 Antonio A. Casilli http://owni.fr/?p=114539

Au Royaume-Uni, la Chambre des communes a récemment mis au vote un amendement du “British Defamation Bill” spécifiquement destiné à s’attaquer aux trolls sur Internet. L’amendement prévoit de contraindre les fournisseurs d’accès ou les propriétaires de sites web à révéler l’adresse IP et les informations personnelles des utilisateurs identifiés comme auteurs de “messages grossiers”. Rien que de très habituel : à chaque fois qu’une information liée aux technologies de l’information et de la communication attire l’attention du public, les législateurs britanniques sortent une loi ad hoc de leur chapeau. De préférence, une loi qui méprise bêtement la vie privée et la liberté d’expression.

Pourquoi les médias ont peur des trolls ?

Dans un effort remarquable de bercer le public d’une compréhension faussée des cultures numériques, le Guardian a consacré une session spéciale à cet étrange phénomène dans son édition du 12 juin. La pièce de résistance, intitulée “What is an Internet troll ?”, est signée Zoe Williams.

Un article concocté à partir de l’habituelle recette des médias dès qu’il s’agit d’aborder le sujet : une pincée de professeur de psychologie livrant ses déclarations profondes sur “l’effet désinhibant” des médias électroniques, un zeste de journaliste pleurnichant sur la baisse du niveau d’éducation et sur les propos incitant à la haine omniprésents, et un gros morceau d’anecdotes tristes concernant de quelconques célébrités au sort desquelles nous sommes censés compatir.

La conclusion de cet essai qui donne le ton (“Nous ne devrions pas les appeler ‘trolls’. Nous devrions les appeler personnes grossières.”) serait sans doute mieux rendue si elle était prononcée avec la voix aiguë de certains personnages des Monty Pythons. Comme dans cet extrait de La vie de Brian :

Cliquer ici pour voir la vidéo.



Les autres articles oscillent entre platitudes (“Souvenez-vous : il est interdit de troller” – Tim Dowling “Dealing with trolls: a guide”), affirmations techno déterministes sur la vie privée (“L’ère de l’anonymat en ligne est sans doute bientôt terminée” – Owen Bowcott “Bill targeting internet ‘trolls’ gets wary welcome from websites”), et pure pédanterie (“Le terme a été détourné au point de devenir un de ces insipides synonyme” – James Ball “You’re calling that a troll? Are you winding me up?”). On trouve même un hommage pictural au tropisme familier de l’utilisateur-d’Internet-moche-et-frustré, dans une galerie d’ “importuns en ligne” croqués par Lucy Pepper.

Évidemment, les médias grand public n’ont pas d’autre choix que d’appuyer l’agenda politique liberticide du gouvernement britannique. Ils doivent se défendre de l’accusation selon laquelle ils fournissent un défouloir parfait aux trolls dans les sections consacrées à la discussion de leurs éditions électroniques. Ils ont donc tracé une ligne imaginaire séparant la prose exquise des professionnels de l’information des spéculations sauvages et des abus de langages formulés par de détestables brutes.

La journaliste du Guardian Zoe Williams est tout à fait catégorique : elle est autorisée à troller, parce qu’elle est journaliste et qu’elle sait comment peaufiner sa rhétorique.

Bien sûr, il est possible de troller à un niveau beaucoup moins violent, en parcourant simplement les communautés dans lesquelles les gens sont susceptibles de penser d’une certaine manière. L’idée est d’y publier pour chercher à les énerver. Si vous voulez essayer ce type de trolling pour en découvrir les charmes, je vous suggère d’aller dans la section “Comment is Free” du site du Guardian et d’y publier quelque chose comme : “Les gens ne devraient pas avoir d’enfants s’ils ne peuvent pas se le permettre financièrement”. Ou : “Les hommes aiment les femmes maigres. C’est pour ça que personne ne pourra me trouver un banquier avec une grosse. QUI POURRA ?” Ou : “Les hommes aiment le sexe. Les femmes les câlins. ASSUMEZ-LE”. Bizarrement, je me sens un peu blessée par ces remarques, bien que ce soit moi qui les aies faites.

Les facteurs sociaux du trolling ne devraient pas être sous-estimés

En tant que citoyen responsable et universitaire qui étudie les interactions conflictuelles en ligne depuis quelques années (cf ici, ici, et ici), je considère ces procédés narratifs des médias comme hautement malhonnêtes et mal informés.

Dès que les trolls sont représentés dans les médias, leurs actions sont habituellement explicitées en termes de “perversion”, “narcissisme”, “désinhibition”. De telles notions, appartenant au domaine de la psychologie clinique, dissimulent les facteurs sociaux sous-jacents du trolling. Ce type de comportement en ligne n’est pas un phénomène individuel. Au contraire, c’est un processus social : on est toujours le troll de quelqu’un.

De plus, le trolling a une dimension collective. Les gens trollent pour provoquer des modifications dans le positionnement structurel des individus au sein des réseaux. Certains le font pour acquérir une position centrale, en attirant l’attention et en gagnant quelques “followers”. D’autres pour renvoyer leurs adversaires aux marges d’une communauté en ligne. Parfois, le trolling est utilisé pour contester l’autorité des autres et remodeler les hiérarchies établies dans les forums de discussions ou les médias en ligne. De ce point de vue, malgré leur attitude perturbatrice, les trolls peuvent aider les communautés en ligne à évoluer – et les cultures numériques à développer de nouveaux contenus et de nouveaux points de vue.

Espace public fantasmatique

Le trolling est un phénomène complexe, qui découle du fait que les structures sociales en ligne sont fondées sur des liens faibles. Les loyautés, les valeurs communes ou la proximité émotionnelle ne sont pas toujours essentielles. Surtout lorsqu’il s’agit de rendre possible en ligne de nouvelles sociabilités en mettant en contact les utilisateurs avec de parfaits inconnus. C’est l’effet principal du web social, et c’est aussi ce qui rend le trolling possible : les “parfaits inconnus” sont souvent loin d’être parfaits. Par conséquent, le trolling ne doit pas être considéré comme une aberration de la sociabilité sur Internet, mais comme l’une de ses facettes. Et les politiques ne peuvent le congédier ou le réprimer sans brider l’une des sources principales de changement et d’innovation de la sociabilité en ligne : le fait d’être confronté à des contenus, postures ou réactions inhabituels. Les ripostes sévères suscitées par les trolls à l’échelon politique doivent êtres analysées comme des ouvertures vers des problèmes et des paradoxes sociaux plus larges.

