OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Les eaux troubles de Châteaud’eau http://owni.fr/2011/07/07/eau-chateaudeau-danone-sante-bacterie/ http://owni.fr/2011/07/07/eau-chateaudeau-danone-sante-bacterie/#comments Thu, 07 Jul 2011 16:53:48 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=73008 L’entreprise Châteaud’eau, célèbre distributeur de fontaines d’eau pour les entreprises et les collectivités, a mis sur le marché deux importants stocks de bonbonnes contenant des éléments toxiques. Contrairement aux préconisations de son laboratoire d’analyse, la société les a commercialisés alors qu’ils contenaient la Pseudomonas aeruginosa, une bactérie potentiellement dangereuse, voire mortelle pour les personnes à la santé fragile.

Les faits que nous révélons remontent à l’année 2007. Selon les documents obtenus par OWNI, à cette période, la qualité des bonbonnes de Chateaud’eau (à l’époque propriété du groupe Danone) était contrôlée par un laboratoire interne à l’entreprise. Or, en date des 28 et 29 juin, les analyses bactériologiques de ses experts signalent que les lots produits dans l’usine Passy de Chateaud’eau sont non conformes. En cause: la présence de la bactérie Pseudomonas aeruginosa dans les échantillons prélevés.

Une découverte qui aurait dû conduire la société Chateaud’eau à ne pas vendre le stock incriminé (à raison de plus de 500 bonbonnes de 20 litres d’eau scellées par heure, chaque stock journalier peut compter de 4000 à 5000 bonbonnes). Or, malgré l’avis de la laborantine (que nous avons contactée mais qui n’a pas souhaité être citée), le stock en question a bien été livré aux clients. Et « à la demande de la direction générale », comme le mentionnent les documents ci-dessous:

Contactée par OWNI, la société Châteaud’eau n’a pas donné suite à nos sollicitations.

Superbactérie

En France, au titre de la santé publique, les critères d’évaluation microbiologique sont fixés par le gouvernement, en application des directives européennes. Concernant la qualité des eaux de boisson, l’arrêté du 14 mars 2007 ne laisse aucune ambiguïté. Il exige que la Pseudomonas aeruginosa soit totalement absente des échantillons d’eau examinés. Soit zéro tolérance par 250 ml d’eau observés; comme les entérocoques et Eschierichia coli, ainsi que le précise le tableau annexé à l’arrêté de mars 2007.

Bien connue des milieux hospitaliers et de la petite enfance, la Pseudomonas aeruginosa est identifiée parmi les agents responsables de nombreuses maladies nosocomiales : anodine pour certaines personnes en bonne santé, elle peut se révéler redoutable chez les personnes immunodéprimées (dont le système immunitaire est affaibli, par la maladie, un traitement, la grossesse, l’âge, etc.).

Après lui avoir présenté les éléments dont nous disposions sur les bonbonnes Châteaud’eau, le Dr Francis Glemet, porte-parole de la Coordination nationale médecine, santé environnement (CNMSE) et pharmacien industriel en retraite, nous a décrit les risques encourus :

Chez les personnes immunodéprimées, la bactérie induit un risque d’infection septique : infection rénale, infection urinaire, septicémie… Quand le germe est installé dans une infection, elle se remultiplie toutes les 20 à 30 minutes et, si un traitement adapté n’est pas prescrit dans les meilleurs délais, elle devient très difficile à déloger. Dans le cas des infections respiratoires, la dégradation peut être très sévère et, dans certains cas, mortelle.

Bonbonnes à eau, bouillons de culture

Scellées et parfois stockées pendant de longues durées, les bonbonnes pour fontaines d’entreprise constituent selon ces chercheurs un « bouillon de culture » propice au développement des bactéries. Raison pour laquelle la plupart des hôpitaux ont renoncé à ce système, comme l’explique une syndicaliste CFDT de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris :

Nous n’avons plus recours aux fontaines à eau à bonbonnes depuis plusieurs années : la plupart des patients ne s’en servaient pas, ce qui pouvait amener une même bonbonne à rester plusieurs mois en place, ce qui comporte des risques sanitaires non négligeables. Désormais, nous utilisons des fontaines réfrigérantes qui ont l’avantage de pomper sur le circuit d’eau courante et donc d’éviter la stagnation.

Installé à l’époque dans le XVIe arrondissement de Paris, Chateaud’eau avait obtenu une autorisation de pompage dans la nappe de l’Albien, à 700 mètres de profondeur. Une nappe reconnue pour sa pureté exceptionnelle du fait du long filtrage par les couches successives de roche. La source était à l’époque contrôlée par le Crecep, organisme public de contrôle de l’eau (depuis intégré à la régie municipale Eau de Paris). Or, comme le montrent les analyses (voir ci-dessous), ni le mauvais goût de l’eau, ni la présence de pseudomonas ne peuvent s’expliquer par la source à laquelle était pompée l’eau.

Selon une source interne, il s’agirait en fait du procédé de lavage des bonbonnes d’eau (récupérées après usage) qui comporte des risques de contamination. Une contamination que la direction générale de Chateaud’eau a décidé d’ignorer, peut-être influencée par un printemps caniculaire et les prévisions d’un été très chaud. Une chaleur à boire n’importe quoi.


