OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Comment le Royaume-Uni renouvelle son éducation aux sciences http://owni.fr/2011/06/15/comment-le-royaume-uni-renouvelle-son-education-aux-sciences/ http://owni.fr/2011/06/15/comment-le-royaume-uni-renouvelle-son-education-aux-sciences/#comments Wed, 15 Jun 2011 11:39:59 +0000 Marion Sabourdy http://owni.fr/?p=35235 La main à la pâte. De son côté, le Royaume-Uni a lancé le National Science Learning Centre. Sir John Holman, son ancien directeur, nous le présente.]]> Du 6 au 8 mai derniers se tenait à Bruxelles la première conférence Scientix . Au programme : présentations, posters et rencontres autour de l’éducation scientifique en Europe. Entre deux tweets , nous avons interviewé Sir John Holman, un des hommes les plus actifs du Royaume-Uni dans ce domaine.

Quel est votre parcours ?

Je suis professeur dans le département de Chimie de l’Université de York (Royaume-Uni), mais ma spécialité principale est l’éducation aux sciences. J’ai été également directeur d’école pendant plusieurs années [ainsi que conseiller auprès du gouvernement britannique et concepteur de programmes scolaires]. En 2004, j’ai lancé le « National Science Learning Centre » [Centre national d’apprentissage des sciences] qui est dédié à la formation des enseignants de sciences. Je l’ai dirigé depuis son ouverture et viens tout juste de quitter ce poste.

Qu’elles sont les spécificités du « National Science Learning Centre » (NSLC) ?

Le NSLC est un genre différent de centre de sciences. Contrairement à la Cité des Sciences, à Paris, qui touche directement les enfants et leurs parents, notre centre n’est pas ouvert aux jeunes. Il permet aux enseignants en sciences (biologie, physique, mathématiques…) de primaire et de secondaire de tout le Royaume-Uni de venir se former professionnellement et ce, gratuitement. De ce que j’en sais, notre centre est le seul de ce genre en Europe. Et c’est également le plus gros. Il a coûté environ 40 millions d’euros pour l’installation et accueille 5000 enseignants par an en moyenne, encadrés par 60 personnes.

Quelle formation proposez-vous aux enseignants ?

Prenons l’exemple d’un groupe de professeurs de physique. Pour suivre une de nos formations, ceux-ci se déplaceront pendant trois jours dans notre centre. Nous disposons de notre propre hôtel et de notre propre restaurant. Pendant ce séjour, nous leur présenterons un aperçu des recherches en cours (par exemple les activités du CERN ou le domaine de la physique des particules). Ils suivront également des sessions sur les nouvelles expériences qu’ils peuvent présenter à leurs étudiants. L’idée est qu’ils « piquent » quelques bonnes idées pour compléter leur enseignement.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Ensuite, ils rentrent dans leur école et mettent en œuvre un projet, avec leurs propres élèves, basé sur ce qu’ils ont vu chez nous. Deux ou trois mois plus tard, les enseignants reviennent dans le centre pour une nouvelle session de deux jours où ils évoquent ensemble leurs projets respectifs et suivent de nouveaux cours et ateliers. En tout, ils passent donc cinq jours ensemble. C’est très intense et finalement assez long, comparativement aux sessions classiques de formation d’une demi-journée ou d’un soir. Cette formation leur donne une expérience véritablement forte, qui marque le reste de leur carrière.

Qui peut suivre ces formations ?

Le NSLC est ouvert à tous les professeurs de sciences du Royaume-Uni. Nous accueillons aussi bien des enseignants de biologie, que de physique, de chimie ou de géologie… La plus grande difficulté vient parfois de la réserve de certains directeurs d’établissement, qui n’aiment pas trop laisser venir leurs professeurs. En effet, pendant ce temps, la classe doit être gérée par quelqu’un d’autre et cela peut poser problème. Le NSLC, centre national, est situé dans l’Université de York mais il en existe également dans les neuf régions d’Angleterre .

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Comment avez-vous monté ce projet ?

En 2001 se sont tenues les élections législatives au Royaume-Uni. Dans ce cadre, chaque parti a produit un manifeste. Le « Labour Party » [Parti travailliste de Tony Blair] a indiqué dans le sien la volonté d’établir un tel centre pour l’éducation aux sciences. Ce parti a finalement gagné les élections et tenu ses promesses. Pour ce faire, ils se sont associés avec le Welcome Trust, une très grosse fondation qui brasse des milliards d’euros. Le gros de leur activité concerne la recherche médicale (malaria, VIH, santé mentale…). Cette fondation a réalisé que si nous voulons une recherche de bonne qualité, il faut de bons scientifiques et donc de bons professeurs. Ils ont décidé d’investir 25 millions de livres sterling [un peu moins de 30 millions d’euros] dans ce projet.

Le gouvernement et cette fondation ont alors lancé un appel d’offre auprès d’universités pour construire un tel centre. Nous – l’Université de York – avons remporté cet appel d’offre avec les universités de Leeds et de Sheffield, toutes situées dans le comté du Yorkshire. Nous avons utilisé 11 millions de livres [environ 13 millions d’euros] pour construire le bâtiment et le reste pour engager des gens et payer la venue des enseignants pendant les cinq premières années.

Comment avez-vous financé le centre après ces cinq ans ?

Après ces débuts, nous avions besoin d’environ 30 millions de livres [35 millions d’euros] supplémentaires pour poursuivre notre action sur cinq nouvelles années. Nous avons décidé de nous tourner en partie vers l’industrie, en rencontrant les responsables de dix firmes scientifiques ou techniques, comme Rolls-Royce, British Petroleum, GlaxoSmithKline, AstraZeneca, Vodafone… Nous leur avons présenté notre projet et demandé un million de livres chacune, sur cinq ans. Le Welcome Trust a ensuite accepté de compléter ces 10 millions de livres avec 10 autres millions, tout comme le gouvernement. Heureusement, cette recherche de fonds a eu lieu juste avant la crise. Je pense que nous ne pourrions pas le refaire à l’heure actuelle. Ce partenariat entre le gouvernement, une fondation importante et de grandes industries prouve en quoi l’éducation aux sciences est importante.

Le partenariat avec les industries est-il seulement pécuniaire ?

Non. Les bonnes relations avec l’industrie sont bien plus importantes que l’argent. Par exemple, une industrie comme Rolls-Royce peut nous fournir des exemples récents d’ingénierie que nous pouvons présenter aux enseignants en formation. Ils peuvent également envoyer des ingénieurs et des chercheurs dans les écoles. De plus, ils décernent un important prix, d’une valeur de 15 000 livres [17 000 euros], le « Rolls Royce Science Prize » destiné aux enseignants qui proposent les meilleurs projets d’enseignement scientifique.

Que recherchez-vous dans une conférence comme celle de Scientix ?

J’ai été invité par « European Schoolnet » pour une intervention sur l’importance de l’éducation aux sciences en Europe et la manière dont nous pouvons l’améliorer. De la conférence Scientix, j’espère tirer de bonnes idées et faire des rencontres. Je suis particulièrement intéressé par les nombreuses activités développées en Europe de l’est. Ces nouveaux membres de l’Union européenne ont vraiment de très bonnes idées. Le niveau des sciences et des maths y est très élevé. La Hongrie, par exemple, a quelques-uns des meilleurs mathématiciens du monde. L’intérêt de cet événement est qu’il semble attirer des gens qui ne vont pas en général aux conférences internationales. Connaissez-vous l’expression « usual suspects » ? Elle désigne les gens que vous rencontrez tout le temps. Ici, j’ai croisé des habitués bien sûr, mais aussi et surtout des jeunes.

Pourquoi se focaliser sur les enseignants et non les chercheurs ou les ingénieurs ?

Beaucoup de chercheurs considèrent l’éducation aux sciences comme secondaire. Ceux qui comprennent l’importance de l’éducation sont très rares, comme par exemple le français Pierre Léna, à l’origine du programme La Main à la Pâte. Dans les industries, le problème se pose d’une manière différente. Les ingénieurs, notamment les plus jeunes, sont très concentrés sur leurs objectifs car le profit l’emporte. C’est très dur pour eux de dévier de l’objectif qu’on leur a assigné, surtout s’ils viennent juste d’intégrer une société ou s’ils ont une jeune famille et beaucoup d’engagements. Ceux qui s’intéressent néanmoins aux problématiques d’enseignement ont besoin de chefs particulièrement ouverts ou bien sont très actifs lors de leurs temps libre. C’est peut-être plus facile pour les ingénieurs plus âgés, mais nous avons besoin de jeunes, et surtout des femmes, pour jouer le rôle d’ambassadeurs dans les écoles. Grâce à eux, les jeunes se disent : « ils sont jeunes, dynamiques et… ingénieurs ! Wahou ! Ce ne sont pas des genres de nerds ».

Qu’est-ce que les enseignants ont de plus que les chercheurs et ingénieurs, pour toucher les jeunes ?

Les professeurs sont ceux qui parlent directement aux personnes qui apprennent. Chacun peut toucher la vie d’une centaine de jeunes gens. Les professeurs d’université ne sont pas les plus accessibles, mais tant pis. Je crois que le futur réside dans les mains des enseignants du primaire et du secondaire. J’ai moi-même été enseignant au secondaire pendant plus de 30 ans. J’ai eu l’opportunité de parler de mes projets dans une trentaine de pays sur plusieurs continents avec des gens passionnants. J’ai envie que des jeunes gens brillants comme ceux qui sont présents ce weekend, puissent avoir ces opportunités d’apprendre des autres pays et de propager leurs propres idées.

Les ingénieurs sont importants mais nous gagnerons plus à nous concentrer sur les professeurs et rendre ce secteur plus professionnel. Beaucoup de pays ne valorisent pas vraiment leurs enseignants. Ils n’ont pas un statut social très élevé. Pourtant, c’est la prochaine génération d’enseignants et d’activistes qui est importante car un tel projet se déroule sur 50 à 100 ans. Ce n’est pas quelque chose qui se met sur pied en 10 ans. Le challenge va devenir de plus en plus important pour former les scientifiques dont nous avons besoin.


