OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Du bon usage des photos de stock http://owni.fr/2011/06/28/du-bon-usage-des-photos-de-stock/ http://owni.fr/2011/06/28/du-bon-usage-des-photos-de-stock/#comments Tue, 28 Jun 2011 06:20:03 +0000 Patrick Peccatte http://owni.fr/?p=71899 Le service TinEye de la société canadienne Idée était depuis 2008 le seul outil gratuit permettant d’effectuer des recherches inversées d’images. La nouvelle fonctionnalité Search by Image [SbI dans la suite de ce billet] proposée récemment par Google Images porte désormais ce type de recherche à une échelle bien plus vaste. Cette nouveauté a d’ailleurs été accueillie sportivement mais avec un peu d’inquiétude par TinEye.

La base de TinEye référence des images ajoutées par un robot crawlant le Web. Mais elle contient également des images provenant de contributeurs partenaires tels que GettyImages, iStockphoto, Photoshelter, etc. Il s’agit là d’un point fort du service puisque ces collections intégrées constituent une partie organisée et contrôlée de la base indexée permettant à l’aide du moteur d’identifier parfois l’origine probable d’une image utilisée sur le Web.

Cependant, bien que TinEye revendique deux milliards d’images indexées, sa base demeure peu volumineuse par rapport à celle du mastodonte Google Images. Et surtout, l’utilisateur ne peut effectuer qu’un nombre limité de recherches: 50 dans une même journée et 150 par semaine. Pour s’affranchir de cette limitation, il doit souscrire un abonnement commercial qui autorise aussi l’automatisation des recherches à l’aide de l’API du système.

Le service gratuit et grand public de TinEye apparaît donc comme un produit d’appel – au demeurant fort utile – qui permet à la société Idée de proposer ensuite une offre commerciale comme il en existe d’autres réservées au monde professionnel

Google SbI quant à lui opère sur une base d’images bien plus grande que TinEye et n’impose pas de limite dans le temps au nombre de recherches effectuées. Par contre, toutes les images retrouvées proviennent du crawling réalisé par les robots du moteur. Aucune image indexée n’a été préalablement sélectionnée et éditorialisée dans une collection fournie par un prestataire quelconque. Ces différences majeures conduisent donc à considérer que pour un utilisateur “lambda” n’ayant pas investi dans un service professionnel, TinEye et Google SbI sont complémentaires plutôt que concurrents.

Analyser l’utilisation des photos de stock

Jusqu’à l’apparition de Google SbI, seules des recherches inversées très ponctuelles étaient possibles à l’aide de TinEye; il n’était guère envisageable de réaliser une analyse exhaustive des images utilisées sur un site complet, sauf à acquérir une licence d’un logiciel professionnel (et encore…). La conjugaison des deux services permet dorénavant de conduire rapidement des études intéressantes sur les utilisations des photos de stocks par les sites d’entreprises ou institutionnels. Voici quelques exemples.

Soit le site daucy.fr d’une marque bien connue sur le marché des légumes en conserve

Une analyse globale de ce site permet d’identifier 627 images différentes réparties ainsi:

  • 352 photos de produits comportant le nom de la marque,
  • 68 images “de service” (boutons, lignes, signes graphiques divers),
  • 207 photos d’illustration choisies d’après le contexte de la page où elles apparaissent mais qui ne comportent pas le nom de la marque.

La méthodologie suivie pour repérer les images de stock utilisées est simple. Elle ne concerne bien évidemment que la dernière catégorie d’images. Deux “filtres” successifs sont mis en œuvre. Il s’agit d’analyser d’abord chacune de ces 207 photos à l’aide de Google SbI. Ensuite, les photos qui ne paraissent pas issues de banques de stock selon ce premier crible sont analysées à l’aide de TinEye.

Le procédé permet de repérer rapidement 106 photos clairement issues de banques de stock et 101 photos qui, selon nos deux logiciels détectives, sont inconnues ailleurs que sur daucy.fr. Mais cette répartition presque exactement à parts égales ne constitue en fait qu’une limite basse pour les photos de stock. Tout d’abord, le service TinEye n’a pu être utilisé dans cette expérience sur toutes les images que nous souhaitions analyser en raison des limitations temporelles expliquées ci-dessus. Ensuite, le fait qu’une image ne soit pas reconnue dans les index de Google SbI et TinEye ne signifie pas qu’elle ne provient pas d’une banque de stock. C’est ainsi que les nombreuses photos de recettes qui figurent sur le site en question proviennent presque certainement toutes de microstocks ou de banques généralistes ou spécialisées dans le culinaire qui demeurent à l’écart des crawlers des deux services. Au final donc, seule une poignée de photos d’illustration de ce site ont été réalisées expressément pour le commanditaire. La plupart des images où ne figurent pas le nom de la marque n’ont aucun lien avec la réalité de l’entreprise. Ce sont des images décoratives composées a priori et partagées par de nombreux autres sites.

Distinguer les photos de stock des photos originales

On rétorquera sans doute que ce phénomène d’utilisation massive des images de stock est bien connu. Certes, mais il est désormais possible de quantifier précisément le ratio entre photos de stock et photos originales utilisées sur un site. Et pour les raisons qui viennent d’être données, ce ratio sur lequel les studios graphiques ne communiquent pratiquement jamais est toujours plus élevé que celui établi par l’investigation réalisable maintenant avec la recherche inversée. Cette possibilité d’analyse et de quantification d’une pratique très répandue est certainement nouvelle. On peut cependant aller plus loin en examinant plus précisément la nature de ces images partagées et détecter ainsi quelques utilisations curieuses ou même problématiques des photos de stock.

Examinons par exemple la page intitulée “Les légumes : indispensables pour un repas équilibré“:

Les trois images sont des photos de stock provenant des banques Getty Images (1) et iStockphoto (2 et 3), et elles sont utilisées sur de nombreux sites variés comme on peut s’en rendre compte à l’aide des requêtes suivantes sur Google SbI: 1, 2, 3.

En fait presque toutes les photos de légumes frais qui figurent sur ce site proviennent de stocks et un esprit un peu taquin pourrait penser que la marque préfère présenter ces belles images de produits appétissants plutôt que les légumes qu’elle utilise réellement

Mais après tout, une carotte est toujours une carotte et l’on peut estimer que ces images qui se retrouvent dans d’autres contextes que celui de l’entreprise n’ont pas grande importance. L’usage de photos passe-partout devient par contre plus problématique quand il s’agit d’images de personnes. Examinons maintenant la page “Dans les ateliers de production“:

En un clic, on s’aperçoit que la jeune femme en blanc qui illustre le paragraphe “Qualité” travaille aussi dans un laboratoire vétérinaire, dans le secteur pharmaceutique, dans le contrôle qualité, dans un laboratoire d’investigation criminelle, etc. Et toutes ces activités concomitantes se déroulent en Asie, en Europe, aux États-Unis.

Un autre clic nous apprend que la chercheuse en petits pois du second paragraphe est aussi secrétaire dans une agence du Crédit Agricole, teste des produits médicaux, participe au denier du culte en Allemagne, sans oublier qu’elle a aussi une carrière bien remplie d’astrologue.

La tromperie peut être encore plus flagrante. Pour ce dernier exemple, quittons nos légumes et observons le site de la très sérieuse Fédération Bancaire Française, sur sa page “Découvrez les métiers de la banque“.

Identifier les usages illicites

Lorsque l’on clique sur l’un des métiers mentionnés en lien, une fiche descriptive apparaît, souvent terminée par un témoignage. Tous les portraits qui accompagnent ces témoignages sont factices. Ce sont des photos de stock. Ainsi, Olivier (trader à Paris) poursuit de multiples carrières aux quatre coins du monde et Étienne (juriste en banque de détail) n’en finit pas de se démultiplier pour satisfaire tous ses brillants employeurs. Ces pratiques que l’on aurait pu croire réservées aux pires sites de rencontre passaient auparavant facilement inaperçues. L’honorable institution qu’est la FBF est pourtant bien coupable de bidonnages, moins spectaculaires mais aussi intéressants que celui qui vient de se dérouler sur TF1.

