OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La spirale du y?n-yáng décryptée http://owni.fr/2011/05/03/la-spirale-du-yin-yang-decryptee/ http://owni.fr/2011/05/03/la-spirale-du-yin-yang-decryptee/#comments Tue, 03 May 2011 07:51:44 +0000 El Jj http://owni.fr/?p=34733 YY_Fermat

Le tàijí tú : symbole de la dualité y?n-yáng

A quoi ressemble exactement la frontière entre le bien et le mal ? Qu’est ce qui sépare fondamentalement le froid du chaud ? Comment distinguer le sombre de la clarté ? Seuls trois mathématiciens chevronnés pouvaient s’attaquer à la résolution de ces mystères. Leur réponse est sans appel : c’est la spirale de Fermat !

Les taoïstes me contrediront sûrement, mais le yin et le yang, c’est ce qui décrit comment les forces contraires de la nature sont interconnectées et interdépendantes. Elles apparaissent dans les écrits de Lao Tseu, au chapitre 42 du Tao Tö King. Sans doute par goût esthétique, Zhu Xi a popularisé le Taijitu, la représentation graphique bien connue du yin et du yang.

Oui, mais… Comment représenter au mieux ce Taijitu ? Quelle est la courbe qui sépare au mieux le yin du yang ? C’est la question que se sont posée Taras Banakh, Oleg Verbitsky et Yaroslav Vorobets (deux mathématiciens Ukrainiens et un Américain), avant de trouver une réponse en 2009.

YYs

Qui sera le meilleur yin-yang ?

Mais de quoi on parle ?

Il s’agit donc de trouver une courbe ? (la courbe qui ressemble à un S) qui sépare le yin du yang de la manière la plus harmonieuse possible. Que doit-on attendre d’elle ? Les trois mathématiciens proposent 6 hypothèses, mêlant des arguments esthétiques et philosophiques.

A1 : ? sépare D en deux parties identiques, D étant un disque d’aire 1 (ie., de rayon 1/??)
Il ne faudrait quand même pas que le yin soit plus fort que le yang !

A2 : ? traverse tout cercle concentrique à D exactement deux fois
Là, c’est par soucis d’esthétisme (ce qui oblige, au passage, ? à passer par le centre du disque).

A3 : Tout rayon de D coupe ? exactement une fois (ou 2, si on compte le centre)
C’est une hypothèse un peu plus discutable, mais c’est philosophiquement intéressant : tout rayon a une partie yin et une partie yang.

A5 : ? est une courbe lisse
Déjà, parce que c’est plus joli comme ça, et surtout, ça évite tout un tas de cas dégénérés (Et personne ne voudrait d’un Taijitu dégénéré).

A6 : ? possède des coordonnées polaires algébriques
Qui voudrait d’une frontière irrationnelle entre le yin et le yang ? L’équation de la courbe ne devra faire intervenir que des polynômes.

Avec ces 5 hypothèses, tout une famille de courbes se dégage : les spirales. Mais laquelle choisir : D’Archimède ? De Fermat ? D’or ? Logarithmique ?

L’hypothèse de la symétrie

Il faut donc une dernière hypothèse, assurant un équilibre entre symétrie et asymétrie.

A4 : ? sépare D en deux ensembles parfaits
C’est la moindre des choses que le yin et le yang soient parfaits…

On va appeler “symétrique” un sous-ensemble B du disque qui est sa propre image par une symétrie d’axe un diamètre du disque. On peut “symétriser” un ensemble quelconque en prenant son intersection avec son image.

YYsymetries
L’ensemble délimité par la courbe rouge est symétrique (dans le sens de l’article), contrairement à celui délimité par la courbe verte.
En intersectant l’ellipse bleu clair avec son image, on trouve un sous-ensemble (bleu foncé) symétrique.

On dit alors qu’un sous-ensemble A de D est parfait si son aire vaut 1/2 et que tout sous-ensemble symétrique de A a une aire d’au plus 1/4.