Illustrations CC FlickR PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales Earl – What I Saw 2.0

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Une phrase copyrightée dans la bactérie de Craig Venter? http://owni.fr/2011/04/04/une-phrase-copyrightee-dans-la-bacterie-de-craig-venter/ http://owni.fr/2011/04/04/une-phrase-copyrightee-dans-la-bacterie-de-craig-venter/#comments Mon, 04 Apr 2011 09:43:39 +0000 Admin http://owni.fr/?p=34444 Jusqu’où peut aller se nicher le copyright ? Même dans l’infiniment petit, au cœur de l’ADN d’une bactérie, c’est ce que l’on constate dans ce très beau cas de CopyrightMadness, signalée sur Twitter par @grimmelm.

En mai 2010, le généticien américain Craig Venter s’est illustré en donnant naissance pour la première fois à une cellule « synthétique », dont le génome a été produit de manière artificielle par un ordinateur. Cette prouesse ne manqua pas de déclencher une tempête de questions éthiques, mais aussi… juridiques, par un biais détourné surprenant.

Cette « créature » était en effet issue de l’ADN d’une bactérie très simple – Mycoplasma mycoides -, mais pour différencier leur œuvre de synthèse de l’ADN original, Craig Venter et son équipe décidèrent d’introduire dans les séquences de code des éléments distinctifs, comme une sorte de « signature » :

Un travail soigné et signé, car pour distinguer le génome artificiel de son modèle naturel, les chercheurs se sont amusés à glisser dans le génome synthétique des séquences de lettres qui nomment les auteurs de l’étude ou donnent l’adresse de leur site web… à la manière des informaticiens qui signent leurs programmes de lignes de codes maison.

C’est à propos de ce geste prométhéen que le copyright est revenu poindre le bout de son nez, car parmi ces séquences de lettres, Craig Venter utilisa une citation, tirée de Portrait de l’artiste en jeune homme de James Joyce, fort bien choisie au demeurant :

To live, to err, to fall, to triumph, to recreate life out of life.

Or, après avoir communiqué sur cette forme de « citation génétique », Craig Venter eut la mauvaise surprise de recevoir une assignation de la part de Joyce Estate, organisme chargé de défendre les intérêts des héritiers de l’auteur, lui reprochant d’avoir fait une utilisation de l’œuvre, sans autorisation ! Les ayant droits de Joyce sont réputés pour lancer des attaques particulièrement abusives sur la base de la violation de copyright et Emmanuel Pierrat leur consacre un chapitre croustillant dans son ouvrage « Familles, je vous hais : les héritiers d’auteur » .

Craig Venter s’est défendu en invoquant le fair use - l’usage équitable -, disposition de la loi américaine qui permet dans certains cas d’utilisation d’extraits sans violation, à condition de ne pas menacer l’exploitation de l’œuvre.

Mais les choses ne s’arrêtent pas là ! Dans une autre séquence du code, Craig Venter utilisa une autre citation, du physicien Richard Feynam :

What I cannot build, I cannot understand.

Or l’Université où enseigna Feynman a a fait remarquer, preuve à l’appui, que la citation a été déformée et que la phrase exacte était : « What I cannot create, I do not understand.” Reconnaissant son erreur, Venter annonça qu’il allait… modifier le code de la bactérie, pour corriger cette coquille « génographique » !

Si la parade du fair use semble pouvoir fonctionner aux Etats-Unis, on peut se demander ce qui aurait pu se passer si Venter avait été attaqué en France, car de ce côté-ci de l’Atlantique, c’est l’exception de courte citation qui s’applique, et les juges ne l’admettent que lorsque la citation est incorporée à une « œuvre citante ». Peut-on considérer une bactérie comme une œuvre de l’esprit ? Et une œuvre citante, qui plus est ? Certainement pas, mais pour son code génétique, c’est une autre affaire, car celui-ci n’est pas si éloigné d’un logiciel (c’est d’ailleurs un ordinateur qui a codé le génome de la bactérie). Or les logiciels sont considérés par la loi française comme des œuvres de l’esprit protégeables par le droit d’auteur. Finalement, la question – absurde au premier abord – n’est peut-être pas si incongrue…

A moins que l’on ne considère que ce n’est pas l’œuvre en tant que telle qui a été utilisée, mais de simples informations, contenues dans les suites de lettres. Or l’information brute reste libre et ne peut être appropriée par le biais du droit d’auteur.

Et maintenant, le meilleur ! Sur son fil Twitter, @Blank_TextField signale qu’un des descendants de James Joyce – Stephen – est l’auteur d’un ouvrage intitulé « Teaching an anthill to fetch : developing collaborative intelligence @ work« , placé… sous licence Creative Commons ! Une philosophie bien mal illustrée par l’agressivité judiciaire de Joyce Estate…

***

Vous pouvez retrouver ce cas dans le pearltrees CopyrightMadness, que j’alimente avec quelques autres, et il n’est pas impossible que j’écrive un billet de temps en temps pour relater les délires du Copyright.

>> Article initialement publié sur S.I. Lex en Creative Commons Attribution

>> Photos FlickR Creative Commons Attribution JohnGoode et AttributionNoncommercialShare Alike wudzy.