Témoignages bidonnés sur le site de la Fédération Bancaire Française

Les professionnels de la photographie ont en général bien accueilli Google SbI. Ils voient dans cette fonctionnalité une aide à l’identification des usages illicites des photos. Mais au delà de cette “chasse aux photos volées”, les services de recherche inversée constituent aussi des outils fort utiles pour l’amélioration des usages iconographiques. Les directeurs artistiques doivent devenir extrêmement attentifs lorsqu’ils choisissent des images. Il est indispensable qu’ils identifient systématiquement les usages passés éventuels d’une photo qui retient leur attention. Les agences peuvent aussi mettre en évidence auprès de leurs clients les effets pervers de la concentration et de l’assèchement des sources d’images. Les photographes enfin, disposent avec ces outils d’un moyen d’influencer leurs commanditaires afin de mettre en avant leurs images personnalisées et créatives.


Publié initialement sur Culture Visuelle – Déjà Vu sous le titre, Du bon usage des photos de stock
Photos et illustrations : captures d’écran

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L’astronomie amateur, la science populaire n’est pas qu’un loisir! http://owni.fr/2011/03/26/astronomie-amateur-science-populaire-loisir/ http://owni.fr/2011/03/26/astronomie-amateur-science-populaire-loisir/#comments Sat, 26 Mar 2011 11:30:18 +0000 Patrick Peccatte http://owni.fr/?p=53137 Article initialement publié sur Culture Visuelle et sélectionné par OWNIsciences

Lors d’une session récente de son séminaire Esthétique de l’image numérique, André Gunthert est revenu sur la question des pratiques amateurs à propos de la parution du livre de Patrice Flichy Le sacre de l’amateur: sociologie des passions ordinaires à l’ère numérique.

Les lecteurs de Culture Visuelle connaissent bien le terme amateurs. Sur cette plate-forme de blogs, il signifie pratiquement toujours photographes amateurs et se comprend de fait en rapport (et parfois en rivalité) à la photographie professionnelle. Mais le champ couvert par les pratiques amateurs est évidemment bien plus vaste, même si l’on se limite aux activités dites « de loisir » impactées par les technologies numériques .

En examinant cette question d’un point de vue historique, André Gunthert identifie plusieurs domaines où l’amateurisme s’est développé bien avant de se transformer en un système alliant reconnaissance académique et professionnalisation. Il s’agit en particulier de l’amateur d’art et du rôle de l’accumulation ostentatoire des œuvres pratiquée par les rois et princes. De la même manière, l’activité des savants n’a pu se développer que parce que ceux-ci étaient alors protégés et financés par ces mêmes puissants personnages, qui étaient également amateurs de science. Mais à côté de ce mécénat artistique et scientifique, certains savants de premier plan furent engagés par ailleurs dans une activité lucrative quelconque et pratiquaient les sciences presque « comme un loisir ». Au XVIIeme siècle, la vie et l’œuvre de Pierre de Fermat, « prince des amateurs » , sont à cet égard emblématiques.

Avec la professionnalisation et l’institutionnalisation des sciences, il semble qu’il n’y ait plus guère de place pour ces amateurs de science éclairés et inventifs. Les sciences sont devenus bien trop complexes et spécialisées pour qu’il soit possible pour un amateur de s’y intéresser autrement qu’en spectateur. La figure de l’amateur de sciences dans le meilleur des cas serait alors celle d’un érudit ou d’un praticien approximatif de telle ou telle discipline pour laquelle il se passionne. Mais le chercheur professionnel moderne ne peut pas lui reconnaître le niveau requis pour « faire de la vraie science ». Il existerait ainsi deux continents : les véritables scientifiques qui participent de manière active à l’avancement d’un savoir et les amateurs qui ne peuvent prétendre qu’à une compréhension vulgarisée, ludique et simplifiée de ce savoir et sont alors rangés dans le rayon des « loisirs créatifs » au côté des férus du point de croix. Au mieux, on reconnaîtra dans certaines disciplines où des moyens techniques considérables ne sont pas toujours indispensables, que des autodidactes de génie puissent rivaliser ou même dépasser les professionnels. Ils sont alors, en règle générale, rapidement intégrés au système académique classique; le cas du mathématicien Ramanujan vient ici immédiatement à l’esprit.

Les pratiques amateurs dans les sciences seraient donc de facto incommensurables avec celles que l’on connait en photographie où l’on sait qu’elles sont parfois comparables sur le plan des techniques et des résultats aux pratiques professionnelles. Examinons de plus près cette idée à propos d’une discipline, l’astronomie, où d’ailleurs nous rencontrerons à nouveau la photographie.

La grande nébuleuse d’Orion (M42), par Thomas Shahan. Flickr, licence CC.

L’astronomie amateur

Plus encore peut-être que l’expression photographie amateur, la locution astronomie amateur est devenue consacrée. Elle forme un tout indissociable pour les protagonistes de l’activité. Le terme amateur n’est jamais considéré comme péjoratif, ce n’est pas le signe d’un manque par rapport à l’astronomie professionnelle. Les praticiens de la discipline se désignent d’ailleurs de plus en plus souvent par l’abréviation astram.

C’est un vocable similaire comportant le mot amateur qui est utilisé dans la plupart des langues européennes. Au États-Unis, on emploie aussi les expressions backyard astronomy (l’astronomie chez soi) et stargazing lorsque l’on ne s’intéresse pas à l’activité de construction des instruments qui fait partie intégrante de l’amateur astronomy.

Une brève histoire de l’astronomie amateur en France

Il existe en France une longue tradition de l’astronomie populaire. Elle remonte à trois ouvrages majeurs : le Traité philosophique d’astronomie populaire d’Auguste Comte (1844), l’Astronomie Populaire de François Arago – édition posthume (1854) par Jean-Augustin Barral, et enfin l’Astronomie Populaire de Camille Flammarion (1880) . Ces livres s’inscrivent certes dans le remarquable développement de la vulgarisation scientifique au cours du XIXème siècle , mais dans le cas de l’astronomie, ils ont aussi leur origine dans une véritable politique scientifique.

Le rapport du 7 messidor an III (25 juin 1795) rédigé par l’abbé Grégoire crée le Bureau des Longitudes. Le texte précise: « Ce Bureau fera, chaque année, un cours public d’Astronomie ». Il s’agissait grâce à ce cours de commencer à former de futurs observateurs et calculateurs pour remplir les missions dévolues au Bureau, en premier lieu améliorer la détermination des longitudes en mer – tâche évidemment très importante à l’époque tant du point de vue militaire que civil.

L’ouvrage d’Arago, en quatre volumes, est la transcription de ce cours oral public donné à l’Observatoire de Paris de 1812 à 1840 et qui rencontre un très grand succès au long de ces années. Arago veut être élémentaire et clair, il utilise dans son texte très peu de mathématiques. Mais son cours demeure un ouvrage de savant, didactique, précis et sans fioritures.

La version que donne Flammarion de l’astronomie populaire est bien différente. Son ouvrage est certes dédié à Arago, « fondateur de l’Astronomie populaire », mais son style tout en digressions romantiques n’a rien à voir avec celui du célèbre astronome.

À cette époque, un rapport précise que les observatoires d’État sont minoritaires dans les pays anglo-saxons du fait de l’importance des observatoires privés et universitaires . En France également, des observatoires privés font leur apparition. Ainsi, Flammarion n’est pas un astronome institutionnel. C’est un savant « indépendant ». Chassé de l’Observatoire de Paris par Le Verrier alors qu’il était apprenti, il a manifesté toute sa vie une certaine défiance envers la science académique tout en conservant de bons rapports avec de nombreux astronomes institutionnels. Il était en fait très soucieux de la légitimité scientifique de ses différentes activités, en astronomie comme dans les autres disciplines qu’il a abordé (dont le spiritisme). Le succès de son ouvrage majeur lui permettra de développer son observatoire privé à Juvisy-sur-Orge où il entreprendra entre autres travaux de nombreuses expériences de photographie astronomique.

