OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Lawrence Lessig: plaidoyer pour un droit de citation élargi au remix http://owni.fr/2010/10/19/lawrence-lessig-plaidoyer-pour-un-droit-de-citation-elargi-au-remix/ http://owni.fr/2010/10/19/lawrence-lessig-plaidoyer-pour-un-droit-de-citation-elargi-au-remix/#comments Tue, 19 Oct 2010 06:25:24 +0000 Michèle Battisti http://owni.fr/?p=32051

Certes, le discours  de Lawrence Lessig doit être replacé dans un contexte juridique anglo-saxon et  il est vrai que l’acception de la citation au titre du fair use par le copyright, plus large que la citation du droit continental, peut représenter quelquefois un extrait d’œuvre, ce que la citation, exception au droit d’auteur, ne permet pas du tout en France. Mais il n’en reste pas moins que la citation est intimement liée à la liberté d’expression des deux côtés de l’Atlantique et que les propos tenus récemment par Lawrence Lessig, juriste américain à l’origine des licences Creative Commons, qui milite pour une application du fair use aux œuvres audiovisuelles, ont à nouveau attiré mon attention

On vient d’apprendrequ’invité à faire partie d’un jury dans un concours de vidéos réalisées à partir de la technique du remix, Lawrence Lessig avait utilisé cette opportunité pour présenter ses idées. Il avait ainsi souligné qu’utiliser, pour la remixer à d’autres, une œuvre encore protégée  par le droit d’auteur devrait se faire sans autorisation, même pour d’autres types d’œuvres que le texte, puisque cet usage qui s’apparente à la citation satisfait aux exigences du fair use du copyright américain.

Et de regretter, par exemple, que Viacom qui, bien que reconnaissant l’utilité du fair use, exige régulièrement que YouTube retire des copies prétendument  piratées de ses émissions de télévision, même lorsqu’il s’agit de vidéos où l’uploader a “remixé” le contenu original.

Mais, sorti de son contexte, le discours de Lawrence Lessig tenu à cette occasion, devenu ainsi une apologie du piratage, a suscité un tollé.

Les quatre points de son argumentaire

Pour répondre à ses détracteurs, Lawrence Lessig a rappelé que le remix était une création à part entière, qui va au-delà du simple assemblage d’une série d’œuvres. Il a également souligné l’apport intellectuel de ce type de création et la nécessité de fixer, tout comme pour l’écrit, des règles pour cette forme d’expression appelée à connaître un grand essor, notamment auprès des jeunes générations.

Mais ces règles ne peuvent pas être les mêmes que celles qui sont utilisées par les cinéastes professionnels qui doivent obtenir l’autorisation expresse des auteurs d’œuvres qu’ils entendent utiliser . Selon Lawrence Lessig, lorsqu’il s’agit de travaux d’amateurs, il conviendrait d’appliquer les règles de la citation littéraire autorisant la reproduction de l’œuvre sans autorisation expresse, mais en exigeant que l’on cite les noms des auteurs des œuvres utilisées.

Lawrence Lessig a ajouté que l’auteur du remix  est un auteur à part entière et qu’il était anormal que les plates-formes qui hébergent ces œuvres exigent du remixeur qu’il leur cède tous ses droits. Le droit d’auteur s’applique de la même façon quelles que soient la nature de l’œuvre ou les modalités de sa création.

Intéressante aussi, cette ultime remarque de Lawrence Lessig qui, tout en soulignant que le remixeur dispose de tous les droits sur l’œuvre qu’il a créée et qu’il a liberté d’en définir les règles de sa diffusion, qu’il serait opportun que celui-ci diffuse le résultat de son travail, en faisant bénéficier les tiers des mêmes libertés dont il a pu bénéficier pour créer son œuvre, en autorisant une libre utilisation  de celle-ci à des fins non commerciales.