Essentiellement, l’amendement proposé à cette loi sur la diffamation est une démonstration de force d’un gouvernement qui doit prouver qu’il peut encore contrôler l’expression en ligne. Histoire de tenir la promesse de l’accès au débat démocratique pour un maximum de citoyens, dans une situation d’incertitude maximale. En ce sens, le trolling menace de court-circuiter et de remodeler, de façon dialectique et conflictuelle, les espaces de discussion civilisés (ndlr : polis) que les démocraties modernes considèrent toujours comme leur espace politique idéal. L’existence même de trolls anonymes, intolérants et aux propos décalés témoigne du fait que l’espace public (défini par le philosophe allemand Jürgen Habermas comme un espace gouverné par la force intégratrice du langage contextualisé de la tolérance et de l’apparence crédible.) est un concept largement fantasmatique.

“L’objet de cet espace public est évident : il est censé être le lieu de ces standards et de ces mesures qui n’appartiennent à personne mais s’appliquent à tout le monde. Il est censé être le lieu de l’universel. Le problème est qu’il n’y a pas d’universel – l’universel, la vérité absolue, existe, et je sais ce que c’est. Le problème, c’est que vous le savez aussi, et que nous connaissons des choses différents, ce qui nous place quelques phrases en arrière, armés de nos jugements universels irréconciliables, apprêtés mais sans nulle part où obtenir un jugement d’autorité. Que faire ? Eh bien, vous faites la seule chose que vous pouvez faire, la seule chose honnête : vous affirmez que votre universel est le seul véritable, même si vos adversaires ne l’acceptent clairement pas. Et vous n’attribuez pas leur esprit récalcitrant à la folie, ou à la pure criminalité – les catégories publiques de condamnation – mais au fait, bien que regrettable, qu’ils soient sous l’emprise d’une série d’opinions erronées. Et il vous faut abandonner, parce que la prochaine étape, celle qui tend à prouver l’inexactitude de leurs opinions au monde, même à ceux qui sont sous leur emprise, n’est pas une étape possible pour nous, humains finis et situés.

Il nous faut vivre en sachant deux choses : que nous sommes absolument dans le juste, et qu’il n’y a pas de mesure globalement acceptée par laquelle notre justesse peut être validée de façon indépendante. C’est comme ça, et on devrait simplement l’accepter, et agir en cohérence avec nos opinions profondes (que pourrait-on faire d’autre?) sans espérer qu’un quelconque Dieu descendra vers nous, comme le canard dans cette vieille émission de Groucho Marx, et nous dire que nous avons prononcé le mot juste.”

Stanley Fish, Postmodern warfare: the ignorance of our warrior intellectuals, Harper’s Magazine, Juillet 2002


Article initialement publié en anglais sur le blog d’Antonio Casilli, BodySpaceSociety
Traduction : Guillaume Ledit
Illustration trollarchy par Antonio Casilli, illustrations de Lucy Pepper © sur The Guardian “The drawing of Internet trolls”

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L’écologie graphique de la ville et sa disparition http://owni.fr/2011/04/14/l%e2%80%99ecologie-graphique-de-la-ville-et-sa-disparition/ http://owni.fr/2011/04/14/l%e2%80%99ecologie-graphique-de-la-ville-et-sa-disparition/#comments Thu, 14 Apr 2011 08:30:07 +0000 Alex Alvarez (Urbain trop urbain) http://owni.fr/?p=56770 Si la ville naît avec la sédentarisation des hommes, son développement a pour corollaire le recours aux signes. Les traces d’autrefois n’ont rien à voir avec celles que nous connaissons aujourd’hui. Mais dès Sumer, Éphèse, Pompéi, Tikal et ailleurs, trois types de signes — institutionnels, mercantiles, sauvages — sont bien présents, et se sont installés dans notre espace urbain. Comment en faire le répertoire ? Comment penser leurs connexions ? Comment, aussi, les oublier ?

En 1908, Adolf Loos prophétisait dans son pamphlet Crime et ornement une architecture et un espace urbain sans ornementation :

Bientôt, les rues de la ville aborderont avec fierté des murs tout blancs ! Comme Sion, la ville sainte, la capitale du ciel ! Et la félicité régnera.

Pour que les signes disparaissent, pour que nous n’ayons plus besoin de toute cette écologie graphique qui nous environne et porte nos représentations de la ville, il faudrait que l’espace urbain accède à une autonomie sémantique propre, ce qui est bien loin d’être le cas.

Que pourrait être cet âge de la culture où nous aurions une ville hyper-signifiante sans besoin d’un système de suppléance graphique ? Nous avons peine à l’imaginer. Contentons-nous déjà de décrire les types de signes auxquels nous avons à faire tous les jours dans l’espace de nos villes.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Catégorie 1 : les signes institutionnels

La signalisation des signes institutionnels est d’une importance capitale ; elle différencie la ville du labyrinthe où nul ne pourrait se diriger sans le connaitre par cœur. Roland Barthes décrit la manière dont les habitants de Tokyo s’orientent sans signes fonctionnels dans la ville, sans plaques de rues, ni indications : munis de plans individuels et se guidant selon des repères visuels, ils ont une connaissance différente de la topologie de la ville. En termes de signalétique, l’utilisation d’un horodateur, l’ouverture d’une porte de métro ou la proximité de toilettes publiques doivent leur bon fonctionnement au graphisme.

La ville est ponctuée de codes, y compris au sens moral : civisme, interdictions et autorisations y sont induits. Le graphisme urbain a aussi ses héritages, pas simplement esthétiques et typographiques. Comment se fait-il, par exemple, qu’il y ait encore l’inscription “École des filles, École des garçons” sur mon école primaire, alors que la mixité date de 1957 ? Le graphisme fonctionnel est aujourd’hui colonisé par les techniques marchandes, des fournisseurs de service. Par exemple, le slogan de Decaux est “city provider”, c’est-à-dire que cette entreprise se définit aujourd’hui, par ses technologies associées aux espaces publicitaires, comme « fournisseur d’accès » de la ville.