Dès l’édition de 1880, l’Astronomie Populaire mentionne l’astronome amateur ou l’amateur d’astronomie. La figure de l’astronome amateur apparaît bien à cette époque et très probablement chez Flammarion. Elle s’est ensuite diffusée dans la culture populaire à travers différents canaux dont la littérature. En 1877 par exemple, le professeur Palmyrin Rosette du roman Hector Servadac de Jules Verne est encore un astronome autodidacte, probablement inspiré d’ailleurs par Flammarion lui-même. Plus tard, en 1901, ce sont explicitement des astronomes amateurs que le même auteur met en scène dans La chasse au météore.

Car « pratiquer et faire pratiquer l’astronomie est l’objectif, l’obsession de Flammarion » .  Il fonde en 1887 la Société Astronomique de France (SAF), diffuse la revue associée L’Astronomie, et crée ensuite un véritable réseau international d’astronomes amateurs, parallèle à celui de l’astronomie académique.

La SAF est ouverte à tous, professionnels comme amateurs, et cela mérite d’être souligné à propos d’une « société savante ». Tous les présidents de la SAF qui se sont succédés sont néanmoins des astronomes professionnels, membres de l’Institut, et la grande majorité des articles de la revue sont écrits par des professionnels. D’une certaine manière, cela légitime la place des amateurs tout en les infériorisant.

Le « creuset unique » rassemblant amateurs et professionnels est demeuré longtemps l’une des caractéristiques les plus originales de ce milieu, et de nombreux astronomes professionnels ont commencé par être amateurs et membres actifs de la SAF .

Sur le plan institutionnel également et jusqu’aux années cinquante environ, les amateurs sont parfois sollicités dans certains observatoires de façon à assurer au moindre coût un certain nombre de tâches routinières .

L’Astronomie populaire de Flammarion a été entièrement réécrite en 1955 sous la direction d’André Danjon et d’un comité de professionnels. À cette occasion, l’ouvrage a totalement perdu son esprit romantique teinté d’un positivisme suranné. Il est cependant demeuré l’un des meilleurs ouvrages d’initiation à cette science. Ce livre a incontestablement formé sous ses différentes éditions de nombreux astronomes amateurs et suscité la vocation de plusieurs professionnels.

Mais avant cette refonte du livre phare de Flammarion, d’autres auteurs ont publié des ouvrages de vulgarisation. Les plus importants furent sans doute Lucien Rudaux, qui fut aussi un artiste dont le travail préfigure celui de Chesley Bonestell, et l’abbé Moreux.

En décembre 1945, Pierre Bourge, un jeune astronome amateur, crée la Société Astronomique de Normandie et la revue Le Ciel Normand. L’année suivante, il fonde avec Jean Chauvet l’Association Française d’Astronomie Éducative, cette fois à vocation nationale, qui deviendra un peu plus tard l’Association Française d’Astronomie (AFA). L’association publie une revue qui changera plusieurs fois de nom et s’appelle maintenant Ciel et Espace.

En 1969, Pierre Bourge publie avec Jean Lacroux un guide intitulé A l’affût des étoiles – Guide pratique de l’astronome amateur. Ce livre qui en est actuellement à sa seizième édition a contribué à la formation de nombreux amateurs.

L’objectif de l’AFA est de regrouper les amateurs et de les aider directement et concrètement dans la pratique de leur passion. À travers les stages qu’elle propose et dans son magazine, l’AFA se veut beaucoup plus pragmatique que la SAF et ne propose pas de contenus théoriques ardus ou sous forme mathématique. De nombreux articles sont ainsi consacrés à la construction artisanale d’un télescope, activité « de bricolage » indispensable à une époque où les optiques professionnelles et les montures industrielles étaient hors de portée des amateurs. Des techniques d’observation et d’astrophotographie relativement faciles à mettre en œuvre sont aussi largement décrites.

Jusqu’à la fin des années soixante-dix, la SAF est ainsi perçue comme une société un peu élitiste, dispensant une vulgarisation de haut niveau en astronomie et astrophysique, tandis que l’AFA regroupe les amateurs préoccupés par la fabrication de leurs instruments et leur optimisation à des fins d’observation directe ou photographique. De nombreux amateurs sont toutefois membres des deux sociétés, et la SAF ne se coupera jamais de sa « base amateur », demeurant ainsi fidèle à l’esprit de Flammarion. Elle répondra aussi de façon exemplaire aux amateurs engagés dans la fabrication de leur instrument en publiant en 1961 le livre La construction du télescope amateur par Jean Texereau , ouvrage devenu un classique dans ce milieu.

Du côté des professionnels, la Société française d’astronomie et d’astrophysique (anciennement appelée Société Française des Spécialistes d’Astronomie) est fondée en 1978 par Évry Schatzman. Comme son nom initial l’indique, elle n’est pas ouverte statutairement au monde de l’astronomie amateur.

Le développement de l’astronomie amateur au niveau mondial durant les années soixante-dix, stimulé par la médiatisation de la conquête spatiale, a incité l’édition à publier plusieurs livres de vulgarisation. Ces ouvrages étaient souvent écrits par des astronomes professionnels dans un esprit pédagogique mais ils étaient la plupart du temps très succincts et parfois même condescendants envers les pratiques amateurs. C’est à cette époque également que plusieurs entreprises japonaises et américaines s’intéressent réellement à ce marché et proposent des lunettes et télescopes enfin accessibles aux non professionnels. Deux tendances se manifestent alors parmi les astronomes amateurs. Certains estiment que la construction d’un instrument n’est désormais plus du ressort de l’amateur. Celui-ci d’après eux ne construit pas plus son télescope que l’automobiliste ne fabrique sa voiture. D’autres au contraire défendent un point de vue bien différent – que l’on qualifierait maintenant de hacker – selon lequel la maîtrise de la construction fait partie intégrante de l’amateurisme et constitue une formation très importante aux techniques d’observation, en particulier pour la photographie astronomique qui nécessite une bonne connaissance des caractéristiques optiques de son instrument.

Ce clivage est l’une des causes d’un changement d’orientation important de l’AFA. Les anciens dirigeants de l’association sont remplacés en 1981 par une nouvelle génération issue du monde de la communication. Le fondateur « historique », Pierre Bourge, est évincé. La revue Ciel et Espace devient un magazine scientifique grand public et s’ouvre largement aux sujets astronautiques. Elle parle de moins en moins d’astronomes amateurs, locution souvent remplacée par passionnés d’astronomie et d’espace. La ligne éditoriale est celle d’un magazine éducatif, axé sur la dimension culturelle de la discipline. Les aspects pratiques et actifs de l’astronomie, les techniques photographiques des amateurs, leur implication dans certains programmes de recherche accessibles, sont moins présents qu’auparavant. Une agence de photos astronomiques est créée , l’association participe à des initiatives en direction de l’éducation, l’un de ses dirigeants, Alain Cirou, devient consultant auprès de la télévision pour les questions spatiales ou astronomiques. Au final, les astronomes amateurs les plus avancés ne se sont guère retrouvés dans cette nouvelle orientation.

Quelques associations plus spécialisées comme l’Association nationale pour la protection du ciel et de l’environnement nocturnes ont aussi vu le jour. Mais surtout, les clubs d’astronomie locaux et régionaux qui existaient déjà au temps de Flammarion se sont beaucoup développés. Une grande part de la formation théorique et pratique des amateurs s’effectue actuellement dans ces groupements plutôt qu’à travers les deux grandes associations nationales que sont la SAF et l’AFA et leurs magazines respectifs. En parallèle, une presse autonome, dirigée vers les amateurs et non liée à des associations, a fait son apparition. Les titres les plus connus sont Astronomie Magazine, créé en 1999, qui s’annonce comme « la revue des astronomes amateurs » et AstroSurf Magazine créé en 2003. Ces revues reprennent assez nettement une orientation hacking, bricolage, techniques d’observation et de photographie, recherche amateur, etc. un peu délaissée par les magazines « historiques » liés aux associations.