>> Illustrations : portrait de Sir John Holman en CC by-sa par Scientix, autres photos sur Flickr, licence CC CARLOS62 Argonne National Laboratory, Scott Hamlin

>> Propos recueillis avec Stéphane Nai-Im Tholander

>> Article initialement publié sur Knowtex sous le titre Sir John Holman : l’éducation aux sciences est critique pour le futur de l’Europe

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Les ghostwriters des sociétés pharmaceutiques http://owni.fr/2011/06/10/les-ghostwriters-des-societes-pharmaceutiques/ http://owni.fr/2011/06/10/les-ghostwriters-des-societes-pharmaceutiques/#comments Fri, 10 Jun 2011 07:34:57 +0000 Florence Piron http://owni.fr/?p=35114 Grâce à la persévérance de plusieurs chercheurs, comme la professeur Adriane Fugh-Berman[en] de Georgetown University, et à celle des avocats représentant les causes de patients victimes de certains médicaments (Vioxx, Zoloft, Paxil, hormone de remplacement), une pratique scandaleuse des compagnies pharmaceutiques a été récemment révélée : le ghostwriting, c’est-à-dire le recours à des auteurs fantômes. De quoi s’agit-il ?

Afin de mieux positionner leurs produits sur le marché (auprès des médecins), des compagnies pharmaceutiques mettent au point des “plans de publication” visant à publier, entre autres, un maximum d’articles scientifiques vantant les mérites de leurs produits dans les principales revues médicales (New England Journal of Medicine, etc.). Pour cela, elles embauchent des firmes de rédaction médicale qui mettent au point des articles promotionnels, au style tout à fait scientifique. Si certains de ces textes se contentent de mettre en évidence les bienfaits de médicaments testés dans un essai clinique au détriment d’une présentation claire des effets secondaires, d’autres présentent carrément des données falsifiées ou fabriquées.

Pas de conflit d’intérêts ?

Dans d’autres cas, il s’agit de “revues systématiques”, ces synthèses d’articles très lues par les médecins pressés. Les firmes de rédaction médicale contactent ensuite des médecins prestigieux (des leaders d’opinion) et, contre une rémunération parfois très élevée, leur demandent de signer l’article comme auteur unique. Comme ces médecins n’ont pas été payés directement par la compagnie pharmaceutique, ils ne déclarent pas de conflits d’intérêts qui pourraient attirer l’attention des lecteurs.

Sur la base de tels articles, des médicaments aux effets douteux et même dangereux (Vioxx, Paxil), possiblement onéreux pour le système de santé mais lucratifs pour les compagnies pharmaceutiques, sont prescrits à de nombreux patients. Le procès du Vioxx a permis de recenser des dizaines d’articles de ce type vantant ce médicament antiinflammatoire qui fut retiré en 2004 du marché par la FDA.

Récemment, on a découvert qu’un manuel très utilisé de pédopsychiatrie, recommandant l’usage du ritalin, avait été rédigé par une écrivaine fantôme[en], Sally Laden, payée par la compagnie qui fabrique le ritalin. Les deux auteurs officiels du livre sont Dr. Charles B. Nemeroff, directeur du département de psychiatrie à l’University of Miami medical school et Dr. Alan F. Schatzberg, directeur du département de psychiatrie à Stanford University School of Medicine…

Cette pratique convoque au moins 6 enjeux éthiques majeurs :

- la falsification d’un texte scientifique dans l’intention de tromper le public
- le manque de rigueur et d’intégrité des auteurs fantômes, dont la conscience est endormie par l’argent ou des promesses de pouvoir
- le manque d’esprit critique des revues médicales ou des maisons d’édition qui acceptent trop facilement des articles ou des livres d’auteurs prestigieux
- l’abus de confiance des médecins qui se fient, pour leur pratique clinique, à la qualité des “donnés probantes” publiées dans les grandes revues
- le manque de balises en droit et en éthique pour contrer ce genre de pratique
- les conséquences désastreuses sur la santé publique de ces “partenariats publics-privés” entre l’industrie et l’Université.

Voici différentes références sur ce sujet déjà évoqué en 2009 par l’Agence Science Presse – pour ceux qui ne croiraient toujours pas à une telle ignominie de la part de l’industrie pharmaceutique et des vedettes de la recherche biomédicale !

The Ethics of Ghost Authorship in Biomedical Research: Concerns and Remedies Workshop[en] (un atelier sur la question qui a eu lieu mercredi dernier à Toronto, auquel j’ai assisté)
The murky world of academic ghostwriting [en]
Le “ghostwriting” ou l’écriture en sous-main des articles médicaux
The Haunting of Medical Journals: How Ghostwriting Sold “HRT” [en]
What Should Be Done To Tackle Ghostwriting in the Medical Literature ? [en]
Not in my name [en]
Drug Company used Ghostwriters to Write Work Bylined by Academics, Documents show [en]
Is Drug Research Turning Into a Scam ? [en]


Article initialement publié sur le site “Agence Science Presse” sous le titre “La pratique du ghost writing dans la recherche biomédicale“.

Photo Flickr CC Paternité par striatic et PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales par Foto Pamp.

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Unité! http://owni.fr/2011/05/31/unite-molle-gramme-syseme-international-medecine-biologie/ http://owni.fr/2011/05/31/unite-molle-gramme-syseme-international-medecine-biologie/#comments Tue, 31 May 2011 14:18:06 +0000 boree http://owni.fr/?p=35033 Lorsque j’étais étudiant, j’ai appris que nous devions utiliser les unités du Système International (SI) pour les résultats biologiques. Que c’était le moyen d’unifier les données internationales afin d’échapper aux particularités locales. Que ce système était légal en France depuis 1961 et que la Société Française de Biologie Clinique l’avait adopté depuis 1978.

On pourrait croire que c’est un truc qui a été fait pour les Anglais vu que le système métrique est quasiment universel. Et qu’il est lui-même fondé sur des bases rationnelles, comme l’avaient rêvé ses concepteurs lors de la Révolution française. Mais c’est plus compliqué que ça parce que le gramme ou le mètre font eux-mêmes partie des unités de base du Système International.

Donner un résultat en “grammes par litre” est donc bien une expression de type “SI”. Mais elle est beaucoup trop simple et compréhensible du commun des mortels. Du coup, ce n’est pas drôle.

“Vous reprendrez bien 1 mole de sucre ?”

Ces nouvelles unités de mesure sont donc vraisemblablement sorties du cerveau de chimistes pour lesquelles le raisonnement en “moles” doit avoir du sens même si ça n’en a strictement aucun pour M. Tout-le-monde. “Vous me mettrez aussi 3 moles de sucre, Mme l’épicière.

Mais, soit. Puisque nous évoluons dans la mondialisation, adoptons cette langua franca biologique. Finis les grammes par litre. Bienvenue aux millimoles par litre.

Le problème, c’est que ce n’est pas aussi simple. Déjà, parce qu’il y a d’autres unités qui viennent se mêler à ça. Pour les ions, on peut aussi parler en milliEquivalents (mEq) qui dépendent de la charge électrique. Souvent 1 mEq = 1 mmol. Mais pas toujours. Pour le calcium, 1 mmol = 2 mEq. Ça amuse les chimistes.

Et puis, il y a aussi, les “Unités” pour les enzymes et pour certaines hormones. Mais pas pour toutes.

En matière d’unification, on repassera…

Pour certaines données, ça ne pose pas trop de soucis, on est à peu près tous sur la même longueur d’onde. Ainsi, pour le sodium ou le potassium, on parle tous en mEq. Pour l’hémoglobine, tout le monde en France en est resté aux grammes. Pour la glycémie aussi, en-dehors de quelques acharnés.

Pour d’autres, c’est un joyeux bazar. Lorsque j’ai un confrère hospitalier en ligne et qu’on parle du taux de créatinine, ça donne souvent ça :

- Il a 12 mg de créat.
- Ça fait combien, ça ?
- Euh… 106 µmol.
- Ah, ok.

Et là, je ne parle que des Français entre eux. Quand mes patients anglais me parlent de leur glycémie à « 6,2 », je vois à peu près ce que ça fait. Mais quand un patient hollandais m’a dit que sa dernière hémoglobine était « à 7 », j’ai cru que je devais appeler le 15…

Manque « d’unités », donc.

Mais il y a encore plus amusant. Histoire d’être originaux (et de garder leur clientèle), les laboratoires d’analyse français aiment bien avoir leurs petites coquetteries. Dans mon coin, quand un laboratoire me dit que les globules blancs de mon patient sont à 7 550 par mm3, le labo d’à côté trouvera plus chic de me dire qu’ils sont à 7,55 Giga par litre.

Quand l’un va me répondre “Protéinurie : 170 mg / l”, l’autre me dira “Protéinurie : 0,17 g / l”.

Le souci, c’est qu’aujourd’hui, la plupart des logiciels médicaux permettent d’intégrer automatiquement les résultats de prise de sang dans les dossiers des patients. Avec ça, on peut faire en deux clics de jolis tableaux qui permettent de voir les évolutions sur la durée. Du coup, quand le patient change de laboratoire, ces tableaux, ça devient un peu n’importe quoi.

Et, comme on peut toujours faire pire… Chaque laboratoire a ses propres normes. Pour le laboratoire X, la “norme” de la créatinine, c’est entre 7,4 et 13,7. Pour le labo Y, c’est de 7 à 12. Et pour le laboratoire Z, c’est entre 4 et 14.

Donc quand on a un patient qui avait un résultat à 12,5 chez Y et qui a maintenant un résultat à 14 chez Z, c’est plus ? C’est moins ? Pareil ? Qu’est-ce qui est dans les normes, qu’est-ce qui n’y est pas ?

Déterminer des normes

Tout ceci m’emmerde car ça nous complique la vie. A l’heure où nous avons des logiciels médicaux qui présentent des tas de possibilités pour améliorer le suivi de nos patients, ces singularités sont ingérables.