Non seulement, il existe des ensembles parfaits (c’est la moindre des choses), mais surtout, cette propriété possède un corollaire particulièrement intéressant : l’intersection entre un ensemble parfait et son symétrique par rapport à une droite a une aire valant toujours 1/4 (l’aire du symétrisé vaut la moitié de celle de l’ensemble parfait).

YYparfait
L’ensemble en rouge est parfait : l’aire de son sous-ensemble symétrisé (en violet) par rapport au diamètre vertical vaut la moitié de l’ensemble rouge. Un applet est disponible là-bas, pour faire tourner le diamètre.

L’hypothèse prend donc tout son sens : en demandant au yin (resp. le yang) d’être un ensemble parfait, on demande lui demande de posséder une dualité parfaite symétrie/asymétrie, et ce, dans tous les sens possibles. On ne peut pas mettre plus de dualité !

La courbe du Taijitu est donc…

La spirale de Fermat, d’équation polaire ?²r²=? ! ou, d’équation cartésienne [±?(t/?²).cos(t), ±?(t/?²).sin(t)]. Et c’est la seule courbe (à une rotation près) qui vérifie les 6 hypothèses. Telle est la conclusion Banakh, Verbitsky et Vorobets.

YYspiraleFermat
La spirale de Fermat. En prenant un cercle plus ou moins grand, on trouve plusieurs types de Taijitu.

Le coefficient ?², c’est juste pour respecter l’hypothèse A3. En modifiant ce coefficient, on peut faire spiraler plus ou moins le Taijitu, et, par exemple, faire en sorte que chaque rayon coupe ? exactement deux fois.

Et en vrai ?

Le symbole du yin-yang apparaît dans le drapeau sud-coréen, et donc, a déjà été normalisé. Plutôt qu’une spirale de Fermat, le choix s’est porté sur deux demi-cercles de rayon 1/2. Au moins, la courbe et le bord du cercle sont tangents.

YYcds
Les dimensions normalisées du drapeau de la Corée du Sud.

En remontant dans l’histoire des drapeaux du pays, on retrouve celui de 1882, featuring… une spirale de Fermat !

YYcds1882
L’ancien drapeau de la Corée du Sud


Sources :
Le Yin et le Yang sur Images des mathématiques, article duquel je me suis (très) grandement inspiré.
Fermat’s spiral and the line between Yin and Yang, l’article original de Banakh, Verbitsky et Vorobets.

>> Photo FlickR CC AttributionNoncommercialNo Derivative Works Laurence & Annie

>> Article initialement publié sur Choux Romanesco, vache qui rit et intégrales curvilignes , un blog de C@fé des sciences

]]>
http://owni.fr/2011/05/03/la-spirale-du-yin-yang-decryptee/feed/ 2
Comment la culture mainstream a conquis le monde http://owni.fr/2010/04/01/comment-la-culture-mainstream-a-conquis-le-monde/ http://owni.fr/2010/04/01/comment-la-culture-mainstream-a-conquis-le-monde/#comments Thu, 01 Apr 2010 11:24:22 +0000 Clémentine Gallot http://owni.fr/?p=11318 icon_electronlibre1Mainstream, une enquête sur la culture de masse et l’entertainment global qui sort aujourd’hui, livre un état des lieux complet des nouveaux flux culturels qui unissent Hollywood à Mumbai en passant par Le Caire et Rio, avec une certitude : la mondialisation des contenus est en marche.

arton677

« Le mainstream est l’inverse de la contre-culture, de la subculture, des niches ; c’est pour beaucoup le contraire de l’art. » Si la culture de marché a longtemps été un objet d’étude illégitime (en France, en tout cas), le livre de Frédéric Martel, journaliste et universitaire, dessine, enfin, une cartographie des nouvelles guerres culturelles, mal connues, que se livrent pays dominants et pays émergents pour la conquête du « soft power ».

