OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 L’évolution en bourgeons numériques http://owni.fr/2012/10/22/evolution-en-bourgeons-numeriques/ http://owni.fr/2012/10/22/evolution-en-bourgeons-numeriques/#comments Mon, 22 Oct 2012 11:21:09 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=123648 Capture d'écran du site - OneZoom Tree of Life Explorer

Capture d'écran du site - OneZoom Tree of Life Explorer

Veille data

Au début, il y a 166,2 millions d’années, c’était une modeste bouture où ne se balançaient que quelques porcs-épics. Puis se sont élancés de branches en branches, les marsupiaux (147,1 millions d’années), les Afrotheria (famille des éléphants) suivis dans les ramages par les taupes, les dauphins et autres écureuils… Ce vieil arbre généalogique des mammifères, jaunis en poster dans nos salles de classe, OneZoom le dépoussière d’une superbe application.

Capture d'écran du site - OneZoom Tree of Life Explorer

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Capture d'écran du site - OneZoom Tree of Life Explorer

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Fruit du travail de James Rosindell, théoricien de la biodiversité à l’Imperial College de Londres, et de Luke Harmon, collaborateur du laboratoire des sciences du vivant à l’Université d’Idaho, ce projet voit bien plus loin que les mammifères : les deux scientifiques souhaitent en faire “l’équivalent de Google Maps pour l’ensemble de la vie sur Terre”.

Le logiciel s’appuie sur une visualisation en fractale d’une base de données de 5 000 espèces de mammifères (l’extension portant sur les bactéries est téléchargeable sur le site [attention, ça peut être un peu long] et les amphibiens arrivent), comprenant le détail des embranchements, l’âge de séparation, les noms latins… Paramétrable selon trois modes de visualisation (spirale, plume ou arbre), cet arbre phylogénétique interactif peut également se déployer suivant l’évolution des mammifères, ses origines jusqu’à nos jours, grâce à l’option “Open Growth Animation bar” disponible dans le coin supérieur droit. En modifiant les couleurs, OneZoom offre enfin la possibilité d’afficher le niveau de menace d’extinction selon l’indice de l’organisation internationale de défense de la biodiversité, IUCN.

Les deux auteurs ont développé le projet en open source et invitent à la réutilisation du soft pour d’autres applications (visualisation des flux financiers, base de données sur la santé et les drogues…). OneZoom sera bientôt distribué sous forme de dossiers pédagogiques à destination des écoles et de l’enseignement supérieur ou d’installation interactives pour les musées, zoo et jardins botaniques. Ses créateurs espèrent bientôt enrichir la base avec les animaux domestiques, des photos et bien plus d’informations. Une démarche qui pourrait prendre une toute autre ampleur dans les mois à venir : à l’horizon 2014, en nouant racine avec le Open Tree of Life Project, OneZoom pourrait recueillir deux millions d’espèces dans ses feuilles digitales.

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Bactéries du futur [3/3] http://owni.fr/2012/03/26/bacteries-du-futur-33/ http://owni.fr/2012/03/26/bacteries-du-futur-33/#comments Mon, 26 Mar 2012 13:57:16 +0000 Marion Wagner http://owni.fr/?p=103214


[Suite de notre enquête sur la biologie de synthèse. Retrouvez ici la première et la deuxième partie]


Diplomatie et financement

Il pleut. À l’intérieur du bâtiment Necker du ministère de l’économie et des finances, à Bercy, le Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies est installé au bout d’un long dédale de couloirs feutrés et incurvés.

Françoise Roure y préside la section Technologies et société :

En Chine, au Brésil, aux États-Unis la biologie de synthèse fait partie de programmes subventionnés par les pouvoirs publics. Chacun a un prisme particulier. En Chine c’est l’autosuffisance alimentaire de long terme, c’est-à-dire nourrir 1,3 milliard d’habitants sur 100 ans, au Brésil c’est le décollage économique par l’exploitation de ressources organiques et aux États-Unis les besoins énergétiques sont énormes. Pour toutes ces raisons la biologie de synthèse pour les biocarburants fait partie des options diplomatiques et de politiques intérieures extrêmement fortes. La continuité de l’approvisionnement énergétique conditionne énormément de choses, notamment l’approvisionnement durable en eau.

Bactéries du futur [1/3]

Bactéries du futur [1/3]

Dans leurs éprouvettes, des chercheurs préparent la biologie et la génétique de demain. Des "biologistes-ingénieurs" qui ...


Le ton est donné. Françoise Roure, qui a rencontré, au nom de la France, les spécialistes de la question dans le monde entier, de l’Allemagne aux États-Unis en passant par l’Autriche, poursuit : “A l’heure actuelle, on est sous la barre des 10 millions d’euros de financements publics en France pour les projets spécifiques liés à la biologie de synthèse. Au niveau européen, nous sommes à moins de 50 millions d’euros. Je regrette que ce soit le parent pauvre des programmes de recherche. La question pour moi, d’un point de vue de la puissance publique est ‘qui va financer l’acquisition des connaissances, et de quelles connaissances?’”

Elle ajoute :

Il y a encore beaucoup d’inconnus. La puissance publique peut aider à financer des recherches en amont sur l’impact écologique ou toxicologique qui ne sont pas prises en charge par l’économie de marché, et elle doit susciter des débats éthiques.

Culture scientifique

Retour à l’Assemblée nationale, rue de l’Université. Dans son petit bureau de députée, Geneviève Fioraso ouvre puis ferme la fenêtre. Ouverte, trop de bruit ; fermée, trop chaud.

Je pense que la biologie de synthèse est une technologie de rupture. C’est important de s’y intéresser tout de suite si on ne veut pas que son évolution soit complètement guidée par l’industrie et garder la maîtrise du sens de la science.

L’élue socialiste a à cœur de mener les discussions sur les enjeux de la biologie synthétique en amont, avant ses développements industriels. “Ce n’est pas un luxe, ça permet de sortir des débats idéologiques et de posture. Ça me paraît beaucoup plus efficace que les grands principes idéologiques, comme le principe de précaution, où finalement il n’y a aucune démarche d’évaluation au fur et à mesure. Parce que franchement les débats qu’on a eux dans l’hémicycle sur les OGM n’étaient pas passionnants”.


Elle poursuit : “Pour l’instant la biologie de synthèse c’est un peu un microcosme, je suis complètement favorable à un débat science-société. Mais je pense qu’il faut travailler à rehausser le niveau scientifique des citoyens : je ne crois pas à un grand débat public mais beaucoup plus à un processus de formation continu et permanent”.

En 2011, 25 % des Français ignorent ce que sont les nanotechnologies. Les nanotubes, par exemple, qui en sont un des matériaux, des assemblages d’atomes de carbone en cylindres de quelques milliardièmes de mètres de diamètre, sont utilisés pour renforcer les raquettes de tennis ou les cadres de vélo, dans des circuits de moteurs automobiles et dans certains textiles. Leurs effets potentiels sur la santé sont encore assez méconnus, et même régulièrement montrés du doigt par certains scientifiques.

“La culture scientifique et technique des citoyens de la population française n’est pas préparée à ces débats, or la qualité de la décision publique en dépend. Aux États-Unis, la question de la biologie de synthèse a été étudiée par le comité d’éthique de la Maison Blanche. Les questions d’éthique ont le pouvoir de faire dire ‘non’ “, m’avait rappelé Françoise Roure à Bercy.

Métaphysique

Il y a une dimension métaphysique dans la biologie de synthèse. Cela touche des questions très précieuses, sacrées.

Philippe Marlière n’hésite pas : “Les premiers qui doivent être contre la biologie de synthèse sont ceux qui la font”.

Il ajoute : “On ne peut pas dire que comme la nature bricole elle-même, on peut y faire ce qu’on veut sans aucun risque. Notre savoir est assez frustre mais nous avons quand même tous les outils pour modifier une bactérie qui représente à peu près 30 % de la biomasse marine. Le temps de génération d’une bactérie est très court, une heure environ. Le risque de déplacer des équilibres, de faire changer la couleur de la mer par exemple, existe. Moi je ne le ferai pas, j’aurais des scrupules. Intrinsèquement, le risque biologique croît exponentiellement. Celui du nucléaire, lui, à l’inverse, décroît”.

Conscient que la création d’une vie artificielle prête à la controverse, le généticien assure : ” les bactéries que nous produisons sont amoindries, ce sont des loosers, elles n’ont strictement aucune chance de rentrer en compétition avec des formes sauvages, comme une souris de laboratoire ne passerait pas l’après-midi dans un égout de Paris “.

Le responsable des énergies nouvelles à Total, Vincent Schachter, avait, lui, doctement assuré d’une voix calme à l’Assemblée nationale : ” Nous manipulons des levures génétiquement modifiées de type 1, qui sont réglementées. Ensuite, -c’est la première chose-, nous travaillons en milieu confiné et nous faisons tout ce qu’il faut pour que les organismes modifiés ne sortent pas. Après, au cas où ils sortiraient, ils auront du mal à survivre en milieu naturel. Troisièmement, la manière dont ils sont modifiés n’a absolument aucun rapport avec quelque effet néfaste que ce soit. Et enfin, ‘ceinture et bretelle, toujours’, nous allons évidement tester activement l’impact environnemental de toutes les nouvelles souches bactériennes, nous nous devons de le faire “.

Bactéries du futur [2/3]

Bactéries du futur [2/3]

Tubes à essai, agitateurs, congélateurs et biologie de synthèse : bienvenue dans l'univers de Global Bioenergies. Cette ...


Philippe Marlière précise quand même: ” Bien sûr, il serait très péremptoire de ma part d’affirmer que le risque est nul. Mais les verrous peuvent être multipliés. Nous rendons nos bactéries dépendantes d’une alimentation qui n’existe pas dans la nature et que nous produisons pour elles. Lorsqu’elles n’en trouvent pas, elles meurent “.

Contradictions

L’argument ne convainc pas Dorothée Benoît-Broadweys, déléguée générale de Vivagora.

Assise devant une bière, cette biologiste de formation lâche : ” La question du partage de l’espace et de ressources limitées est importante. Même si ces micro-organismes sont alimentés par des molécules artificielles, elles-mêmes seront produites à partir de ressources qu’il faut partager. Et même si la ressource utilisée est la biomasse, les déchets agricoles, il faut veiller à la question de l’affectation des ressources biologiques. Que la production de ressources énergétiques ne remplace pas les ressources alimentaires “.

L’association entend, selon ses statuts, ” socialiser l’innovation, lui donner ‘du sens’, en plaçant l’homme et sa qualité de vie au cœur des préoccupations, c’est-à-dire permettre aux citoyens de s’emparer des enjeux technologiques, et de s’exprimer pour définir le ’souhaitable’ parmi tous les ‘possibles’ “. Elle procède en organisant des ateliers où scientifiques spécialisés et citoyens novices échangent, fidèle à son objectif : ” mettre en débat les orientations scientifiques et les innovations techniques afin de promouvoir une gouvernance plus démocratique “.

A l’initiative des premières conférences publiques sur la biologie de synthèse, en 2009, l’association a elle aussi été entendue par l’OPECST. Et elle est, à l’heure actuelle, le seul contradicteur en France dans le débat sur la biologie de synthèse.

Dorothée Benoît-Broadweys reprend : ” ce ne sont pas les risques que nous avons mis en avant lorsque nous avons été entendus par les représentants de l’autorité publique mais plutôt la question du rapport au vivant “. Elle cite un peu confusément Paul Ricoeur, Alain et d’autres philosophes dont elle a oublié le nom.

Quelle est la nouvelle donne pour nous, êtres humains qui sommes reliés à un écosystème, comment va-t-on cohabiter avec ces artefacts produits par l’Homme et dont il aura la responsabilité ? On ne peut pas continuer dans l’idée d’une technologie qui s’imaginerait qu’elle peut être toute puissante et prétendre maîtriser la nature, on le voit assez avec les pesticides, les perturbateurs endocriniens, et leurs effets sur la santé. Donc soyons un peu raisonnables, faut-il nécessairement en finir avec la finitude ?

Contre l’intelligence collective

Dans le cercle restreint des spécialistes de biologie synthétique, Vivagora a mauvaise réputation. ” C’est très bien qu’il y ait des lanceurs d’alerte sur le sujet, mais qu’ils fassent correctement leur travail. Ils ne connaissent pas les dossiers “, lâche la chargée de presse de Global Bioenergies.
Philippe Marlière ne mâche pas ses mots : ” Leur espèce de comité citoyen est une pure folie d’un point de vue scientifique, la science ne s’est jamais faite à l’applaudimètre, c’est le contraire.
La science s’est toujours construite contre l’intelligence collective, c’est la grandeur du truc. C’est aristocratique, ça veut dire le gouvernement par les meilleurs. Ça ne veut pas dire que les scientifiques gouvernent le monde mais que la société scientifique est gouvernée de manière aristocratique “
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Il enfonce le clou : ” La position de Vivagora, qui vit de subventions publiques, est que tout est merveilleusement dangereux, tout peut dégénérer dans la pire des apocalypses, donc tout est interdit. Ce n’est pas opérationnel comme position, ce n’est pas une attitude pragmatique. Moi, je gagne de l’argent en convaincant des investisseurs, pas en tendant ma sébile auprès du contribuable “.