Pour terminer ce rapide panorama, on doit relever enfin que de très nombreux sites, forums et blogs d’astronomie amateur se sont créés sur le Web . Les astronomes amateurs qui sont bien souvent également compétents en informatique sont à l’aise avec Internet qui est devenu leur média favori. Le développement d’Internet et des technologies numériques dans la photographie astronomique mais aussi pour le guidage des instruments et le repérage des objets observés constituent sans nul doute de nouveaux champs d’application de cet esprit inventif qui caractérise l’astronomie amateur.

La nébuleuse du Lagon (M8), par Fred Locklear. Flickr, licence CC.

Quelques pratiques de l’astronomie amateur

L’astronomie amateur peut constituer un loisir passif, contemplatif. Mais elle est aussi souvent créative, et pas seulement au sens limité et un peu désuet que l’on donne habituellement à cet adjectif lorsque l’on évoque les loisirs. Avec des moyens qui lui sont propres et même si ses résultats demeurent modestes, elle s’inscrit dans le même mouvement de curiosité et de recherche que l’astronomie institutionnelle. Quelques exemples nous aideront à comprendre cette caractéristique.

Construction, bricolage, hacking

L’apparition d’instruments d’observation à prix abordables a réduit considérablement le nombre d’amateurs qui taillent leurs miroirs et construisent leurs télescopes. Désormais, la plupart des astronomes amateurs utilise des lunettes et télescopes fabriqués par des entreprises spécialisées. Mais de nombreuses personnalisations des outils d’observation nécessitent bien souvent des talents de bricolage en optique, mécanique, électronique et informatique. L’adaptation de dispositifs parfois complexes, le souci de tirer parti au mieux des équipements, le souhait de mener à bien telle observation difficile ou de réaliser telle photographie délicate conduisent souvent les amateurs avancés à mettre en œuvre des solutions ingénieuses. Ainsi, c’est un amateur, John Dobson, qui a mis au point la monture actuellement utilisée sur de nombreux télescopes et qui permet d’accéder à des tailles d’instruments auparavant réservées aux professionnels.

Beaucoup d’amateurs utilisent aussi des techniques qui ne leur étaient pas accessibles jadis comme la spectroscopie. Certains se sont même lancés dans la radioastronomie et il existe des associations regroupant ces observateurs de l’invisible (ici et ). De même, plusieurs amateurs ont développé l’informatisation de leurs installations jusqu’à réaliser de véritables observatoires entièrement robotisés.

Astrophotographie

L’astrophotographie est pratiquée depuis longtemps par les amateurs et les images produites sont partagées et discutées par les passionnés. Flickr compte ainsi plus de 1000 groupes sur l’astronomie et près de 500 sur l’astrophotographie. Mais les techniques utilisées, argentiques d’abord et maintenant numériques, ne servent pas seulement à réaliser de belles photos. La photographie astronomique permet aussi grâce à de longs temps de pose d’enregistrer la présence d’objets inaccessibles à l’observation visuelle. À l’instar de son utilisation par les professionnels, c’est aussi avec cet objectif de découverte que l’astrophotographie est extrêmement populaire chez les amateurs.

De nombreux articles publiés dans les revues mentionnées précédemment, des livres, des stages, et surtout des études et informations disponibles sur le web – comme celles proposées par l’association Astro Images Processing créée en 2009 – permettent à l’amateur de se former aux techniques en question.

Surveillance et recherche d’objets

La surveillance d’objets instables et la recherche d’objets inconnus sont les deux domaines de prédilection où l’astronomie amateur aide l’astronomie institutionnelle.

Ainsi, les amateurs sont engagés depuis fort longtemps dans la surveillance et la mesure de la luminosité des étoiles variables. L’Association Française des Observateurs d’Étoiles Variables (AFOEV) a été fondée en 1921 et rassemble des observateurs professionnels et amateurs. La coopération entre les deux communautés est d’ailleurs inscrite dans les statuts de l’association.

La recherche d’objets nouveaux est aussi l’un des terrains où les amateurs peuvent exercer leurs talents. L’une des activités de ce type parmi les plus connue est la recherche de comètes. Chaque année en effet quelques-unes sont découvertes par des amateurs comme on peut s’en rendre compte sur ces statistiques . Le prix Edgar Wilson a d’ailleurs été institué en 1998 par l’Union Astronomique Internationale, l’organisation qui coordonne les travaux des astronomes au niveau mondial, afin de stimuler ces recherches effectuées par des amateurs.

Il existe d’autres niches de l’observation de recherche occupées par les amateurs : détection de novae et de supernovae (exemples ici ou ), chasse aux amas stellaires inconnus, aux nébuleuses planétaires (exemple ici), aux exoplanètes (exemple ici), etc.

On pourrait croire que les amateurs mis à contribution dans ces travaux de surveillance et recherche sont considérés par les professionnels comme des soutiers de l’astronomie, une sorte de main d’œuvre gratuite, tolérée seulement parce que la tâche est immense et ingrate. Les quelques témoignages que nous avons pu lire et l’existence d’associations comme l’AFOEV où la « mixité » entre les deux populations d’astronomes est de règle ne montrent pas cet état d’esprit.

Calcul distribué et crowdsourcing

L’astronomie demeure donc l’une des rares sciences où les amateurs peuvent encore produire des données d’observation utiles aux professionnels. Avec le développement d’Internet, d’autres projets qui font appel aux amateurs sont apparus. La plupart de ceux-ci reposent sur le calcul distribué. Le plus connu est SETI@home, développement du projet SETI de recherche d’une intelligence extraterrestre. On trouvera des listes d’autres initiatives basées sur le calcul distribué sur BOINC et Zooniverse.

Ces projets de volunteer computing ne nécessitent en réalité aucune connaissance en astronomie (ou dans toute autre science comme les mathématiques où de telles initiatives sont assez nombreuses). Il suffit pour le participant de s’intéresser à un sujet proposé et d’installer un logiciel qui effectue tout le travail. Nombre de tels projets s’inscrivent dans un mouvement plus large de « science citoyenne » dont l’ambition est d’impliquer le grand public dans la recherche scientifique.

De véritables projets collaboratifs qui nécessitent une [toute petite] expertise de la part du participant sont également apparus plus récemment. On peut citer parmi ces travaux de crowdsourcing scientifique, la classification de plus d’un million de galaxies avec Galaxy Zoo et la recherche d’exoplanètes avec Planet Hunters.

Nébuleuse planétaire OU1 découverte par l’astronome amateur Nicolas Outters.

Pour une socio-épistémologie des pratiques amateurs

Les amateurs ne sont pas en concurrence avec les astronomes professionnels. Ils ne sont pas organisés à cette fin et savent pertinemment qu’ils ne possèdent pas les compétences et les moyens nécessaires pour mener de véritables travaux de haut niveau. Ils ne développent pas non plus une manière alternative d’effectuer des recherches dans cette science.

Bien que de nombreuses activités en direction du grand public et certains articles de revues puissent le laisser penser, l’astronomie amateur n’est pas non plus assimilable à la vulgarisation scientifique. Les amateurs savent qu’ils pratiquent un loisir culturel, mais pour la plupart d’entre eux, il s’agit plus que de « comprendre » le ciel, les astres, l’univers; c’est pour eux un ensemble de pratiques actives stimulées par le goût de la découverte et dont nous avons donné ci-dessus quelques exemples.

Coincée entre l’astronomie institutionnelle, la vulgarisation scientifique, les loisirs culturels, l’astronomie amateur n’est cependant pas réductible aux seules caractéristiques sociologiques que l’on peut tirer de sa pratique, de ses modes de fonctionnement, de ses instances (associations, clubs), de ses productions (photos, livres, magazines, webs, blogs, crowdsourcing, etc.).