Alors, moi je veux bien faire des efforts. Si demain, on me dit qu’il faut que je donne mes glycémies en mmol, je ferai l’effort intellectuel, je m’adapterai. Je ne trouverai pas forcément ça très parlant pour les patients, sans aucun intérêt pour le clinicien que je suis, mais d’accord. Ça me prendra sûrement un petit moment, mais je m’y ferai. Comme, petit à petit, j’ai fini par oublier les francs pour raisonner en euros.

Mais, comme pour le changement de monnaie, comme pour les unités de poids avant la Révolution, on n’y arrivera jamais si chacun continue à faire sa petite tambouille dans son coin.

Moi, ce que j’aimerais, ce serait qu’on enferme tous les biologistes de France ou d’Europe dans un grand hangar. Qu’on les y enferme et qu’on ne les laisse sortir que lorsqu’ils se seront mis d’accord une bonne fois sur quelle unité de mesure et quelles normes pour quelle donnée. Et qu’ensuite on s’y tienne en arrêtant rapidement les systèmes de « double affichage ».

Ces gens là ont bien des syndicats et des sociétés savantes dont l’utilité dépasse peut-être les négociations tarifaires. Je ne vois pas pourquoi ils ne pourraient pas arriver à ça.

Et s’ils n’en sont pas capables parce que leurs petits intérêts particuliers et leurs confortables habitudes les en empêchent… Eh bien ! Il y a la loi pour ça.

P.S. En attendant le grand soir, je me suis fais un petit tableau Excel pour pouvoir plus aisément « traduire » les valeurs biologiques les plus courantes. Je vous l’offre !


Article initialement publié sur “Le blog de Borée” sous le titre “Unité !”.

Photos Flickr Paternité par Kitkor, PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification par adamrhoades et PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales par mars_discovery_district.

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Projet Binôme: quand la Science inspire le théatre http://owni.fr/2011/05/20/projet-binome-quand-la-science-inspire-le-theatre/ http://owni.fr/2011/05/20/projet-binome-quand-la-science-inspire-le-theatre/#comments Fri, 20 May 2011 14:00:46 +0000 Audrey Bardon http://owni.fr/?p=34861 Curieux spectacle à la Cité des sciences ce 15 avril : un tête-à-tête amusant entre un chercheur et un auteur de théâtre contemporain qui discutent de bactéries et de cellules tumorales. A quelques pas, le regard indiscret d’une caméra n’en perd pas une miette. Immersion au cœur du projet « Binôme » d’Universcience, qui tend à prouver que l’alliance des arts et de la science n’a rien d’une ineptie.

« Bip-bip est arrivé ! » Clins d’œil complices entre Eve Ducroq, chargée du projet Binôme à Universcience, et le créateur du projet Thibault Rossigneux. Un drôle de manège se prépare à la Cité des sciences

Pas de temps à perdre, l’opération doit être rapide. Les objectifs des caméras sont pointés vers un décor… un peu particulier : une petite table, deux chaises, un paperboard et une paillasse en arrière-plan où s’agitent des souris en cage sous le regard désabusé d’un mouton empaillé. Un univers en apparence austère, réchauffé par la bonne humeur générale. Il ne manque plus que les principaux protagonistes… Le scénario ? Celui d’une rencontre improbable entre un auteur de théâtre contemporain et un scientifique.

La scène se déroule dans l’espace d’exposition « Les Hommes et les gènes ». Là, un électron s’agite au travers des allées : c’est l’énergique Thibault Rossigneux, directeur artistique de la compagnie Les sens des mots. C’est la seconde édition de Binôme et pourtant, toujours autant d’enthousiasme. Il faut dire que ce projet, il en a tracé les contours, et peut maintenant se prévaloir d’un joli succès.

Découverte… discussion… écriture… lecture… représentation

Grégoire Harel, qui est en charge du programme arts-sciences d’Universcience, souhaitait développer un projet original au carrefour des arts et de la culture scientifique. Et là, j’ai eu un flash ! se souvient Thibault.

Les idées s’assemblent en un canevas étonnant. Première étape : l’échange entre le chercheur et le dramaturge qui se découvrent sous l’œil complice de la caméra. Puis vient l’écriture d’une pièce de théâtre par l’auteur à partir des propos recueillis et la réaction du scientifique prise sur le vif à la découverte de l’œuvre. Bouquet final : la représentation publique. Présente tout au long du processus, la caméra offre un making of de l’aventure, visible sur universcience.tv. Le public a ainsi accès aux racines de l’œuvre : une complicité, une découverte ou un joli mot échangé.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Entre la proposition théâtrale, le débat de société et la production audiovisuelle, Binôme est un être hybride porté par Universcience, la compagnie Les sens des mots et le Centre national du théâtre (CNT). « Le théâtre et la science ne se sont séparés que récemment, explique Thibault. Les plus grands savants étaient auparavant les meilleurs orateurs ». Binôme incarne cette volonté de supprimer la rupture entre la culture scientifique et les autres domaines culturels.

En 2010, cinq pièces ont été présentées, drôles, touchantes, farfelues… à l’image des binômes. Le casting de cette année promet d’être tout aussi survolté. Pour les chercheurs, c’est Universcience et ses partenaires comme l’Inserm ou l’IRD qui se chargent de la sélection en privilégiant la recherche fondamentale. Thibault et le CNT s’occupent quant à eux des dramaturges. Tiens, c’est justement l’auteur qui arrive…

Tournez manège

Loin de son terrain habituel, Scali Delpeyrat – alias bip-bip – avance timidement dans cette réplique de laboratoire. Il scrute le décor ; son visage s’illumine : « Je suis enchanté d’être dans cet espace. Il éveille mon imagination ». Lui qui travaille depuis plus d’un an sur un projet de pièce retraçant la vie de Darwin, il n’aurait pas pu mieux tomber. Mais la visite sera pour plus tard. Direction l’étrange couloir des miroirs pour une présentation rapide devant la caméra. Fou rire nerveux et dérision ponctueront ses réponses et un humble aveu : « Je suis sincèrement flatté d’avoir été choisi ».

Confidences dans la boite, l’équipe éloigne habilement Scali Delpeyrat pour laisser place au chercheur. Car là est tout le comique de situation : ils ne doivent en aucun cas se croiser avant la rencontre officielle. En attendant, c’est bip-bip pour nom de code, et rien de plus. Est-il jeune ? Drôle ? Bavard ? Chacun devra être patient.

Arrive enfin le… la chercheuse ! Karin Tarte de l’Inserm, jeune femme à l’énergie débordante dont le rire communicatif éveille la Cité tout entière. Même protocole que son homologue… et même angoisse : « Je ne sais pas ce que je fais là » ironise-t-elle face à la caméra. Scali, s’agite de son côté : longue expiration, quelques vers récités à haute voix… tout est bon pour calmer le trac. Une scène qui amuse toute l’équipe, certaine que la rencontre sera réussie aux vues de ces deux tempéraments. Mais pour l’instant, chut…

Eve Ducroq fait un signe à Thibault. « Très bien. Maintenant, plus un mot, souffle le metteur en scène à la chercheuse en la conduisant vers le point de rencontre. Il ne doit pas savoir que tu es une femme. » L’auteur est à quelques mètres… « Je veux garder le suspens jusqu’au bout ». Véritable dédale, l’espace offre le parfait terrain de jeu pour éviter tout croisement.

Les voilà l’un en face de l’autre. Ils se jaugent, se sourient et s’approchent pour échanger quelques mots sous l’arche d’entrée de « L’homme et les gènes ». Un peu plus loin, les yeux indiscrets de l’équipe et de la caméra.

50 minutes d’échanges et 2 mois d’écriture

Enfin installés derrière la petite table, c’est parti pour cinquante minutes d’entretien filmé. Devant eux, deux réveils, un noir, un blanc, qui sonneront en cœur la fin de l’échange. Scali va lui poser une vingtaine de questions, allant de son sujet de recherche – l’immunologie – à sa vision du monde scientifique, en passant par son parcours. Autant de matière dans laquelle l’auteur pourra puiser afin de concevoir une œuvre originale. L’échange est rythmé, passionné, « presque un sketch » souffle Thibault. La sonnerie retentit, faisant bondir l’écrivain : « Oh non, pas déjà ! ».

« Maintenant, plus de contact entre vous ». C’est la règle : aucun échange entre le scientifique et l’auteur avant la remise du texte. Scali a maintenant deux mois pour imaginer une œuvre d’une demi-heure pour trois voix. Tout peut être imaginé. L’an passé, les œuvres ont exploré différentes approches :
Emmanuel Bourdieu
est directement entré dans le sujet du chercheur en contant la triste histoire du petit neutrino ;


</p> <h2>Binôme #2</h2> <p> <p><em>Making of</em> à ne pas rater de la pièce d&#8217;Emmanuel Bourdieu, réalisateur et dramaturge, issue de sa rencontre avec François Vannucci, enseignant chercheur de l&#8217;Institut national de physique nucléaire et de physique des particules.</p> </p> <p>

Christian Siméon, lui, s’est inspiré d’un seul mot lancé par le scientifique, Tropopause – ligne de séparation entre deux couches de l’atmosphère – pour réadapter l’œuvre du Petit Prince ;


</p> <h2>Binôme #5</h2> <p> <p>Making off de la pièce <em>Tropopause</em> du sculpteur et auteur dramatique Christian Siméon, issue de sa rencontre avec le climatologue Ronan James.</p> </p> <p>

Confession d’un passé douloureux avec la science d’Élizabeth Mazev, dont la rencontre a « réveillé de vieux démons » ;


</p> <h2>Binôme #3</h2> <p> <p>Making of de la pièce <em>Sympatrie </em>d&#8217;Elisabeth Mazev, issue de sa rencontre avec l&#8217;entomologiste Romain Nattier du Muséum national d&#8217;histoire naturelle.</p> </p> <p>

Parallèle très recherché entre Nirvana et la maladie de Parkinson par Sonia Chiambretto ;


</p> <h2>Binôme #4</h2> <p> <p>Making of de la pièce <em>Parking song </em>de Sonia Chambretto, issue de sa rencontre avec Arthur Leblois, neurologue au laboratoire de neurophysique et physiologie à l&#8217;université Paris V.</p> </p> <p>

David Lescot a quant à lui surpris tout le public en rejouant avec humour la rencontre avec le chercheur.