Une méthode qui repose sur plusieurs constats : « la mondialisation des contenus est un phénomène insuffisamment analysé » et « les stratégies, le marketing et la diffusion de produits culturels sont souvent plus intéressants que les contenus eux-mêmes, » écrit-il. L’auteur s’est ainsi livré à un travail de terrain de plusieurs années, sillonnant les capitales de l’entertainment comme New York ou Singapour, écoutant du Christian Rock à Nashville et visitant des plateaux de tournages dans le désert ou dans la jungle. Internet oblige, cet ouvrage interactif propose de retrouver l’équivalent de mille pages de notes, ainsi que des documents, sur un site dédié.

driveincolor

Au commencement était l’Amérique

La culture mondialisée puise sa source aux États-Unis, la moitié de ce livre-somme est ainsi consacrée à la naissance du monopole américain de la «  diversité standardisée », à son écosystème et au business du show-business.

L’auteur est ainsi allé à la rencontre des acteurs qui façonnent un paysage culturel américain dominé par Hollywood. Avant de s’imposer ailleurs, ce modèle s’est d’abord installé dans l’espace américain, depuis les années 1950 : « le drive-in fut l’une des matrices de la culture de masse américaine d’après-guerre, » explique t-il. Le passage du drive-in, dans la suburb, aux multiplexes dans les shopping-malls des exurbs, ou immenses centres urbains, symbolise bien ce développement de l’industrie du cinéma de masse. Le cinéma est aujourd’hui rentable moins grâce au tickets vendus que par les concessions de pop corn et de coca-cola, devenu son véritable modèle économique.

En passant par Disney, où la stratégie culturelle est axée sur le cross-over, l’auteur visite le Nouvel Hollywood où tout le monde est indépendant tout en restant attachés aux grands studios (« l’indépendance est une catégorie esthétique »). De son côté, le lobby de la Motion Pictures Association of America, premier ambassadeur culturel américain, veille aux intérêts d’Hollywood à l’étranger et fait aujourd’hui de la lutte contre le piratage sa priorité mondiale.

Mainstream décrit également comment l’Amérique dérive une partie de sa domination culturelle de son influence musicale : « la pop music n’est pas un mouvement historique, ce n’est pas un genre musical, on l’invente et on la réinvente constamment. » Detroit, berceau du Motown, a émergé grâce à une stratégie marketing cross-over : une musique noire faite pour les blancs, donc une musique populaire américaine. Dans ce paysage musical, la chaîne MTV a, ensuite, dans les années 1980, créé le lien manquant entre culture et marketing. Les universités sont un autre lieu d’expérimentation culturel et un « facteur d’explication déterminant de la domination croissante des industries créatives américaines. »

Le développement de la mass culture américaine a aussi entraîné dans son sillage un basculement de toute une profession, celle de critique culturel. L’auteur consacre d’ailleurs plusieurs pages éclairantes à l’excellente et atrabilaire critique cinéma du New Yorker, Pauline Kael (et à ses fans, les « paulettes »), star aux États-Unis et inconnue en France.

Cette « intellectuelle anti-intellectuelle » a en effet été la première à traiter sérieusement du cinéma populaire, dans un magazine pourtant élitiste. Viendra ensuite l’anglaise expatriée à New York Tina Brown, à l’origine du « celebrity journalism ». Oprah, la reine des médias, contribue également à brouiller la frontière entre High culture et Low culture avec son émission littéraire accessible à tous. Le nouveau critique, devenu par la force des choses trendsetter, médiateur de l’entertainement ou « consumer critic », contemple ainsi la fin de la hiérarchie culturelle.

« Le marché mainstream, souvent regardé avec suspicion en Europe comme ennemi de la création artistique, a acquis aux Etats-Unis une sorte d’intégrité parce qu’il est considéré comme le résultat des choix réels du public. »

boysoverflowers-big

Un nouvel ordre culturel mondial

S’éloignant ensuite des États-Unis, Mainstream s’intéresse à la guerre mondiale des contenus qui se traduit par des batailles régionales. Si l’on pense, par réflexe, aux promesses du marché chinois, la Chine avec sa censure et ses quotas n’est en réalité pas le géant escompté, Rupert Murdoch s’y est d’ailleurs cassé les dents. Selon Martel, India is the new China. En effet, « Les Indiens ont besoin des Américains pour faire contrepoids à la Chine et les Américains ont besoin de l’Inde pour réussir en Asie. »

Le revival de Bollywood qui a lieu depuis quelques années constitue en fait l’immense majorité du box-office indien qui connaît une très faible pénétration du cinéma américain. Les Américains n’ont d’autre choix désormais que de produire des films indiens en Inde, alors que celle-ci souhaite de son côté conquérir le monde. Mais les contenus locaux, tout en images et en musique qui font le succès de Bollywood ont pour l’instant du mal à se transformer en contenus globaux.

