OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Le secret des sources percées http://owni.fr/2011/10/26/le-secret-des-sources-percees/ http://owni.fr/2011/10/26/le-secret-des-sources-percees/#comments Wed, 26 Oct 2011 06:13:44 +0000 Laurent Berneron http://owni.fr/?p=84654 Jacques Dallest, procureur de Marseille, a exclu lundi 24 octobre avoir reçu des pressions de sa hiérarchie afin d’obtenir les factures détaillées (fadettes) de deux journalistes du Monde, Jacques Follorou et Yves Bordenave.

Il n’y pas eu d’interventions de quiconque sur ces dossiers, il n’y a pas eu de pression de la chancellerie.

Samedi 22 octobre, Le Monde et Le Parisien avaient révélé que des factures téléphoniques détaillées (“fadettes”) de ces deux journalistes spécialistes des dossiers corses avaient été demandées par le procureur Jacques Dallest.

Le 24 mai 2009, les deux journalistes publient un article intitulé “Des aveux font le lien entre l’affaire Alain Orsoni et la guerre dans le milieu corse”. Les deux auteurs y détaillent l’audition par les enquêteurs d’une personne entendue dans l’affaire de la tentative d’assassinat, fin août 2008, de l’ancien leader indépendantiste Alain Orsoni.

En le citant nommément, les journalistes indiquent que ce mis en examen a reconnu lors de son audition avoir participé au complot contre Alain Orsoni. “Le magistrat instructeur en charge du dossier [m'a saisi] le 27 mai 2009 de cette violation manifeste du secret de l’instruction“, se rappelle le procureur. Le 3 juin, il demande donc à la direction inter-régionale de la PJ de Marseille d’enquêter sur les faits. L’enquête est classée sans suite le 29 janvier 2010.

Entre temps, le 14 janvier 2010, les deux journalistes du Monde publient un nouvel article faisant état de la guerre fratricide que se livrent alors les membres du gang de la Brise de Mer. Là encore, il évoque un homme entendu par la justice, qui cette fois désigne l’identité de l’assassin de Richard Casanova, l’un des piliers de cette organisation criminelle.

Le 19 janvier suivant, son avocat dépose une plainte auprès du parquet de Marseille. “Devant l’émotion renforcée des enquêteurs et des magistrats concernés“, Jacques Dallest autorise alors, le 4 février 2010, “la Direction centrale de la PJ à requérir la facturation détaillée des signataires de l’article incriminé“. Il demande alors les fadettes sur une période “d’une semaine avant, une semaine après” les dates de publication des deux articles. Les journalistes sont auditionnés par la PJ, se retranchent derrière le secret des sources, et l’affaire est classée le 10 décembre 2010.

Il ne s’agit pas de placer sous surveillance les journalistes ad vitam aeternam“, explique aujourd’hui le procureur Dallest, mais “dans une région où l’on parle beaucoup de porosité“, il convient “de garantir l’étanchéité des enquêtes judiciaires“. Le procureur, qui “cherchait surtout à trouver la taupe” qui a renseigné les journalistes, met en avant le danger encouru par ceux qui ont été cités dans les articles et les entraves provoquées selon lui par Le Monde dans “des enquêtes sur des choses très actuelles”. Jacques Dallest évoque la loi du 4 janvier 2010 :

il ne peut être porté atteinte au secret des journalistes qui si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie.

En l’occurrence, pour le procureur, le fait que ces articles portent sur des affaires de grand banditisme justifierait le procédé. Le procureur Dallest prétend que c’est la première fois qu’il demande les fadettes de ces deux journalistes. Mais pourquoi seulement en 2009 et 2010, à la suite de ces seuls articles là, alors que Jacques Follorou, auteur de l’ouvrage de référence “Les parrains Corses” (sorti en 2004, réédité en 2009), n’en est pas à sa première révélation ?