En France

Il est vrai que le droit de citation permet en France d’insérer de très brefs extraits d’œuvres  dans une œuvre seconde et que, contrairement à l’image fixe, la reprise d’œuvres audiovisuelles est admise. Mais  extrêmement courtes, elles doivent être insérées dans un œuvre seconde et « être justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’oeuvre à laquelle elles sont incorporées » (art. L 122-5 du code de la propriété intellectuelle). Elles  ne seront de ce fait pas applicables à ce cadre trop large qui, en outre, sera  jugé souvent esthétique ou ludique.

La citation élargie“  que l’Interassociation archives bibliothèques documentation … (IABD) avait appelé de ses vœux lors de l’examen du projet de loi Dadvsi en 2005, aurait permis, comme le proposait la directive européenne elle-même, d’insérer dans le droit français une exception permettant de reprendre dans un cadre non commercial des extraits de documents à conformément aux bons usages et la mesure justifiée par le but poursuivi,  remplaçant ainsi le concept de brièveté par celui de proportionnalité, bien plus adaptée à la donne numérique. Mais envisagée qu’à des fins de critique ou de revue d’information, elle ne s’applique pas à ce cadre non plus.

C’était l’un des éléments, parmi bien d’autres, que j’avais souligné dans un dossier sur le  droit d’auteur bousculé par les internautes créateurs de contenus.

Billet initialement publié sur Paralipomènes

Image CC Flickr One_day_in_my_garden et Ivan Zuber

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Et si le droit de citation devait sauver le patrimoine culturel ? http://owni.fr/2010/02/06/et-si-le-droit-de-citation-devait-sauver-le-patrimoine-culturel/ http://owni.fr/2010/02/06/et-si-le-droit-de-citation-devait-sauver-le-patrimoine-culturel/#comments Sat, 06 Feb 2010 06:28:50 +0000 Michèle Battisti http://owni.fr/?p=7705 Je ne me suis pas trompée. Le long article de Lawrence Lessig publié  hier (réf.1)  méritait que l’on s’y penche. Il y pointe les aberrations du droit d’auteur, tel qu’appliqué à l’environnement numérique, en partant de difficultés rencontrées dans l’environnement traditionnel par les documentaristes pour libérer les droits sur les nombreux extraits d’œuvres que l’on trouve immanquablement dans ce type de documents. Or, sans droits, ces documentaires, qui représentent des pans importants du patrimoine culturel d’un pays, ne peuvent plus être réexploités et disparaissent.

Ce qu’il met en exergue, c’est qu’assez curieusement  ces courts extraits qui émaillent les œuvres audiovisuelles et les films, n’ont jamais fait l’objet d’une exception  au titre du droit de citation comme pour les livres et que, de tout temps, une demande d’autorisation était nécessaire pour pouvoir les insérer. Si l’habitude a été prise pour les  auteurs et producteurs d’œuvres audiovisuelles et de films de négocier des droits pour les premières exploitations,  les difficultés, bien souvent l’impossibilité, d’obtenir les droits nécessaires apparaissent lorsque l’on veut les reproduire pour les conserver (*) et les rediffuser ultérieurement.

Un parallèle avec le numérique, où chaque usage est soumis à une licence d’autorisation,  s’imposait donc tout naturellement, ainsi que les menaces que représente un tel modèle pour l’avenir du patrimoine culturel mondial.

Abandonner une « vision autiste » du droit d’auteur

Selon Lawrence Lessig, copier une œuvre à la seule fin  l’indexer ne devrait pas être redevable de droits. Et Google, souligne-t-il aussi (du moins aujourd’hui prend-il la peine d’ajouter), propose dans son projet de Règlement des conditions d’accès aux œuvres plus favorable que le Fair use. Les problèmes majeurs de cet accord ne seraient d’ailleurs  pas liés à la situation de monopole ni même aux atteintes à la vie privée, mais à l’impact du modèle adopté par Google sur l’accès à la culture. Google, certes, a une vision plutôt laxiste de l’accès (c’est bien que lui reprochent les auteurs et les éditeurs, même aux Etats-Unis), mais pour Lawrence Lessig cette vision reste dangereuse car elle protège de fait chaque unité d’une œuvre par un droit d’auteur. Pour marquer les esprits, il donne pour exemple l’absence d’un tableau, dont les droits n’ont pas été obtenus, dans un article scientifique proposé pourtant en libre accès par son auteur.