Sur la scène musicale, les flux culturels « pop » occupent en Asie une place prédominante, la musique américaine étant finalement moins présente qu’on ne l’imagine. L’enquête décrit ainsi la guerre que se livrent la pop japonaise (J-Pop) et coréenne (K-Pop) pour diffuser en Asie des cover songs et de la musique formatée dans différentes langues.

La guerre des contenus a aussi lieu sur le terrain de l’audiovisuel et des séries télévisées. L’exportation très lucrative et en pleine explosion des « dramas » coréens donne le « la » de la culture mondialisée asiatique. Boys over Flowers, immense succès de 2009 en Asie, est une sorte de Gossip Girl coréen sirupeux menée par quatre garçons pervers mais bien coiffés.

De l’autre côté du globe, les telenovelas brésiliennes sont celles qui ont le plus de succès : le Brésil étant un nouvel entrant dans le marché des échanges culturels internationaux, il exporte ses séries produites par le géant TV Globo, en Amérique Latine et en Europe centrale.

« Le marché international des telenovelas représente aujourd’hui une guerre culturelle entre la plupart des pays d’Amérique Latine et elle est mené par de puissants groupes médias. Le marché de la télévision est très local et les Américains s’en sortent le mieux, » explique Martel.

Dans les pays arabes, les « mousalsalets » ou feuilleton du ramadan sont des soap operas moraux qui peinent à se renouveler, alors que les séries syriennes, inspirées du modèle américain, décollent. Le conglomérat de médias panarabe Rotana, détenu par le Rupert Murodch du Moyen-Orient, le prince saoudien Al Waleed, a, de son côté, développé son vaste empire d’entertainement mainstream qui s’étend de Beyrouth au Caire.

Le livre se termine sur une note mitigée, en Europe, site d’une « culture anti-mainstream ». Il en ressort que « les Européens ne produisent que rarement de la culture mainstream européenne, » et que, malgré des cultures nationales fécondes, celles-ci ne s’exportent pas. Cette géopolitique actuelle de la culture et des medias n’est en tout cas pas favorable à l’Europe, qui voit sa culture commune s’affaiblir.

telenovela

Nouveau capitalisme culturel et économie immatérielle

Ce travail au long cours mené par Frédéric Martel et ces regards croisés, glanés d’un bout à l’autre du globe, convergent vers une hypothèse : la montée de l’entertainment américain va de pair avec le renforcement des cultures nationales (c’est le cas avec la montée en puissance de pays comme le Brésil, l’Inde ou la Corée). L’enquête, dans sa conclusion, esquisse l’avènement d’un modèle dynamique de «  capitalisme hip » :

« un nouveau capitalisme culturel avancé, à la fois concentré et décentralisé (..) les industries créatives n’étant plus des usines comme les studios à l’age d’or d’Hollywood mais des réseaux de productions constitués de centaines de milliers de PME et de start-up. »

De Hollywood à Dubaï, la mondialisation ainsi qu’Internet réorganisent tous les échanges : avec le basculement d’une culture de produits à une culture de services, la dématérialisation des contenus et l’économie immatérielle amplifient et renforcent ces mutations géopolitiques. Finalement, conclue le livre, « La grande nouveauté du XXIème siècle est la conjonction de ces deux phénomènes. »

Frédéric Martel, Mainstream, Flammarion, mars 2010, 460 p.

bollywood_dance2

> Article initialement publié sur Électron Libre

[MAJ 03/04/2010] L’auteur du livre, Frédéric Martel, était reçu par Nicolas Demorand ce premier avril sur France Inter.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

]]>
http://owni.fr/2010/04/01/comment-la-culture-mainstream-a-conquis-le-monde/feed/ 10