Pourquoi, dans d’autres affaires, comme celle qui concerne les frères Guérini (également du ressort du même procureur) n’a t-il pas, comme il l’a assuré, demandé les fadettes d’autres journalistes ? Beaucoup de documents de l’instruction sont sortis dans la presse sur cette affaire, et certains personnages qui y sont décrits comme parties prenantes sont eux aussi fichés au grand banditisme. Le procureur le reconnaît :

C’est le vaste débat du secret des sources…

Jacques Dallest exclut tout rapprochement entre sa décision et le cas de Bernard Squarcini, patron de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), mis en examen par la juge Sylvia Zimmermann pour atteinte au secret des correspondances, collecte illicite de données et recel du secret professionnel pour avoir commandé, à l’été 2010, des surveillances téléphoniques illégales de deux autres journalistes du Monde qui enquêtaient sur l’affaire Bettencourt.

Pourtant, c’est en demandant à Orange, opérateur de la rédaction du Monde, la liste des administrations ayant réclamé des fadettes de journalistes, que la juge Zimmermann est tombé sur les surveillances demandées, le 4 février 2010, par le procureur de Marseille. À quelques mois d’intervalle de celles voulues par la DCRI.


Illustrations et photos via Flickr par D.C.Atty [cc-by]

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Le parfait terroriste physicien http://owni.fr/2011/09/05/adlene-hicheur-cern-terrorisme/ http://owni.fr/2011/09/05/adlene-hicheur-cern-terrorisme/#comments Mon, 05 Sep 2011 06:27:44 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=78098

Il s’apprête à entamer sa troisième année de prison. Ouvert le 8 octobre 2009, jour de son arrestation à Vienne dans l’Isère, le dossier d’Adlène Hicheur a peu évolué deux ans après. Un dossier vide ? “Noyé” répond Patrick Baudouin, son nouvel avocat, familier des affaires terroristes, qui étudie les 27 tomes de l’instruction depuis juin. Mis en examen après 92 heures de garde à vue pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, Adlène Hicheur travaillait au Cern, l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire.

Franco-algérien, il a grandi en France et étudié dans les plus grandes universités européennes : École Normale Supérieure de Lyon en master, Laboratoire Rutherfort Appleton pour son post-doctorat. Il est accusé d’avoir posté des messages sur des “forums islamistes” et échangé des messages privés avec un cadre d’Al Qaida au Maghreb Islamique (Aqmi). La Direction Centrale du Renseignement Intérieur (DCRI) affirme qu’il s’agissait de Mustapha Debchi, un ingénieur en électronique arrêté en février 2011 par les autorités algériennes dans une vaste opération menée contre l’organisation islamiste.

A ce jour, aucun élément concret n’a été ajouté au dossier d’instruction par le service de contre-espionnage. Aucune adresse IP, rien qui permette de vérifier l’identité d’un mystérieux “Shadow Phoenix”, connu aussi sous le nom “Eminence grise”, derrière lequel se cacherait Mustapha Debchi, selon les dires de l’accusation.

La commission rogatoire adressée à l’Algérie au printemps 2010 n’a pas non plus donné de résultats. Une situation paradoxale, plus de six mois après l’arrestation de l’interlocuteur supposé d’Adlène Hicheur. “La coopération avec l’Algérie n’est pas très bonne en général, sauf quand des intérêts communs sont partagés ce qui est le cas ici selon l’accusation. Le dossier est présenté comme explosif” rappelle Me Baudouin.