A l’assemblée nationale, Geneviève Fioraso grince des dents : ” Le problème, c’est que ce sont en même temps des consultants qui font payer leurs consultations. Et ils ont du mal à toucher les citoyens, ce sont plutôt des happy-few “.

Bioéconomie

La député a rencontré, outre-Atlantique, l’ONG canadienne ETC, pour Action Group on Erosion, Technology and Concentration

Elle indique : ” Leurs propos sont beaucoup plus modérés que ce qu’ils disent dans leurs rapports “.

Le dernier en date, intitulé ” Les maîtres de la biomasse ” est une somme de 90 pages. Sous-titré ” La biologie de synthèse menace la biodiversité et les modes de subsistance “, il reproduit dès son introduction les propos du père de la biologie de synthèse, Craig Venter, datés du 20 avril 2009 :

Quiconque produit des biocarburants en abondance pourrait bien finir par faire plus que des gros sous – il écrira l’histoire… Les entreprises et les pays qui y parviendront seront les vainqueurs économiques de la prochaine ère, au même titre que le sont actuellement les pays bien pourvus en ressources pétrolières.

L’ONG publie régulièrement des dossiers très documentés sur l’impact des nouvelles technologies sur les questions socio-économiques et écologiques, notamment dans les pays les plus pauvres. Elle reproduit dans celui-ci les propos du directeur général d’Amyris Biotechnologies, une start-up américaine spécialisée dans le développement de biocarburants : ” En scrutant le monde et en cherchant où se trouvait la biomasse la moins coûteuse et la plus abondante, nous avons découvert que le Brésil était vraiment l’Arabie Saoudite des énergies renouvelables. “

Total, qui a déjà investit 200 millions de dollars dans le capital d’Amyris, dont il détient plus de 20 %, pénètre le marché brésilien par l’intermédiaire de ce partenaire américain, et projette, d’ici à 2020 de posséder 5 à 10% de la production de canne à sucre brésilienne.

Des investissements qu’ETC appelle la nouvelle ” bioéconomie “, dirigée par ” les nouveaux maîtres du vivant “. Elle dénonce notamment une appropriation par une poignée d’industriels de ce monde vivant, dont la biomasse, ressource de la biologie de synthèse, est issue. L’ONG passe également au crible la conversion de terres à vocation alimentaire en terres à vocation énergétique et l’émergence de nouveaux risques biologiques incontrôlés.

Dénonçant l’arrogance des promoteurs de la biologie de synthèse, comparable à celle des tenants de l’énergie nucléaire, longtemps présentée comme sans risque et peu coûteuse, l’ONG appelle à une mobilisation de la société civile : agriculteurs, populations autochtones, et ” tous ceux qui se sentent concernés par la conservation des forêts, les aspects éthiques qui entourent les changements climatiques, les produits chimiques toxiques, la conservation des océans, la protection des déserts, les droits relatifs à l’eau “.

Elle préconise enfin que les fonds publics soient investis dans l’évaluation des coûts sociétaux et environnementaux de la biologie synthétique.

DIYBio

En France l’information est peut-être dans la zone industrielle de Nanterre. C’est là que l’association la Paillasse, la première communauté de biologistes-amateurs s’installe, au rez-de-chaussée d’un bâtiment de bureaux. Constituée il y a quelques mois elle rejoint l’Electrolab, des geeks, qui détournent les processus électroniques et informatiques pour les adapter à leurs goûts et leurs besoins, dans le plus pur esprit Do It Yourself, DIY.

Né aux États-Unis entre 2007 et 2008 le mouvement DIYBio, pour Do It Yourself biology, a depuis essaimé à Londres, à Madrid, à Vienne, à Boston, à Nanterre…

Electrolab : la révolution à propulsion silencieuse

Electrolab : la révolution à propulsion silencieuse

Le tout jeune Electrolab est un hackerspace basé à Nanterre. Comme son nom le suggère, sa marotte, c'est l'électronique. ...

Dans le demi sous-sol où elle emménage, la Paillasse a déjà accumulé une machine PCR, qui permet de répliquer à l’infini une séquence génétique, un bain-marie, des agitateurs, une centrifugeuse, des micro-pipettes. Tout le matériel, encore dans les cartons, tient sur deux tables. A côté, deux frigos, dont un pour les bactéries. Tout, ou presque, vient de Génopole. Un donateur institutionnel et généreux dont la directrice de la recherche, Françoise Russo-Marie, salue la ” démarche citoyenne “ de la Paillasse.

Leur crédo pourrait être ” pirater est bon, mais le mot a mauvaise réputation “. Car les pirates sont dociles. Une bande de jeunes très diplômés aux compétences vastes et aux centres d’intérêt variés. Ils fédèrent autour d’une poignée d’énergies motrices une dizaine d’ingénieurs, de biologistes, d’informaticiens, d’artistes et d’électrons libres.

Thomas Landrain, 26 ans, ancien étudiant à Normale Sup bio et thésard en biologie de synthèse à l’Institut de biologie systémique et synthétique d’Evry, co-fondateur de la Paillasse, m’explique :

l’idée est que la biologie est en train de devenir une technologie au même rang que l’électronique ou l’informatique, en terme de miniaturisation technologique on n’a pas encore fait mieux que les cellules vivantes ! Et comme on dispose de pièces modulaires pour fabriquer des circuits génétique, il est possible de créer des circuits chez soi, avec du matériel de laboratoire assez simple.

Il prévient : ” Il faut des autorisations pour faire des mutations génétiques actives. Nous ne voulons pas nous mettre en confrontation avec les règlements “. S’il est simple de manipuler le vivant c’est aussi plus risqué qu’en électronique ou en mécanique, puisque une cellule bactérienne génétiquement modifiée qui tombe par terre peut interagir avec son environnement.

Les bio-bidouilleurs s’enracinent

Les bio-bidouilleurs s’enracinent

La première communauté de biologistes hackers a vu le jour il y a quelques mois en France. Greffés au /tmp/lab, entre la ...

La Paillasse a donc opté pour une approche plutôt ” passive ” de la biologie de synthèse et, plus largement, de la génétique. ” Nous voulons être un laboratoire de biotechnologie ouvert, citoyen et transparent. L’idée est de rendre le pouvoir de la recherche accessible à n’importe qui. Aujourd’hui la techno-biologie est de plus en plus importante, c’est devenu une technologie routinière : on établit des diagnostiques médicaux à partir du séquençage d’un génome, les OGM nous entourent. Or ce sont des termes difficiles à comprendre. L’information génétique est partout mais paradoxalement personne ne peut y accéder.”

Le collectif souhaite, pour ses premières réalisations, fabriquer des kits de détection d’OGM, dans la nourriture ou dans l’environnement. Également à l’ordre du jour, des ateliers de sensibilisation à la génétique, comme ceux qui ont déjà été menés au MAC/VAL, le musée d’art moderne de Vitry, dans la banlieue parisienne.

Interrogé sur la signification politique de cet engagement, le biologiste réfléchit, hésite, et énonce clairement : ” C’est forcément une démarche politique puisque nous nous déclarons libres de détourner la technologie par rapport à l’usage que prévoient les règlements. Nous sommes des gens curieux, nous voulons explorer la nature, nous avons des outils à notre disposition, il n’y a pas de raison de s’en priver. Et nous sommes là pour réclamer une liberté par rapport aux informations génétiques, pour qu’elles ne soient pas la propriété d’entreprises privées ou de l’État.
D’ici 10 ou 15 ans nous aurons peut-être notre génome encodé sur notre carte Vitale. Ces informations peuvent être dangereuses à partir du moment où elles sont complètes et qu’elles nous sont propres. Il faut démystifier la génétique “.

Et de conclure :

La société du XXIe siècle va être envahie par les biotechnologies, il semble évident de former les gens à ce qui arrive. L’éducation à la science et à la technique est un véritable contre-pouvoir. Le DIYBio, c’est un peu la science au peuple.

Dont acte.


Illustrations sous licences Creative Commons par Lynn, Anua22a et Kevin Dooley

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Bactéries du futur [2/3] http://owni.fr/2012/03/23/bacteries-du-futur-partie-2/ http://owni.fr/2012/03/23/bacteries-du-futur-partie-2/#comments Fri, 23 Mar 2012 16:45:24 +0000 Marion Wagner http://owni.fr/?p=103012

[Suite de notre enquête sur la biologie de synthèse. Retrouvez ici la première partie]


C’est un de ces autres mondes qu’explore la start-up Global Bioenergies, installée au sein du Génopole, le premier complexe de recherche en génétique français, à Evry, au sud de Paris.

Biologie industrielle

Ici la biologie de synthèse est appliquée, on l’appelle biologie industrielle.

Marc Delcourt, co-fondateur, avec Philippe Marlière, de la jeune entreprise, est assis à son bureau.

Bactéries du futur [1/3]

Bactéries du futur [1/3]

Dans leurs éprouvettes, des chercheurs préparent la biologie et la génétique de demain. Des "biologistes-ingénieurs" qui ...

Après la porte d’entrée, posée sur une table, une statuette translucide rappelle l’entrée en bourse récente de Global Bioenergies. “Un succès”. La start-up a pu lever des fonds pour financer sa recherche, tournée vers “la création de procédés industriels qui visent à convertir des ressources végétales en production énergétique”. C’est-à-dire produire à partir du sucre, par voie biologique, une des plus grandes molécules de la pétrochimie, l’isobutène. Extraite du pétrole elle est utilisée pour faire du carburant, des plastiques, des textiles, des pneus…


“A l’heure actuelle aucun micro-organisme ne produit naturellement cette molécule, c’est notre défi. Nous avons crée de toutes pièces une voie métabolique qui permet de convertir le sucre en isobutène lorsqu’elle est implantée dans des micro-organismes. C’est une des façons de faire de la biologie de synthèse. Nous n’avons pas crée une bactérie entière mais une voie métabolique qui a une action et une utilité industrielle.”

Dans le laboratoire distribué par le couloir, Macha Anissimova, biochimiste en blouse blanche, fait la démonstration. Elle ouvre un congélateur, attrape un tube de plastique haut de deux centimètres. ” Il contient plusieurs milliers d’exemplaires d’un même gène, et cela ne pèse que quelques nanogrammes. On les solubilise en les mélangeant dans de l’eau, on peut alors les introduire dans un micro-organisme dont on a rendu la membrane perméable. Et pour faire proliférer les micro-organismes on les fait fermenter au chaud, les bactéries poussent entre 30 et 37°. On fait ça tous les jours.”

Après les agitateurs, qui mélangent mécaniquement, à rythme constant et par dizaines les tubes à essai, le fermenteur. “Là nous sommes à la frontière entre recherche et développement”. A l’intérieur de la cuve en verre d’un litre, les bactéries évoluent en milieu nutritif, une solution sucrée. Le processus biologique à l’œuvre reste absolument invisible à l’œil nu : cinq grammes de ces micro-organismes devraient permettre de produire 30 grammes d’isobutène, transformables en autant d’essence.

La chercheuse ajoute :

En général, on a les premiers indices que les manipulations fonctionnent au bout d’un an. Mais c’est un organisme vivant, on n’est jamais à l’abri des surprises.

Elle a assisté à la création de Global Bioénergies et glisse dans un sourire “on est partis de rien, maintenant c’est une société cotée en bourse, c’est un rêve scientifique”.

Brevetabilité

L’entreprise emploie une vingtaine de chercheurs, la moyenne d’âge est jeune, et l’avenir plein de promesse.

Le PDG reprend : “Le procédé marche en laboratoire et à faible niveau. Nous travaillons à l’augmentation de son rendement. L’idée est de créer une usine pilote puis des usines de taille industrielle. Nous aimerions aussi répliquer ce succès à d’autres molécules de l’industrie pétrolière.

L’idée est de pouvoir convertir des ressources agricoles, le sucre, l’amidon de canne et de betterave, de maïs, de blé, de seigle, de riz puis les déchets agricoles, les déchets forestiers, et de nouvelles plantes qui sont au centre de cette nouvelle agriculture à vocation énergétique qui se met en place”.

Un œil tourné vers la boîte de réception de sa messagerie électronique il ajoute : “Les premiers tests à l’échelle industrielle devraient être menés avant 2014. Nous n’allons pas nous limiter à la France, nous considérons que notre marché est mondial. Nos principaux concurrents sont aux États-Unis. Ils ont beaucoup de moyens et il y a une course pour déposer les brevets”.