Catégorie 2 : les signes mercantiles

Affiches, enseignes, drapeaux, stickers, bâches, kakémonos, panneaux… Les instruments désormais traditionnels de la publicité sont légion dans l’espace urbain. Toutefois les publicitaires eux-mêmes ne sont pas dupes de l’efficacité présumée de cette écologie graphique de la ville. David Lubars de Publicis reconnaît ainsi que « les consommateurs sont comme des cafards, on les asperge et au bout d’un moment ils sont immunisés ». D’où la pollinisation dans la ville de nouvelles techniques, telles que le street marketing et l’appropriation du street art.

Catégorie 3 : les signes sauvages

Le graphisme sauvage se décline traditionnellement sous quatre modes plastiques : le collage, le pochoir, la bombe et le sticker. Mais certains artistes interviennent de façon plus spécifique — c’est le cas du mouvement Space Invaders, qui utilise des carreaux de céramique. Comme dans le graphisme mercantile, les auteurs du graphisme sauvage cherchent bien souvent à « vendre » un produit, leur art ou leur capacité à fabriquer de l’art, dans une autoréférence assez proche du mécanisme de la marque. Les artistes de rue ne sont toutefois pas les seuls à intervenir dans l’espace public.

La campagne présidentielle de 2007 a vu naître une importante exception au niveau de l’affichage sauvage qui mérite d’être notée. Jusqu’à cette date les militants s’occupaient de l’affichage politique de nos villes. En 2007, l’affichage de chaque candidat sur ses panneaux respectifs a été confié à une entreprise privée du nom de Clear Channel, géant américain de l’affichage publicitaire et concurrent principal de Decaux. Cette nouvelle pratique ayant pour but de conserver l’égalité entre les partis, l’affichage militant acquiert alors un statut totalement “sauvage”.

Sauvage aussi, le fameux graffiti qui souille les murs… Dans West Side Story, comédie musicale sortie en 1961, les deux bandes rivales inscrivent leurs noms sur les murs de New York et territorialisent ainsi leur quartier. Selon Jean Baudrillard, cette pratique du graffiti est née à la suite de la répression des grandes émeutes de 66-70.

Finie la quadrature des murs, lorsqu’ils sont tatouées comme des effigies archaïques. Fini l’espace/temps répressif des transports urbains, quand les rames de métro passent comme des projectiles ou des hydres vivantes et tatouée jusqu’au yeux. Quelque chose de la ville redevient tribal, pariétal, d’avant l’écriture, avec des emblèmes très forts, mais dénués de sens (…) Il est quand même étonnant de voir ça déferler dans une ville quaternaire, cybernétique, dominée par les deux tours d’aluminium et de verre du World Trade Center, mégasignes invulnérables de la toute-puissance du système. 

Relevé topographique des signes

Pourquoi ne pas à présent relever dans l’espace ces signes succinctement définis ? Me fondant sur un de mes parcours réguliers dans le nord-ouest parisien, j’ai entrepris cette cartographie. Soit donc, la rue de la Bidassoa et la rue de Ménilmontant, dans le 20e arrondissement :

  • Prendre en photo tous les signes visibles sur le trajet ;
  • Concevoir une légende qui répartisse ces signes dans des catégories puis des groupes intelligibles ;
  • Replacer chaque signe sur une carte, avec un pictogramme et un numéro de photo.


Ce serait une ambition considérable que de vouloir fabriquer une légende complète pour tout type de signe dans la ville. La légende que je composai couvrait simplement les besoins propres à mon parcours, et je me suis largement inspiré des codes couleur et des modes de représentation des cartes les plus courantes.

L’abondance des signes est couplée à la densité d’habitation : le nombre d’« auteurs » et de destinataires de ces signes augmente exponentiellement.

Sans surprise, au final, la catégorie regroupant le plus de cas particuliers est celle des signes fonctionnels. Il existe par ailleurs des cas « flottants » qui compliquent l’attribution, comme le marketing sauvage par exemple.

De nombreuses connexions se nouent entre les catégories : les uns financent les autres (mercantile fonctionnel), certains s’accaparent les autres (mercantile sauvage), d’autres détruisent les précédents (sauvage mercantile) — si bien que les catégories se mélangent, et qu’est laissée au passant la latitude de lecture et d’interprétation de cette écologie graphique dont les tenants et les aboutissants ne peuvent faire l’objet d’aucune synthèse.
Mais le phénomène le plus marquant de ce type de relevé est le haut degré de péremption de l’économie graphique de l’espace public. À peine avais-je effectué mon travail que certains signes avaient déjà changé…
Pour voir la cartographie en grand.

Vers une esthétique de la disparition

Beaucoup de facteurs conduisent à la disparition des signes. S’agissant de la disparition des signes sauvages, on sait que s’y emploient souvent les services techniques des collectivités et des entreprises privées, souvent mandatées par les précédentes ou par les exploitants de services urbains. J’ai noté que selon l’état du mur, son âge, son matériau, les types de disparition différaient. Mais le partage le plus évident se fait entre la disparition par addition et la disparition par soustraction.

L’addition consiste la plupart du temps en l’ajout de peinture, d’une teinte proche du mur, formant un rectangle qui circonscrit le signe sauvage. Pour prétendument « neutres » qu’elles sont — l’expression est très bien analysée par Roland Barthes —, ces formes ainsi obtenues donnent naissance à de nouveaux signes. C’est-à-dire à une possibilité neuve d’investissement symbolique. D’une durée de vie souvent supérieure aux autres signes sauvages, la disparition accède à l’identité de graphisme, et elle devient alors même selon moi un « graphisme de droit » dans la ville.

Dans certaines de mes pistes de travail, j’étends le recouvrement des signes sauvages à toutes les catégories de signes urbains. Il en ressort une nouvelle composition de l’espace de la ville, mais qui est au demeurant lisible pour nous, par inférence de ce qui n’est plus. L’écologie graphique de la ville se rappelle, toujours, à notre conscience perceptive.

Alors je me prends à rêver qu’il existe en contrepoint de la disparition, une ville palimpseste, une ville idéale, où tous les signes demeurent en place — et non seulement tous les signes ayant existé, mais tous les signes projetés, imaginés, toutes les utopies larvées et tous les désirs de marquage de l’espace public — une ville où mon modeste repérage se superpose à ceux de Brassaï pour les graffiti, ou d’Atget pour l’architecture. L’écologie graphique serait ainsi le langage de la mémoire enfouie de la ville, ce sur quoi s’appuie, souvent inconsciemment, le « sentiment océanique » de l’urbain.