L’astronomie amateur est-elle une astronomie « en miniature » ? La construction ou la mise en œuvre d’un dispositif d’observation de taille modeste à l’échelle professionnelle ainsi que l’utilisation de méthodes qui demeurent relativement simples au regard de ce qui est pratiqué dans la discipline institutionnelle pourraient autoriser la comparaison avec le modélisme. Cette assimilation déplait en général fortement aux amateurs. Ils défendent plutôt l’idée que les amateurs et les professionnels poursuivent grosso modo les mêmes objectifs mais à l’aide de moyens différents.

Il existe de véritables enquêtes sociologiques concernant les photographes amateurs ; il ne semble pas par contre que de tels travaux concernant les astronomes amateurs aient été réalisés. Une telle enquête en tout cas devrait s’adresser à la fois aux astronomes amateurs et aux professionnels et s’intéresser à la perception des pratiques amateurs par chacune des communautés. Elle devrait chercher à comprendre la conception que les deux populations se font de leurs savoirs respectifs. Autrement dit, une véritable étude concernant le statut socio-épistémologique des pratiques amateurs mériterait d’être conduite auprès des astronomes amateurs et professionnels.

Illustration FlickR CC : write_adam

Retrouvez tous nos articles de la Une astronomie sur OWNI (Image de Une CC Elsa Secco)

- “Bulles et couleurs de l’espace

- “Sous deux soleils exactement

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Photographie et presse: entre illustration et confusion http://owni.fr/2011/02/15/photographie-et-presse-entre-illustration-et-confusion/ http://owni.fr/2011/02/15/photographie-et-presse-entre-illustration-et-confusion/#comments Tue, 15 Feb 2011 09:00:57 +0000 Patrick Peccatte http://owni.fr/?p=46094 Les agences de presse diffusent leurs photos sous forme numérique. Et depuis maintenant une vingtaine d’années, chaque fichier image fourni aux clients contient la description textuelle de la photo .

Cette technique est supportée par tous les systèmes éditoriaux en usage dans les médias (print ou web) qui reçoivent des photos d’agence. Par ailleurs, au cas où le média ne serait pas équipé d’un tel système, il existe de nombreux outils peu onéreux ou même gratuits qui permettent d’exploiter très facilement ces légendes encapsulées dans les images. L’avantage de ce procédé est évident. Le lien entre une image et sa description est toujours disponible et permet au rédacteur de rechercher et d’utiliser aisément et sans erreur les photos d’agence.

Opacité des images

Certains éléments du descriptif inclus dans une photo peuvent être utilisés par le rédacteur et repris dans un article. C’est ainsi que l’on peut parfois lire dans la légende d’une photo publiée quelques précisions concernant la date et le lieu de prise de vue de celle-ci. Ces informations sont souvent importantes quand la photo est antérieure aux événements décrits dans l’article. Dans ce cas en effet le rédacteur signale par ce moyen simple que l’image n’est pas en rapport direct et immédiat avec le contenu de l’article, que la photo ne relève pas véritablement du soi-disant mode documentaire. Elle fonctionne d’emblée sous un régime illustratif que le lecteur doit lui-même interpréter à l’aide des informations rapportées dans la légende.

Le fonctionnement illustratif des photos publiées dans les médias d’actualité a souvent été abordé sur Culture Visuelle et il dépasse évidemment cette mention de la date et du lieu de prise de vue des clichés proposés. Ce billet cependant s’attachera uniquement à ces caractérisations évidentes dont l’oubli, en ce qui concerne les sites d’actualité, est une source de confusion regrettable et parfaitement injustifiable.

Dans le cas des journaux et magazines classiques, imprimés, la reprise de certaines informations spécifiques à une photo comme la date et le lieu de prise de vue est entièrement contrôlée par le rédacteur. Sauf incohérence manifeste, il est très difficile sans ces indications de détecter une photo publiée qui ne soit pas en relation directe et immédiate avec le sujet de l’article qu’elle illustre, comme par exemple une photo d’une ancienne manifestation prise quelques jours avant un papier décrivant une manifestation actuelle. Sur le Web par contre, pour autant que les métadonnées descriptives de la photo n’aient pas été effacées, c’est facilement décelable : comme beaucoup de ses confrères, le site lejdd.fr rend compte des manifestations à Alger dans un article intitulé Des violences en Algérie, signé B.B (avec Reuters). L’article est illustré d’une photo de l’agence Maxppp avec la légende Une manifestation a dégénéré à Alger.

Article du JDD.FR daté du 22 janvier 2011

Or, cette photo date en fait du 7 janvier 2011 comme on peut s’en rendre compte en affichant les informations contenues dans le fichier image. Par ailleurs, elle figure sur le book du photographe Billal Bensalem, postée le 8 janvier.

Informations contenues dans l'image affichées à l'aide de l'outil Jeffrey's Exif Viewer

Mais le Web permet également d’effectuer des recherches de photos similaires publiées un peu partout dans le monde. Comme les agences, fort heureusement pour elles, vendent leur production à de multiples clients, il est facile en quelques clics soigneusement ajustés de retrouver les différentes utilisations d’une photo. Étudiée par Olivier Beuvelet dans un récent billet, une photo prise lors d’une manifestation à Alger a ainsi été publiée le 22 janvier dernier par plusieurs sites (cliquer ici), toujours en relation avec les événements du jour. Tous les sites en question ont manifestement repris et adapté une dépêche et une photo associée fournies par l’AFP, mais tous n’ont pas eu l’honnêteté de mentionner que la photo date du 7 janvier, laissant le lecteur croire qu’il s’agit d’une image prise le jour même. De même, la candidature d’Erik Israelewicz à la direction du Monde (cliquer là) mobilise un nombre très restreint de photos dont certaines remontent à 2005 ou 2008 (sans que cela soit toujours mentionné) tandis que d’autres sont présentées à l’envers.

Embarquer les métadonnées

La présence de métadonnées dans certaines photos et la possibilité de chercher et comparer d’autres instances publiées ouvrent donc pour le lecteur attentif de nouvelles perspectives. Il est bien plus facile qu’auparavant de tenter de comprendre les choix d’images, de déconstruire leur éditorialisation, souvent volontairement masqués par les rédacteurs. Désormais, beaucoup de choix iconographiques discutables et d’approximations éditoriales peuvent se repérer.

On pourra soutenir que ces imprécisions sont de peu d’importance; c’est l’article dans son ensemble qui compte, pas les images. Mais cela signifie alors que l’image est d’emblée conçue par le rédacteur comme une illustration accessoire, réduite à sa fonction décorative. Selon cette conception qui non seulement subordonne l’image au texte mais lui dénie de fait toute valeur informative, la photo n’est jamais traitée avec le même sérieux, la même rigueur dont le rédacteur est supposé faire preuve dans son article. Que dirait-on en effet d’un journaliste qui décrirait ainsi une manifestation récente: « cela s’est passé ce matin, ou peut-être il y a quelques jours, c’est à vous de le découvrir, etc. ».

On pourra rétorquer aussi que la suppression des métadonnées d’une photo d’agence fait partie des prérogatives éditoriales du média, au même titre que le recadrage de l’image, la correction chromatique ou même la retouche. Les métadonnées des images relèveraient de la « cuisine interne » à une rédaction et ne concerneraient pas le lecteur. Au passage, on remarquera que si l’on retient cet argument (ce que je ne fais pas), il n’est guère possible par contre d’interdire à un lecteur de comparer en quelques minutes les différentes utilisations d’une même image, ce qui est évidemment impossible avec les publications imprimées.