Mais brevets, progrès de la technique et de la science, et découvertes d’autres mondes possibles ne convainquent pas tout le monde, loin de là. En s’emparant du vivant, qu’elle entend améliorer, la biologie de synthèse dérange. Quid d’éventuelles disséminations, qui a la charge de ces constructions chimériques, à qui appartiennent-elles ?

Revient en tête la session de questions-réponses ouverte à la fin de l’audition organisée à l’Assemblée nationale.

Thomas Heams, jeune chercheur et enseignant en génomique fonctionnelle, redingote gris pâle et lunettes larges à monture noire avait inauguré :

Je pose la question aux industriels, sans diabolisation aucune, évidemment : comment vous intéressez-vous à la question de la privatisation de l’effet de certains gènes dans vos constructions de synthèse ?

Le jeune PDG de Global Bioenegies, Marc Delcourt, avait répondu sans ambages : ” Les brevets qui sont déposés ne revendiquent pas le gène lui-même, mais son utilisation dans un certain cadre, donc on ne prive personne d’en faire autre chose. La question de savoir s’il est légitime de réserver un monopole temporaire -de 20 ans, ce qui est un temps très court au niveau industriel- pour permettre l’éclosion de ces innovations me semble assez peu adaptée. Dans notre cas il y a une construction technologique extrêmement aboutie et une innovation qui rentre très clairement dans les canons de la brevetabilité”.

graines de riz


Michel Vivant, professeur de droit à Sciences-Po, où il dirige la spécialité propriété intellectuelle du master de droit économique confirme, un peu gêné : “Dans le cas de la biologie de synthèse, puisqu’on bidouille dans une séquence, le critère de l’invention est respecté. Techniquement, il est possible de la breveter”.

Il précise :

“un brevet c’est donnant-donnant, l’inventeur reçoit un monopole économique qui lui assure un retour sur investissement en contrepartie d’une invention pour la société.”

L’invention, pour être brevetable, doit remplir un certain nombre de conditions : la première, être une invention (sic), et non une découverte. La découverte d’un gène à lui seul n’est donc pas brevetable. Elle doit aussi être nouvelle, susceptible d’application industrielle et non contraire à l’ordre public. Un génome de synthèse est en fait un cas d’école, parfaite illustration d’une invention brevetable.

Le juriste ajoute “Le droit ne brevète pas sur la base d’un jugement de valeur, finalement c’est une question de citoyen, et pas spécialement de juriste. La question devient beaucoup plus politique, mais au vrai sens du terme : que souhaite-t-on ? Est-ce que l’on veut qu’il y ait une constitution de propriété sur de telles inventions?”.


Retrouvez la dernière partie de cet article.


Illustrations sous licences creative commons par IRRI-images, Zhouxuan, Danmachold

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Bactéries du futur [1/3] http://owni.fr/2012/03/21/bacteries-du-futur-partie-1/ http://owni.fr/2012/03/21/bacteries-du-futur-partie-1/#comments Wed, 21 Mar 2012 10:57:23 +0000 Marion Wagner http://owni.fr/?p=102645

A l’heure actuelle la demande en énergie croît plus vite que l’offre. Selon l’Agence internationale de l’énergie, à l’horizon 2030 les besoins de la planète seront difficiles à satisfaire, tous types d’énergies confondus. Il faudra beaucoup de créativité pour satisfaire la demande.

Vincent Schachter, directeur de la recherche et du développement pour les énergies nouvelles à Total commence son exposé sur la biologie de synthèse. “C’est important de préciser dans quel cadre nous travaillons”. Ses chercheurs redessinent le vivant. Ils s’échinent à mettre au point des organismes microscopiques, des bactéries, capables de produire de l’énergie.

En combinant ingénierie, chimie, informatique et biologie moléculaire, les scientifiques recréent la vie.

Ambition démiurgique

Aucune avancée scientifique n’a incarné tant de promesses : détourner des bactéries en usines biologiques capables de produire des thérapeutiques contre le cancer, des biocarburants ou des molécules capables de dégrader des substances toxiques.

Dans la salle Lamartine de l’Assemblée nationale ce 15 février, le parterre de spécialistes invités par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifique et techniques (OPECST) est silencieux. L’audition publique intitulée Les enjeux de la biologie de synthèse s’attaque à cette discipline jeune, enjeu déjà stratégique. Geneviève Fioraso, députée de l’Isère, qui l’a organisée, confesse : “J’ai des collègues parlementaires à l’Office qui sont biologistes. Ils me disent qu’ils sont parfois dépassés par ce qui est présenté. Ce sont des questions très complexes d’un point de vue scientifique”.

L’Office, dont la mission est “d’informer le Parlement des conséquences des choix de caractère scientifique et technologique afin, notamment, d’éclairer ses décisions” est composé de parlementaires, députés et sénateurs. Dix-huit élus de chaque assemblée qui représentent proportionnellement l’équilibre politique du Parlement. Assistés d’un conseil scientifique ad hoc ils sont saisis des sujets scientifiques contemporains : la sûreté nucléaire en France, les effets sur la santé des perturbateurs endocriniens, les leçons à tirer de l’éruption du volcan Eyjafjöll…

Marc Delcourt, le PDG de la start-up Global Bioenergies, basée à Evry, prend la parole :

La biologie de synthèse, c’est créer des objets biologiques. Nous nous attachons à transformer le métabolisme de bactéries pour leur faire produire à partir de sucres une molécule jusqu’à maintenant uniquement issue du pétrole, et dont les applications industrielles sont énormes.

Rencontré quelques jours plus tard, Philippe Marlière, le cofondateur de l’entreprise, “s’excuse”. Il donne, lui, une définition “assez philosophique” de la biologie de synthèse : ” Pour moi c’est la discipline qui vise à faire des espèces biologiques, ou tout objet biologique, que la nature n’aurait pas pu faire. Ce n’est pas ‘qu’elle n’a pas fait’, c’est ‘qu’elle n’aurait pas pu faire. Il faut que ce soit notre gamberge qui change ce qui se passe dans le vivant”.

Ce bio-chimiste, formé à l’École Normale Supérieure, assume sans fard une ambition de démiurge, il s’agit de créer la vie de manière synthétique pour supplanter la nature. Il ajoute :

Je ne suis pas naturaliste, je ne fais pas partie des gens qui pensent que la nature est harmonieuse et bonne. Au contraire, la biologie de synthèse pose la nature comme imparfaite et propose de l’améliorer .

Aussi provoquant que cela puisse paraître c’est l’objectif affiché et en partie atteint par la centaine de chercheurs qui s’adonne à la discipline depuis 10 ans en France. Il reprend : “Aussi vaste que soit la diversité des gènes à la surface de la terre, les industriels se sont déjà persuadés que la biodiversité naturelle ne suffira pas à procurer l’ensemble des procédés dont ils auront besoin pour produire de manière plus efficace des médicaments ou des biocarburants. Il va falloir que nous nous retroussions les manches et que nous nous occupions de créer de la bio-diversité radicalement nouvelle, nous-mêmes.”

Biologiste-ingénieur

L’évolution sur terre depuis 3 milliard et demi d’années telle que décrite par Darwin est strictement contingente. La sélection naturelle, écrit le prix Nobel de médecine François Jacob dans Le jeu des possibles “opère à la manière d’un bricoleur qui ne sait pas encore ce qu’il va produire, mais récupère tout ce qui lui tombe sous la main, les objets les plus hétéroclites, bouts de ficelle, morceaux de bois, vieux cartons pouvant éventuellement lui fournir des matériaux […] D’une vieille roue de voiture il fait un ventilateur ; d’une table cassée un parasol. Ce genre d’opération ne diffère guère de ce qu’accomplit l’évolution quand elle produit une aile à partir d’une patte, ou un morceau d’oreille avec un fragment de mâchoire”.

Le hasard de l’évolution naturelle, combiné avec la nécessité de l’adaptation a sculpté un monde “qui n’est qu’un parmi de nombreux possibles. Sa structure actuelle résulte de l’histoire de la terre. Il aurait très bien pu être différent. Il aurait même pu ne pas exister du tout”. Philippe Marlière ajoute, laconique : “A posteriori on a toujours l’impression que les choses n’auraient pas pu être autrement, mais c’est faux, le monde aurait très bien pu exister sans Beethoven”.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Comprendre que l’évolution n’a ni but, ni projet. Et la science est sur le point de pouvoir mettre un terme au bricolage inopérant de l’évolution. Le biologiste, ici, est aussi ingénieur. A partir d’un cahier des charges il définit la structure d’un organisme pour lui faire produire la molécule dont il a besoin. Si la biologie de synthèse en est à ses balbutiements, elle est aussi une révolution culturelle.

Il s’agit désormais de créer de nouvelles espèces dont l’existence même est tournée vers les besoins de l’humanité. “La limite à ne pas toucher pour moi c’est la nature humaine. Je suis un opposant acharné au transhumanisme“, met tout de suite en garde le généticien.

A, T, G, C

Depuis que Francis Crick, James Watson et Rosalind Franklin ont identifié l’existence de l’ADN, l’acide désoxyribonucléique, en 1953, une succession de découvertes ont permis de modifier cet l’alphabet du vivant.

On sait désormais lire, répliquer, mais surtout créer un génome et ses gènes, soit en remplaçant certaines de ses parties, soit en le synthétisant entièrement d’après un modèle informatique. Les gènes, quatre bases azotées, A, T, G et C qui se succèdent le long de chacun des deux brins d’ADN pour former la fameuse double hélice, illustre représentation du vivant. Quatre molécules chimiques qui codent la vie : A, pour adénine, T pour thymine, G pour guanine, et C pour cytosine. Leur agencement détermine l’activité du gène, la ou les protéines pour lesquelles il code, qu’il crée. Les protéines, ensuite, déterminent l’action des cellules au sein des organismes vivants : produire des cheveux blonds, des globules blancs, ou des bio-carburants.

On peut à l’heure actuelle, en quelques clics, acheter sur Internet une base azotée pour 30 cents. Un gène de taille moyenne, chez la bactérie, coûte entre 300 et 500 €, il est livré aux laboratoires dans de petits tubes en plastique translucide. Là il est intégré à un génome qui va générer de nouvelles protéines, en adéquation avec les besoins de l’industrie et de l’environnement.

L’être humain est devenu ingénieur du vivant, il peut transformer de simples êtres unicellulaires, levures ou bactéries en de petites usines qu’il contrôle. C’est le bio-entrepreneur américain Craig Venter qui sort la discipline des laboratoires en annonçant en juin 2010 avoir crée Mycoplasma mycoides, une bactérie totalement artificielle “fabriquée à partir de quatre bouteilles de produits chimiques dans un synthétiseur chimique, d’après des informations stockées dans un ordinateur”.

Si la création a été saluée par ses pairs et les médias, certains s’attachent toutefois à souligner que sa Mycoplasma mycoides n’a pas été crée ex nihilo, puisque le génome modifié a été inséré dans l’enveloppe d’une bactérie naturelle. Mais la manipulation est une grande première.

Tour de Babel génétique

Philippe Marlière a posé devant lui un petit cahier, format A5, où après avoir laissé dériver son regard il prend quelques notes. “Il y a longtemps qu’on essaye de changer le vivant en profondeur. Moi c’est l’aspect chimique du truc qui m’intéresse : où faut-il aller piocher dans la table de Mandeleiev pour faire des organismes vivants ? Jusqu’où sont-ils déformables ? Jusqu’à quel point peut-on les lancer dans des mondes parallèles sur terre ?”. Il jette un coup d’œil à son Schweppes :

Prenez l’exemple de l’eau lourde. C’est une molécule d’eau qui se comporte pratiquement comme de l’eau, et on peut forcer des organismes vivants à y vivre et évoluer. Or il n’y a d’eau lourde nulle part dans l’univers, il n’y a que les humains qui savent la concentrer. On peut créer un microcosme complètement artificiel et être sûr que l’évolution qui a lieu là-dedans n’a pas eu lieu dans l’univers. C’est l’évolution dans des conditions qui n’auraient pas pu se dérouler sur terre, c’est intéressant. La biologie de synthèse est une forme radicale d’alter-mondialisme, elle consiste à dire que d’autres vies sont vraiment possibles, en les changeant de fond en comble.

Ce n’est pas une provocation feinte, ce n’est même pas une provocation. L’homme a à cœur d’être bien compris. Il s’agit de venir à bout de l’évolution darwinienne, pathétiquement coincée à un stade qui n’assure plus les besoins en énergie des 10 milliards d’humains à venir. Il faut pour ça réécrire la vie, son code. Innover dans l’alphabet de quatre lettres, A, C, G et T. Créer une nouvelle biodiversité. Condition sine qua non : ces mondes, le nôtre, le naturel, et le nouveau, l’artificiel, devraient cohabiter sans pouvoir jamais échanger d’informations. Il appelle ça la tour de Babel génétique, où les croisements entre espèces seraient impossibles.