Puisqu’il est impossible aujourd’hui de ne pas « entrer chaque jour en collision avec le droit d’auteur », et que la complexité engendrée par le système n’est certainement pas un progrès, il convient de restaurer les espaces de liberté, comme l’ont été les  bibliothèques où l’on pouvait, qui que l’on soit, accéder gratuitement à tous les livres dans leur intégralité.

Une nouvelle vision qui doit s’imposer rapidement

Le droit d’auteur est naturellement important pour les auteurs et les éditeurs et doit subsister. Mais, selon  Lawrence Lessig les œuvres ont deux vies : une première où le droit d’auteur est pertinent ; une seconde où certaines utilisations doivent être autorisées.

Il propose aussi trois pistes  pour pallier les problèmes les plus criants :
- 1° pour libérer les droits plus facilement, créer des registres, sur le modèle des registres de noms de domaines,  où les ayants- droit inscriraient leurs œuvres après un délai (estimé à 5 ans). Les oeuvres qui n’y figureraient pas seraient réputées appartenir au domaine public ;
- 2° pour réexploiter l’œuvre légalement, l’ayant droit d’une œuvre composite serait réputé être propriétaire des droits sur l’ensemble des éléments qui la compose au bout d’un délai donné (14 ans, par exemple);
- 3° s’inspirer aussi du modèle adopté avant l’irruption du numérique, modèle qui ménageait des espaces de liberté  en échange  de compensations financières, à l’image, par exemple, de la licence légale pour la diffusion radiophonique,  afin de rétablir l’équilibre entre les ayants et les usagers,  le principe même sur lequel est fondé le droit d’auteur.

La citation en filigrane

Ce résumé du texte très riche de Lawrence Lessig devait en souligner certains aspects. Et la citation, abordée à plusieurs reprises  par l’auteur pour sa démonstration, en est un qui m’est cher (réf.3). L’IABD avait proposé un amendement pour élargir la citation à l’extrait d’œuvres (réf 4). Non limité au seul écrit, il aurait permis de reproduire, non à des fins esthétiques mais  à des fins d’information (pour illustrer l’actualité mais aussi  à des fins documentaires) ou pédagogiques, des graphiques, des photos, ….  avec les mentions de la source qui s’imposent, accompagnées des liens éventuels.  Cet usage correspond également, selon moi, à l’un espace de liberté, évoqué par Lawrence Lessig dans son article. Dûment encadré, il donne sans nul doute une nouvelle vie aux œuvres, sans préjudice pour leur auteur.

Note
(*) la reproduction à des fins de conservation est autorisée par la loi française, mais uniquement pour les bibliothèques, les services d’archives et les musées ouverts au public. Ces  établissements peuvent aussi  les  communiquer au public mais au sein de leur bâtiment et sur des « postes dédiés ».

Sources
1. For the Love of Culture. Google, copyright, and our future. Lawrence Lessig, The New Republic, January 26, 2010
2. Les chercheurs français handicapés par l’absence d’exception au droit d’auteur à des fins de recherche, Actualités du droit de l’information, septembre 2008
3. La loi DADVSI… et après ?; Journée d’étude IABD
? Michèle Battisti, Documentaliste-Sciences de l’information,  2007/2 – Volume 44
4. Amendements au projet de loi Dadvsi proposés par l’IABD. Sur le site Droitauteur

» Article initialement publié sur Paralipomènes

» Photo d’illustration par laihiu sur Flickr

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