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Publié initialement sur Urbain trop Urbain “pratiquer la ville”

Crédits photos  : © iKanoGrafik, tous droits réservés

Ndlr Urbain trop urbain : Alex Alvarez, alias iKanoGrafik, est un artiste vidéaste indépendant, originaire de la banlieue nord. Travaillant sur les codes et signes urbains, il est à l’origine du projet CelloGraff : art de rue graphique développé sur des surfaces de cellophane.

Ndlr Urbain trop urbain : « L’écologie graphique » est une notion développée par Jérôme Denis et David Pontille dans leur Petite sociologie de la signalétique consacrée aux environnements de la mobilité, notamment à la RATP.

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WikiLeaks, la comédie du pouvoir révélée http://owni.fr/2011/01/30/wikileaks-la-comedie-du-pouvoir-revelee/ http://owni.fr/2011/01/30/wikileaks-la-comedie-du-pouvoir-revelee/#comments Sun, 30 Jan 2011 16:42:24 +0000 Xavier de la Porte http://owni.fr/?p=44251 La lecture de la semaine, il s’agit d’un texte paru dernièrement dans la London Review of Books, texte du philosophe slovène Slavoj Zizek et dont le titre est à lui seul une invitation à la lecture : “Des bonnes manières au temps de WikiLeaks”. Ce texte est très long, je me suis permis de n’en traduire qu’une partie.

Jusqu’ici, l’histoire de WikiLeaks a été présentée comme une lutte entre WikiLeaks et l’empire américain : la publication de documents confidentiels du gouvernement américain est-il un acte de soutien à liberté d’expression, de soutien au droit que les gens ont de savoir, ou un acte terroriste représentant une menace pour la stabilité des relations internationales ? Et si ça n’était pas la bonne question ? Et si la vraie bataille idéologique et politique avait lieu à l’intérieur même de WikiLeaks : entre l’acte radical consistant à publier des documents secrets et la manière dont cet acte a été réinscrit dans le champ idéologico-politique par, entre tous, WikiLeaks lui-même ?

WikiLeaks : l’apologie du modèle conspirationniste ?

Cette réinscription ne concerne pas en premier lieu la compromission entrepreneuriale, c’est-à-dire l’accord passé entre WikiLeaks et les cinq grands journaux auxquels a été concédée l’exclusivité de la publication. Ce qui est bien plus important, c’est le modèle conspirationniste de WikiLeaks : un groupe secret (les bons) attaque les mauvais (le Département d’État américain). Si l’on s’en tient à cette manière de voir les choses, les ennemis sont ces diplomates américains qui dissimulent la vérité, qui manipulent les opinions publiques et humilient leurs alliés dans la poursuite éhontée de leurs propres intérêts. Le “pouvoir” est détenu par ces méchants d’en haut, et il n’est pas conçu comme quelque chose qui irradie tout le corps social et détermine la manière dont nous travaillons, dont nous pensons et consommons.

Ce mode conspirationniste est appuyé par ce qui est en apparence son opposé, à savoir l’appropriation libérale de WikiLeaks en tant que chapitre supplémentaire à la glorieuse histoire de la lutte pour la “liberté de l’information” et “le droit qu’ont les gens de savoir”. Cette perspective réduit WikiLeaks à une forme radicale de journalisme d’investigation. Ici, nous ne sommes pas loin de l’idéologie défendue par des Blockbusters comme Les Hommes du Président ou L’Affaire Pélican, dans lesquels des gens ordinaires découvrent un scandale qui touche jusqu’au président, le forçant à la démission. La corruption y est montrée comme l’apanage des puissants, et l’idéologie de ces films réside dans leur message final : quel beau pays que le nôtre, quand quelques types comme vous et moi peuvent faire tomber le président, l’homme le plus puissant du monde.

L’ultime preuve du pouvoir de l’idéologie dominante est de laisser libre cours à ce qui apparaît comme une critique violente. L’anticapitalisme n’est pas en reste de nos jours. Nous sommes submergés par les critiques des horreurs du capitalisme : des livres, des enquêtes de journalistes, des documentaires télé, qui montrent les entreprises qui polluent sans vergogne l’environnement, les banquiers corrompus qui continuent de recevoir d’énormes bonus pendant que leurs banques sont sauvées par l’argent public, les fabriques de vêtements où des enfants travaillent comme esclaves, etc. Cependant, il y a un problème : ce qui n’est jamais questionné dans ces critiques, c’est l’arrière-fond démocratico-libéral qui sous-tend le combat contre ces excès. Le but (implicite ou explicite) est de démocratiser le capitalisme, d’étendre le contrôle démocratique de l’économie grâce à la pression des médias, des enquêtes parlementaires, des lois, des enquêtes de police ou je ne sais quoi encore. Mais le système institutionnel de l’état démocratique bourgeois n’est jamais remis en question. Il reste sacro-saint, même aux formes les plus radicales de l’éthique anticapitaliste (le forum social mondial, etc.).

Le paradoxe de l’espace public

On ne peut pas regarder WikiLeaks avec ce prisme-là. Il y a depuis le début dans ces actions quelque chose qui va largement au-delà des conceptions libérales de la liberté d’information. Les excès ne sont pas à chercher dans le contenu. La seule surprise dans les révélations de WikiLeaks est qu’elles ne contiennent aucune surprise. N’y avons-nous pas appris exactement ce que nous nous attendions à y apprendre ? Le vrai trouble réside dans le niveau de ces “apparences” : nous ne pouvons plus faire comme si nous ne savions pas ce que tout le monde sait que nous savons. Tel est le paradoxe de l’espace public : même si tout le monde est au courant d’un fait désagréable, le dire en public change tout. L’une des premières mesures prises par le nouveau pouvoir bolchévique en 1918 fut de rendre public le corpus complet de la diplomatie secrète du Tsar, tous les accords secrets, etc. Là encore, la cible était le fonctionnement complet de l’appareil d’État.

Ce que menace WikiLeaks, c’est le fonctionnement même du pouvoir. Les vraies cibles ici n’étaient pas les détails dégueulasses et les individus qui en sont responsables ; pas ceux qui sont au pouvoir, pour le dire autrement, mais le pouvoir lui-même, sa structure en elle-même. Il ne faut pas oublier que le pouvoir comprend non seulement les institutions et leurs lois, mais aussi les manières légitimes de le défier (presse indépendante, ONGs, etc.). Comme l’a dit l’universitaire indien Saroj Giri, WikiLeaks “a défié le pouvoir en défiant les canaux traditionnels de défi du pouvoir et de révélation de la vérité”. Le but des révélations de WikiLeaks n’était pas simplement de mettre dans l’embarras ceux qui sont au pouvoir, mais de nous amener à nous mobiliser pour trouver une manière de faire fonctionner le pouvoir qui nous amènerait au-delà des limites de la démocratie représentative.