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Des bactéries qui ne perdent pas le Nord http://owni.fr/2011/02/28/des-bacteries-qui-ne-perdent-pas-le-nord/ http://owni.fr/2011/02/28/des-bacteries-qui-ne-perdent-pas-le-nord/#comments Mon, 28 Feb 2011 16:24:51 +0000 Benjamin http://owni.fr/?p=34162 Mon histoire commence au milieu des années 70 avec un jeune étudiant en thèse, Richard Blakemore, qui étudiait des populations de bactéries que l’on trouve dans les boues et sédiments au fond des océans, des lacs ou des marais. Ayant placé un échantillon sous le microscope, Blakemore observa que certaines bactéries, motiles (se déplaçant grâce à leur flagelle), se déplaçaient toutes dans la même direction. Ceci n’a en soi rien d’inhabituel ; dans une goutte de liquide montée entre lame et lamelle, il existe souvent des flux causés par l’évaporation, la capillarité… De même, le chimiotactisme (ndlr : mouvement orienté vers ou à l’opposé d’une substance chimique), courant chez les bactéries, leur permet de s’orienter en fonction d’un gradient de concentration.

La grande inspiration de Blakemore, peut-être intrigué par la constance du mouvement, fut de répéter l’observation en différents endroits ou en changeant l’orientation du microscope, et les bactéries continuaient de nager dans la même direction, non par rapport à la lame, mais par rapport au laboratoire! Ayant écarté l’hypothèse d’une orientation par la lumière, Blakemore suspecta puis démontra à l’aide d’un aimant que le mouvement de ces bactéries était orienté par les champs magnétiques, même faibles . Cette découverte étaient complètement inattendue, ainsi que l’écrit Blakemore lui-même : I wish to emphasize that this was a completely unexpected finding. Voilà un bel exemple de sérendipité!

Si une illustration plus moderne du phénomène vous intéresse, la vidéo ci-dessous montre une suspension de ces bactéries « magnétotactiques » (MTB en anglais) dont le mouvement est influencé par l’application d’un champ magnétique (la direction est donnée par la boussole en haut à gauche de l’écran).

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Il existe donc des bactéries « magnétotactiques » dotées de la faculté de sentir les champs magnétiques, et au premier chef le champ magnétique terrestre. Comment est-ce possible?

Les vrais inventeurs de la boussole

Il faut noter que ces bactéries sont souvent rétives aux techniques de culture traditionnelles (un peu comme les pandas qui ont du mal à se reproduire en captivité, mais en plus petit), ce qui ne facilite pas leur étude d’un point de vue moléculaire. En revanche, leur intéressante propriété magnétotactique permet d’enrichir facilement des échantillons, par exemple en les attirant vers le fond d’un tube au moyen d’un aimant, puis en retirant le surnageant. Les préparations obtenues, relativement denses en bactéries, se prêtent bien à l’observation microscopique.

Après en avoir isolé suffisamment, Blakemore observa ainsi que ses bactéries magnétotactiques renfermaient des particules de fer entourées d’une membrane, alignées les unes à la suite des autres ; ces organites furent bientôt baptisés « magnétosomes », car ils sont effectivement à l’origine des propriétés magnétotactiques des bactéries. Par un mécanisme soigneusement régulé, les MTB prélèvent dans leur milieu des ions fer Fe3+ (soit une forme très oxydée du fer), qu’elles réduisent pour former de la magnétite Fe3O4 ou dans certains cas de la gréigite Fe3S4 (le soufre jouant un rôle analogue à celui de l’oxygène). Ces minéraux se comportent comme des aimants, et donc les magnétosomes comme l’aiguille d’une boussole, orientant la bactérie le long des lignes de champ magnétique. Le flagelle placé à un pôle lui confère sa mobilité et fait le reste.

Les bactéries ont donc une propriété étonnante, celle d’avoir inventé et utilisé la boussole quelques millions d’années avant les Chinois.

Comme dirait un physicien, les bactéries magnétotactiques se déplacent le long des lignes de champ magnétique, que l’on peut matérialiser au moyen d’un aimant et de limaille de fer :

Or, pour une bactérie le champ magnétique le plus significatif est le champ terrestre, équivalent à celui généré par un dipôle orienté Nord-Sud (surprise!) qui se situerait au centre de la Terre. Les lignes de champ se dessinent donc ainsi autour du globe :

Partir vers les pôles pour aller en profondeur

Et c’est là que réside l’astuce, que vous avez peut-être déjà devinée en voyant le barreau aimanté et la limaille de fer : lorsque l’on est dans l’hémisphère Nord, suivre une ligne de champ vers le Nord ce n’est pas seulement aller vers le Nord, c’est aussi… descendre ! L’intérêt des MTB serait-il de changer d’altitude plutôt que d’aller vers un des pôles ?

On commence à le subodorer si l’on observe que dans l’hémisphère Nord les MTB « cherchent » le Nord (leur objectif final n’est donc pas de suivre une ligne de champ), et surtout en considérant leur métabolisme. En effet, les MTB sont pour la plupart des organismes anaérobies ou microaérophiles, c’est-à-dire qu’elles ont besoin au maximum d’un peu d’oxygène pour vivre. Au passage, c’est un mode de vie qui cadre bien avec la capacité à minéraliser du fer dissous, car en général corrélé avec un environnement réducteur. Or, ces bactéries aquatiques ne trouvent ces conditions qu’en s’enfonçant dans le sédiment du fond de l’eau, et pour cela, il leur suffit de suivre leur boussole! Cette hypothèse a été rapidement corroborée par la découverte de bactéries cherchant le Sud dans l’hémisphère Sud , donc cherchant elles aussi à descendre.