Pièces à décharge

Le jour de l’interpellation, le 8 octobre, Adlène Hicheur s’apprêtait à partir en Algérie où il est né et a vécu jusqu’à l’âge d’un an. Comme le confirme son billet d’avion dont OWNI a pu consulter une copie, il avait pris un retour le 15 octobre. Une pièce saisie par la police qui ne figure pas dans son dossier selon son frère, Halim Hicheur. Ce jour-là, les agents de police font une autre découverte : 13 000 euros en liquide glissés dans sa valise. Une somme destinée à construire une maison en Algérie avec un cousin, raconte Halim. Le devis d’un maçon était rangé dans la même pochette que le billet d’avion, une pièce à décharge qui serait portée disparue, assure-t-il. La provenance de ces 13 000 euros est transparente, selon ses défenseurs. Me Clément Bectarte, également en charge de sa défense, affirme qu’il s’agit d’économies faites sur son salaire versé par le Cern.

Le CERN est situé à cheval entre la France et la Suisse.

Son interpellation est intervenue après une surveillance électronique prolongée. Le 9 novembre 2010, lors d’une audience devant la Cour de Cassation, les conditions qui ont présidé à son arrestation ont été détaillées. Dans son arrêt, la Cour confirme le rejet des requêtes en nullité de la garde à vue déposées devant la chambre de l’instruction, une position très courante dans les affaires terroristes. Les magistrats écrivent :

La nécessité de le placer en garde à vue a été révélée par les investigations antérieures conduites par les enquêteurs spécialisés et notamment les surveillances des réseaux électroniques.

Une information qui fait écho à ce qu’avançait Le Figaro le 23 novembre 2009, deux semaines après l’arrestation, dans un article très bavard sur l’enquête en cours. Les moyens de la lutte anti-terroriste sur Internet sont précisés, citations des membres des services de renseignement à l’appui :

La traque est conduite (…) à partir de mots-clés, grâce à des logiciels spécialement conçus. En infiltrant également les forums de discussion, pour appâter les éventuels candidats à la guerre sainte.

Un cas rarissime

En plus d’être l’un des rares à être poursuivi pour activités terroristes sur Internet, Adlène Hicheur est le seul à avoir été arrêté dans cette affaire, le seul à être mis en examen dans une affaire d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Pour le moins incongru vues les charges retenues contre lui, relève son avocate Dominique Beyreuther qui le suit depuis le début. “Un cas rarissime” précise-t-elle. D’autant que le dossier n’a pas évolué depuis sa garde à vue alors qu’il est en détention provisoire depuis presque deux ans.

“Adlène Hicheur a coopéré avec la police et la justice pendant sa garde à vue” raconte Me Beyreuther. Il a reconnu avoir échangé des messages au printemps 2009 pendant sa convalescence suite à une hospitalisation. Quand son interlocuteur lui demande ce qu’il pense des attentats suicides, Adlène Hicheur répond qu’il n’y est pas favorable et parle d’attentats ciblés, contre Total par exemple ou le 27e bataillon de chasseur-alpins d’Annecy. Sans apporter plus de précisions de date ou de moyens mis en oeuvre. Pour Patrick Baudouin, ces propos, certes graves, ne traduisent aucun plan. Rien qui trahirait un passage à l’acte imminent, aucun “cadre pré-opérationnel” qui justifierait une arrestation. L’intention n’y est pas clairement exprimée. Me Baudouin conclut :

Les services ont agi de façon préventive.

Un propos en résonance avec ceux tenus par Bernard Squarcini, directeur de la DCRI, qui déclarait en septembre 2010 : “Notre dispositif [anti-terroriste] nous permet de pouvoir anticiper et de neutraliser préventivement des projets terroristes.”

La lutte anti-terroriste française a été épinglée à plusieurs reprises par les organisations de défense des droits humains. Dans un rapport paru en 2008, l’ONG Human Rights Watch affirme :

La formule ouvertement extensive du délit d’association de malfaiteurs a conduit à des condamnations basées sur des preuves ténues ou sur de simples présomptions.

Deux ans après son arrestation, Adlène Hicheur est toujours en détention provisoire malgré les nombreux recours de remise en liberté déposés par ses avocats. Des refus motivés par des raisons générales : empêcher les reprises de contact, prévenir le renouvellement d’infraction. Tous les quatre mois au moins, il passe devant le juge d’instruction pour un nouvel interrogatoire. Le dernier, début juillet, a duré 20 minutes.