Néanmoins, c’est une erreur de penser que révéler l’intégralité de ce qu’on nous a tenu secret nous libérera. La prémisse est fausse. La vérité libère, certes, mais pas cette vérité-là. Bien sûr, on ne peut pas se fier à la façade, aux documents officiels, mais on ne peut pas non plus se fier aux ragots qui sont échangés derrière la façade. L’apparence, le visage public, n’est jamais une simple hypocrisie. E.L. Doctorow a dit un jour que les apparences sont tout ce que nous avons et que nous devrions donc les traiter avec soin. On dit souvent que la vie privée disparaît, que les secrets les plus intimes sont désormais ouverts à la vue de tous. Mais, en réalité, c’est l’inverse : ce qui disparaît, c’est l’espace public, avec la dignité qui l’accompagne. Les cas abondent dans notre vie quotidienne où ne pas tout dire est l’attitude adéquate. Dans Baisers volés, Delphine Seyring explique à son jeune amant la différence entre la politesse et le tact :

Imagine que tu entres par inadvertance dans une salle de bains où une femme est nue sous la douche. La politesse exige que tu fermes vite la porte et que tu dises « Pardon, madame ! » alors que le tact consisterait à fermer rapidement la porte et dire : « Pardon monsieur ! »

Ce n’est que dans le second cas, en donnant l’impression ne pas en avoir vu assez pour statuer sur le sexe de la personne qui est sous la douche, que l’on fait vraiment preuve de tact.

Exemple d’un cas suprême de tact en politique : la rencontre secrète entre Alvaro Cunhal, le leader du parti communiste portugais, et Ernesto Melo Antunes, un membre démocrate du groupe de militaires responsable du coup d’État contre le régime de Salazar en 1974. La situation était extrêmement tendue : d’un côté, le Parti communiste était prêt à lancer la vraie révolution socialiste, en s’emparant des usines et des terres (des armes avaient déjà été distribuées aux gens) ; d’un autre côté, les conservateurs et les libéraux étaient prêts à empêcher la révolution par tous les moyens, y compris l’intervention de l’armée. Antunes et Cunhal ont passé un accord sans le rendre publique : pas un accord à proprement parler – publiquement, ils étaient en total désaccord -, mais ils quittèrent la rencontre en ayant compris que les communistes n’entameraient pas de révolution socialiste, mais qu’ils laisseraient s’établir un état démocratique normal, et que les militaires anti-socialistes n’interdiraient pas le Parti communiste et l’accepteraient comme un élément clé du processus démocratique. Certains considèrent que cette rencontre discrète a sauvé le Portugal de la guerre civile. Et les participants sont restés discrets, même bien plus tard. Voici comment agissent en politique les gentlemen de gauche.

La désintégration des apparences

Mais il y a des moments – des moments de crise du discours hégémonique – où l’on devrait prendre le risque de provoquer la désintégration des apparences. C’est un tel moment que décrit le jeune Marx en 1843. Dans sa Critique de la Philosophie du Droit de Hegel, il diagnostique le déclin de l’ancien régime germanique dans les années 1830 et 1840 comme une répétition grotesque de la chute de l’Ancien Régime français. L’Ancien Régime français était tragique “aussi longtemps qu’il crut et dut croire en ses propres justifications”. Le régime germanique “ne fait qu’imaginer qu’il croit en lui-même et demande au monde d’imaginer la même chose. S’il croyait dans sa propre essence, chercherait-il refuge dans l’hypocrisie et le despotisme ? L’ancien régime d’aujourd’hui n’est que le comédien dans un ordre du monde où les vrais héros sont morts.” Dans une telle situation, la honte est une arme :

La pression exercée actuellement doit se rendre plus pressante encore en y ajoutant la conscience de la pression, la honte doit être rendue plus honteuse en la rendant publique.

C’est précisément là où nous en sommes aujourd’hui : nous sommes face au cynisme sans vergogne d’un ordre global dont les agents se contentent d’imaginer qu’ils croient dans les idées de démocratie, de droits de l’homme et du reste. A travers des actes comme les révélations de WikiLeaks, la honte – la honte que nous concevons à tolérer un tel pouvoir au-dessus de nous – devient plus honteuse, car elle a été rendue publique. Quand les États-Unis interviennent en Irak pour apporter la démocratie et que le résultat est de renforcer le fondamentalisme religieux et de donner plus de poids à l’Iran, ce n’est pas l’erreur tragique d’un agent sincère, mais le cas d’un escroc cynique qui est battu à son propre jeu.

Article initialement publié sur InternetActu

Illustration CC Flickr: Олександр, cliff1066, LWY, Horia Varlan

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Le web social ou la redéfinition de la valeur http://owni.fr/2010/11/25/le-web-social-ou-la-redefinition-de-la-valeur/ http://owni.fr/2010/11/25/le-web-social-ou-la-redefinition-de-la-valeur/#comments Thu, 25 Nov 2010 09:43:21 +0000 Thierry Lhôte http://owni.fr/?p=36869 Si l’on accole l’adjectif social au mot web (on l’a fait pour à peu près tous les termes existant: entreprise, démocratie, raison, etc.), c’est que dans l’optique d’un réseau on met l’accent sur les chaînes relationnelles. Si ces chaînes relationnelles, introduites par les rencontres sur le web, étaient identiques à celles construites dans tout type de société, locale ou nationale, le distinguo s’arrêterait là et nous pourrions clore le débat. Heureusement, ce n’est pas le cas, et l’on peut parler du web social comme d’une entité particulière, un construit commun sur un construit technique.

L’apparition du web social s’est faite avec le constat d’un mouvement de désintermédiation globale au sein de la sphère publique, mouvement analysé par Yochai Benkler dans son ouvrage sur la richesse des réseaux. La question centrale du web social, pour le moment, reste donc celle de la crise institutionnelle que nous subissons en héritage du monde industriel.