“Les écologistes exagèrent souvent, mais ils mettent en garde contre les risques de dissémination génétique et ils ont raison. Les croisements entre espèces vont très loin. J’ai lu récemment que le chat et le serval sont inter-féconds”. Il estime de la main la hauteur du serval, un félin tacheté, proche du guépard, qui vit en Afrique. Un mètre de haut environ.

Par ailleurs il fallait être superstitieux pour imaginer que le pollen des OGM n’allait pas se disséminer. Le pollen sert à la dissémination génétique ! D’où notre projet, il s’agit de faire apparaître des lignées vivantes pour lesquelles la probabilité de transmettre de l’information génétique est nulle.

Le concept tient en une phrase :

“The farther, the safer : plus la vie artificielle est éloignée de celle que nous connaissons, plus les risques d’échanges génétiques entre espèces diminuent. C’est là qu’il y a le plus de brevets et d’hégémonie technologique à prendre.”

Il s’agit de modifier notre alphabet de 4 lettres, A, C, G et T, pour créer un nouvel ADN, le XNA, clé de la “xénobiologie”:

X pour Xeno, étranger, et biologie. Le sens de cet alphabet ne serait pas lisible par les organismes vivants, c’est ça le monde qu’on veut faire. C’est comme lancer un Spoutnik, c’est difficile. Mais comme disait Kennedy, ‘On ne va pas sur la lune parce que c’est facile, on y va parce que c’est difficile.’

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Retrouvez la suite de cet article en deux parties ici et .


Cette enquête sera publiée en trois parties tout au long de la semaine.
Illustrations par Daniel*1977 (ccbyncssa)/Flickr

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Des bactéries qui ne perdent pas le Nord http://owni.fr/2011/02/28/des-bacteries-qui-ne-perdent-pas-le-nord/ http://owni.fr/2011/02/28/des-bacteries-qui-ne-perdent-pas-le-nord/#comments Mon, 28 Feb 2011 16:24:51 +0000 Benjamin http://owni.fr/?p=34162 Mon histoire commence au milieu des années 70 avec un jeune étudiant en thèse, Richard Blakemore, qui étudiait des populations de bactéries que l’on trouve dans les boues et sédiments au fond des océans, des lacs ou des marais. Ayant placé un échantillon sous le microscope, Blakemore observa que certaines bactéries, motiles (se déplaçant grâce à leur flagelle), se déplaçaient toutes dans la même direction. Ceci n’a en soi rien d’inhabituel ; dans une goutte de liquide montée entre lame et lamelle, il existe souvent des flux causés par l’évaporation, la capillarité… De même, le chimiotactisme (ndlr : mouvement orienté vers ou à l’opposé d’une substance chimique), courant chez les bactéries, leur permet de s’orienter en fonction d’un gradient de concentration.

La grande inspiration de Blakemore, peut-être intrigué par la constance du mouvement, fut de répéter l’observation en différents endroits ou en changeant l’orientation du microscope, et les bactéries continuaient de nager dans la même direction, non par rapport à la lame, mais par rapport au laboratoire! Ayant écarté l’hypothèse d’une orientation par la lumière, Blakemore suspecta puis démontra à l’aide d’un aimant que le mouvement de ces bactéries était orienté par les champs magnétiques, même faibles . Cette découverte étaient complètement inattendue, ainsi que l’écrit Blakemore lui-même : I wish to emphasize that this was a completely unexpected finding. Voilà un bel exemple de sérendipité!

Si une illustration plus moderne du phénomène vous intéresse, la vidéo ci-dessous montre une suspension de ces bactéries « magnétotactiques » (MTB en anglais) dont le mouvement est influencé par l’application d’un champ magnétique (la direction est donnée par la boussole en haut à gauche de l’écran).

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Il existe donc des bactéries « magnétotactiques » dotées de la faculté de sentir les champs magnétiques, et au premier chef le champ magnétique terrestre. Comment est-ce possible?

Les vrais inventeurs de la boussole

Il faut noter que ces bactéries sont souvent rétives aux techniques de culture traditionnelles (un peu comme les pandas qui ont du mal à se reproduire en captivité, mais en plus petit), ce qui ne facilite pas leur étude d’un point de vue moléculaire. En revanche, leur intéressante propriété magnétotactique permet d’enrichir facilement des échantillons, par exemple en les attirant vers le fond d’un tube au moyen d’un aimant, puis en retirant le surnageant. Les préparations obtenues, relativement denses en bactéries, se prêtent bien à l’observation microscopique.

Après en avoir isolé suffisamment, Blakemore observa ainsi que ses bactéries magnétotactiques renfermaient des particules de fer entourées d’une membrane, alignées les unes à la suite des autres ; ces organites furent bientôt baptisés « magnétosomes », car ils sont effectivement à l’origine des propriétés magnétotactiques des bactéries. Par un mécanisme soigneusement régulé, les MTB prélèvent dans leur milieu des ions fer Fe3+ (soit une forme très oxydée du fer), qu’elles réduisent pour former de la magnétite Fe3O4 ou dans certains cas de la gréigite Fe3S4 (le soufre jouant un rôle analogue à celui de l’oxygène). Ces minéraux se comportent comme des aimants, et donc les magnétosomes comme l’aiguille d’une boussole, orientant la bactérie le long des lignes de champ magnétique. Le flagelle placé à un pôle lui confère sa mobilité et fait le reste.

Les bactéries ont donc une propriété étonnante, celle d’avoir inventé et utilisé la boussole quelques millions d’années avant les Chinois.

Comme dirait un physicien, les bactéries magnétotactiques se déplacent le long des lignes de champ magnétique, que l’on peut matérialiser au moyen d’un aimant et de limaille de fer :

Or, pour une bactérie le champ magnétique le plus significatif est le champ terrestre, équivalent à celui généré par un dipôle orienté Nord-Sud (surprise!) qui se situerait au centre de la Terre. Les lignes de champ se dessinent donc ainsi autour du globe :

Partir vers les pôles pour aller en profondeur

Et c’est là que réside l’astuce, que vous avez peut-être déjà devinée en voyant le barreau aimanté et la limaille de fer : lorsque l’on est dans l’hémisphère Nord, suivre une ligne de champ vers le Nord ce n’est pas seulement aller vers le Nord, c’est aussi… descendre ! L’intérêt des MTB serait-il de changer d’altitude plutôt que d’aller vers un des pôles ?

On commence à le subodorer si l’on observe que dans l’hémisphère Nord les MTB « cherchent » le Nord (leur objectif final n’est donc pas de suivre une ligne de champ), et surtout en considérant leur métabolisme. En effet, les MTB sont pour la plupart des organismes anaérobies ou microaérophiles, c’est-à-dire qu’elles ont besoin au maximum d’un peu d’oxygène pour vivre. Au passage, c’est un mode de vie qui cadre bien avec la capacité à minéraliser du fer dissous, car en général corrélé avec un environnement réducteur. Or, ces bactéries aquatiques ne trouvent ces conditions qu’en s’enfonçant dans le sédiment du fond de l’eau, et pour cela, il leur suffit de suivre leur boussole! Cette hypothèse a été rapidement corroborée par la découverte de bactéries cherchant le Sud dans l’hémisphère Sud , donc cherchant elles aussi à descendre.

Des bactéries magnétotactiques à deux sens

Il faut tout de même introduire une nuance importante. En effet, j’ai un peu simplifié les choses : il existe des MTB « à deux sens » qui ne se contentent pas d’aller vers le Nord ou le Sud, mais qui changent brusquement de direction. Il semble donc que le magnétotactisme soit couplé à l’aérotactisme (réponse à la variation de la concentration d’oxygène), ou à d’autres tactismes qui intéressent la bactérie. Ainsi, l’exploration de l’espace par les bactéries est restreinte à une dimension (car les bactéries restent le long des lignes de champ magnétique), et le second tactisme intervient pour stimuler ou ralentir le mouvement selon les conditions locales, en général la concentration en oxygène.  La « polarité » des ces MTB versatiles est donc donnée par la direction qu’elles prennent lorsque la concentration en oxygène est trop élevée pour leur métabolisme.

Des mystères troublant demeurent néanmoins. En particulier, je me demande comment font les MTB qui se divisent pour savoir de quel côté de la boussole elles doivent assembler leur flagelle. J’ai deux hypothèses simples qui évitent de faire appel à une régulation magnétique de l’assemblage des protéines : (1) le flagelle est assemblé en fonction d’informations héritées de la division, comme « nouveau pôle » et « pas de flagelle dans la cellule », donc au bon endroit mais indépendamment des magnétosomes, ou (2) le flagelle est assemblé indifféremment au Nord ou au Sud de la bactérie, ce qui amène 50% de la population à se suicider après un fol envol vers la surface dans un feu d’artifice d’oxygène. Ne resterait alors que la population « bien orientée » !

Plus troublant encore, des chercheurs ont récemment identifié une bactérie habitant un lac salé de l’hémisphère Nord et nageant frénétiquement vers le Sud alors qu’elle était soumise à des concentrations d’oxygène élevées . C’est l’inverse de ce que l’on pouvait attendre, compte tenu de l’ensemble des observations précédentes et de la jolie théorie exposée ci-dessus, au point que l’article a été publié dans Science… Apparemment, cette anomalie serait lié à l’habitat très spécifique, un lac salé dont les eaux sont très stratifiées pendant une partie de l’année, ce qui change les gradients d’oxygène, de potentiel d’oxydo-réduction… ce qui amène les auteurs à conclure que de nouveaux modèles doivent être construits pour expliquer le comportement de ces étranges bactéries, et en particulier qu’il conviendrait désormais de les étudier dans des conditions plus naturelles que celles couramment utilisées au laboratoire .

Article initialement publié en 2 parties (1 et 2) sur le Bacterioblog

Photo FlickR CC : daynoir

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Je veux une explication! http://owni.fr/2011/01/17/je-veux-une-explication/ http://owni.fr/2011/01/17/je-veux-une-explication/#comments Mon, 17 Jan 2011 17:01:23 +0000 xochipilli http://owni.fr/?p=42798 Titre original : Non-sens interdit

Pourquoi les ventes ont-elles baissé cette semaine? Comment se fait-il qu’on a perdu 0,01% de part de marché ce mois-ci? Je ne sais pas si vous avez remarqué, au boulot il faut toujours avoir une explication prête pour tout ce qui se passe, y compris pour des trucs manifestement aléatoires. Heureusement on ne demande pas à l’explication d’être rigoureuse et encore moins qu’elle soit vérifiée. Il suffit d’en trouver une qui soit suffisamment cohérente et raisonnable. Dans le fond ce besoin d’explication pour tout ce qui se passe d’important autour de nous est universel: nous essayons toujours d’interpréter et de trouver un sens aux choses, même quand elles n’en ont pas.

Dans une expérience célèbre des années 1970 on demandait à des femmes de juger de la qualité de quatre bas nylon sur des présentoirs devant elles. En réalité ces bas étaient rigoureusement identiques mais elles n’en savaient rien et elles ont fourni plus de 80 raisons différentes de préférer tel ou tel bas, en termes de couleur, de texture ou d’élasticité. Ne rigolez pas trop vite bandes de machos, personne n’échappe à la rationalisation a posteriori, c’est plus fort que nous. Il suffit de parcourir la presse financière pour se convaincre que les explications contradictoires ne font peur à personne quand il faut expliquer des cours qui jouent au yo-yo. Nassim Taleb rappelle malicieusement dans “Le Cygne Noir” que lorsque Saddam Hussein fut arrêté en 2003, Bloomberg diffusa coup sur coup deux flashes. Le premier, à 13H01 titrait: “Hausse des bons du Trésor américain; l’arrestation de Saddam Hussein pourrait ne pas enrayer le terrorisme”. Le second, une demi-heure plus tard: “Chute des bons du Trésor américain; l’arrestation de Hussein accélère la perception du risque”. Au moins ces dames avaient eu le bon goût de ne pas se contredire dans leurs explications, elles!