</p> <h2>Binôme #1</h2> <p> <p>&#8220;Moi, j&#8217;utilise la lumière comme source d&#8217;excitation de la matière&#8221;. <em>Making of</em> à ne pas rater de la pièce de l&#8217;auteur contemporain David Lescot, issue de sa rencontre avec Valia Voliotis, chercheuse à l&#8217;Institut des Nanosciences de Paris, présentée le 21 octobre 2010 au <a title="Palais de découverte" href="http://petitlien.fr/56bs" target="_blank">Palais de la découverte</a> (accès gratuit).</p> </p> <p>

Certains reprocheraient le survol du sujet. Binôme n’a pas pour ambition de produire des pièces de vulgarisation scientifique. Le but, alors ? Utiliser la science comme matière de création artistique et révéler les similitudes entre ces deux mondes. L’une des plus évidentes : la passion.

Montée sur les planches

Après Scali et Karin, quatre binômes se succèderont en trois journées. Les profils sélectionnés sont variés, s’attachant à « respecter la parité » et croiser les générations : Stéphanie Marchais, Virginie Thirion, Gérard Watkins, Mathieu Bertholet du côté des auteurs ; Edmond Dounias (IRD), Nicole El Karoui (Université Paris VI), Charles Lecellier (CNRS), et Patrick Martin (Institut Royal de Sciences Naturelles de Belgique) pour les scientifiques. De leur complicité naîtra une série de créations : une histoire imaginée par le dramaturge, une mise en scène proposée par un collectif de metteurs en scène et de comédiens, et les créations musicales de compositeurs qui habilleront la pièce.

Le spectacle se décompose à chaque fois en quatre temps : une courte vidéo de présentation du projet, un extrait de l’entretien – instant de pronostiques pour le spectateur sur le parti pris de l’auteur, la mise en lecture de la pièce, la projection de la réaction du chercheur en découvrant le texte et enfin un échange entre le public et les deux personnages, souvent émus. Ils en ont bien conscience : ce type d’expérience, on ne le vit pas tous les jours.

Pour cette année encore, les pièces seront présentées lors du Festival d’Avignon qui aura lieu du 15 au 20 juillet, puis à la Cité des sciences et au Palais de la découverte en novembre prochain. Thibaut confie avoir eu très peur l’année passée : « Le Festival d’Avignon, c’est une centaine d’œuvres de qualité qui se jouent au même moment. Je craignais le flop ». Loin de là ! De représentation en représentation, le succès a été exponentiel. Même triomphe à la Cité des sciences : sept cents curieux se sont déplacés. Quid de la prochaine édition ?

Les représentations ne s’arrêtent pas à la Cité. « Les pièces de la première édition tourneront par deux dans plusieurs villes de France ». Universcience envisage aussi d’autres formes de diffusion des pièces, à la fois numérique et papier. Si le succès de l’édition 2011 est au rendez-vous, Binôme 2012 pourrait explorer de nouveaux champs artistiques « comme la littérature par exemple », et faire la part belle aux pays francophones en « associant des auteurs et chercheurs canadiens, suisses ou africains ».


Article publié initialement sur le blog de Knowtex

Illustrations : Photographies réalisées par Paul Allain © Universcience / Les sens des mots

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“Le ciel dans la tête”: petites histoires de l’astronomie http://owni.fr/2011/05/19/livre-astronomie-telescope/ http://owni.fr/2011/05/19/livre-astronomie-telescope/#comments Thu, 19 May 2011 09:26:39 +0000 Walter Appel http://owni.fr/?p=34838 L’ouvrage de M. Giraud-Ruby est difficile à classer. Dans son genre, c’est un monument. Ses 544 pages couvrent toute l’histoire de l’astronomie, depuis la préhistoire et l’Antiquité jusqu’à nos jours. Mais ce n’est pas une encyclopédie. On y cherchera en vain les grands chapitres classiques qui jalonnent les ouvrages historiques classiques, les événements importants et les “ères” consacrées : celles de Ptolémée, de Copernic, de Galilée, de Newton, d’Einstein ou de Hubble. Non que l’auteur les ignore, bien entendu, mais son exposition est toute autre : thématique et non historique dans sa structure générale, anecdotique et jamais hagiographique dans sa présentation des hommes et des événements qui ont fait la science.

Anecdotique, avons-nous dit, mais il ne faut surtout pas y voir là une nuance négative ! Car les anecdotes, souvent croustillantes, participent grandement au plaisir immense de la lecture. Jamais hagiographiques, avons-nous ajouté, car l’auteur se garde d’élever des statues aux grandes figures de l’histoire astronomique mondiale. Les acteurs de cette histoire sont replacés dans leur humaine condition, et éclairés de façon à faire sortir leur part d’ombre (l’intérêt de nombreux astronomes pour l’astrologie) ou de pénombre (les frasques sexuelles de Halley, les querelles d’intérêt, la vanité, les coups bas…). D’autres, habituellement ignorés, sont mis en lumière : comme Edgar Poe (les assidus ne feront pas une grande découverte en lisant qu’il fut cosmologiste amateur, et proposa le premier une interprétation hardie du paradoxe d’Olbers ).

Signe des temps, du désenchantement du monde, de la perte des modèles humains ? Peut-être, mais sans la moindre nuance de tristesse, d’amertume ou de rancœur. Les protagonistes nous apparaissent plus vivants, plus sympathiques, plus proches de nous enfin, que dans bien d’autres ouvrages.

Des livres dans le livre

L’ouvrage s’articule en quatre grands thèmes : définitions du temps et de l’espace ; l’inépuisable curiosité pour l’univers des étoiles ; les remous idéologiques autour des planètes ; la popularité des mythes cosmologiques. Chaque thème est l’occasion d’un « livre », largement indépendant des autres, qui retrace l’histoire de l’astronomie, plus ou moins chronologiquement. Les mêmes événements sont ainsi visités plusieurs fois, avec des points de vue différents.
La première partie met particulièrement bien en valeur la dette dont l’astronomie est redevable au commerce, à la guerre et à la politique, à travers la marine. Car, pour pouvoir naviguer efficacement, il faut pouvoir déterminer la longitude. Or il faut, pour cela, connaître l’heure exacte. Problème : les meilleures déterminations, à long terme, de l’heure sont basées sur les méthodes astronomiques, qui à leur tour nécessitent de connaître la longitude. On n’en sort pas, à tel point que “la détermination de la longitude” devient un temps synonyme de “la quadrature du cercle” : un problème insoluble auquel seuls les fous peuvent prétendre s’attaquer. Pourtant, le problème finit par devenir urgent : des navires sombrent après des erreurs d’estimation de longitude… et quand il s’agit de navires militaires, les politiques finissent par débloquer les crédits pour la recherche !

À côté des travaux de perfectionnement des chronomètres, des méthodes astronomiques se mettent en place, basées sur des tables précises des éclipses des satellites de Jupiter. Pour l’anecdote, lorsque Cassini présenta à Louis XIV le nouveau tracé de la carte de France, plus précise mais rétrécie, celui-ci fit remarquer à Colbert : “Vos astronomes ont fait perdre plus de territoire plus que nos généraux n’en ont conquis.” Ainsi, des considérations militaro-politiques débloquent souvent les crédits qui font avancer la connaissance “pure”. Faire le lien entre science et politique, société, religion, mysticisme, gloriole, guerre et espionnage, est un souci constant de l’auteur. L’une de ses thèses est d’ailleurs la suivante : la connaissance pure est une retombée indirecte des motivations “impures”, et non le contraire comme on se plaît parfois à le croire.

La deuxième partie est consacrée aux “mordus” de l’astronomie, ceux qui, poussés par leur passion, consacrent leur vie à la science, quand bien même ils devraient polir à la main des miroirs de 2,5 mètres, au millionième de millimètre près, et les faire monter à dos de mules par des sentiers montagneux d’une étroitesse effrayante.

Des modèles planétaires pour les horoscopes

Dans la troisième partie (les remous idéologiques autour des planètes), nous retrouvons les modèles planétaires, de l’antiquité à Copernic ; ils sont expliqués de manière bien plus précise que ce qu’il est possible de lire habituellement . On comprend notamment pourquoi les anciens modèles fonctionnaient si bien et, surtout, dans quel but : c’était notamment pour pouvoir établir des horoscopes précis ! Jusqu’à Kepler, c’est le but des tables de position des planètes. Et parfois, les découvertes tiennent à peu de choses : Tycho Brahe n’a pu accomplir son formidable travail que parce qu’il avait d’importants fonds, généreusement alloués par le roi Frédéric II de Danemark (le père de Tycho s’étant sacrifié pour sauver son roi de la noyade). Johannes Kepler, dont les motivations étaient profondément mystiques, n’a pu achever son œuvre que grâce à la mort prématurée de Tycho Brahe ; encore la chance était-elle de son côté : deux erreurs de calcul se sont miraculeusement compensées…

De la recherche rigoureuse des nouvelles planètes (Uranus, Neptune) aux phantasmes sur les canaux de Mars, des sondes planétaires aux astéroïdes tueurs (dont on a fini par comprendre l’importance dans l’histoire géologique de la Terre), l’auteur réexplique, à sa façon toujours originale, les grands débats qui ont échauffé les esprits. Il ne se prive pas d’ailleurs d’y ajouter, çà et là, ses propres thèses , fondées sur ses connaissances en physique, en astronomie, et en géophysique. Et, parfois, défonce gentiment le décor érigé par la tradition. Ainsi, les cosmologistes modernes, dont le goût pour les outils mathématiques agace l’auteur , sont comparés à des coqs de village pérorant en rêve de gloire… et sont renvoyés dos à dos au mysticisme de Kepler. La mythologie qui s’est construite autour du Big Bang, des équations d’Einstein, de la théorie des cordes, des Théories du Tout, en prend pour son grade. On se fera l’opinion que l’on voudra sur les idées personnelles de l’auteur ; mais on sortira convaincu que les coups de pieds (intellectuels) sont toujours bons à prendre.