Repositionnement global de l’action

Il suffit de lire Balzac au moment des Illusions perdues pour observer que l’apport institutionnel du XIXème siècle, avec le développement massif des médias et de la presse, est le triptyque suivant: politique, affaires et culture de masse. Ces fondements sont remis en cause au nom de cette désintermédiation de la société, par la croissance de chaînes relationnelles parallèles qui échappent à ce jeu d’intérêts croisés qui s’était progressivement formalisé jusque dans son aboutissement: la culture dominante télévisuelle.

Le problème soulevé par le web social, c’est que la perte de cette position centrale demande un repositionnement global de l’action et du discours d’à peu près tous les acteurs institutionnels de la société pour justifier à nouveau leur existence et ceci sans garantie même de survie, disons le net, ils n’ont pas le choix: l’entreprise, le journalisme, les représentations légales, etc.

L’un des traits marquants de cette crise institutionnelle est qu’elle coïncide avec une crise d’efficacité économique. Et ceci a été mis en valeur par Umair Haque. Il serait impossible de justifier l’une par l’autre, mais la découverte de cette coïncidence est proprement géniale.

Crise de la valeur

Il ne s’agit pas de la crise des valeurs, mais d’une crise de la valeur. Lorsque l’on parle de crises de valeurs, généralement c’est pour réclamer un retour à un certain ordre moral compassé. Rien de bien nouveau car on peut librement attribuer cela à l’éternelle danse des moeurs, relâchement et resserrement au cours des siècles.

Une fois qu’on a remarqué l’association de l’inefficacité économique dévoilée par la crise financière avec l’inauthenticité des formes de représentation institutionnelle dévoilée par la désintermédiation, le repli social indique la voie vers une rupture naturelle : une redécouverte de la notion de valeur qui ne devient possible qu’avec la redéfinition du sens de l’action entrepreneuriale et, allons plus loin, politique. Tout se passe et s’écrit comme si la redécouverte du bon sens ou du sens commun devrait s’opérer avec la nécessaire redécouverte de la valeur d’usage comme d’utilité personnelle autant que d’utilité commune.

Le miroir du web fait que les personnes peuvent à présent s’identifier avec l’image d’une culture projetée plus authentique et débarrassée de ses artifices. Tout ce qui ne cadre plus dans cette logique reste à la porte, voire pire, peut se retrouver décriée jusqu’à la catastrophe, comme en atteste l’affaire du Logo de la marque GAP.

Et c’est la seule chose dont on peut être à peu près certain: s’il y a génération de valeur ou de richesse par le truchement du Web social, c’est le plus souvent une valeur non-apparente ou cachée et qui ne se traduit pas couramment en monnaie classique mais qui fait curieusement sens pour l’ensemble.

Le reste c’est du business model. On devrait toujours se poser la question suivante avant d’innover : pourquoi l’univers de l’Internet et du web semble hyper-résistant depuis quinze ans à la réalisation d’innombrables business models ?

Et ce que l’on appelle le web social n’aura de cesse d’y répondre à chaque fois qu’on le consultera.

Billet initialement publié sur Net & Sans Détour

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Crédits photo: Flickr CC Sreejith_K, victoriapeckham

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Espace public européen et Twitter http://owni.fr/2010/09/22/espace-public-europeen-et-twitter/ http://owni.fr/2010/09/22/espace-public-europeen-et-twitter/#comments Wed, 22 Sep 2010 08:09:09 +0000 Fabien Cazenave (touteleurope.eu) http://owni.fr/?p=28885 A l’occasion du lancement de Tweet Your MEP, Fabien Cazenave, responsable Veille et Opinions pour Touteleurope.eu, revient sur les questions liées à la place des réseaux sociaux au sein de l’espace public européen. L’objectif de Tweet Your MEP est de rapprocher les citoyens et associations et les eurodéputés par l’intermédiaire de Twitter. Répertoire des eurodéputés présents sur le réseau de microblogging (les eurodéputés français sont particulièrement présents, d’où notre illustration), l’outil permet d’interpeller facilement les eurodéputés sur les thématiques qu’ils suivent en priorité. Un outil facilitant la constitution d’un véritable espace public européen?

L’espace public européen existe-t-il?

L’espace public européen est encore à construire. Même s’il existe de différentes manières, il n’est pas encore perçu par les citoyens de l’Union européenne comme quelque chose se rapprochant de ce qu’ils connaissent au niveau national. De ce point de vue, les parlementaires européens, représentants des citoyens de l’Union, ont un rôle particulier à jouer.

Hartmut Kaelble, professeur d’histoire sociale à l’université de Humboldt à Berlin, pointe le fait que si l’Histoire a déjà connu un espace public européen (Europe des Empereurs, des monastères, des Lumières, etc), il manque aujourd’hui pour les citoyens un véritable espace public national européen. Autrement dit, un espace public consacré aux questions européennes.

Il est vrai qu’il est difficile pour le citoyen de se repérer dans les méandres de vingt-sept espaces publics nationaux dont la somme ne fait pas un espace public européen. Même au niveau européen, l’activité publique et médiatique est souvent marquée par un tempo différent par rapport à celui qui existe au niveau national.

Premier exemple, le traité portant constitution pour l’Europe rejeté par les Français par référendum en 2005. Son abandon par les Etats-membres a empêché tout débat à son sujet dans sept pays européens qui n’ont pas pu l’approuver ou le rejeter. L’espace public européen a ainsi été tronqué. La ratification du traité de Lisbonne qui l’a suivi s’est faite de la fin 2007 à 2009. Comment dès lors avoir un débat véritablement européen au sujet des institutions ?

Deuxième exemple, l’adoption des règlements ou directives se fait dans une quasi-indifférence médiatique. Pour cause, il est difficile pour les médias de parler au grand public de texte portant sur un sujet dont l’application doit se faire au mieux dans les deux ans après le vote, au moment de la transposition de la directive.

Pourtant, au moment de la guerre en Irak en 2003 ou au moment de la polémique sur les Roms, un débat a existé dans toute l’Union européenne sur la question des valeurs. Cela montre bien qu’il existe des questions qui lient tous les Européens sans qu’eux-mêmes se soient organisés pour y répondre.

Les Eurodéputés, représentants des citoyens

Les Eurodéputés ont un rôle important à jouer. Du fait de leur fonction tout d’abord puisque le Parlement européen représente les citoyens de l’Union européenne au sein des institutions communautaires. A la différence du Conseil européen qui représente les intérêts des Etats-membres et de la Commission européenne qui promeut l’intérêt général.