Des bactéries magnétotactiques à deux sens

Il faut tout de même introduire une nuance importante. En effet, j’ai un peu simplifié les choses : il existe des MTB « à deux sens » qui ne se contentent pas d’aller vers le Nord ou le Sud, mais qui changent brusquement de direction. Il semble donc que le magnétotactisme soit couplé à l’aérotactisme (réponse à la variation de la concentration d’oxygène), ou à d’autres tactismes qui intéressent la bactérie. Ainsi, l’exploration de l’espace par les bactéries est restreinte à une dimension (car les bactéries restent le long des lignes de champ magnétique), et le second tactisme intervient pour stimuler ou ralentir le mouvement selon les conditions locales, en général la concentration en oxygène.  La « polarité » des ces MTB versatiles est donc donnée par la direction qu’elles prennent lorsque la concentration en oxygène est trop élevée pour leur métabolisme.

Des mystères troublant demeurent néanmoins. En particulier, je me demande comment font les MTB qui se divisent pour savoir de quel côté de la boussole elles doivent assembler leur flagelle. J’ai deux hypothèses simples qui évitent de faire appel à une régulation magnétique de l’assemblage des protéines : (1) le flagelle est assemblé en fonction d’informations héritées de la division, comme « nouveau pôle » et « pas de flagelle dans la cellule », donc au bon endroit mais indépendamment des magnétosomes, ou (2) le flagelle est assemblé indifféremment au Nord ou au Sud de la bactérie, ce qui amène 50% de la population à se suicider après un fol envol vers la surface dans un feu d’artifice d’oxygène. Ne resterait alors que la population « bien orientée » !

Plus troublant encore, des chercheurs ont récemment identifié une bactérie habitant un lac salé de l’hémisphère Nord et nageant frénétiquement vers le Sud alors qu’elle était soumise à des concentrations d’oxygène élevées . C’est l’inverse de ce que l’on pouvait attendre, compte tenu de l’ensemble des observations précédentes et de la jolie théorie exposée ci-dessus, au point que l’article a été publié dans Science… Apparemment, cette anomalie serait lié à l’habitat très spécifique, un lac salé dont les eaux sont très stratifiées pendant une partie de l’année, ce qui change les gradients d’oxygène, de potentiel d’oxydo-réduction… ce qui amène les auteurs à conclure que de nouveaux modèles doivent être construits pour expliquer le comportement de ces étranges bactéries, et en particulier qu’il conviendrait désormais de les étudier dans des conditions plus naturelles que celles couramment utilisées au laboratoire .

Article initialement publié en 2 parties (1 et 2) sur le Bacterioblog

Photo FlickR CC : daynoir

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Intoxication médiatique à l’arsenic http://owni.fr/2011/01/12/intoxication-mediatique-a-larsenic/ http://owni.fr/2011/01/12/intoxication-mediatique-a-larsenic/#comments Wed, 12 Jan 2011 11:07:04 +0000 malicia http://owni.fr/?p=33894 Il s’agit d’une traduction en français du billet “Arsenic life is one month old…”.

Le bébé Arsenic a un mois… En effet, une longue vie pour un mort-né. Revenons sur cette histoire honteuse.

Que s’est-il passé au début ? Eh bien, ça a véritablement commencé en 2008, pas en 2010 : Martin Reilly du New Scientist avait écrit sur la vie basée sur arsenic. Comme l’écrit Antoine Danchin dans son récent article paru dans le Journal of Cosmology :

Comme un cadeau pour la nouvelle année, de retour en 2008, une prophétie est apparue comme un examen par les pairs avant publication. Dans ce document, il était prévu que l’arsenic se retrouve dans le squelette des acides nucléiques des organismes vivants, en remplaçant le phosphore omniprésent. La prophétie, comme c’est souvent le cas avec ce type de croyances, a également suggéré un endroit sur Terre où cela se produirait : le lac Mono en Californie (Wolfe-Simon et al., 2008.). Le 6 avril 2008, cette prophétie a été communiquée au monde par un magazine de vulgarisation scientifique (Reilly, 2008). Maintenant, à la fin de 2010, comme cadeau de Noël (en Europe continentale, le 2 décembre), la NASA a publié un communiqué de presse sensationnel heureuse d’annoncer que, oui, la prophétie se réalisait, et non sur une planète exotique, mais sur notre vieille mère Terre et exactement à l’endroit où cela était prévu de se produire (Wolfe-Simon et al., 2010).

En effet, comme vous avez pu l’entendre, cette histoire était vraiment hype pendant un certain temps. Toutefois, des préoccupations assez graves sont rapidement apparues. La critique la plus brillante, extrêmement bien documentée et solide a été de Dr Rosie Redfield, microbiologiste à l’Université de British Columbia. Elle a dressé une longue liste de problèmes dans le papier et l’a qualifié de « beaucoup de charlataneries, mais très peu d’informations fiables ». Parmi les problèmes cités, remarquons  le phosphore présent dans des concentrations très élevées dans le milieu de culture des bactéries ainsi que le manque total de vérification que les bactéries ne l’absorbent pas, et une analyse incorrecte de l’ADN censé être composé d’arsenic.

Le même jour, Alex Bradley, un géochimiste et microbiologiste à l’Université de Harvard, soulevait une autre préoccupation, à savoir l’instabilité dans l’eau des composés contenant de l’arsenic. Il a également mentionné la mauvaise analyse de l’ADN et a rappelé que la spectrométrie de masse aurait dû être utilisée afin de clore le débat étant donné que cette technique est une façon très précise de déterminer quels sont les éléments contenus dans une molécule.