Un besoin universel…

Toutes les sociétés ont en commun d’avoir inventé une mythologie particulière, un récit fondateur qui explique pourquoi le soleil se lève, pourquoi on meurt, d’où vient la vie etc. “Une civilisation débute par le mythe et finit par le doute” écrivait Cioran… Cette mythologie originelle est la signature identitaire d’une société et la source de tous ses rituels. Comme dans ce passage irrésistible de Men in Black2 (après Cioran, la chute est brutale, pardonnez-moi) où un peuple de petits aliens enfermé depuis des générations dans le casier d’une consigne de gare vit dans l’ignorance de ce qui se passe de l’autre côté de la porte, et voue un culte étrange aux objets enfermés dans ce casier:

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Ce besoin irrépressible de trouver des règles et d’y caler des rituels n’est même pas le propre de l’homme. Dans une expérience réalisée en 1948 le psychologue américain Burrhus Skinner enferma un pigeon dans une caisse munie d’un dispositif distribuant de la nourriture à intervalles réguliers. Les pigeons auraient pu se contenter d’attendre que la nourriture tombe toute seule, mais pas du tout! Trois fois sur quatre, l’animal est tenté d’attribuer le déclenchement de la distribution de nourriture à l’action qu’il est en train de faire pile à ce moment là. En répétant cette action, il reçoit de nouveau de la nourriture. Forcément, puisque celle-ci est distribuée à intervalles réguliers quoiqu’il arrive, mais le pigeon ne le sait pas et ce premier succès l’encourage à recommencer la manœuvre. A force de renforcements répétés, il s’auto-conditionne pour ce comportement totalement absurde. Certains pigeons tournent sur eux-mêmes, d’autres tapotent la caisse à un endroit ultra précis, hochent la tête, battent des ailes, lèvent les pattes etc. Les pigeons deviennent littéralement superstitieux!

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La preuve par l’illusion optique

On ne fait pas autre chose, remarque Skinner, lorsqu’au bowling on incline instinctivement son corps vers la gauche quand on vient de lancer la boule un peu trop à droite, comme si bouger son corps après coup allait rectifier la trajectoire. Nous sommes tous des pigeons en somme, programmés pour détecter sans cesse des relations de causalité, pour décoder le monde qui nous entoure. Certaines illusions optiques illustrent à merveille notre tendance irrépressible à trouver du sens au bruit. Dans le motif de Kanizsa (à gauche) par exemple vous ne pouvez sans doute pas vous empêcher de voir un triangle blanc au milieu de la figure car ce triangle fantôme donne du sens à la figure, en expliquant à la fois les encoches des trois disques noirs et les interruptions dans le tracé du triangle central. Sur l’image de Peter Ulric Tse (à droite) vous voyez probablement un cylindre fantôme en relief et la figue en noir vous semble nécessairement en 3D. Dans un autre registre, nous avons un biais naturel à voir des visages partout. Comme ces bébés oiseaux qui reconnaissent leur mère à la tâche rouge sur son bec, il nous suffit de voir deux points à la même hauteur avec un trait horizontal en dessous pour percevoir immédiatement un visage:

(source: Faces in places)

Le plus étonnant en l’occurrence n’est pas tant notre capacité à détecter un visage que notre incapacité à ne pas en voir un. C’est l’expérience du masque de Chaplin, qu’on n’arrive pas à voir à l’envers:

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Rien d’étonnant donc, à ce que les formes irrégulières des nuages, les constellations ou la surface des planètes soit un terrain de jeu fabuleux pour notre obsession à détecter des formes connues.

En 2002 le neurologue suisse Peter Brugger s’est demandé si ‘il existait un lien entre la sensibilité des personnes défendant des théories ésotériques ou surnaturelles et leur propension à distinguer des formes visuelles même lorsqu’il n’y en a pas. Pour le savoir, il a présenté à 20 personnes croyant au paranormal et à 20 autres plus sceptiques, des flashes très rapides d’images et de lettres représentant -ou non- des visages et des mots. Bingo! Les premiers ont cru distinguer beaucoup plus de visages et de mots qu’il n’y en avait en réalité, et inversement les seconds en ont décelé beaucoup moins.

Aux origines du besoin d’expliquer

D’où nous vient cette obsession à rechercher sans arrêt des relations de cause à effet? On peut penser qu’un tel instinct constitue un avantage adaptatif décisif quand il permet de repérer plus vite une proie, un prédateur ou un partenaire sexuel en s’aidant de très subtils indices. Dans les zones surpêchées, les poissons sont plus méfiants qu’ailleurs, alors qu’ils appartiennent à la même espèce. En tant qu’hominidé, nous aurions simplement poussé à l’extrême cette tendance innée à trouver des règles.

Sur un plan purement psychologique, donner du sens à tout ce qui nous entoure nous procure aussi la rassurante impression de maîtriser la situation, surtout quand ça va mal. On avait vu dans ce billet comment les patients atteints de syndromes neurologiques importants s’inventent des histoires rassurantes pour expliquer leur état. Une explication simple rend les situations difficiles plus supportables et d’ailleurs les théories du complot et autres croyances ésotériques n’ont jamais autant de succès que pendant les crises.

Mais l’hypothèse qui m’a le plus convaincu est que nous ne pourrions engranger de telles quantités d’informations si l’on n’avait pas des règles permettant de les retenir facilement. Notre cerveau n’est pas un ordinateur capable de mémoriser des millions d’informations indépendantes les unes des autres. Pour assimiler une nouvelle information il nous faut la relier au réseau de connaissances déjà en place. Ces liens logiques ou imaginaires permettent d’ancrer plus facilement ces nouvelles données dans le tissu de nos connaissances existantes. Les règles sont aussi la manière la plus efficace de réduire la quantité d’informations à mémoriser: comment feriez-vous si vous n’aviez pas intégré la loi qui veut que tous les objets tombent naturellement par terre, ou celle qui nous fait percevoir comme plus petit un objet lointain? Trouver une règle permet donc de retenir plus de choses en demandant moins de travail au cerveau. Pour rester dans la métaphore de la mémoire informatique, “donner du sens” c’est à la fois indexer l’information et la compresser.

Le sentiment du beau

Allez, pendant que je suis moi-même en pleine recherche de sens, je me lance dans une Xochipithèse un peu hardie. Vous avez certainement déjà éprouvé un sentiment de beauté devant une théorie incroyablement puissante, une formule parfaitement ajustée ou une démonstration particulièrement élégante. Bon admettons que ce soit le cas. J’émets l’hypothèse que cette sensation d’esthétique émerge du contraste entre la concision du résultat et la profusion d’informations qu’il représente. Si la formule S = k log W est gravée sur la tombe de Boltzmann et que l’on voue un tel culte à la célèbre équation E=mc² d’Einstein, c’est sans doute que l’on est saisi  par la portée immense de formules aussi lapidaires. La beauté proviendrait de l’extrême condensation d’une complexité. Le principe du rasoir d’Ockham (qui proscrit l’usage d’hypothèses superflues) serait d’une nature aussi esthétique que philosophique.

Certaines phrases me font le même effet dans tous les domaines, en psychologie (“L’humour est la politesse du désespoir”), en droit (“Nul ne peut invoquer sa propre turpitude”, le fameux “Nemo auditur…”), en politique (“Gouverner c’est faire croire”) etc. Une théorie ou une formule devient belle lorsque l’on ne peut ni la simplifier (c’est-à-dire la rendre plus concise) ni l’améliorer (c’est-à-dire augmenter sa portée). Je ne sais pas dans quelle mesure cette idée s’applique au monde de l’Art, où la concision n’est pas une vertu cardinale. Pourtant on peut aussi considérer qu’un poème est beau lorsqu’il est totalement irréductible, lorsqu’on ne peut retirer ni modifier aucun de ses mots sans altérer l’impression produite. C’est ainsi que je lis l’aphorisme de Paul Valéry -”Rien de beau ne peut se résumer”. En tous cas,  je me dis qu’il y a sans doute là quelque chose à creuser…

Dopamine: le double effet kiss-cool

La dopamine a longtemps été considérée comme LE neurotransmetteur du plaisir, le secret de nos transes du “sex, drug and Rock&Roll”. Et puis on s’est rendu compte un peu par hasard qu’elle jouait un rôle dans bien d’autres domaines, par exemple dans le contrôle des mouvements. Administrée sous forme de L-dopa, elle soulage presque miraculeusement les tremblements des malades de Parkinson. Mais surtout la dopamine joue sur notre propension à trouver du sens au choses. Je vous ai parlé de l’expérience de Peter Brugger, qui comparait la tendance des gens à distinguer des formes visuelles ou des mots parmi des images embrouillées.

Dans une seconde phase, les chercheurs répétèrent l’expérience après avoir administré à tous les sujets une dose de L-dopa. Les sujets les plus sceptiques décelèrent plus souvent des mots et des visages, y compris lorsqu’il n’y en avait pas forcément. Cette expérience répétée depuis sous diverses formes et en double aveugle, semble indiquer que la dopamine accroît notre tendance à distinguer du sens, des “patterns” dans ce qu’on perçoit. Cette hypothèse expliquerait les effets hallucinogènes de la cocaïne et de nombreux amphétamines, dont le principe est justement d’augmenter le niveau de dopamine. A l’inverse, on soigne des syndromes psychotiques tels que la paranoïa ou les hallucinations avec des médicaments qui bloquent les récepteurs de la dopamine…

Pourquoi cette drôle de même molécule jouerait-elle à la fois sur le contrôle des mouvements et sur la propension à trouver du sens aux choses? Pour le comprendre, des chercheurs ont mesuré sur des singes la façon dont les neurones libèrent la dopamine. Le protocole était le suivant: on proposait à l’animal deux images sur un écran, dont l’une (toujours la même) était associée à une récompense. Après avoir effectué une série de gestes routiniers, le singe devait choisir l’une des deux images et il recevait du jus de fruit si c’était la bonne. On constata que les neurones dopaminergiques (c’est comme ça qu’on les appelle) déchargent comme des fous lorsque le singe reçoit une récompense inattendue, par exemple quand il ne connaît pas encore les images qu’on lui présente. A mesure qu’il s’habitue à reconnaître la bonne image, les décharges de dopamine se font moins fortes au moment de la récompense… mais apparaissent dès la présentation de l’image connue. La dopamine répond non seulement aux récompenses inattendues mais aussi à l’anticipation d’une récompense. Ce serait donc en quelque sorte la molécule du désir, qui permet au cerveau d’anticiper une récompense future à partir de quelques indices.

Un système d’apprentissage hors pair

Si cette interprétation est exacte, tous les éléments du puzzle sont en place. D’une part il n’est pas illogique d’imaginer que le même mécanisme nous permettant de faire le lien entre des événements et une récompense soit aussi celui qui nous serve à trouver des relations de causes à effets en général. D’autant plus que les modalités de réponse de la dopamine correspondent précisément aux algorithmes utilisés en intelligence artificielle dans les systèmes de réseaux neuronaux: un protocole d’apprentissage idéal en somme.

Au passage c’est ce qui expliquerait la délicieuse sensation qui nous envahit quand on trouve la solution d’un problème: rien de plus jouissif qu’une décharge de dopamine! Pas étonnant qu’on devienne accroc au Sudoku ou aux  mots croisés, le plaisir à résoudre un problème ardu est du même ordre que bien d’autres plaisirs charnels. On comprend que même les dauphins raffolent des problèmes à résoudre! Juste assez de dopamine stimule notre créativité et notre imagination. Trop de dopamine nous rend superstitieux ou paranoïaque, pas assez nous déprime.

Motricité et motivation

Passons au lien étrange qui semble exister entre dopamine et contrôle des mouvements. Pourquoi bouge-t-on? Soit pour fuir, soit -plus fréquemment heureusement- parce qu’on cherche à atteindre grâce à ce mouvement un état de bien-être (manger, se reproduire, socialiser, se gratter etc). L’essentiel de nos gestes sont orientés vers un soulagement ou une récompense. Notre motricité dépend de notre capacité à anticiper ces récompenses, donc du bon fonctionnement de notre système dopaminergique. Mais ce n’est pas tout. En habituant que des rats à une certaine routine leur permettant de recevoir de la nourriture, on a observé qu’ils se montraient beaucoup moins motivés pour effectuer cette routine lorsqu’on inhibait chimiquement dans leur cerveau les récepteurs de dopamine. Par contre, ils manifestaient toujours le même plaisir (en termes d’émission de dopamine) à recevoir de la nourriture quand on leur donnait directement. La dopamine semble jouer à la fois sur le contrôle des gestes et sur la motivation qui les déclenche.

Effets secondaires

Ann Klinestiver, une professeur américaine à la retraite et atteinte de la maladie de Parkinson a fait les frais de ce double effet de la dopamine. Pour soigner ses tremblements on lui prescrivit en 2005 du Requip, une molécule qui imite l’effet de la dopamine dans le cerveau. L’effet sur les tremblements fut radical, mais Ann fut contrainte d’augmenter progressivement sa dose quotidienne pour se soulager. C’est alors qu’elle devint littéralement accroc aux jeux de hasard. Alors qu’elle n’avait jamais mis les pieds dans un casino avant son traitement, la voilà subitement obsédée par les machines à sous, y passant ses jours et ses nuits sans pouvoir s’arrêter. En un an, elle perdit 200 000 dollars jusqu’à ce qu’elle arrête son traitement. Son obsession s’arrêta aussi brusquement que ses tremblements reprirent. Que s’est-il passé? Il semble que le surdosage de dopamine ait deux effets face à un jeu de hasard. D’une part il fait ressentir une véritable explosion de plaisir quand on gagne alors qu’on ne s’y attend pas. Ensuite, il excite follement notre machine-à-trouver-des-règles qui s’acharne à essayer de comprendre le fonctionnement de la machine à sous, là où il n’y a bien sûr que du pur hasard. On devient en somme comme les pigeons de Skinner, obsédés et superstitieux en diable.