Ce rôle s’est étoffé avec le traité de Lisbonne qui a vu grandir le nombre de sujets législatifs où l’aval du Parlement européen est obligatoire à obtenir pour qu’un texte puisse passer. Or, la définition d’une Europe politisée est aujourd’hui nécessaire pour que les citoyens européens arrivent à se positionner sur les grands sujets de société dans une dimension européenne. Ce n’est pas au niveau du Conseil européen que cela se réalisera puisque ce dernier représente les intérêts nationaux. Et pas des intérêts transeuropéens marqués par des valeurs de gauches, de droites, souverainistes, écologistes, etc.

Les Eurodéputés et la question de l’espace public européen

Les Eurodéputés doivent donc utiliser tous les moyens technologiques à leur disposition pour pouvoir communiquer auprès des citoyens. La création au niveau national d’un espace public sur les questions européennes qui touche tous les citoyens est fondamentale pour servir de socle pour le futur espace public européen. Pour rendre l’Europe politique et la dénationalisée. Car pour le moment, la présentation des questions européennes au débat public, quand elle se fait, a surtout lieu par le biais des représentants nationaux. A l’instar de ce qu’il s’était passé au moment de la réponse à la crise financière : l’effort financier réalisé par l’Union européenne a été présenté aux médias nationaux par leurs représentants nationaux.

Avant de toucher les médias nationaux, en attendant la création de véritables médias européens, il est nécessaire de créer des outils qui permettent aux citoyens de trouver un espace public de dialogues. C’est en partie le but d’un site comme “Tweet your MEP”. Créer un espace où tout citoyen ou toute association pourra trouver facilement les eurodéputés de son pays ou qui s’occupent dans une commission parlementaire des sujets qui l’intéressent. Bien sûr, reste en suspend la question de l’appropriation par les citoyens et par les eurodéputés de cet outil. Mais ce type d’espace avec d’autres peut permettre l’éclosion d’un espace public européen.

L’idéal serait qu’au moment des élections européennes ait lieu un grand débat sur la future politique menée par l’Union européenne. Cela est possible puisque le Président de la Commission européenne doit recevoir le soutien du Parlement européen pour être élu. Or si les groupes politiques présentaient un candidat à la présidence de la Commission, le débat deviendrait européen puisque les citoyens voteraient pour la tendance politique à la tête de l’Union européenne.

Mais en attendant les prochaines élections, créons et utilisons des outils qui nous permettront de faire vivre cet espace public européen. Pour cela, nous avons besoin que les représentants des citoyens, c’est-à-dire les eurodéputés, s’incarnent auprès du grand public. Et quoi de mieux pour ce faire qu’un réseau social d’échanges directs comme Twitter pour faire vivre cette relation d’électeur à élu ?

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Ikea tatoue la ville http://owni.fr/2010/03/23/ikea-tatoue-la-ville/ http://owni.fr/2010/03/23/ikea-tatoue-la-ville/#comments Tue, 23 Mar 2010 14:44:58 +0000 Damien Cahen (buzzg) http://owni.fr/?p=10686 L’Ikea de Berlin, ou la saturation de l’espace public

L’autre jour, je suis allé à Ikea pour meubler ma nouvelle chambre berlinoise. Rien de bien compliqué… le magasin est très accessible et tout nous y mène.

En sortant du ring (la ligne de train qui fait le tour de Berlin) à Südkreuz je n’avais pas d’autre choix que de constater l’évidence d’un Ikea à proximité…à 8 minutes plus précisement.

Des lettres jaunes se dessinent sur un fond bleu fièrement affichées sur un gigantesque panneau. Pas de doute, on entre sur le territoire d’Ikea. Lorsque je lève les yeux pour voir une gigantesque bâche suspendue au plafond, mon impression ne fait que se confirmer : elle affiche une lampe accompagnée d’un texte annonçant que dans 8 minutes je pourrai assouvir mes pulsions consommatrices grâce au chemin balisé qu’a tracé Ikea jusque l’entrée du temple. Au dessus des escaliers d’autres enseignes ont tenté de s’afficher mais elles sont perdues dans la masse et Ikea est trop présent pour leur laisser un quelconque espace.

Je sors donc de la gare en suivant les flèches Ikea. Dans l’environnement austère des alentours de la gare, il n’y a guère que ces panneaux qui redonnent un peu de couleurs au paysage. Il est temps que j’arrive enfin pour accéder a cet espace qui a l’air si accueillant ! Plus que 5 minutes, c’est un panneau publicitaire qui me le dit, plus que 5 minutes avant de pouvoir acheter cette magnifique lampe ou encore parfumer ma maison !

Ouf, je ne suis plus très loin. Ils sont vraiment sympas à Ikea, il m’indiquent un raccourci pour être le plus rapidement chez eux, un raccourci qui prend soin de ne pas passer devant d’autres magasin.

On est gentiment pris par la main dans une ruelle puis une autre et on apperçoit enfin Ikea.

Au loin, bien après le parking, le gigantesque panneau et des drapeaux Ikea, les autres magasins de la zone n’ont qu’a bien se tenir…c’est ici qu’a lieu le pèlerinage et pas ailleurs. On bourre le crane du consommateur pour qu’Ikea soit sa seule destination, pour qu’Ikea soit le lieu où il va passer sa journée. Le territoire est soigneusement marqué autour de l’antre dont la gigantesque porte tournante sert aussi de vitrine pour les produits.

Une fois à l’intérieur, je ne peux que constater qu’ici aussi, un parcours qui mène aux caisses est élaboré pour passer par tous les rayons. Sur ce point rien de nouveau sous le soleil.

De retour à la gare (elle aussi indiquée par Ikea), je ne vois que des sacs Ikea et j’hésite à y revenir immédiatement à la vue des baches géantes me suggérant de nouveaux achats.

Par une stratégie qui s’étend bien au-delà de l’espace du magasin, Ikea a su faire sien l’espace public et a imposé un passage obligé vers tout ses rayons. A Südkreuz, Ikea est la seule destination, on ne sait pas vraiment comment faire pour aller à Bauhaus par exemple, beaucoup moins cher mais invisible.

En revenant quelques jours à Paris, j’ai aussi constaté cette appropriation de l’espace public par Ikea…les stations St Lazare de la ligne 12 ou encore Concorde sont équipées en canapés Ikea (et mêmes en lampes !). L’enseigne n’a pas froid aux yeux, ses marketeurs osent et font du “service” rendu un possible lien de fidélité avec Ikea.