Titre du livre : Le ciel dans la tête
Auteur : Alain Giraud-Ruby
Éditeur : Actes Sud
Date de publication : 02/05/10
N° ISBN : 2742791205


Article initialement publié sur NonFiction sous le titre “Une lecture nouvelle et décapante de l’histoire de l’astronomie”.

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Faire publier un papier… scientifique http://owni.fr/2011/04/20/faire-publier-un-papier-scientifique/ http://owni.fr/2011/04/20/faire-publier-un-papier-scientifique/#comments Wed, 20 Apr 2011 08:20:40 +0000 Roud http://owni.fr/?p=34613 Il y a beaucoup de choses que l’on apprend sur la longueur dans la recherche, avec l’expérience. Mais ce que je trouve tout à fait étonnant, particulièrement dans le paysage français, est qu’on n’apprend pas ou peu les petits trucs pour faire publier un papier. Oh bien sûr, le contenu scientifique reste l’essentiel, mais, même s’il est très codifié et très formel, le processus de revue par les pairs n’a rien d’un processus pur et éthéré, il y a une forte composante humaine qui compte. Oublier cela peut mener un papier à sa perte. Je n’ai pas la prétention de faire la leçon à qui que ce soit, mais voici quelques éléments (largement de bon sens) glanés sur ma propre expérience, en tant que publiant et referee (ndlr: chercheur contacté par une revue scientifique pour lire et commenter les articles proches de son champ de recherche avant la publication), ainsi que sur la base d’observations de mes chefs et collègues très très éminents. Encore une fois, n’hésitez pas à ajouter vos propres conseils ! (et à me dire si vous êtes d’accord ou pas)

Faites relire par vos amis

Le processus de revue par les pairs dans le cadre du journal n’est que la fin de l’histoire, pas le début. Avant de soumettre un papier, il est très important de lui faire subir un cycle de revue informelle par des collègues compétents et des amis. Le genre d’amis qui peuvent vous dire librement si votre papier est bullshit ou si au contraire c’est le papier du siècle. Cela vous aidera à retravailler le papier pour expliquer les points imprécis, et à bien calibrer la revue où le publier.

Networkez

De la même façon, il est très important de bien se familiariser avec le réseau plus étendu de collègues à même de lire votre papier. Allez en conf, donnez des séminaires, échangez . Ces collègues sont autant de referees potentiels, on a toujours plus de scrupules à détruire les papiers d’un collègue qu’on trouve sympathique , et parfois les communautés sont si petites qu’on en a vite fait le tour.

Choisissez bien l’éditeur scientifique

Un éditeur a littéralement un pouvoir de vie ou de mort sur un papier. Il peut même parfois passer outre l’avis des referees s’il pense que votre papier a été injustement critiqué. Là encore, tout le côté humain et informel en amont pour connaître les éditeurs est important. J’ai vu des big shots passer carrément des coups de fil à des éditeurs qu’ils connaissaient depuis de nombreuses années pour faire passer des papiers.

Le referee a toujours raison…

Si un referee donne un conseil, faites le maximum pour satisfaire ses envies. D’une part, il se sentira valorisé d’être écouté, d’autre part, cela fera un point de moins critiqué. La dernière chose que vous voulez faire, c’est énerver un referee. J’ai vu des auteurs se tirer littéralement des balles dans le pied et condamner des papiers largement publiables en prenant les referees (en l’occurrence moi) pour des imbéciles. Par exemple, si un referee vous demande de mieux expliquer tel ou tel point, réécrivez toute la partie correspondante, travaillez dessus, montrez de la bonne volonté. Trop souvent, les auteurs se contentent de quelques modifs cosmétiques, histoire de noyer le poisson.

… sauf quand il a tort

Parfois, on n’a pas le choix, il faut se payer un referee pour faire passer un papier. Si un referee est vraiment trop mauvais, vous devez convaincre l’éditeur qu’il ne doit pas tenir compte de son avis. C’est un fusil à un coup. Si ça marche, c’est bingo, si ça ne marche pas, vous pouvez dire adieu à la publication dans ce journal. Ceci doit être fait sur des critères purement scientifiques, ce n’est possible que si le referee a fait la preuve dans sa revue qu’il ne comprenait rien à l’histoire. Ça m’est arrivé une fois dans un papier : un referee a rejeté mon modèle au motif qu’il était linéaire, alors qu’il était tout à fait non linéaire. Le papier, rejeté dès le premier round, a été finalement resoumis et accepté.

Changez de revue

Tout le monde ne sera pas nécessairement d’accord avec ça, mais un point qui me frappe chez certains est leur insistance à vouloir faire passer un papier donné dans une revue donnée. Je peux un peu comprendre quand il s’agit d’une revue majeure (comme Nature ou Science), moins quand il s’agit d’une revue moins prestigieuse. Le processus de revue par les pairs est long et douloureux, et, dans votre carrière vous serez jugés en partie sur votre nombre de papiers (en ce sens, l’intérêt du big shot établi qui veut son Science pourra parfois s’opposer à celui de l’étudiant qui doit publier pour partir au plus vite). Vous ne pouvez pas vous permettre de passer un an à espérer la publication d’un papier dans une revue donnée, avec le risque de vous faire jeter après une longue lutte avec les referees, vous avez votre recherche à faire à côté. Il y a suffisamment de revues pour publier votre recherche, et si elle est de qualité, ça finira bien par passer dans une revue pas trop mauvaise. Bref, si ça sent le roussi et devient trop compliqué, passez à la revue suivante, ou ciblez des stratégies alternatives – type Plos One- et comptez sur le processus de post-peer-review pour valoriser ce papier

Utilisez vos chefs

Particulièrement quand vous êtes étudiant ou post-doc, tout ce processus de réseautage et d’influence ne vous sera pas familier. Ce sera à votre chef de faire ce travail, observez, apprenez, et exploitez-le. C’est une partie importante de son travail, rappelez-lui gentiment.

Utilisez le post-peer-review

La publication n’est pas la fin de l’histoire, faites de la pub pour votre recherche, parlez-en en séminaire, mettez vos publis en valeur, si quelqu’un fait des recherches similaires, vous pouvez même vous permettre de lui envoyer votre papier. Ce processus aidera la publication du prochain !

>> Article initialement publié sur Matières Vivantes.

>> Photos Flickr CC PaternitéPartage selon les Conditions Initiales par Sam Hames et CC-NC PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales par widdowquinn.

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L’origine des espèces de punks http://owni.fr/2011/04/05/l-origine-des-especes-de-punks/ http://owni.fr/2011/04/05/l-origine-des-especes-de-punks/#comments Tue, 05 Apr 2011 09:37:25 +0000 Laurent Brasier http://owni.fr/?p=34466

Si Charles Darwin était vivant aujourd’hui, je pense qu’il serait très intéressé par le punk-rock.

(Greg Graffin, in Anarchy Evolution)

Une certaine remise en cause du dogme et de l’autorité, voilà ce qui lie deux mondes a priori très éloignés l’un de l’autre, celui de la biologie évolutionniste et celui du punk-rock. Il n’y avait qu’une personne pour faire le lien : Greg Graffin, chanteur du groupe Bad Religion depuis plus de 30 ans et par ailleurs Docteur en paléontologie et maître de conférence à UCLA à ses heures perdues. Il nous fait le récit de ce grand écart dans Anarchy Evolution (sous-titré Faith, Science and Bad Religion in a World Without god), publié en 2010 par It Books.

L’objet est étrange mais à l’image de la double vie de Greg Graffin, très jeune tombé dans deux marmites en même temps, celle de la musique et celle de la science. Ni véritable autobiographie, ni traité scientifique, ni manifeste punk, ni traité d’athéisme, mais un peu de tout cela en même temps, le livre pourrait facilement rebuter. Grâce à un équilibre de traitement plutôt judicieux et à des ponts savamment jetés entre les deux rives de l’existence compartimentée de l’auteur, il parvient plutôt à séduire.

Comment faire la cigale et la fourmi en même temps

Greg Graffin a déclaré avoir voulu devenir chanteur dès l’âge de neuf ans. Sa vocation scientifique, elle, nait véritablement avec un livre, Origins, de Richard Leakey et Roger Lewin, que sa mère lui offre au moment où, encore adolescent, il forme Bad Religion. Les dernières phrases de Origins lui inspireront l’un des titres du premier album de Bad Religion, “We’re Only Going to Die from Our Own Arrogance”. Le décor est planté. Greg Graffin mènera ses deux carrieres de front, sans jamais sacrifier l’une à l’autre.

Punk et enseignement, évolution biologique et évolution culturelle, la tentation du parallèle abusif est forte, mais Graffin met en garde son lecteur : “It’s important to note that the two processes [evolutionary biology and history of punk music] are quite different.” Difficile toutefois pour quelqu’un d’immergé dans les deux mondes de ne pas faire quelques rapprochements assez bLouguiens dans l’esprit, comme avec cette vision de son groupe comme organisme en lutte pour la survie :

I used to envision each Bad Religion concert as a unique environmental opportunity. We could try to increase our popularity trait by singing better songs and giving better performances, in which case our popularity would grow. Or we could suck and lose fans, causing eventual extinction.

Mais la plupart du temps, Graffin ne mélange pas les genres et parle – sérieusement – d’évolution. Graffin s’adresse à un public de profanes et souhaite faire passer un message plus que des connaissances. Pas de cours théorique structuré, donc, mais quelques notions et exemples distillés ici et là, au gré du récit, entre deux considérations très générales  : un peu d’histoire de la terre et de la lignée humaine, les gênes, des mastodontes, une fourmilière pour montrer que l’anarchie caractérise la nature plutôt que la perfection, et Tiktaalik comme exemple de fossile transitionnel entre deux lignées (poisson et tétrapodes, nantis de métacarpes).

Tiktaalik (Tiktaalik roseae ) : des nageoires avec des épaules, un coude et un poignet. Sans lui, tu ferais comment pour applaudir un concert de Bad Religion ?