Deux chercheurs de Cambridge viennent de mettre en lumière ce qui se passe dans la tête des accrocs des jeux et notamment le rôle des coups “presque” gagnants dans l’addiction au bandit manchot. Lorsqu’une personne normale réussit à aligner deux cloches sur trois sur une machine à sou, on s’est aperçu que son cerveau émet une légère décharge de dopamine, plus faible que si elle avait gagné, mais suffisante pour lui procurer une petite pointe de plaisir et l’inciter à tenter sa chance à nouveau puisqu’il semble sur la bonne voie. Ce n’est pas un hasard si les machines à sous multiplient les combinaisons perdantes qui ressemblent aux gagnantes: en induisant en erreur le système cognitif des joueurs, elles leur font surestimer instinctivement leurs chances de gagner au prochain coup… jusqu’à ce qu’ils soient dégoûtés par une longue succession d’échecs. Or pour les accrocs du jeu, on s’est rendu compte que leur système dopaminique réagissait avec quasiment autant d’intensité quand ils faisaient ces coups “presque” gagnants que quand ils gagnaient effectivement. Du coup, au lieu d’être dépités par de trop nombreuses pertes, ces joueurs pathologiques sont regonflés à bloc à chaque fois qu’ils tombent sur un de ces coups “presque” gagnants. Persuadés que le prochain coup sera le bon, ils ne peuvent s’empêcher de rejouer, encore et encore. On peut imaginer que le dérèglement des niveaux de dopamine d’un patient comme A Klinestiver ait créé chez elle exactement le même type de surréaction à chaque fois qu’elle tombait presque sur une combinaison gagnante.

Sport et superstition

Dopamine et sports font naturellement bon ménage. D’une part l’exercice physique prolongé stimule la sécrétion de cette sacrée molécule, ce qui explique qu’on se sente si bien après une séance de sport (… enfin, quand on pratique régulièrement sinon, l’effet courbature l’emporte largement, je parle d’expérience!). Les hamsters qui courent sans arrêt dans leur roue qui tourne sont littéralement accrocs à la dopamine! D’autre part, ce n’est pas pour rien qu’on se dope aux amphétamines: la dopamine augmente à la fois l’endurance et la motivation. Les grands sportifs sont donc souvent de grands sécréteurs de dopamine devant l’éternel et je me demande si cette particularité n’explique pas en partie qu’on trouve autant de superstition dans le sport. Oh, bien sûr, on peut se contenter d’une explication psychologique: porter son maillot fétiche ou un pendentif porte-chance, lacer sa chaussure droite avant la gauche ou utiliser toujours le même casier au vestiaire peut donner au sportif l’impression qu’il contrôle la situation plutôt que de subir les lois du sort. Mais je me demande quand même si un petit excès de dopamine n’entretient pas aussi certaines tocades. Comme chez ces hockeyeurs canadiens qui m’ont bien fait rire…

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Sources:

Nassim Nicholas Thaleb: Le Cygne Noir (chapitre 6)

Hollerman & Shultz, Dopamine neurons report an error in the temporal prediction of reward during learning (1998, Nature, pdf)
L’histoire de Ann Klevinster est relatée (entre autres) dans un article du Boston Globe de 2007
L’article de Neurophilosophy sur le rôle des coups “presque” gagnants dans l’addiction aux jeux de hasard

Je vous laisse maintenant savourer cette vidéo extraordinaire de Michael Shermer qui m’a inspiré sur ce sujet:

>> Article initialement publié sur Le webinet des curiosités en 2 parties (1 et 2)

>> Illustrations : FlickR CC : amortize, Chemical Heritage Foundation, Wikipedia CC-BY-SA D.HelberSbrools, FlickR CC : Jeff Kubina

>> Retrouvez tous les articles d’OWNIsciences

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http://owni.fr/2011/01/17/je-veux-une-explication/feed/ 7
Non-sens interdit http://owni.fr/2011/01/07/non-sens-interdit/ http://owni.fr/2011/01/07/non-sens-interdit/#comments Fri, 07 Jan 2011 14:28:32 +0000 xochipilli http://owni.fr/?p=33774 Je veux une explication!

Pourquoi les ventes ont-elles baissé cette semaine? Comment se fait-il qu’on a perdu 0,01% de part de marché ce mois-ci? Je ne sais pas si vous avez remarqué, au boulot il faut toujours avoir une explication prête pour tout ce qui se passe, y compris pour des trucs manifestement aléatoires. Heureusement on ne demande pas à l’explication d’être rigoureuse et encore moins qu’elle soit vérifiée. Il suffit d’en trouver une qui soit suffisamment cohérente et raisonnable. Dans le fond ce besoin d’explication pour tout ce qui se passe d’important autour de nous est universel: nous essayons toujours d’interpréter et de trouver un sens aux choses, même quand elles n’en ont pas.

Dans une expérience célèbre des années 1970 on demandait à des femmes de juger de la qualité de quatre bas nylon sur des présentoirs devant elles. En réalité ces bas étaient rigoureusement identiques mais elles n’en savaient rien et elles ont fourni plus de 80 raisons différentes de préférer tel ou tel bas, en termes de couleur, de texture ou d’élasticité. Ne rigolez pas trop vite bandes de machos, personne n’échappe à la rationalisation a posteriori, c’est plus fort que nous. Il suffit de parcourir la presse financière pour se convaincre que les explications contradictoires ne font peur à personne quand il faut expliquer des cours qui jouent au yo-yo. Nassim Taleb rappelle malicieusement dans “Le Cygne Noir” que lorsque Saddam Hussein fut arrêté en 2003, Bloomberg diffusa coup sur coup deux flashes. Le premier, à 13H01 titrait: “Hausse des bons du Trésor américain; l’arrestation de Saddam Hussein pourrait ne pas enrayer le terrorisme”. Le second, une demi-heure plus tard: “Chute des bons du Trésor américain; l’arrestation de Hussein accélère la perception du risque”. Au moins ces dames avaient eu le bon goût de ne pas se contredire dans leurs explications, elles!

Un besoin universel…

Toutes les sociétés ont en commun d’avoir inventé une mythologie particulière, un récit fondateur qui explique pourquoi le soleil se lève, pourquoi on meurt, d’où vient la vie etc. “Une civilisation débute par le mythe et finit par le doute” écrivait Cioran… Cette mythologie originelle est la signature identitaire d’une société et la source de tous ses rituels. Comme dans ce passage irrésistible de Men in Black2 (après Cioran, la chute est brutale, pardonnez-moi) où un peuple de petits aliens enfermé depuis des générations dans le casier d’une consigne de gare vit dans l’ignorance de ce qui se passe de l’autre côté de la porte, et voue un culte étrange aux objets enfermés dans ce casier:

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Ce besoin irrépressible de trouver des règles et d’y caler des rituels n’est même pas le propre de l’homme. Dans une expérience réalisée en 1948 le psychologue américain Burrhus Skinner enferma un pigeon dans une caisse munie d’un dispositif distribuant de la nourriture à intervalles réguliers. Les pigeons auraient pu se contenter d’attendre que la nourriture tombe toute seule, mais pas du tout! Trois fois sur quatre, l’animal est tenté d’attribuer le déclenchement de la distribution de nourriture à l’action qu’il est en train de faire pile à ce moment là. En répétant cette action, il reçoit de nouveau de la nourriture. Forcément, puisque celle-ci est distribuée à intervalles réguliers quoiqu’il arrive, mais le pigeon ne le sait pas et ce premier succès l’encourage à recommencer la manœuvre. A force de renforcements répétés, il s’auto-conditionne pour ce comportement totalement absurde. Certains pigeons tournent sur eux-mêmes, d’autres tapotent la caisse à un endroit ultra précis, hochent la tête, battent des ailes, lèvent les pattes etc. Les pigeons deviennent littéralement superstitieux!

Cliquer ici pour voir la vidéo.

La preuve par l’illusion optique

On ne fait pas autre chose, remarque Skinner, lorsqu’au bowling on incline instinctivement son corps vers la gauche quand on vient de lancer la boule un peu trop à droite, comme si bouger son corps après coup allait rectifier la trajectoire. Nous sommes tous des pigeons en somme, programmés pour détecter sans cesse des relations de causalité, pour décoder le monde qui nous entoure. Certaines illusions optiques illustrent à merveille notre tendance irrépressible à trouver du sens au bruit. Dans le motif de Kanizsa (à gauche) par exemple vous ne pouvez sans doute pas vous empêcher de voir un triangle blanc au milieu de la figure car ce triangle fantôme donne du sens à la figure, en expliquant à la fois les encoches des trois disques noirs et les interruptions dans le tracé du triangle central. Sur l’image de Peter Ulric Tse (à droite) vous voyez probablement un cylindre fantôme en relief et la figue en noir vous semble nécessairement en 3D. Dans un autre registre, nous avons un biais naturel à voir des visages partout. Comme ces bébés oiseaux qui reconnaissent leur mère à la tâche rouge sur son bec, il nous suffit de voir deux points à la même hauteur avec un trait horizontal en dessous pour percevoir immédiatement un visage:

(source: Faces in places)

Le plus étonnant en l’occurrence n’est pas tant notre capacité à détecter un visage que notre incapacité à ne pas en voir un. C’est l’expérience du masque de Chaplin, qu’on n’arrive pas à voir à l’envers:

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Rien d’étonnant donc, à ce que les formes irrégulières des nuages, les constellations ou la surface des planètes soit un terrain de jeu fabuleux pour notre obsession à détecter des formes connues.

En 2002 le neurologue suisse Peter Brugger s’est demandé si ‘il existait un lien entre la sensibilité des personnes défendant des théories ésotériques ou surnaturelles et leur propension à distinguer des formes visuelles même lorsqu’il n’y en a pas. Pour le savoir, il a présenté à 20 personnes croyant au paranormal et à 20 autres plus sceptiques, des flashes très rapides d’images et de lettres représentant -ou non- des visages et des mots. Bingo! Les premiers ont cru distinguer beaucoup plus de visages et de mots qu’il n’y en avait en réalité, et inversement les seconds en ont décelé beaucoup moins.

Aux origines du besoin d’expliquer

D’où nous vient cette obsession à rechercher sans arrêt des relations de cause à effet? On peut penser qu’un tel instinct constitue un avantage adaptatif décisif quand il permet de repérer plus vite une proie, un prédateur ou un partenaire sexuel en s’aidant de très subtils indices. Dans les zones surpêchées, les poissons sont plus méfiants qu’ailleurs, alors qu’ils appartiennent à la même espèce. En tant qu’hominidé, nous aurions simplement poussé à l’extrême cette tendance innée à trouver des règles.

Sur un plan purement psychologique, donner du sens à tout ce qui nous entoure nous procure aussi la rassurante impression de maîtriser la situation, surtout quand ça va mal. On avait vu dans ce billet comment les patients atteints de syndromes neurologiques importants s’inventent des histoires rassurantes pour expliquer leur état. Une explication simple rend les situations difficiles plus supportables et d’ailleurs les théories du complot et autres croyances ésotériques n’ont jamais autant de succès que pendant les crises.

Mais l’hypothèse qui m’a le plus convaincu est que nous ne pourrions engranger de telles quantités d’informations si l’on n’avait pas des règles permettant de les retenir facilement. Notre cerveau n’est pas un ordinateur capable de mémoriser des millions d’informations indépendantes les unes des autres. Pour assimiler une nouvelle information il nous faut la relier au réseau de connaissances déjà en place. Ces liens logiques ou imaginaires permettent d’ancrer plus facilement ces nouvelles données dans le tissu de nos connaissances existantes. Les règles sont aussi la manière la plus efficace de réduire la quantité d’informations à mémoriser: comment feriez-vous si vous n’aviez pas intégré la loi qui veut que tous les objets tombent naturellement par terre, ou celle qui nous fait percevoir comme plus petit un objet lointain? Trouver une règle permet donc de retenir plus de choses en demandant moins de travail au cerveau. Pour rester dans la métaphore de la mémoire informatique, “donner du sens” c’est à la fois indexer l’information et la compresser.