On ne peut qu’être reconnaissant à Ikea de nous montrer le chemin et de nous prendre par la main ou encore de nous asseoir sur des canapés au lieu des sièges durs du métro…cette stratégie peut s’avérer payante, mais peut aussi provoquer un sentiment d’exaspération vis-à-vis de l’enseigne…personnellement c’est un peu ce que j’ai ressenti quand je suis enfin sorti du magasin de Südkreuz.

Toujours est-il qu’on est ici face à un cas d’appropriation de l’espace public…au risque d’une saturation !

> Article initialement publié sur Gbuzzy

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L’Internet comme miroir des exclusions http://owni.fr/2010/02/11/l%e2%80%99internet-comme-miroir-des-exclusions/ http://owni.fr/2010/02/11/l%e2%80%99internet-comme-miroir-des-exclusions/#comments Thu, 11 Feb 2010 10:38:21 +0000 Yann Leroux http://owni.fr/?p=7964 http://www.lessignets.com/signetsdiane/calendrier/images/juin/17/statue_liberte15.jpgL’Internet est souvent présenté comme un facteur de démocratisation. Le réseau participerait au bon mélange des masses, en mettant en contact des personnes d’horizons et d’intérêts différents. Le professeur et le maçon, l’adolescent et vieillard, le noir et le blanc trouveraient ici un espace ou ces différences ne compterait plus. Ce qui compterait, ce serait les compétence : la capacité à produire un beau texte, celle d’être présent et d’animer un lieu en ligne, ou encore des compétences à jouer remplacerait. En un mot, Internet serait une merveilleuse méritocratie.

Danah boyd remet tout cela en cause lors d’une conférence au Personal Democracy Forum. “The Not-So-Hidden Politic of Class Online” Elle part de l’histoire de MySpace et de Facebook et montre que la façon dont les populations américaines s’y répartissent tient à des mécanismes d’exclusion sociale.

MySpace a été un des premiers site de réseau social1 et le transfert d’une partie de sa population vers Facebook tient pour une part à l’attrait de la nouveauté. Mais Facebook s’est développé d’une façon particulière. Le site était d’abord réservé aux étudiants de Harvard, puis s’est ouvert aux universités de la Ivy LeagueW c’est-à-dire aux universités les plus prestigieuses. Lorsque l’inscription a été ouverte au grand public, le travail effectué par les premiers membres a fait le reste. Dans une communauté, les premiers membres sont très importants, car ils donnent la tonalité de l’ensemble. Les groupes se construisent, au moins a leurs commencement, sur une base communautaire : les nouveaux membres ressemblent aux membres plus anciens.

C’est cette homophilie qui a fait de MySpace et de Facebook des espaces sociaux si différents. Le peuplement de départ de Facebook est celui des universités et des grandes écoles c’est à dire des personnes qui pour la plupart sont issues de milieux aisés et instruits. Il s’est fait ensuite a partir des proches de ces étudiants.  Ce peuplement de base a servit d’amorce à la migration des utilisateurs de MySpace vers Facebook. Tous ceux qui se sentaient proches de la population d’origine de Facebook n’ont pas hésité à migrer. Les autres sont restés sur MySpace. Le phénomène est le même que celui qui a vidé les grandes villes des bourgeois et des classes moyennes. MySpace a subit des effets d’ostracisation, tout comme les quartiers de banlieue peuvent être ostracités : on a en fait un lieu peu recommandable, et les médias ont diffusé des histoires de prédateurs sexuels, contribuant ainsi à créer une panique morale qui a encore accentué l’ostracisation.

Au final, on a deux espaces, MySpace et Facebook qui s’ignorent totalement l’un l’autre. La technique aggrave ici les dynamiques sociales puisqu’il n’est pas possible à partir d’un des sites de communiquer avec le réseau de l’autre site.

Danah boyd en tire des conclusions importantes :

1. L’internet est un reflet de nos sociétés et il ne faut pas attendre des médias sociaux qu’ils résolvent magiquement les inégalités de nos sociétés.

2. L’internet n’est pas le lieu de l’universel. C’est un espace public, c’est à dire qu’il appartient aux classes dominantes, c’est à dire aux blancs instruits et aisés.

3. Pour ceux dont le travail est d’être en lien avec le public, être sur un réseau social, c’est indiquer quelle est la population à laquelle on s’intéresse et donc celle à laquelle on ne s’intéresse pas.

4. Internet est une nouvelle arène politique, mais tous ne sont pas également armés. Si nous n’y prenons garde, si nous ne nous donnons pas la peine de donner a tous un accès et une littératie au réseau, nous risquons de produire de nouvelles inégalités qui vont s’ajouter aux anciennes.

» Article initialement publié sur Psy et Geek

» Illustration de page d’accueil par Dunechaser sur Flickr

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L’espace public à l’heure du numérique http://owni.fr/2010/01/09/l%e2%80%99espace-public-a-l%e2%80%99heure-du-numerique/ http://owni.fr/2010/01/09/l%e2%80%99espace-public-a-l%e2%80%99heure-du-numerique/#comments Sat, 09 Jan 2010 18:09:56 +0000 Admin http://owni.fr/?p=6846 Thèse :

Les mondes numériques tendent à privatiser l’espace public

J’entends ici espace public au sens urbanistique, c’est-à-dire l’ensemble des espaces de passage et de rassemblement à l’usage de tous, soumis à la liberté de circulation, de parole, de manifestation, de commerce… (voir Wikipedia) L’espace public est donc un espace au sein duquel chacun dispose d’un pouvoir sur tous les autres : celui d’imposer sa présence. Certaines lois sont d’ailleurs faites pour limiter la mesure dans laquelle il est possible d’utiliser ce pouvoir sur les autres : lois contre le tapage, contre le harcèlement,…

Dans l’espace public, chacun peut donc s’imposer à l’autre, pour le meilleur : un individu qui vous rattrape pour vous rendre votre écharpe que vous avez laissée tombée, ou pour le “pire” : pensez aux nuisances dans les transports publics : clochard, bébé criant, regards insistants… Dans tous les cas l’individu n’a d’autre choix que d’accepter l’interaction qui lui est imposée, quitte à fuir.

Au sein des espaces numériques, il n’existe pas d’espace public …

» La suite sur SVN

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