Un point de vue naturaliste sur le monde

Forcément, la religion n’est pas en odeur de sainteté chez un auteur scientifique ET punk. Mais Graffin est loin d’être un esprit étroit. Il se définit comme naturaliste plutôt que athée.

Définition qui a le mérite d’être positive :

I have problems with the word “atheism”. It defines what someone is not rather than what someone is. It would be like calling me an a-instrumentalist for Bad Religion rather than the band’s singer.

Et surtout, de placer la science au-dessus du lot :

I don’t promote atheism in my song or when I teach undergraduates. During my lectures about Charles Darwin, for example, I barely mention Darwin’s decisive reason for abandoning theism. Far more important is his theorizing about biological phenomena. The focus of students’ attention at the introductory level, where I teach, should be on the processes and interrelationships found in nature. The debate over whether species are specially created by a deity has only a secondary significance, and ther simply isn’t time to discuss it in introductory biology class.

L'expérience de la foi - version punk naturaliste

Sans être aussi virulent qu’un Richard Dawkins avec qui il semble avoir quelques accointances, Greg Graffin n’est pas franchement fan du NOMA (principe de non recouvrement des magistères de la science et de la religion, dont le bLoug aura un jour à causer). Pour lui, pas de raison pour que la religion échappe au crible du questionnement scientifique ; vouloir compartimenter, c’est fuir ses responsabilités et se discréditer.

Claims made by authorities with the tacit expectation that they should go unchallenged out of reverence to those in power are precisely the kinds of claims I like to investigate and challenge. After all, the basic practice of science requires us to test all claims by the same criteria: observation, experimentation, and verification. If scientists are willing to rule out an entire domain of human life as exempt from their methods, how can they expect anyone to respect those methods ? by trying to protect themselves from a public backlash against their overwhelmingly monist viewpoint, they undercut the very point they are trying to make.

Même rigueur sur la perspective d’un dialogue avec les créationnistes :

I am not at all interested in leaving the door open for discussions with advocates of the moderne “intelligent design” movement.

Portrait du scientifique en jeune punk

Avant d’être le distingué Docteur Graffin (@DoctorGraffin sur twitter), Greg Graffin a commencé jeune punk morveux trainant dans Santa Monica Boulevard, une zone connue pour « ses putes, ses camés défoncés, ses gays en chasse et toutes sortes de punks ».

Très tôt retiré du pit, n’ayant jamais pris de drogue d’aucune sorte (et ça a l’air vrai en plus), Graffin a un côté lisse et intello assez peu en phase avec son milieu (pour faire bonne mesure, il aide tout de même ses potes à se faire leurs shoots…).

Mais cette facette de sa personnalité le sauve probablement de la violence qui va gangréner et annihiler la scène punk du Los Angeles des années 80 pour le précipiter dans les bras rédempteurs de la science.

Le témoignage sur cette transition est intéressant : il montre combien le système éducatif était défaillant en matière d’évolutionnisme.

D’un simple point de vue quantitatif, tout d’abord, avec de maigres heures de cours, dispensés pour la forme :

As is the case with many high school biology classes, my school downplayed evolution; though it is the key to all of biology, we got only a one-week unit on the topic. So I had to educate myself. I bought a cheap paperback version of On the Origin of Species and set a goal of reading some of it each night before bed.

Sur un plan qualitatif également : Graffin explique comment le devoir final qu’il présente à sa classe et qui n’est qu’une suite de contresens sur l’évolution se voit récompensé par les louanges de son professeur :

I explained to my classmates that evolution was based on competition and that some forms of life were better at living than others. I told the class that all evolution tends toward perfection, and that, despite numerous false starts and dead ends, the most successful and elaborate evolutionary lineage was the human species. I said that all human attributes were originally adaptations to life on the savannah in Africa.

Much of what I said in that lecture was wrong. […] But I received an A in that class, and my teacher wrote on my report card “Gave a great talk on evolution”.

Anarchy in the UCLA – le côté obscur de la science

Le livre laisse quelques regrets, en particulier celui de ne pas aborder la vie universitaire actuelle de Greg Graffin. On peut toutefois lire en creux qu’elle n’a peut-être rien de bien excitant. Graffin effleure le sujet en mentionnant l’anecdote d’une groupie brésilienne qu’il éconduit poliment, parce qu’il doit se lever tôt le lendemain pour partir dans une quelconque expédition dans la jungle. N’importe quelle rockstar normalement constituée s’esclafferait. Mais pour un naturaliste digne de ce nom, si la nature propose, Darwin dispose :

What kind of man in the prime of his life would turn down the advances of beautiful Brazilian women and instead head out to look at birds, trees, reptiles and amphibians ? But this particular visit was the culmination of a dream that began in high school, when I read Darwin’s The Voyage of the Beagle.

Autre signe des rigueurs de la vie universitaire, l’expédition en Bolivie à laquelle le jeune Greg Graffin à le plaisir de participer et qui se transforme en un improbable fiasco. Ces passages du livre sont parmi les meilleurs, par leur drôlerie et ce qu’ils disent de la réalité du travail de scientifique.

et là je leur balance Bad Religion pour les amadouer

Dans le cadre d’un projet de réserve naturelle, Graffin est embauché en tant que « collector of birds and mammals ». Il comprend en fait que sa mission consiste à tirer, piéger, étrangler et tuer tout ce qui bouge. L’expédition oscille ensuite entre l’ennui profond et des pics de grotesque dignes de Redmond O’Hanlon (auteur dont le bLoug vous entretiendra prochainement). Un bateau surnommé El Tigre de Los Angeles et flanqué d’un tigre à dents de sabre pour logo, des compagnons taciturnes, dont un Canadien qui aura pratiquement pour seul parole un résigné ‘What the fuck am I doing here ?’, une rencontre avec des Indiens (« They boarded El Tigre de Los Angeles asi fi they didn’t need permission. I waved and said, “hola! Me llamo Gregorio,” to which they responded, “Missionarios?”), et pour finir, le délitement de l’expédition sur fond de coup d’état et une fuite à bord d’un avion flanqué d’un auto-collant ‘God is my co-pilot’ !

Être pris pour un missionnaire et devoir son salut au copilotage de Dieu, voilà qui était beaucoup pour le seul chanteur de Bad Religion. Heureusement, Greg Graffin est un être double.

Anarchy Evolution – Faith, Science and Bad Religion in a World Without god, par Greg Graffin & Steve Olson, It Books, Septembre 2010, 304 Pages, $22.99

À lire aussi : Une critique de Anarchy Evolution par sceptic.com

>> Article initialement publié sur Le bLoug

>> Illustrations Couverture du livre Anarchy Evolution, Tiktaalik BW de Nobu Tamura [GFDL, CC-BY-SA-3.0 or CC-BY-2.5], via Wikimedia Commons, The Adolescents de paxpuig AttributionNoncommercialNo Derivative Worksp373 AttributionShare Alike

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http://owni.fr/2011/04/05/l-origine-des-especes-de-punks/feed/ 2
Humour dans les sciences: à la recherche du bon dosage http://owni.fr/2011/03/04/humour-dans-les-sciences-a-la-recherche-du-bon-dosage/ http://owni.fr/2011/03/04/humour-dans-les-sciences-a-la-recherche-du-bon-dosage/#comments Fri, 04 Mar 2011 16:48:44 +0000 Guillaume Fabre http://owni.fr/?p=34252 En lisant la célèbre série de SF, « Fondation », j’ai appris qu’avant de devenir un des écrivains de SF les plus populaires, Isaac Asimov était professeur de biochimie à l’université de Boston (School of Medicine).

Dans ce cadre, il avait réalisé que les chercheurs se faisaient parfois une mauvaise idée de la manière dont on réalise des progrès en sciences. Plus que l’illumination ou le travail acharné, il voulait mettre en exergue la part d’amusement et de curiosité quasi-enfantine qui motive les génies scientifiques.

« The most exciting phrase to hear in science, the one that heralds new discoveries, is not ‘Eureka!’ (I found it!) but ‘That’s funny’ … » qu’on pourrait traduire par « La chose la plus excitante à entendre en science, celle qui proclame de nouvelles découvertes, n’est pas « Eureka » (j’ai trouvé !) mais ‘C’est rigolo…’ ».

Peu d’amateurs de SF savent que cet auteur a publié des recueils de blagues (Isaac Asimov’s Treasury of Humor et Asimov Laughs Again) et donnait même la méthode pour bien les raconter.

Quand mon humour fait « Boum »

Dans le même genre, il faut aussi parfois s’imaginer les chercheurs du projet Manhattan enfermés à Los Alamos, en pleine création de l’arme qui repoussait les limites de la destruction, s’amuser souvent comme des gamins entre eux. Profitons-en pour donner une citation d’allure polissonne d’Oppenheimer qui dirigeait ce projet:

« Understanding is a lot like sex. It’s got a practical purpose, but that’s not why people do it normally » que nous traduisons par « La compréhension ressemble fort au sexe. Cela a un but pratique, mais ce n’est pas la raison pour laquelle les gens le font d’habitude ».

Feynman et Oppenheimer à Los Alamos

Dans ce groupe de physiciens atomiques, il y avait aussi le futur prix Nobel, Richard Feynman, qui a d’ailleurs repris cette citation à son compte (il était de nature très libérale sur tout ce qui touchait au sexe, au passage).

Feynman fut un grand vulgarisateur et ses interviews connaissent un grand succès sur Youtube. Par exemple, sur la vidéo qui suit, il explique comment fait un train pour rester sur les rails dans les virages alors que ses roues n’ont pas de différentiels : tout est dans la forme de la roue.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

L’humour et la fantaisie de ce prix Nobel étaient bien connus même si la vie l’a parfois affecté durement (sa femme est décédée lorsqu’il travaillait au projet Manhattan). Certains ouvrages qui narrent ses anecdotes orales ont été de grand succès comme « Vous voulez rire, Monsieur Feynman ! ».

One man show scientifique

Plus près de nous, parmi les personnes que je suis sur Twitter, il en est un qui s’est bombardé du nom de « Science Comedian » : Brian Malow. Ce comédien des sciences a d’ailleurs déposé un site du même nom.