Le sentiment du beau

Allez, pendant que je suis moi-même en pleine recherche de sens, je me lance dans une Xochipithèse un peu hardie. Vous avez certainement déjà éprouvé un sentiment de beauté devant une théorie incroyablement puissante, une formule parfaitement ajustée ou une démonstration particulièrement élégante. Bon admettons que ce soit le cas. J’émets l’hypothèse que cette sensation d’esthétique émerge du contraste entre la concision du résultat et la profusion d’informations qu’il représente. Si la formule S = k log W est gravée sur la tombe de Boltzmann et que l’on voue un tel culte à la célèbre équation E=mc² d’Einstein, c’est sans doute que l’on est saisi  par la portée immense de formules aussi lapidaires. La beauté proviendrait de l’extrême condensation d’une complexité. Le principe du rasoir d’Ockham (qui proscrit l’usage d’hypothèses superflues) serait d’une nature aussi esthétique que philosophique.

Certaines phrases me font le même effet dans tous les domaines, en psychologie (“L’humour est la politesse du désespoir”), en droit (“Nul ne peut invoquer sa propre turpitude”, le fameux “Nemo auditur…”), en politique (“Gouverner c’est faire croire”) etc. Une théorie ou une formule devient belle lorsque l’on ne peut ni la simplifier (c’est-à-dire la rendre plus concise) ni l’améliorer (c’est-à-dire augmenter sa portée). Je ne sais pas dans quelle mesure cette idée s’applique au monde de l’Art, où la concision n’est pas une vertu cardinale. Pourtant on peut aussi considérer qu’un poème est beau lorsqu’il est totalement irréductible, lorsqu’on ne peut retirer ni modifier aucun de ses mots sans altérer l’impression produite. C’est ainsi que je lis l’aphorisme de Paul Valéry -”Rien de beau ne peut se résumer”. En tous cas,  je me dis qu’il y a sans doute là quelque chose à creuser…

Dopamine: le double effet kiss-cool

Dopamine

La dopamine a longtemps été considérée comme LE neurotransmetteur du plaisir, le secret de nos transes du “sex, drug and Rock&Roll”. Et puis on s’est rendu compte un peu par hasard qu’elle jouait un rôle dans bien d’autres domaines, par exemple dans le contrôle des mouvements. Administrée sous forme de L-dopa, elle soulage presque miraculeusement les tremblements des malades de Parkinson. Mais surtout la dopamine joue sur notre propension à trouver du sens au choses. Je vous ai parlé de l’expérience de Peter Brugger, qui comparait la tendance des gens à distinguer des formes visuelles ou des mots parmi des images embrouillées.

Dans une seconde phase, les chercheurs répétèrent l’expérience après avoir administré à tous les sujets une dose de L-dopa. Les sujets les plus sceptiques décelèrent plus souvent des mots et des visages, y compris lorsqu’il n’y en avait pas forcément. Cette expérience répétée depuis sous diverses formes et en double aveugle, semble indiquer que la dopamine accroît notre tendance à distinguer du sens, des “patterns” dans ce qu’on perçoit. Cette hypothèse expliquerait les effets hallucinogènes de la cocaïne et de nombreux amphétamines, dont le principe est justement d’augmenter le niveau de dopamine. A l’inverse, on soigne des syndromes psychotiques tels que la paranoïa ou les hallucinations avec des médicaments qui bloquent les récepteurs de la dopamine…

Pourquoi cette drôle de même molécule jouerait-elle à la fois sur le contrôle des mouvements et sur la propension à trouver du sens aux choses? Pour le comprendre, des chercheurs ont mesuré sur des singes la façon dont les neurones libèrent la dopamine. Le protocole était le suivant: on proposait à l’animal deux images sur un écran, dont l’une (toujours la même) était associée à une récompense. Après avoir effectué une série de gestes routiniers, le singe devait choisir l’une des deux images et il recevait du jus de fruit si c’était la bonne. On constata que les neurones dopaminergiques (c’est comme ça qu’on les appelle) déchargent comme des fous lorsque le singe reçoit une récompense inattendue, par exemple quand il ne connaît pas encore les images qu’on lui présente. A mesure qu’il s’habitue à reconnaître la bonne image, les décharges de dopamine se font moins fortes au moment de la récompense… mais apparaissent dès la présentation de l’image connue. La dopamine répond non seulement aux récompenses inattendues mais aussi à l’anticipation d’une récompense. Ce serait donc en quelque sorte la molécule du désir, qui permet au cerveau d’anticiper une récompense future à partir de quelques indices.

Un système d’apprentissage hors pair

Si cette interprétation est exacte, tous les éléments du puzzle sont en place. D’une part il n’est pas illogique d’imaginer que le même mécanisme nous permettant de faire le lien entre des événements et une récompense soit aussi celui qui nous serve à trouver des relations de causes à effets en général. D’autant plus que les modalités de réponse de la dopamine correspondent précisément aux algorithmes utilisés en intelligence artificielle dans les systèmes de réseaux neuronaux: un protocole d’apprentissage idéal en somme.

Au passage c’est ce qui expliquerait la délicieuse sensation qui nous envahit quand on trouve la solution d’un problème: rien de plus jouissif qu’une décharge de dopamine! Pas étonnant qu’on devienne accroc au Sudoku ou aux  mots croisés, le plaisir à résoudre un problème ardu est du même ordre que bien d’autres plaisirs charnels. On comprend que même les dauphins raffolent des problèmes à résoudre! Juste assez de dopamine stimule notre créativité et notre imagination. Trop de dopamine nous rend superstitieux ou paranoïaque, pas assez nous déprime.

Motricité et motivation

Passons au lien étrange qui semble exister entre dopamine et contrôle des mouvements. Pourquoi bouge-t-on? Soit pour fuir, soit -plus fréquemment heureusement- parce qu’on cherche à atteindre grâce à ce mouvement un état de bien-être (manger, se reproduire, socialiser, se gratter etc). L’essentiel de nos gestes sont orientés vers un soulagement ou une récompense. Notre motricité dépend de notre capacité à anticiper ces récompenses, donc du bon fonctionnement de notre système dopaminergique. Mais ce n’est pas tout. En habituant que des rats à une certaine routine leur permettant de recevoir de la nourriture, on a observé qu’ils se montraient beaucoup moins motivés pour effectuer cette routine lorsqu’on inhibait chimiquement dans leur cerveau les récepteurs de dopamine. Par contre, ils manifestaient toujours le même plaisir (en termes d’émission de dopamine) à recevoir de la nourriture quand on leur donnait directement. La dopamine semble jouer à la fois sur le contrôle des gestes et sur la motivation qui les déclenche.

Effets secondaires

Ann Klinestiver, une professeur américaine à la retraite et atteinte de la maladie de Parkinson a fait les frais de ce double effet de la dopamine. Pour soigner ses tremblements on lui prescrivit en 2005 du Requip, une molécule qui imite l’effet de la dopamine dans le cerveau. L’effet sur les tremblements fut radical, mais Ann fut contrainte d’augmenter progressivement sa dose quotidienne pour se soulager. C’est alors qu’elle devint littéralement accroc aux jeux de hasard. Alors qu’elle n’avait jamais mis les pieds dans un casino avant son traitement, la voilà subitement obsédée par les machines à sous, y passant ses jours et ses nuits sans pouvoir s’arrêter. En un an, elle perdit 200 000 dollars jusqu’à ce qu’elle arrête son traitement. Son obsession s’arrêta aussi brusquement que ses tremblements reprirent. Que s’est-il passé? Il semble que le surdosage de dopamine ait deux effets face à un jeu de hasard. D’une part il fait ressentir une véritable explosion de plaisir quand on gagne alors qu’on ne s’y attend pas. Ensuite, il excite follement notre machine-à-trouver-des-règles qui s’acharne à essayer de comprendre le fonctionnement de la machine à sous, là où il n’y a bien sûr que du pur hasard. On devient en somme comme les pigeons de Skinner, obsédés et superstitieux en diable.

Deux chercheurs de Cambridge viennent de mettre en lumière ce qui se passe dans la tête des accrocs des jeux et notamment le rôle des coups “presque” gagnants dans l’addiction au bandit manchot. Lorsqu’une personne normale réussit à aligner deux cloches sur trois sur une machine à sou, on s’est aperçu que son cerveau émet une légère décharge de dopamine, plus faible que si elle avait gagné, mais suffisante pour lui procurer une petite pointe de plaisir et l’inciter à tenter sa chance à nouveau puisqu’il semble sur la bonne voie. Ce n’est pas un hasard si les machines à sous multiplient les combinaisons perdantes qui ressemblent aux gagnantes: en induisant en erreur le système cognitif des joueurs, elles leur font surestimer instinctivement leurs chances de gagner au prochain coup… jusqu’à ce qu’ils soient dégoûtés par une longue succession d’échecs. Or pour les accrocs du jeu, on s’est rendu compte que leur système dopaminique réagissait avec quasiment autant d’intensité quand ils faisaient ces coups “presque” gagnants que quand ils gagnaient effectivement. Du coup, au lieu d’être dépités par de trop nombreuses pertes, ces joueurs pathologiques sont regonflés à bloc à chaque fois qu’ils tombent sur un de ces coups “presque” gagnants. Persuadés que le prochain coup sera le bon, ils ne peuvent s’empêcher de rejouer, encore et encore. On peut imaginer que le dérèglement des niveaux de dopamine d’un patient comme A Klinestiver ait créé chez elle exactement le même type de surréaction à chaque fois qu’elle tombait presque sur une combinaison gagnante.

Sport et superstition

Dopamine et sports font naturellement bon ménage. D’une part l’exercice physique prolongé stimule la sécrétion de cette sacrée molécule, ce qui explique qu’on se sente si bien après une séance de sport (… enfin, quand on pratique régulièrement sinon, l’effet courbature l’emporte largement, je parle d’expérience!). Les hamsters qui courent sans arrêt dans leur roue qui tourne sont littéralement accrocs à la dopamine! D’autre part, ce n’est pas pour rien qu’on se dope aux amphétamines: la dopamine augmente à la fois l’endurance et la motivation. Les grands sportifs sont donc souvent de grands sécréteurs de dopamine devant l’éternel et je me demande si cette particularité n’explique pas en partie qu’on trouve autant de superstition dans le sport. Oh, bien sûr, on peut se contenter d’une explication psychologique: porter son maillot fétiche ou un pendentif porte-chance, lacer sa chaussure droite avant la gauche ou utiliser toujours le même casier au vestiaire peut donner au sportif l’impression qu’il contrôle la situation plutôt que de subir les lois du sort. Mais je me demande quand même si un petit excès de dopamine n’entretient pas aussi certaines tocades. Comme chez ces hockeyeurs canadiens qui m’ont bien fait rire…

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Sources:

Nassim Nicholas Thaleb: Le Cygne Noir (chapitre 6)

Hollerman & Shultz, Dopamine neurons report an error in the temporal prediction of reward during learning (1998, Nature, pdf)
L’histoire de Ann Klevinster est relatée (entre autres) dans un article du Boston Globe de 2007
L’article de Neurophilosophy sur le rôle des coups “presque” gagnants dans l’addiction aux jeux de hasard

Je vous laisse maintenant savourer cette vidéo extraordinaire de Michael Shermer qui m’a inspiré sur ce sujet:

>> Article initialement publié sur Le webinet des curiosités en 2 parties (1 et 2)

>> Illustrations : FlickR CC : Stefan Baudy, Chemical Heritage Foundation, Wikipedia CC-BY-SA D.HelberSbrools, FlickR CC : Jeff Kubina

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http://owni.fr/2011/01/07/non-sens-interdit/feed/ 5
Wikileaks et biologie, utilisation similaire des données? http://owni.fr/2010/12/05/wikileaks-et-biologie-utilisation-similaire-des-donnees/ http://owni.fr/2010/12/05/wikileaks-et-biologie-utilisation-similaire-des-donnees/#comments Sun, 05 Dec 2010 13:40:57 +0000 Roud http://owni.fr/?p=33572 Titre original : Opinion : Wikileaks, biologie des données, émergence

Le journalisme de données et la saga Wikileaks sont la transposition dans la société d’un phénomène récent en biologie : le déluge de données. Quels enseignements tirer de ce parallèle ?

Low-input, high-throughput, no-output biology

Ainsi Sydney Brenner qualifiait-il dans une conférence récente le phénomène de “biologie des données” : en somme, la génération de données brutes ne serait qu’une démarche un peu paresseuse (“low-input’”), coûteuse et n’apprenant au fond pas grand chose de neuf sur la biologie (“no output”). Brenner combat en réalité cette idée que la “science” peut émerger spontanément des données, par une analyse non biaisée et systématique, qu’au fond les données vont générer les théories scientifiques naturellement (et c’est aussi un peu le principe d’algorithmes d’analyse comme Eureka).

Emergence de la connaissance

La démarche de Wikileaks me semble relever de la même tendance : des données brutes et nombreuses, disponibles à tous, va surgir une vérité, obscure dans les détails mais éclatante vue de loin. More is different pour reprendre le titre du papier célèbre du Prix Nobel de physique Phil Anderson. Wikileaks, c’est l’émergence appliquée au journalisme, l’idée qu’un déluge quantitatif va changer la vision qualitative des faits.