Davantage de commentaires ont été postés ici et là et on aurait pu penser que la NASA prenne au sérieux les inquiétudes de la communauté scientifique. Étonnamment (au moins pour moi), que nenni. Au contraire, Dwayne Brown, leur principal chargé des affaires publiques, a déclaré que le papier a été publié dans une revue à facteur d’impact très élevé (le facteur d’impact de Science est supérieur à 30) et a précisé, d’une manière assez condescendante, que le débat entre chercheurs et blogueurs n’est pas approprié. Wolfe-Simon a également gazouillé que la « discussion sur les détails scientifiques DOIT être menée dans un lieu scientifique afin que nous puissions donner au public une compréhension unifiée. ». En d’autres termes, les blogueurs scientifiques ne sont pas des pairs, leurs analyses ne valent rien.

Mais cette histoire honteuse ne s’arrête pas là. Après que Carl Zimmer a titré « Ce papier n’aurait pas dû être publié » dans Slate, Ivan Oransky a contacté Dwayne Brown de la NASA. Et sa réponse a été vraiment surprenante :

Le vrai problème est que le monde de l’information a changé en raison de l’Internet / des blogueurs / médias sociaux, etc. Un terme “buzz” tel que EXTRA-TERRESTRE provoquera quiconque possède un ordinateur à dire tout ce qu’il veut ou ressent. LA NASA N’A RIEN GONFLÉ DU TOUT — d’autres l’ont fait. Les médias crédibles n’ont remis en question aucun texte de la NASA. Les blogueurs et les médias sociaux l’ont fait… … … c’est ce qui fait  que notre pays est grand — LA LIBERTÉ D’EXPRESSION.

La discussion porte maintenant sur la science et les prochaines étapes.

Cette interjection dessert définitivement la NASA … Comme cela ne suffisait pas, Ivan Oransky soulignait peu après que la NASA n’a pas suivi son propre code de conduite.

Beaucoup de gens ont réagi au point de vue condescendant selon lequel les blogueurs ne sont pas des pairs. Permettez-moi de citer David Dobbs, le plus éloquent (selon moi) :

Rosie Redfield est un membre actif de la communauté scientifique et un chercheur dans le domaine en question. [...] Redfield Rosie est un pair, et son blog est un examen par les pairs.

Comme vous l’avez probablement deviné, la NASA et le Dr Wolfe-Simon ont refusé de répondre aux critiques. Dans une déclaration sur son site web, Wolfe-Simon s’est félicité du « débat animé » et a invité les chercheurs à adresser leurs questions à la revue Science « aux fins d’examen pour que nous puissions répondre officiellement ». Eh bien, le Dr Rosie Redfield avait déjà préparé sa copie. Cette saga a continué le 16 décembre : même si le Dr Wolfe-Simon avait répondu à certaines questions, les réponses n’étaient pas satisfaisantes ; un grand nombre de défauts techniques ont encore besoin d’éclaircissement.

Le moment de sobriété est venu. Comme vous avez pu le remarquer, je ne me suis pas lancée dans un catalogue à la Prévert des critiques scientifiques adressées à cette étude : ce n’est pas mon but ici et d’autres l’avaient déjà brillamment fait ailleurs. Il y a néanmoins deux problèmes d’une autre nature que je voudrais pointer ici : l’un concerne les scientifiques et l’autre — les journalistes scientifiques.

Alors, chers collègues, comment est-il possible d’avoir publié ce genre de papier ? Les pairs, lors du processus de revue, ont-ils énoncé des commentaires critiques ? Combien de scientifiques n’ont pas remarqué à la lecture du papier publié que l’ADN prétendument fait de l’arsenic est amplifié par une polymérase classique avec quelques amorces universelles ? Combien ont remarqué que cette bactérie a été signalée dans Wolfe-Simon et al. (2010) comme étant de la famille Halomonadaceae ? On a donc pu faire une analyse phylogénétique d’un ADN soi-disant contenant de l’arsenic et de plein d’autres ADN contenant du phosphore et cela ne choque personne… On a analysé un bout de gel et basta, c’est de l’arsenic ? Les gens de la NASA ont prétendu qu’ils n’avaient pas l’argent de faire de la spectro de masse et on a avalé ça, soit ; faire une séparation des ADN sur un gradient continu de chlorure de césium, c’est un peu old school, mais ça ne ment pas… Comment les gens respectables et critiques ont pu laisser cette sorte d’étude, digne d’un stage de licence qui a mal tourné, sortir dans un journal et qui plus est, un journal tel que Science ? Est-il acceptable que de la recherche soit faite avec des communiqués et conférences de presse plutôt qu’avec des données et de la rigueur ? Comment est-il possible que des chercheurs aient accepté que les critiques de leurs collègues soient écartées sous le seul prétexte qu’elles sont écrites sur un blog ? Ces questions portent donc toutes sur la garantie inhérente à l’examen par les pairs et à l’éthique scientifique…

“Est-ce que cette bête folle de l’arsenic — autrefois un extra-terrestre — est un chien?”, demandait David Dobbs. Combien d’entre vous, les journalistes scientifiques, ont écrit une critique ? Combien ont vu qu’il y avait quelque chose de louche dans cette histoire ? Et combien parmi vous ont osé écrire vos doutes ? Comme dans le cas plus haut, beaucoup ont pris pour argent comptant ce qui vient de la NASA et de Science. Il n’est pas question de flagellation ici, mais seulement d’une tentative de rendre les gens conscients qu’il faut garder un esprit critique tout le temps quand ils apportent des informations à des tiers.