Je défends un point de vue exactement opposé. Les métadonnées embarquées sont indispensables tout le long de la chaîne éditoriale et n’ajoutent que très peu de poids aux images publiées sur Internet . Le Web permet de conserver ces métadonnées jusqu’à la publication, ce qui n’était pas possible avec le print. Elles apportent alors des précisions utiles au lecteur exigeant. Il existe dores et déjà des outils qui permettent d’afficher ces informations d’un simple clic. Les métadonnées produites par les agences de presse devraient être systématiquement conservées dans les photos publiées. Un site qui prétend traiter sérieusement l’actualité en effaçant systématiquement ces informations est encore englué dans une conception top-down désormais dépassée du paysage médiatique. Il prétend surplomber son lectorat, savoir ce qui est bon pour lui et ce qui ne l’est pas. En bref, il n’a pas confiance en ses lecteurs.

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Deux billets publiés initialement sur le blog Déjà Vu/Culture Visuelle : Les photos d’agences de presse sur les sites d’actualité, entre illustration et confusion, et, Pour le jdd.fr, les manifestations se suivent et se ressemblent
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Crédits photo : captures d’écran du jdd.fr ; Library of Congress [Domaine Public]

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http://owni.fr/2011/02/15/photographie-et-presse-entre-illustration-et-confusion/feed/ 5
Culture porn japonaise : 4Chan se frotte au Hentai http://owni.fr/2011/02/14/4chan-manga-porn-hentai/ http://owni.fr/2011/02/14/4chan-manga-porn-hentai/#comments Mon, 14 Feb 2011 10:00:04 +0000 Patrick Peccatte http://owni.fr/?p=46091 Quand on lit les articles consacrés à 4 chan, y compris ceux publiés sur ce blog, on pourrait croire que ce site de partage d’images ne présente guère d’intérêt que par son célèbre board /b/. Cependant, si /b/ est bien le groupe le plus populaire et génère une grande partie du trafic de 4chan, la plate-forme demeure comme elle l’était à son origine un moyen actif d’échange et de discussion sur les mangas et animes japonais ainsi que sur l’ensemble de la culture populaire associée à ces productions graphiques. Il existe ainsi plusieurs boards regroupés sous le titre Japanese Culture qui ne sont d’ailleurs pas tous dédiés à l’échange de mangas. Ainsi, le groupe Cosplay & EGL (Elegant Gothic Lolita) est destiné aux discussions et images de jeux costumés sur les personnages de mangas.

Avertissement: le texte qui suit décrit de manière explicite certaines productions pornographiques dessinées ou enregistrées (photos, films) et contient plusieurs liens vers des images réservées à un public adulte (NSWF comme on dit en argot Internet).

Parmi les groupes réservés aux adultes, 4chan en propose 5 dédiés au hentai, c’est-à-dire aux mangas et animations à caractère pornographique: un board Hentai générique, Ecchi (plutôt érotique, non explicite et considéré comme la version soft du hentai), Yaoi (homosexualité masculine), Yuri (homosexualité féminine) et enfin Hentai/alternative. Ce dernier board regroupe les personnages les plus étranges parmi lesquels nous nous intéresserons ici uniquement au Futanari (figure féminine ayant un pénis masculin démesuré et capable d’éjaculations niagaresques), au Bakunyuu (figure féminine dotée de seins gigantesques et prolifiques) et enfin au genre Shokushu ou Tentacle représentant des monstres lubriques dotés de tentacules et dont l’origine remonte peut-être à un célèbre dessin d’Hokusai.

Tako to ama (Le poulpe et la chasseuse de perles, plus connu sous le titre: Le rêve de la femme du pêcheur), Hokusai vers 1820

Cette description rapide des certaines formes de hentai ne prétend pas être exhaustive ni même très précise. Elle reprend simplement une typologie couramment utilisée sur les multiples sites et blogs spécialisés. Ainsi, le site d’imageboards pornographiques fapchan [sic], dédié à la fois aux photos et aux dessins, utilise deux catégorisations distinctes pour chacun de ces types d’images et reprend une nomenclature hentai pour les dessins. Les catégories et sous-catégories du genre hentai sont cependant bien plus compliquées que cet aperçu, et pour en savoir plus, on lira avec intérêt l’excellent article A Short History of Hentai par Marc McLelland, les billets consacrés au japorn sur Le Tag Parfait (le site de la « culture porn »), ou bien encore cette liste de termes de hentai. Toutes les associations et mutations entre ces propositions graphiques sont aussi représentées, et le lecteur plus audacieux peut aussi consulter quelques sites: ici (en français), ou et (en anglais).

Si l’on se tourne maintenant du côté des sites probablement plus connus qui diffusent des contenus pornographiques enregistrés (photos ou vidéos), on constate par contre qu’ils ne proposent guère, dans le meilleur des cas, qu’une seule catégorie fourre-tout pour le hentai alors que leurs typologies des contenus non dessinés sont bien plus élaborées – cf. par exemple ces différents tubes: ici, ici, ici, ou ; l’un des plus connus ignore même totalement le hentai.

On constate donc une ligne de partage assez nette entre le hentai qui dispose de ses canaux internet spécifiques et la pornographie habituelle, proposant des contenus enregistrés, qui ne s’est pas encore véritablement approprié les productions dont nous parlons. Ceci reflète très certainement un clivage entre deux publics bien distincts.

Le hentai incarné

Le hentai utilise toute la palette des médias modernes: animations, dessins, jeux vidéos (eroge), Second Life, montages photoshops, etc. Il existe aussi certaines adaptations soi-disant cosplay, c’est-à-dire jouées par des femmes et des hommes (plus rarement) vaguement déguisés selon les productions graphiques de référence. À vrai dire, la dénomination cosplay semble dans ce cas usurpée puisque ces adaptations, qui relèvent de facto de la pornographie enregistrée (photo ou vidéo), mettent en scène des actrices et acteurs rémunérés (probablement des professionnels de l’industrie pornographique dans la plupart des cas).

Eroge

Ces transpositions photographiques ou vidéos d’univers dessinés, ces hentais incarnés, ne peuvent être réalisées qu’à partir de certains types d’images dessinées qui ne soient pas trop invraisemblables (exemples ici, ici, , ). Les genres ecchi, yaoi et yuri en particulier se prêtent mieux à ces adaptations que des hentai particulièrement extravagants où la figuration humaine serait impossible, sauf à utiliser de très coûteux effets numériques incompatibles avec la rentabilité à court terme recherchée par l’industrie pornographique. Les genres tentacle et futanari en particulier n’échappent pas aux inventions graphiques improbables dont l’adaptation avec des êtres humains reste inaccessible et surtout non rentable (voir respectivement ici et ).

Les versions dessinées et photographiques du hentai sont très souvent diffusées sur des supports internet distincts. Elles semblent s’adresser à différents publics, un peu comme si chacun de ces média générait un univers fantasmatique autonome. Les hentais dessinés et les hentais incarnés se côtoient mais ne se mélangent pas vraiment. Ainsi, il n’est pas bien vu de publier des versions photographiques sur les groupes mangas de 4chan; on s’expose alors à des commentaires désobligeants. Et pour le genre futanari, le site fapchan dont nous avons déjà parlé distingue soigneusement deux boards, drawn futanari d’une part et dickgirls, trans et photoshopped d’autre part.

Les productions de hentai incarnés les plus extravagantes sont pratiquement toutes nippones et mettent en scène des actrices et acteurs japonais. Pour nombre d’entre elles, disons-le franchement, elles semblent véritablement grotesques et même un peu perturbantes pour un public non japonais. Le genre tentacle en particulier parait être totalement autochtone et n’a apparemment jamais intéressé l’industrie pornographique occidentale (lire aussi ce billet sur Le Tag Parfait).

Futanaria et Mastasia

L’incarnation du futanari a d’abord été effectuée de manière basique sous la forme de fakes, d’images photoshoppées (ici, ici, ). Le procédé a même reçu le nom de futinization.

Les progrès réalisés par les équipementiers spécialisés ont ensuite permis l’apparition de vidéos qui mettent en scène des actrices grimées en futanari. Futanaria est le site commercial le plus connu proposant ce type de matériel graphique; plusieurs de ses productions sont disponibles sur différents tubes, par exemple ici, ici et .