Crédits Photo FlickR CC by-nc-sa Su Morais / by-nc-sa Pixelhunt // Wikimedia Commons CC by-sa Rama

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Djouhri contre Péan le match de la rentrée http://owni.fr/2011/06/21/djouhri-contre-pean-le-match-de-la-rentree-dcri-elysee/ http://owni.fr/2011/06/21/djouhri-contre-pean-le-match-de-la-rentree-dcri-elysee/#comments Tue, 21 Jun 2011 13:55:20 +0000 Guillaume Dasquié http://owni.fr/?p=71182 Un livre en cours d’écriture préoccupe les pontes de la DCRI, les services de sécurité français. Le prochain document d’enquête de Pierre Péan racontera les relations complexes entre les éminences grises de l’UMP et l’homme d’affaires Alexandre Djouhri. À paraître chez Fayard à l’automne prochain, l’ouvrage promet de tout dire des services rendus par ce négociant de haut vol au passé sulfureux. Et de son entregent au sein des cercles élyséens.

En 2007, peu après la présidentielle, Alexandre Djouhri nous avait confié sa sympathie pour Nicolas Sarkozy, qu’il affirmait avoir rencontré. Cette période correspond au transfert d’une partie de ses activités à Londres, avec la création d’une société dénommée Adenergy. Mais selon les procès-verbaux de cette entreprise, que nous avons obtenus, les activités d’Adenergy seraient en sommeil depuis 2010.

Selon le site IntelligenceOnline (sur abonnement), la société aurait été utilisée pour préparer des accords industriels avec la Russie. Sur le papier, la trajectoire d’Alexandre Djouhri a de quoi éveiller la curiosité. Entre les années troubles et la période faste au contact du gotha de la finance, sa route a croisé celle de quelques policiers de renom, de la crim’ ou des services de renseignement. Tels l’ex commissaire Charles Pellegrini ou l’ancien agent des RG François Casanova. Selon une enquête fouillée parue dans Libération, sa première apparition dans un fichier de police remonterait à 1981, pour une attaque à main armée (il avait alors 22 ans).

Plus tard, un rapport de la Brigade criminelle du 21 août 1989, dont nous avons obtenu une copie, le cite abondamment dans une affaire de règlement de compte, où il est présenté comme la cible d’un tueur à gage. Dans ce document, les flics de la crim’ écrivent que le comédien Alain Delon aurait passé un contrat pour faire éliminer Djouhri – une hypothèse jamais étayée. A contrario, à la même époque, une visite chez un proche d’Alexandre Djouhri aurait permis aux policiers de découvrir des plans très détaillés d’une propriété du comédien. L’affaire en serait restée là, en tout cas dans les archives de la justice.

Depuis 1989, la police aurait pu l’oublier. Pourtant, entre l’adulescence agitée d’Alexandre Djouhri et sa réussite dans les affaires, ce sont bien des fonctionnaires de la Direction générale de la police nationale (DGPN) qui tracent comme un fil conducteur.

Bernard Squarcini, actuel directeur de la DCRI et serviteur fidèle de Nicolas Sarkozy, a rédigé en décembre 2005 une sorte de lettre de moralité au profit d’Alexandre Djouhri. Un geste gratuit ou une contrepartie ? Et contre quels services ? Rendus à qui ? À la République ou l’UMP ? De nos jours, à 52 ans, Alexandre Djouhri vit dans le très chic quartier de la rue de l’Athénée à Genève et gère un carnet d’adresse prestigieux. Tandis qu’à Levallois, au quartier général de la DCRI, Bernard Squarcini, s’intéresse au livre de Pierre Péan. Avec une pointe d’anxiété. Rien de plus. L’approche d’un changement de pouvoir, ça vous rend le subalterne fébrile.

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