L’idée que l’arsenic ait pu remplacer le phosphore comme un élément central des acides nucléiques n’aurait jamais dû être publiée dans une revue scientifique. Cependant, les auteurs ne doivent pas supporter tout le poids de la faute. La nature de la science est de mener des expériences avec des contrôles appropriés et d’obtenir des résultats. Pour être communiqués à d’autres chercheurs, ces résultats devront être rédigés et présentés sous la forme d’un article à une revue scientifique aux fins d’examen par les pairs.

Malheureusement, en raison de la compétition pour les ressources financières limitées, une hiérarchie a été progressivement mise en place, avec quelques journaux considérés comme plus importants que d’autres en raison de l’impact qu’ils ont sur leurs lecteurs. Faute d’une bonne formation scientifique, de nombreux journalistes ont tendance à prendre les facteurs d’impact des revues comme une preuve de qualité scientifique. Ce n’est pas le cas, malheureusement. Et le plus souvent, comme on le voit dans la situation actuelle, des revues de haut niveau ont échoué dans les responsabilités de base requises pour une revue scientifique et ont ensuite participé à une campagne de publicité trompeuse et étrange qui a eu pour résultat de duper le public. Dans un contexte de perte croissante de confiance dans la science et les scientifiques, cela aura des conséquences les plus dommageables. (Antoine Danchin)

« Science and Arsenic Fool’s Gold: A Toxic Broth », Antoine Danchin, Journal of Cosmology, 2010, Vol 13, 3617-3620. http://journalofcosmology.com/Abiogenesis123.html

« A Bacterium That Can Grow by Using Arsenic Instead of Phosphorus », Felisa Wolfe-Simon et al., Science 2010. http://www.sciencemag.org/content/early/2010/12/01/science.1197258.

>> Image : FlickR CC : Gary Hayes et Wikimédia Commons (domaine public)

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La bactérie incorporant de l’arsenic, une nouvelle forme de vie? http://owni.fr/2010/12/04/une-nouvelle-forme-de-vie-la-bacterie-incorporant-de-l%e2%80%99arsenic/ http://owni.fr/2010/12/04/une-nouvelle-forme-de-vie-la-bacterie-incorporant-de-l%e2%80%99arsenic/#comments Sat, 04 Dec 2010 14:12:11 +0000 Benjamin http://owni.fr/?p=33558 Titre original : Une bactérie remplace le phosphore par l’arsenic

Vous avez certainement eu vent d’une découverte récemment publiée dans Science, ayant trait aux bactéries et à l’évolution, que je me devais donc de relater dans ces pages, ainsi que le traitement étonnant qui en a été fait. Mais venons-en au fait : des chercheurs de la NASA ont identifié une bactérie capable d’incorporer de l’arsenic (As) à ses propres biomolécules en lieu et place du phosphore (P), dont il est chimiquement proche (ce qui explique au passage sa toxicité). L’étonnant n’est pas tant que la bactérie résiste à ce poison notoire, mais plutôt qu’elle arrive à se passer du phosphore, qui fait partie des quelques éléments majoritaires de la matière vivante, avec le carbone (C), l’oxygène (O), l’azote (N), le soufre (S) et l’hydrogène (H).

En effet, le phosphore est un composant essentiel des nucléotides, donc de l’ADN, de l’ARN et des petites molécules qui permettent les transferts d’énergie dans la cellule. Il participe également à la régulation de l’activité des protéines, sous forme de groupements phosphates qui se greffent sur ces dernières. Son effet sur la mémoire est plus discutable.

Comment mettre en évidence une propriété aussi fondamentale et inattendue que la substitution du phosphore par l’arsenic? Les chercheurs ont isolé des bactéries tirées des sédiments d’un lac salé, particulièrement riches en arsenic, pour les cultiver sur un milieu ne contenant que de l’arsenic et pas de phosphore, sélectionnant ainsi la propriété de substitution. Bravo! En bactériologie, quand on cherche, on trouve! La bactérie ainsi identifiée parvient à remplacer -presque totalement- le phosphore par l’arsenic dans son ADN ou dans ses protéines. Le changement de régime n’est pas sans conséquence pour la bactérie, qui devient un peu malade, grossit et se multiplie moins vite…

Mais tout de même, il s’agit d’une souplesse métabolique inédite, qui n’est probablement pas un accident, cette bactérie vivant dans un milieu riche en arsenic. Ces travaux soulèvent d’intéressantes perspectives en évolution (comment fonctionnaient les premiers métabolismes? comment un système aussi flexible a-t-il évolué?), mais aussi dans l’étude de la biodiversité : pour identifier de nouveaux organismes invisibles à l’oeil nu, on a recours à des techniques comme la PCR, qui présupposent un certain type de biologie (avec, au hasard, un ADN basé sur du phosphore). Désormais, lorsque l’on étudiera des environnement très originaux, on utilisera peut-être des techniques plus fastidieuses mais moins biaisées. Pour finir, la publication elle-même est assez courte, et je gage que les auteurs travaillent sur les mécanismes moléculaires et sur la séquence du génome, qui devrait leur valoir un ou deux Nature/Science de plus. Fait étrange, l’article ne contient pas une ligne sur les considérations exobiologiques qui ont fait bruisser Internet…

Mono Lake, Californie, où la NASA a découvert cette bactérie

La NASA a apparemment fait une certaine publicité à cette découverte (doux euphémisme), générant une certaine attente du public quant à la possibilité d’une vie sur d’autres planètes, ainsi que le soulignent mes camarades d’En Quête de Sciences. Pendant ce temps, sur le webcomic xkcd, on s’interroge au sujet des conséquences de cette attente sur la conférence de presse.