Futanaria existe depuis 2008. Le site commercialise actuellement plus de 70 clips vidéos qui mettent en scène une trentaine de modèles dont l’accoutrement rappelle le cosplay hentai. Un site associé, Mastasia, propose également des clips inspiré du bakunyuu.

Ces courtes vidéos constituent de rares exemples d’adaptations de hentai réalisées par l’industrie pornographique occidentale. Les codes les plus évidents des genres dont elles s’inspirent sont respectés: engins démesurés et sécrétions démentielles, mises en scènes très approximatives, habillements stéréotypés et couleurs vives, absence de décors dans des intérieurs unis qui rappellent les aplats du dessin, cohérence des personnages d’une scène à une autre (les modèles disposent toujours du même équipement pneumatique personnalisé). Aucun « bêtisier » ou bonus n’est proposé, comme pour laisser croire qu’il s’agit de scènes tournées sans trucages. L’objectif est de rendre crédibles ces personnages et leurs activités improbables. Pourtant, l’artifice est manifeste non seulement dans les proportions des ustensiles employés mais aussi dans leur irréalité. Leur taille en effet ne varie pas au fur et à mesure de la progression de la scène vers l’acmé prolifique. Les mutations et croisements sont aussi au rendez-vous et quelques dispositifs à double pénis ou associations futanari+bakunyuu figurent aussi dans ces propositions filmiques.

Les amateurs de hentai dessinés sont partagés envers ces adaptations: ils apprécient ou détestent franchement.

À la différence d’autres adaptations de hentai au monde réel, comme pour le genre tentacle évoqué plus haut, les performeuses de ces sites ne sont pas japonaises mais représentent la variété de la société américaine – les modèles sont blanches, noires, métis, latinas, asiatiques.

L’appropriation occidentale de la porn culture japonaise

Dans un récent billet, André Gunthert compare quelques rares images fixes du prochain film de Spielberg sur les aventures de Tintin avec leurs modèles chez Hergé. Il aborde brièvement les conditions du succès de l’adaptation au cinéma d’une bande dessinée et conclut qu’ « un bon film est d’abord une proposition d’imagerie qui convainc en dehors de tout référent ».

Débarrassé de toute connotation esthétique, de toute allusion à ce que peut être un “bon” film et aux moyens mis en œuvre pour parvenir à une adaptation accomplie, ce sont ces concepts d’imagerie convaincante et de référent que l’on retrouve en fait à propos de la transposition du hentai en vidéo.

Le hentai incarné oscille entre fake et réalité. Certains genres demeurent essentiellement japonais (tentacle) tandis que d’autres ont réussi une migration et ont été adaptés au public occidental par l’industrie pornographique (futanari, bakunyuu). Ces adaptations peuvent fonctionner avec un référent ténu et même imperceptible pour le spectateur qui découvrirait ces productions sans connaître leurs modèles dessinés.
La récupération par l’industrie pornographique devient possible et commercialement rentable parce qu’elle a été précédée par une appropriation de certaines variantes bien spécifiques du hentai qui apparaissent comme des extrapolations de catégories « classiques » bien connues du spectateur habituel. Exprimé de manière triviale, Futanaria c’est du shemale++ et Mastasia du bigboobs++.

L’imagerie proposée ne convainc peut-être pas vraiment, mais elle fonctionne, elle est efficace selon le seul critère qui compte dans ce secteur, rappelé par l’illustration 4chan de l’adage The Internet is for porn. Elle s’insère dans une catégorisation bien établie, créant ainsi les conditions de l’adoption de nouveaux référents. Nous assistons bien ici à une récupération de certaines formes spécifiques de la porn culture japonaise par une industrie capable d’en proposer des variantes recevables sur son marché.

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Publié initialement sur le blog Déjà Vu-Culture Visuelle, sous le titre : Dessins incarnés, le cas du Hentai
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Crédits photos : Via Wikimedia Commons [Domaine Public] par Hokusai : The dream of the fisherman’s wife et Shunga-Masturbation-Voyeurisme ; Via Flickr en cc-by-nc-sa : Persocomholic ; Knowyourmeme

Photo de Une Marion Kotlarski, CC pour OWNI :

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http://owni.fr/2011/02/14/4chan-manga-porn-hentai/feed/ 38
L’interprétation des graphiques produits par Ngram Viewer http://owni.fr/2011/01/11/l%e2%80%99interpretation-des-graphiques-produits-par-ngram-viewer/ http://owni.fr/2011/01/11/l%e2%80%99interpretation-des-graphiques-produits-par-ngram-viewer/#comments Tue, 11 Jan 2011 15:51:58 +0000 Patrick Peccatte http://owni.fr/?p=41918 Ngram Viewer [en] est un nouvel outil mis en ligne par Google le 16 décembre dernier [en]. Il permet de visualiser sous forme de graphiques les fréquences d’apparition de suites de mots dans les livres numérisés depuis 2003 sur Google Books. Ce projet a été initié en 2007 par un mathématicien et physicien américain, Erez Lieberman Aiden [en]. Il a été soutenu par Google Labs et développé par des chercheurs de Harvard, en particulier Jean-Baptiste Michel, jeune polytechnicien français.

Apparition et évolution de la fréquence des mots télégraphe, téléphone, radio, télévision, Internet, internet en français de 1800 à 2008. Remarquez que l’outil distingue les majuscules et minuscules (‘Internet’ apparaît plus tôt que ‘internet’ et il est plus fréquent). Pour tous les exemples illustrés de ce billet, cliquez sur le graphique correspondant afin d’afficher la requête directement dans Ngram Viewer.

L’application contient actuellement les mots extraits de plus de 5 millions d’ouvrages, ce qui correspond d’après les développeurs à 4% des livres jamais publiés. Les ouvrages les plus anciens utilisés dans le projet remontent aux XVIème siècle mais la très grande majorité sont postérieurs à 1800.

Il s’agit en fait d’un énorme lexique interrogeable contenant plus de 500 milliards de mots et organisé en sous-lexiques par langue : anglais (361 milliards de mots = Mm) [différencié en anglais américain et britannique], français (45 Mm), espagnol (45 Mm), allemand (37 Mm), russe (35 Mm), chinois (13 Mm) et hébreu (2 Mm).

Sans trop entrer dans les détails techniques, les lexiques sont des tables composées de n-grammes, c’est-à-dire des séquences de mots apparaissant dans les ouvrages numérisés. L’outil met ainsi en œuvre cinq catégories de tables : monogrammes (mots uniques), bigrammes (deux mots qui se suivent)… , jusqu’aux 5-grammes (cinq mots successifs). Il n’est donc pas possible de connaître à l’aide de Ngram Viewer les fréquences d’apparition du vers de Verlaine De la musique avant toute chose qui comporte six mots. Par contre, on trouvera les deux séquences de cinq mots chacune De la musique avant toute et la musique avant toute chose dont les courbes représentatives affichées par Ngram Viewer sont manifestement corrélées.

Les lexiques sont mis à la disposition du public [en] selon la licence Creative Commons et sous la forme de fichiers au format CSV. Bien que très volumineux, ils sont donc facilement lisibles et l’on devrait ainsi voir apparaître de nouvelles applications les utilisant. À titre d’exemple, une ligne du lexique 5-grammes français se présente ainsi :

principes fondamentaux de la philosophie 1988 17 16 12

où la suite de mots principes fondamentaux de la philosophie est un 5-gramme, 1988 l’année de parution des livres analysés, 17 le nombre d’occurrences de la suite de mots dans l’ensemble des ouvrages de l’année en question, 16 le nombre de pages différentes et 12 le nombre de livres où la séquence apparaît. Aucune référence aux ouvrages analysés ne figure dans ces tables qui ne contiennent qu’une compilation de comptages d’occurrences.