Est-ce vrai ? La comparaison avec la biologie de données est éclairante à mon sens. Au-delà des critiques juridiques, sur ce que j’ai entendu, on entend que la majeure partie des mémos de Wikileaks sont sans aucun intérêt, que cette publication met l’accent sur des épiphénomènes ou que les télégrammes qui semblent un peu “croustillants” ne nous apprennent en fait rien de vraiment nouveau ou rien dont on ne se serait douté. Allez dans une conférence de biologie, et discutez avec des critiques de la biologie des données, vous entendrez exactement le même genre de critiques, à savoir que l’analyse est trop simple, biaisée, et qu’on ne trouve rien de vraiment étonnant ou neuf. Bref, dans les deux cas, ce saut qualitatif à la Anderson ne se produirait pas, les données sont jolies mais totalement inutiles au fond.


Le retour de l’expert

Il y a néanmoins une différence de taille : si je vous donne la séquence d’ADN d’un gène, vous n’êtes pas capable de dire ce que ce gène fait dans la cellule, c’est une information intéressante mais dont on ne saisit pas la portée exacte (aujourd’hui en tous cas), tandis que si je vous dis que “Sarkozy est autoritaire et colérique”, d’une part, c’est une information considérée comme signifiante par l’analyste, donc son contenu informatif est maximisé dès la collecte de celle-ci , d’autre part, vous êtes capable de replacer cette donnée immédiatement dans un contexte plus global, repensant au “Casse-toi pauvre con”, à la brouille avec la commission européenne sur les Roms, et plus généralement à sa pratique politique globale.

En d’autres termes, dans le journalisme de données, nous pouvons bien comprendre les sens individuels des atomes de données, mais nous avons déjà une idée de l’image globale, du niveau supérieur émergent, et du coup, nous sommes tout à fait à même de comprendre comment des petits détails deviennent signifiants sur la vision et l’organisation du monde. Dans ce cadre, on a besoin de nouveaux experts, des personnes ayant une bonne maîtrise de ces petits détails, capables de mettre ensemble ce qui est signifiant a priori pour bien nous aider à visualiser cette réalité (cf. cette tribune du Monde signalée par Enro sur twitter).

Où sont ces experts dans la biologie des données ? Ils sont capables de comprendre les petits faits individuels apparemment anodins, de les mettre ensemble dans un cadre plus global, de les faire comprendre à tous par une représentation adéquate. Lisez ou relisez L’origine des Espèces, et vous verrez que c’est exactement la démarche suivie par Darwin. Pense-t-on vraiment que des robots soient capables de faire cela ? Ou n’est-ce pas plutôt le boulot des théoriciens, espèce qui demeure rare en biologie ?

>> Article initialement publié sur Matières Vivantes

>> Illustrations FlickR CC : Garrettc, Elliot Lepers pour OWNI

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Hacker la vie http://owni.fr/2010/06/14/hacker-la-vie/ http://owni.fr/2010/06/14/hacker-la-vie/#comments Mon, 14 Jun 2010 10:05:02 +0000 aKa (Framasoft) http://owni.fr/?p=18559 Grande première : des chercheurs américains sont récemment parvenus à créer une cellule bactérienne vivante dont le génome est synthétique.

Il n’en fallait pas plus pour que la presse vulgarise l’évènement en nous posant cette spectaculaire question : et si l’homme venait de créer la vie ?

C’est aller un peu vite en besogne nous précise le célèbre scientifique français Joël de Rosnay : « Craig Venter, l’auteur de la fameuse publication dans Science, n’a pas créé la vie, il a fait un copier coller du génome d’une bactérie qui existe dans la nature ». Mais il reconnaît cependant que « c’est la première fois qu’un être vivant n’a pas d’ancêtre, qu’il a pour père un ordinateur ».

Nous voici donc en présence d’un être vivant dont le père serait partiellement un ordinateur. Or qui manipule cet ordinateur ? Craig Venter et son équipe, et si l’homme est avant tout un biologiste c’est également un homme d’affaire, ce ne sont pas des fonds publics mais privés qui financent ses recherches. Ainsi Le Monde nous révèle que « Venter, qui aurait déjà investi 40 millions de dollars dans ce projet, a déposé un portefeuille de brevets pour protéger son concept de Mycoplasma laboratorium, hypothétique machine à tout faire des biotechnologies ».

Une vie qui n’est alors qu’information et données entrées dans un ordinateur mais dont l’exploitation et l’accès sont strictement contrôlés et réservés aux entreprises qui l’ont enfantée. Cela ressemble à de la mauvaise science-fiction. C’est pourtant peut-être le monde qui nous attend demain. Et l’Apocalypse arrivera plus tôt que prévu[1].

Sauf si… sauf si on insuffle là aussi un peu d’esprit « open source », nous dit cet article du The Economist traduit ci-dessous.

Avoir ou non la possibilité de « hacker la vie », telle sera l’une des questions fondamentales de ce siècle.

Et l’homme créa la vie…

And man made life

20 mai 2010 – The Economist Newspaper
(Traduction Framalang : Martin, Olivier et Don Rico)

La vie artificielle, porteuse de rêves et de cauchemars, est arrivée.

Créer la vie est la prérogative des dieux. Au plus profond de sa psyché, malgré les conclusions rationnelles de la physique et de la chimie, l’homme a le sentiment qu’il en est autrement pour la biologie, qu’elle est plus qu’une somme d’atomes en mouvement et en interaction les uns avec les autres, d’une façon ou d’une autre insufflée d’une étincelle divine, d’une essence vitale. Quel choc, alors, d’apprendre que de simples mortels ont réussi à créer la vie de façon artificielle.

Craig Venter et Hamilton Smith, les deux biologistes américains qui en 1995 ont démêlé pour la première fois la séquence d’ADN d’un organisme vivant (une bactérie), ont fabriqué une bactérie qui possède un génome artificiel – en créant une créature vivante sans ascendance (voir article). Les plus tatillons pourraient chipoter sur le fait que c’est seulement l’ADN d’un nouvel organisme qui a été conçu en laboratoire, les chercheurs ayant dû utiliser l’enveloppe d’un microbe existant pour que l’ADN fasse son travail. Néanmoins, le Rubicon a été franchi. Il est désormais possible de concevoir un monde où les bactéries (et à terme des animaux et des plantes) seront conçues sur ordinateur et que l’on développera sur commande.

Cette capacité devrait prouver combien l’Homme maîtrise la nature, de façon plus frappante encore que l’explosion de la première bombe atomique. La bombe, bien que justifiée dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale, n’avait qu’une fonction de destruction. La biologie, elle, s’attache à « mettre en culture » et « faire croître ». La biologie synthétique, terme sous lequel on regroupe cette technologie et des tas d’autres moins spectaculaires, est très prometteuse. À court terme, elle devrait permettre d’obtenir de meilleurs médicaments, des récoltes moins gourmandes en eau (voir article), des carburants plus écologiques, et donner une nouvelle jeunesse à l’industrie chimique. À long terme, qui peut bien savoir quels miracles elle pourrait permettre d’accomplir ?

Vers la folie des hommes ?

Dans cette perspective, la vie artificielle semble être une chose merveilleuse. Pourtant, nombreux sont ceux qui verront cette annonce d’un mauvais œil. Pour certains, ces manipulations relèveront plus de la falsification que de la création. Les scientifiques n’auraient-ils plus les pieds sur terre ? Leur folie conduira-t-elle à l’Apocalypse ? Quels monstres sortiront des éprouvettes des laboratoires ?

Ces questionnements ne sont pas infondés et méritent réflexion, même au sein de ce journal, qui de manière générale accueille les progrès scientifiques avec enthousiasme. La nouvelle science biologique a en effet le potentiel de faire autant de mal que de bien. « Prédateur » et « maladie » appartiennent autant au champ lexical du biologiste que « mettre en culture » et « faire croître ». Mais pour le meilleur et pour le pire, nous y voilà. Créer la vie n’est désormais plus le privilège des dieux.

Enfants d’un dieu mineur

Il est encore loin le temps où concevoir des formes de vie sur un ordinateur constituera un acte biologique banal, mais on y viendra. Au cours de la décennie qui a vu le développement du Projet Génome Humain, deux progrès qui lui sont liés ont rendu cet événement presque inévitable. Le premier est l’accélération phénoménale de la vitesse, et la chute du coût, du séquençage de l’ADN qui détient la clé du « logiciel » naturel de la vie. Ce qui par le passé prenait des années et coûtait des millions prend maintenant quelques jours et coûte dix fois moins. Les bases de données se remplissent de toutes sortes de génomes, du plus petit virus au plus grand des arbres.

Ces génomes sont la matière première de la biologie synthétique. Tout d’abord, ils permettront de comprendre les rouages de la biologie, et ce jusqu’au niveau atomique. Ces rouages pourront alors êtres simulés dans des logiciels afin que les biologistes soient en mesure de créer de nouvelles constellations de gènes, en supposant sans grand risque de se tromper qu’elles auront un comportement prévisible. Deuxièmement, les bases de données génomiques sont de grands entrepôts dans lesquels les biologistes synthétiques peuvent piocher à volonté.

Viendront ensuite les synthèses plus rapides et moins coûteuses de l’ADN. Ce domaine est en retard de quelques années sur l’analyse génomique, mais il prend la même direction. Il sera donc bientôt à la portée de presque tout le monde de fabriquer de l’ADN à la demande et de s’essayer à la biologie synthétique.

C’est positif, mais dans certaines limites. L’innovation se porte mieux quand elle est ouverte à tous. Plus les idées sont nombreuses, plus la probabilité est élevée que certaines porteront leurs fruits. Hélas, il est inévitable que certaines de ces idées seront motivées par une intention de nuire. Et le problème que posent les inventions biologiques nuisibles, c’est que contrairement aux armes ou aux explosifs par exemple, une fois libérées dans la nature, elles peuvent proliférer sans aide extérieure.

La biologie, un monde à part

Le club informatique Home Brew a été le tremplin de Steve Jobs et d’Apple, mais d’autres entreprises ont créé des milliers de virus informatiques. Que se passerait-il si un club similaire, actif dans le domaine de la biologie synthétique, libérait par mégarde une bactérie nocive ou un véritable virus ? Imaginez qu’un terroriste le fasse délibérément…

Interdire pour guérir ?

Le risque de créer quelque chose de néfaste par accident est sans doute faible. La plupart des bactéries optent pour la solution de facilité et s’installent dans de la matière organique déjà morte. Celle-ci ne se défend pas, les hôtes vivants, si. Créer délibérément un organisme nuisible, que le créateur soit un adolescent, un terroriste ou un État-voyou, c’est une autre histoire. Personne ne sait avec quelle facilité on pourrait doper un agent pathogène humain, ou en choisir un qui infecte un certain type d’animal et l’aider à passer d’une espèce à une autre. Nous ne tarderons toutefois pas à le découvrir.

Difficile de savoir comment répondre à une telle menace. Le réflexe de restreindre et de bannir a déjà prouvé son efficacité (tout en restant loin d’être parfait) pour les armes biologiques plus traditionnelles. Mais celles-ci étaient aux mains d’états. L’omniprésence des virus informatiques montre ce qu’il peut se produire lorsque la technologie touche le grand public.

Ouvrir pour prévenir ?

Les observateurs de la biologie synthétique les plus sensés favorisent une approche différente : l’ouverture. C’est une manière d’éviter de restreindre le bon dans un effort tardif de contrer le mal. Le savoir ne se perd pas, aussi le meilleur moyen de se défendre est-il de disposer du plus d’alliés possible. Ainsi, lorsqu’un problème se présente, on peut rapidement obtenir une réponse. Si l’on peut créer des agents pathogènes sur ordinateur, il en va de même pour les vaccins. Et à l’instar des logiciels open source qui permettent aux « gentils sorciers » de l’informatique de lutter contre les « sorciers maléfiques » (NdT : white hats vs black hats), la biologie open source encouragerait les généticiens œuvrant pour le bien.

La réglementation et, surtout, une grande vigilance seront toujours nécessaires. La veille médicale est déjà complexe lorsque les maladies sont d’origine naturelle. Dans le cas le la biologie synthétique, la surveillance doit être redoublée et coordonnée. Alors, que le problème soit naturel ou artificiel, on pourra le résoudre grâce à toute la puissance de la biologie synthétique. Il faut encourager le bon à se montrer plus malin que le mauvais et, avec un peu de chance, on évitera l’Apocalypse.

Billet initialement publié sur Framablog sous le titre “Et l’homme créa la vie… mais déposa un brevet dans la foulée”.

Crédit Photo CC Flickr:  _ Krystian PHOTOSynthesis (wild-thriving) _.

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