Il faut souvent un minimum de connaissances scientifiques pour comprendre son humour. Ainsi, sur sa page « à propos », il fournit une citation de sa composition que je traduis directement :

« Les femmes sont passées dans ma vie comme des particules exotiques le font à travers une chambre à brouillard, ne laissant que des traces de vapeur comme indices pour que j’étudie leur nature ».

Il faut déjà savoir ce qu’est une chambre à brouillard (ou chambre de Wilson)… J’ai le regret de ne jamais avoir vu pour de vrai cette incroyable expérience de physique. Voici une démonstration au sein du plus célèbre des musées scientifiques au monde : l’Exploratorium de San Francisco (j’ai eu le privilège de visiter il y a 10 ans).

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Brian Malow a décidé de faire rire les gens avec les sciences, en adaptant le niveau à son auditoire. Pour les étudiants en sciences, les blagues puisent dans leurs connaissances et commencent souvent comme cela : « Un virus rentre dans un bar… » et s’ensuit une situation irréelle et cocasse.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Il s’est fatalement posé la question de savoir si tous les scientifiques avaient le sens de l’humour. Réponse en vidéo :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Oscar des recherches improbables

Et pour éviter à ces chercheurs de prendre trop la grosse tête, il existe les prix Nobel inversés annuels, les IgNobels . Leur fondateur Marc Abraham d’IgNobel répète à envie que les prix sont surtout là pour récompenser les recherches qui font d’abord rire, puis réfléchir.

Un exemple est à relever tout récemment sur l’excellent blog « Twisted Physics » où on peut lire qu’une recherche a souhaité répondre à cette question digne d’un enfant (mais ce sont souvent les plus embarrassantes) : « Comment fait Woodywood Pecker pour ne pas avoir mal au crâne ? ». Ces recherches tombaient à pic (c’est le cas de le dire), car elles ont ouvert la voie à d’autres sur l’amortissement de chocs pour l’électronique.

Le choix du thème du billet de « Twisted Physics » n’est pas innocent car il est fondé sur une actualité qui a défrayé la chronique outre-Atlantique dernièrement : un ancien joueur de football américain s’est ôté la vie en se tirant dans la poitrine tout en précisant sur son testament qu’il léguait son cerveau à la Science afin de déterminer si les joueurs de ce sport culte subissent des ravages cognitifs suite aux chocs et en dépit de toutes les protections personnelles.

Le paradoxe de cette parodie des Nobels est que la plupart des chercheurs sont heureux de recevoir cette récompense moqueuse, car elle permet de faire connaître leurs travaux, qui, malgré leur air parfois incongrus, sont souvent plus prometteurs et utiles qu’on ne l’aurait pensé de prime abord.

Le médiateur et l’humour

Trop souvent, on observe les mêmes écueils lors de conférences grand public, par exemple lorsque l’auteur d’un livre part en « tournée de promotion » : ton monocorde, peu de mouvements sur scène, pas d’« effets », peu d’exemples et, le pire de tout, une confusion entre présentation publique de ses travaux et présentation à des pairs… Les éditeurs devraient-ils songer à proposer des stages de communication à leurs auteurs ?

La question que l’on doit se poser lorsqu’on réalise un projet de vulgarisation est :  « Quelle teneur en humour puis-je injecter dans mon exposé, selon le contexte, le média employé, le type de public ? ». Ceci, dans le but évident de mieux captiver son auditoire, de faire rebondir un exposé qui peut faire parfois appel à des notions difficiles, etc.

L’idée n’est pas de faire le pitre ou l’intéressant mais de trouver les bons codes et recettes afin de captiver son auditoire, quel que soit son niveau d’expertise : le mettre à l’aise et le surprendre afin de soutenir son attention tout au long d’une conférence puis de bien faire passer et ancrer le message à retenir.

Pour ne prendre que mon exemple personnel, je dois partiellement mon goût pour les sciences physiques à mon professeur de quatrième qui se démarquait du lot par un délicieux humour cynique. Des exemples remarquables, à mon sens, de vulgarisation scientifique à l’humour bien dosé, sont les prestations de l’américain Neil DeGrasse Tyson.

Voici une vidéo sous-titrée par mes soins où DeGrasse Tyson évoque le thème des ovnis. Pourquoi personne n’en prend de la graine en France ?

Émerveiller pour enseigner

Les recherches scientifiques actuelles ont tout pour déconcerter le citoyen moyen : de formidables prouesses dans des domaines quasi incompréhensibles pour le commun des mortels (pensons au LHC) et en même temps des perspectives catastrophiques (pensons au climat).

Dans ce cadre, l’usage de l’auto-dérision (« Si on savait ce que l’on cherchait, on n’appellerait pas cela de la recherche ! » ou « La physique commence à devenir trop difficile pour les physiciens ») voire même de l’ironie et de l’humour noir peut arriver à faire éprouver de la sympathie pour celui qui réalise son exposé, et indirectement, faire davantage confiance en la Science.

Je crois en effet qu’il est nécessaire de partir d’un exemple simple ou du vécu pour attirer l’attention : combien de scientifiques doivent leur carrière à un émerveillement d’enfant (Einstein et sa boussole à 5 ans) ou aux rêves provoqués par différents média : littérature (principalement de la SF), films ou séries télévisées ?

En une phrase : si l’on veut voir grossir les effectifs des étudiants sur les bancs des universités scientifiques, il faut se souvenir de la citation d’Oppenheimer. Faisons rire, émerveillons le public et montrons également que le champ scientifique permet d’exercer sa curiosité et d’exprimer une grande créativité.

Je ne garantis pas que les étudiants seront meilleurs aux examens avec cette méthode, mais plus nombreux sur les bancs, certainement !

Aux États-Unis, on commence à faire davantage qu’à en prendre conscience : tout récemment, l’AAAS a tenu sa convention annuelle à Washington et pour la première fois de son histoire a organisé une conférence nommée « The Science of Comedy : Communicating with Humor ».

Et le mois dernier s’est tenu un nouveau type de congrès : « The summit on Science, Entertainment and Education ». Le titre du sommet qui mélange les genres dit tout : on compte inspirer les jeunes avec les média afin de les amener à embrasser la Science.

Pour aller plus loin

Deux exemples d’humour efficace en Sciences

Exemple 1 : Surprendre par une réponse inattendue

Question du prof : « Pourquoi un ballon de baudruche s’élève dans le ciel ? »
Réponse honnête de l’étudiant : « parce qu’il est rempli d’hélium et…
Prof qui coupe la parole : mais non, c’est parce que quelqu’un a lâché la ficelle !

Exemple 2 : Raconter une histoire qui est à peine caricaturale (précision d’un ancien étudiant en mécanique des fluides)

Un milliardaire voudrait offrir des millions à celui qui répondra à cette question : « Comment prédire les chevaux qui ont le meilleur potentiel pour la course ».

Un généticien, un physiologiste et un physicien sont convoqués et reviennent au bout d’un mois.

  • Le généticien affirme qu’il a fait le tour de toutes les publications, vérifié l’ADN des lignées de chevaux sur des décennies mais le problème est hélas trop complexe pour prédire un gagnant.
  • Le physiologiste s’y colle et regarde la densité musculaire et osseuse et autres facteurs et conclut que le problème contient trop de facteurs pour réaliser une prédiction fiable.
  • Le physicien s’y attèle à son tour et revient avec le sourire en disant : « Voilà : cette équation résout votre problème ».

Le millionnaire est heureux et s’apprête à saisir son chéquier quand le physicien rajoute : « Une chose à savoir : mon équation s’applique à un cheval à symétrie sphérique qui se déplace dans le vide. ».

>> Illustrations : FlickR, licence CC (sauf la seconde : Wikimedia Commons) : turkguy0319, csuspect, key lime pie yumyum, Greyhawk68

>> Article initialement publié sur le blog de Knowtex

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La Science de la Cour http://owni.fr/2011/02/14/la-science-de-la-cour/ http://owni.fr/2011/02/14/la-science-de-la-cour/#comments Mon, 14 Feb 2011 09:52:04 +0000 Camille D'andréa http://owni.fr/?p=34072 Férue d’histoire des sciences, c’est tout naturellement que je suis allée visiter l’exposition que propose le Château de Versailles jusqu’au 27 février prochain : « Sciences & Curiosités à la Cour de Versailles ». Avec ce voyage dans le temps, j’espérais découvrir des objets historiques, bien sûr, mais aussi des explications plus larges sur la science à cette époque.

À mon entrée dans le Château, un rhinocéros me fait un accueil des plus chaleureux. Assisté par ses deux petits compagnons exotiques à plumes, il m’invite à monter de grands escaliers cosy à la lumière tamisée. S’ensuit une salle avec un écran disposé à 360° nous présentant les divers lieux de sciences à Versailles allant du petit Trianon aux jardins. Au plafond, un gigantesque globe céleste .

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Après cette mise en bouche, j’entre dans l’exposition proprement dite. J’y apprends que la science n’était pas oubliée en ces temps de monarchie (la période présentée par l’exposition s’étend de 1682 à 1789). Les rois semblent même passionnés par les disciplines scientifiques. Ils invitent des savants et assistent à leurs démonstrations. De manière plus pragmatique, ils mettront les sciences au service des grands dessins de l’Etat. En témoigne la naissance en 1666 de l’Académie des sciences et de l’Observatoire de Paris.

L’astronomie est d’ailleurs très prisée pour la navigation et la cartographie devient un des objectifs prioritaires pour les rois, qui s’essayeront parfois même à dessiner les cartes.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

J’ai la chance de pouvoir contempler de nombreux tableaux (comme l’Allégorie du Nouveau Monde) et des ouvrages de sciences dont la fameuse Encyclopédie de Diderot et D’Alembert, interdite pendant un temps pour ses propos anti-religieux.