Pour ma part, j’aimerais que l’on abandonne cette perspective exobiologique, pour une simple raison : si l’on espère vraiment trouver une forme de vie extra-terrestre, il faudra faire des efforts d’imagination considérables, et ne pas avoir de préjugés comme « houla! ne cherchons pas sur cette planète, il n’y a pas de phosphore, que de l’arsenic! Pas de vie possible ici, en plus, c’est un poison bien connu! ». Les gars! Vous avez construit des fusées pour emmener l’homme sur la Lune et le ramener vivant, le tout à une époque préhistorique! Pas besoin d’une bactérie bien terrestre (qui préfère quand même le phosphore) pour chercher d’autres formes de vie sur d’autres planètes!

Ce n’est pas non plus la première fois que l’on spécule sur la substitution des éléments fondamentaux de la vie : je me rappelle d’un Science & Vie Junior de ma jeunesse (donc au siècle dernier) où il était question  d’une hypothétique forme de vie extraterrestre, , et dont la biochimie ne serait pas basée sur le carbone, mais sur le silicium, un élément aux propriétés voisines…. le tout accompagné d’une vue d’artiste de l’organisme en question, vaguement anguleux et insectoïde.

Laissez-moi vous faire part de quelques titres arrivés dans mon agrégateur de flux RSS :  »La vie comme nous ne la connaissions pas » (un titre facile à recycler),  »Une bactérie ouvre la voie à une cuisine alternative de la vie » (pourquoi pas),  »La Nasa laisse espérer une rencontre d’un nouveau type » (racoleur mais étrangement exact),  »Une forme de vie fondée sur l’arsenic » (un tout petit peu exagéré),  »Découverte d’une bactérie qui se nourrit d’arsenic » (pourquoi pas, mais le thème de la nourriture n’est pas des plus heureux). En particulier, la conclusion sur le site de France 24 fait un peu sourire :

Cette découverte permet d’établir une fois pour toutes que des formes de vie peuvent exister dans des environnements impropres à la survie de l’humanité. Cette bactérie constituerait la première preuve d’une forme de vie différente de la nôtre – une sorte d’évolution parallèle.

Pour en finir avec les variations sur le thème « une autre forme de vie », je rappelle tout de même qu’il s’agit d’une bactérie, faisant partie d’un phylum bien identifié (les gamma-Protéobactéries! le même qu’Escherichia coliwake up!), qu’elle est basée sur de l’ADN et des protéines, donc qu’elle fait partie de la grande famille du vivant que nous connaissons bien et qui descend probablement d’un unique ancêtre. Quant aux implications pour la recherche de la vie dans des milieux jugés inhospitaliers par pur anthropomorphisme, je ne vois rien de neuf depuis la découverte de l’anaérobiose, soit la vie en l’absence d’oxygène gazeux (1860?). Il existe bien des bactéries qui respirent l’arsenic! Bref, j’en ai r-As la casquette, et je ne veux même pas aller voir ce que ça donne sur Twitter.

Dans le fond, je dois être un rabat-joie ; quand il y a trop de buzz autour d’une publication (et souvent avant celle-ci), j’ai tendance à la trouver moins excitante! J’ai pas déjà écrit un truc sur les chercheurs qui en font trop?

Bonus : La vidéo faite par Science de la présentation de la découverte :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

>> Article initialement publié sur le Bacterioblog

>> Photos FlickR CC : NASA Goddard Photo and Video et NASA

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http://owni.fr/2010/12/04/une-nouvelle-forme-de-vie-la-bacterie-incorporant-de-l%e2%80%99arsenic/feed/ 3
Écologie: la terra incognita est juste sous nos pieds http://owni.fr/2010/10/25/ecologie-la-terra-incognita-est-juste-sous-nos-pieds/ http://owni.fr/2010/10/25/ecologie-la-terra-incognita-est-juste-sous-nos-pieds/#comments Mon, 25 Oct 2010 15:49:26 +0000 Timothée Poisot http://owni.fr/?p=33054 On attribue à Léonard de Vinci d’avoir dit qu’on connaît mieux le fonctionnement de l’espace que celui du sol sous nos pieds. Est-ce toujours vrai en 2010 ? Presque ! Pour les chercheurs en écologie microbienne, comprendre le rôle des communautés microbiennes du sol est la nouvelle terra incognita.

Y mettre pied pourrait sans doute changer notre compréhension du fonctionnement des écosystèmes, ce qui explique la quantité de résultats récents sur ce thème. Alors que nous commençons à peine à apprécier la mesure de cette diversité, en utilisant des méthodes de biologie moléculaire récentes, nous comprenons à quel point elle est nécessaire pour la vie des autres organismes, au premier rang desquels on trouve les plantes.

Un monde de bactéries

Qu’est-ce qu’une bactérie ? Un organisme unicellulaire, dépourvu de noyau, capable de doubler sa population en quelques heures. Mais surtout : un organisme qui évolue rapidement et dont les capacités d’improvisation dépassent l’entendement.