Une information, parmi tant d’autres, que j’apprends grâce à un guide, que je ne peux que vous conseiller chaleureusement, les explications étant peu nombreuses sur les cartels. Une faiblesse compensée par une très belle scénographie, simple et claire. On se balade dans de petites salles plutôt sombres, ce qui permet de développer une certaine intimité avec les objets exposés – et avec les autres visiteurs aussi, si vous venez en heures d’affluence.

Les conservateurs de l’exposition ont également fait la part belle aux diverses machines et machineries. L’alimentation en eau constituait un défi important pour l’époque, d’autant plus dans ce lieu parsemé de fontaines. Quelle ingéniosité déployée en ce 17ème siècle ! La machine de Marly, située en bord de Seine, met en œuvre des techniques bien connues mais dans des proportions gigantesques. Un aqueduc sera même construit, uniquement pour le prestige de la Cour.

Au fil de ma visite, je passe dans diverses salles (voir le plan) ou voisinent la zoologie, la botanique et la médecine. Versailles était un vrai laboratoire grandeur nature où la pomme de terre devient un complot d’Etat et l’opération de la fistule sans anesthésie une mode.

Dans les ultimes salles, une collection impressionnante de merveilleux objets exclusifs où sciences et esthétique se mêlent et s’entremêlent sans distinction : des petits planétariums, des globes terrestres et célestes tournant sur eux-mêmes grâce à des mécanismes d’une finesse incomparable, la fameuse pendule astronomique conçue pour fonctionner 9 999 ans…

Lors d’une conférence le 6 janvier dernier au Musée des Arts et Métiers, on a notamment appris que Catherine Arminjon, conservateur général du patrimoine et commissaire de l’exposition a bataillé ferme depuis 2007 pour obtenir ces objets. 15 d’entre eux proviennent du Musée des Arts et Métiers (8 exposés et 7 des réserves).

C’est sur la pendule de la Création du monde, véritable œuvre d’art et de mécanique conçue par Passemant que je termine mon voyage dans le temps.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

La vue de ces objets me laisse quelques paillettes d’or dans les yeux, mais je regrette en revanche le manque d’explications et de références scientifiques. Des informations historiques sur chaque objet présenté auraient également pu être utiles. En bref, une exposition qui donne envie d’approfondir le sujet.

>> Pour aller plus loin : le Château de Versailles dispose d’un centre de recherche qui aborde notamment les relations entre sciences et pouvoir dans les cours européennes.

>> Article publié initialement sur le blog de Knowtex sous le titre Nobles sciences au château

>> Photo FlickR CC : Gilderic

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Squelettes, passe-murailles et modélisation 3D http://owni.fr/2011/02/08/squelettes-passe-murailles-et-modelisation-3d/ http://owni.fr/2011/02/08/squelettes-passe-murailles-et-modelisation-3d/#comments Tue, 08 Feb 2011 16:22:00 +0000 Marion Sabourdy http://owni.fr/?p=34053 Le 9 décembre dernier, je traversais le Pont des Arts en évitant les plaques de glace et me dirigeais vers l’Académie des sciences. Au programme : la présentation d’un numéro spécial « Palévol » des compte-rendus de l’Académie sur l’utilisation de la 3D en paléontologie et paléoanthropologie. L’institution avait fait les choses en grand : invitation de plusieurs journalistes, goûter, et surtout présence des académiciens Jean Dercourt et Philippe Taquet (également paléontologue et auteur), du dessinateur scientifique Didier Geffard-Kuriyama, du paléontologue Gaël Clément et du paléoanthropologue Antoine Balzeau. Tous ont présenté leurs activités ou les avancées de la 3D dans leurs disciplines. Rien de révolutionnaire donc, mais un état des lieux très intéressant.

Pour constituer cet imposant ouvrage (216 pages), D. Geffard-Kuriyama et G. Clément ont fédéré 20 contributions scientifiques indépendantes de 85 auteurs de 13 nationalités, dont la plupart ont entre 30 et 40 ans. Le résultat est une revue pluridisciplinaire (paléontologie, paléoanthropologie, archéologie, biologie), qui évoque de nombreux objets d’étude du micron au mètre (plantes, invertébrés, vertébrés, homme…), depuis – 400 millions d’années jusqu’à aujourd’hui.

Les nouveaux passe-murailles

Philippe Taquet y signe un article de synthèse intitulé L’imagerie 3D appliquée à la paléontologie et la paléoanthropologie : les nouveaux passe-murailles (PDF), en hommage à la nouvelle de Marcel Aymé (1943). Il y fait un détour historique du côté de l’anatomie comparée et de Cuvier, qui préparait le « squelette de nombreux poissons en désarticulant les os du crâne » afin d’en comprendre l’agencement. Une technique que les paléontologues ne peuvent pas imiter, eux dont les organismes étudiés sont enchâssés dans des gangues de pierre et donc souvent inaccessibles à la vue (notamment les parties internes).

Il se souvient, avec Jean Decourt, du professeur Jean-Pierre Lehman (MNHN), qui a introduit en France une nouvelle technique. Il découpait avec une scie diamantée de minces pellicules de fossiles de poissons pour les photographier et reconstituer un modèle en cire. Nouvelle technique précise, certes, mais terriblement longue (un à deux ans pour la reconstitution) et surtout destructrice, tout comme l’usage d’acides pour dissoudre la roche autour des fossiles.

L’apparition des rayons X en 1895 (néanmoins peu précis), puis leur couplage avec l’ordinateur (« computed tomography ») à partir des années 1970 ont «  permis une véritable révolution dans l’examen du vivant. L’ordinateur est capable de restituer l’ensemble d’un organisme qui a été balayé plan après plan par les faisceaux de rayon X et d’en proposer une image virtuelle en trois dimensions ». La fin de son article est une liste des structures rendues visibles (tracé des nerfs et des vaisseaux, forme de la cavité cérébrale, contours et limites de chaque os…) et de techniques (tomographie à haute résolution, rayonnement X synchrotron en contraste de phase, numérisation surfacique).

Du citron au dinosaure

D’après Gaël Clément, « quand le public voit un fossile, il pense que c’est un « fantôme » grossier de l’animal. Pourtant, un fossile n’est pas un moulage, car chaque élément de l’animal est conservé, par exemple la dentine ou les os très fins de l’endocrâne ». Et le chercheur de donner plusieurs exemples développés dans l’ouvrage. Les coupes virtuelles d’un citron carbonisé de 2700 ans ont permis de déterminer les voix de commerce du citron autour de la méditerranée dans l’Antiquité. Des fossiles de chimères de 340 millions d’années complètement écrasés ont pu être dégagés virtuellement, redressés et moulés en 3D grâce à une imprimante spéciale. La visualisation d’un placoderme de 400 millions d’années a permis de mettre en évidence des structures fossiles cachées et impossible à préparer au microscope, comme un fin réseau neurovasculaire.

Des insectes piégés dans de l’ambre fossile opaque ont pu être visualisés grâce au synchrotron de Grenoble (larve de coléoptère de moins d’un millimètre, araignée de 500 microns… tout un bestiaire effrayant digne de la science-fiction). La numérisation permet de comparer l’anatomie des fossiles avec les animaux actuels (par ex. crânes de requins) ou d’analyser des complexes anatomiques comme la morphologie de l’oreille interne à la transition entre les dinosaures et les oiseaux (audition, équilibre, locomotion…). Les ordinateurs permettent également de modéliser des contraintes mécaniques, comme les forces appliquées sur les poignets des grands vertébrés (éléphants). Les muséologues s’intéressent également à ces études pour pouvoir reconstituer les squelettes de manière la plus réaliste possible. Dernier exemple, et non des moindres : la « renaissance » des organismes fossiles par images de synthèse (muscles, peau, locomotion…) pour des films de fiction ou de vulgarisation.

La 3D : un coût, une conservation, le partage

Au-delà des prouesses techniques, plusieurs éléments ont attiré mon attention lors de cette conférence. Le premier est le coût de ces acquisitions : 500 euros pour la tomographie d’un spécimen moyen, selon Gaël Clément ! De plus, les appareils, comme le synchrotron de Grenoble, ne sont pas accessibles librement. « Il faut envoyer un projet de recherche à une commission pour qu’elle détermine si les chercheurs ont droit à un certain temps de faisceau ». Le synchrotron de Saclay a carrément dédié une de ses « lignes » aux matériaux anciens (mais n’en est pas moins surbooké). Quant au Muséum national d’Histoire naturelle, il a d’or et déjà lancé une politique d’acquisition d’appareils, mutualisés à l’ensemble de ses collections.

Le second élément est celui de la conservation de ces données numérisées. A priori, les données brutes doivent toujours accompagner l’holotype (l’objet numérisé), le modèle virtuel et la réplique 3D (parfois plusieurs fois plus grande que l’holotype). Il va sans doute falloir agrandir les étagères des muséums, déjà bien remplies (60 millions de spécimens dans celui de Paris) sans parler des serveurs ! Selon Gaël Clément, « les responsables de collection donnent en priorité leurs spécimens les plus importants ou rares » mais il reste difficile de « choisir certains spécimens car souvent, le paléontologue ne sait pas ce qu’il va trouver à l’intérieur » nuance Didier Geffard-Kuriyama.

Autre point sur lequel il serait intéressant d’avoir un retour de chercheurs, blogueurs ou journalistes : la disponibilité des données pour les chercheurs n’ayant pas participé à l’étude.Autant le dire tout de suite, les participants que j’ai interrogés ne connaissent absolument pas la licence creative commons et les données n’ont pas l’air de circuler librement dans le monde de la recherche.

Historiquement, les fossiles humains sont rares et jalousement gardés, tout comme leur numérisation, indique Antoine Balzeau, mais les choses évoluent et les paléoanthropologues commencent à partager des informations plus librement comme dans le cas de l’homme de Florès .

Au-delà du monde de la recherche, Philippe Taquet a également suggéré que ces données puissent être fournies aux pays émergents, « dont une partie de leur patrimoine qui se trouve dans nos muséums » et pourquoi pas au grand public, on peut toujours rêver…

>> Article initialement publié sur Quand les singes prennent le thé

>> Photos CC FlickR : Andres Rueda, seriykotik1070, Bolt of Blue

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