Une bactérie, c’est un grand transformateur de matière. Pour une molécule qui rentre, qui sait prédire (à part en regardant le génome !) ce qui sortira ? Ces transformations, du domaine de la biochimie, modifient l’environnement et permettent à toute un cortège d’espèces de se développer. Et ce raisonnement est tout aussi valable pour les différentes espèces de champignons qui coexistent avec les bactéries.

Une bactérie, c’est aussi dans le sol un organisme qui protège. En tapissant les racines des plantes, les bactéries bloquent l’accès des champignons phytopathogènes, qui par conséquent sont incapables de démarrer une infection.

Cette année, une équipe néerlandaise a publié dans la revue Ecology Letters (la plus prestigieuse des revues d’écologie) des résultats saisissants . En manipulant expérimentalement la diversité et la quantité de bactéries dans un sol, on observe que les interactions entre les plantes et leurs herbivores sont modifiées.

Non seulement les migro-organismes peuvent modifier la quantité et la nature des ressources disponibles par leur activité biochimique, mais ils vont aussi établir des interactions indirectes avec des organismes qui sont à des niveaux trophiques beaucoup plus élevés.

Qui se serait douté que les insectes devraient se soucier des bactéries ? On commence donc a réaliser que la clé vers une meilleur exploitation des sols n’est sans doute pas cachée au fond d’un bidon de pesticides, mais qu’elle pourrait être déjà contenue dans le sol lui même !

Une diversité utile

Cette diversité ne sert pas seulement à maintenir l’écosystème en service. Les industriels ont réalisé dans les dernières années que les bactéries étaient tout à fait capables de dégrader certaines molécules, comme les hyrocarbures, les pesticides et certains engrais. On peut donc exploiter cette capacité pour dépolluer des sols, ou des eaux.

Ces applications potentielles font que récemment, le sol et les bactéries deviennent un sujet sexy ! La preuve, l’exposition «Biodiversités » du CNRS consacre une large surface à cette « biodiversité invisible ». L’occasion pour chacun de réaliser qu’une bactérie, ce n’est pas seulement une nuisance qui résiste aux antibiotiques mais avant tout un organisme invisible à l’œil nu qui porte sur ses frêles épaules le poids de tout un écosystème.

Alors les bactéries, grandes régulatrices de l’écosystème ? Probable, mais elles ne sont pas exemptées de régulations elles-mêmes. Par exemple, on sait que les pollutions brusques peuvent modifier la « structure » de la communauté bactérienne, c’est-à-dire changer les espèces présentes, mais aussi leur proportion dans l’écosystème . Et pour ne rien simplifier, ces perturbations abiotiques sont en interaction avec les interactions biotiques qu’établissent les bactéries.

Ainsi, un résultat récent obtenu par une équipe de l’université d’Oxford montre comment, en fonction de la quantité de ressources disponibles, la présence de différents prédateurs (organismes qui consomment les bactéries, comme par exemple les protistes et certaines levures) aboutissent à des communautés composés d’espèces différentes, ce qui implique qu’elles ne rendent pas les mêmes services.

Les liens entre changement environnemental et interactions écologiques peuvent avoir des répercussions encore plus importantes. Dans un travail que nous avons réalisé à l’université Montpellier 2, et publié la semaine dernière dans Biology Letters , nous montrons que dans les milieux plus pauvres en ressources, les bactériophages (des virus qui s’attaquent aux bactéries) sont confrontés à un risque d’extinction plus important.

L’une des leçons de l’écologie des communautés de ces dernières années, c’est qu’un écosystème sans parasites fonctionne moins bien et risque de voir sa diversité diminuer : c’est un problème puisqu’on réalise que plus un écosystème est diversifié, plus il est fonctionnel.

Faire des prédictions dans un environnement changeant

Ces différents travaux ont en commun un point important. Les chercheurs commencent à rapporter les micro-organismes présents dans l’environnement au laboratoire. Après tout ce qu’on avait appris en écologie et en évolution expérimentale sur les systèmes microbiens, nous étions collectivement d’accord sur le fait que c’était la prochaine étape logique !
En ramenant dans un contexte contrôlé ces systèmes souvent complexes, nous avons la possibilité de suivre beaucoup plus en détail les différents mécanismes, et de placer ces communautés dans des « scénarios écologiques » différents. Quel meilleur cadre pour comprendre les conséquences des changements sur les communautés naturelles ? En dehors de l’aspect fondamental (la compréhension des mécanismes qui participent du fonctionnement de l’écosystème), les systèmes microbiens vont permettre de faire des prédictions sur l’évolution des interactions dans un environnement qui change.

Le sol, un nouvel horizon

Voilà la situation des chercheurs à l’heure actuelle. L’écologie est depuis quelques années en train de s’ouvrir à un nouvel horizon (le terme étant plus approprié que jamais, un horizon étant une couche du sol en pédologie). Pour assurer le maintien et le fonctionnement des plantes, des insectes, et de nos sociétés qui les exploitent, nous reposons sur les capacités d’une foule de micro-organismes, vivant par milliards dans un gramme de sol.

Il faut parier que dans les prochaines années, le déploiement de techniques de pointe utilisées pour comprendre ces interactions va s’intensifier. Mieux nous comprendrons la diversité du sol, comment elle apparaît, comment elle se maintient, et comment la préserver, et plus nous serons à même prévoir les impacts des changements environnementaux, et surtout de mettre à profit ce que la vie sait faire pour avoir de meilleurs pratiques dans notre exploitation des sols. En deux mots, l’écologie va vivre son grand retour à la terre…

Photos Flickr CC : Max Braun, estherase et pennstatelive.

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