Une masse de statistiques extrêmement sommaires et synthétiques

Ces différents sous-lexiques sont donc par construction totalement « autonomes », indépendants de Google Books. Il s’agit là manifestement d’un choix stratégique de Google qui aurait pu construire un outil beaucoup plus sophistiqué relié à sa base d’ouvrages numérisés. Le projet peut dès lors fonctionner sans qu’il soit nécessaire de mettre à la disposition des utilisateurs l’accès aux documents (initiative controversée comme on le sait). Mais ce choix comporte aussi un inconvénient majeur puisqu’il interdit de rechercher sur le voisinage plus éloigné des mots et empêche toute contextualisation des résultats (quel livre, quelle page, quel paragraphe contiennent telle suite de mots). L’utilisateur ne dispose que de statistiques extrêmement sommaires et synthétiques, mais il en voit énormément. On regrettera que les concepteurs n’aient pas facilité la tâche des analystes, ne serait-ce qu’en stockant dans chaque entrée de lexique les id Google Books des trois ouvrages qui contribuent le plus au nombre d’occurrences.

Les approximations de la reconnaissance de caractères (OCR) utilisée dans Google Books se retrouvent sur Ngram Viewer. Ainsi, la plupart des observateurs mentionnés dans la webographie sélective ci-dessous mettent en évidence l’évolution progressive de la graphie du s long – reconnu par l’OCR comme un f – vers la forme du s minuscule que nous connaissons actuellement.

La disparition progressive du s long : plufieurs, plusieurs, prefque, presque de 1750 à 1830 (français). À noter que l'évolution du mot "plusieurs" semble anticiper celle de "presque", peut-être sous l'influence du s final du mot.

De même, de nombreuses évolutions de graphies issues pour la plupart de diverses réformes de l’orthographe peuvent être visualisées très rapidement, et le résultat est souvent spectaculaire (exemples: mes parens, mes parents en français, quando, cuando en espagnol).

Mais on relève aussi de nombreuses erreurs d’OCR et surtout l’attribution de dates de publication erronées à des documents comme on peut le voir par exemple sur le mot Internet. La réédition de certains ouvrages est certainement la cause d’un grand nombre de ces erreurs. Pour Natalie Binder [en], il se pourrait même à terme que l’intérêt principal de Ngram Viewer consiste à identifier rapidement les erreurs d’OCR et de dates sur Google Books !

L’aspect purement lexical du projet qui ne distingue pas les polysémies rend de nombreuses recherches pratiquement impossibles (essayez d’afficher la fréquence des noms de saison en français par exemple).

La culturonomique, un nouveau champ d’application de la lexicométrie

L’équipe de développement de Ngram Viewer a publié dans la revue Science un article intitulé Quantitative analysis of culture using millions of digitized books [pdf, en] qui introduit le terme cultoromics (cultoronomique en français) pour désigner un nouveau champ d’application de la lexicométrie. Les auteurs ont aussi lancé un site web culturomics.org [en]. Amalgame de culture et de genomics [en], domaine dans lequel plusieurs membres de l’équipe dont Erez Aiden ont travaillé, cette activité prétend en quelque sorte mettre en évidence des évolutions culturelles sur de longues périodes à travers l’analyse de fréquence portant sur de très vastes corpus de mots.

Dans leur remarquable billet Prodiges et vertiges de la lexicométrie sur le blog Socioargu, Francis Chateauraynaud et Josquin Debaz s’interrogent sur la pertinence de certaines recherches ignorant les évolutions du sens des mots sur de longues périodes et émettent de sérieuses réserves concernant l’ambition culturonomique. À tout le moins, la tentative manifeste de créer une nouvelle discipline en la nommant d’après un champ de recherche de la biologie et sur une seule référence de publication dans un journal scientifique semble assez immodeste et pose problème. Je renvoie sur ces questions méthodologiques et épistémologiques à l’article de Socioargu ainsi qu’à ceux de Dan Cohen [en], d’Olivier Ertzscheid, et à la discussion sur Language Log [en].

La mise en ligne de Ngram Viewer a provoqué une profusion d’exemples postés sur différents sites ou blogs, très souvent sans aucun commentaires. Ils sont proposés sur un mode presque ludique, présentés sous un format antagonique (X vs Y), et comme si les courbes tracées suffisaient à mettre au jour de réels phénomènes linguistiques ou culturels. Quelques collections sont apparues (clic, clicclicclic, clic [en]) et il existe aussi une extension pour Chrome [en] permettant de donner directement la courbe de fréquences d’une entrée de Wikipedia en anglais.

Délicate et difficile interprétation

La facilité d’usage ne masque pas cependant le fait que l’interprétation de la plupart de ces graphiques est totalement impossible sans plonger dans l’analyse des documents numérisés sur Google Books. Or cette tâche est non seulement d’une ampleur colossale pour le moindre exemple de visualisation mais elle est tout simplement irréalisable en ligne puisque les documents sous copyright ne sont pas consultables. Les cas intéressants sur le plan « culturel » pour lesquels une interprétation probante peut être réalisée montrent des corrélations avec des événements historiques majeurs comme les deux guerres mondiales. C’est d’ailleurs l’un des exemples proposés par les auteurs de l’article de Science.

En l’absence de possibilité de vérification des hypothèses que l’on peut être amené à formuler sur une visualisation, l’utilisateur est laissé seul avec ses propres connaissances et intuitions en face du phénomène ou de l’artefact repéré. Comme le signalent les auteurs de l’article de Socioargu mentionné, cela signifie que l’investigateur doit d’abord « disposer d’une culture générale suffisante pour comprendre le positionnement relatif des mots dans le temps ».

Ngram Viewer doit en fait être considéré comme un outil heuristique qui permet plus de poser de nouvelles questions que d’apporter des réponses. Pour commencer à dépasser le stade du jeu avec Ngram Viewer, il serait intéressant de mettre en commun les efforts de groupes de spécialistes intéressés par un sujet en ouvrant des espaces de discussions sur des visualisations, créer en somme une véritable activité de travail collaboratif à partir des graphiques produits permettant de documenter et approfondir les résultats. Un début d’interprétation de ces vastes mais très sommaires lexiques pourrait alors être envisagé et ouvrir des champs de réflexion nouveaux pour les digital humanities.

Pour terminer, voici quelques exemples de résultats en relation avec des questions diverses abordées sur Culture Visuelle.

photographie, photo, photographies, photos (français, 1900-2008). Vers 1970, la forme abrégée "photo" devient plus fréquente que le mot "photographie".

image, picture, images, pictures (anglais, 1800-2008)

photographie argentique, photographie numérique (français, 1960-2008)

le savant, le chercheur, les savants, les chercheurs (français, 1780-2008). Note: les articles 'le' et 'les' permettent de minimiser l'impact du participe seul sur le résultat.

culture populaire, culture savante (français, 1800-2008)

NASA,NOAA,NIST,NIH,USGS,ARS,NSF,DARPA,NIEHS,USFS,USDA (anglais, 1950-2008). Le poids prédominant de la NASA dans la médiatisation de la recherche américaine.

événements de mai 1968, événements de mai 68, révolte de mai 1968, révolution de mai 1968 (français, 1960-2008). Les termes 'révolte' et 'révolution' présents dans les années 70 disparaissent. La forme non abrégée '1968' devient moins fréquente tandis que la forme abrégée '68' est légèrement plus présente.

Gitans, Romanichels, Tsiganes, Roms (français, 1900-2008). Exemple emprunté à Bibliothèques reloaded.

carte postale, cartes postales (français, 1870-2008)

Webographie sélective

En anglais

En français

Billet initialement publié sur Déjà vu, un blog de Culture Visuelle

Image CC Flickr Oberazzi

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http://owni.fr/2011/01/11/l%e2%80%99interpretation-des-graphiques-produits-par-ngram-viewer/feed/ 3
Les pratiques amateurs en astronomie http://owni.fr/2011/01/03/les-pratiques-amateurs-en-astronomie/ http://owni.fr/2011/01/03/les-pratiques-amateurs-en-astronomie/#comments Mon, 03 Jan 2011 09:43:37 +0000 Patrick Peccatte http://owni.fr/?p=33753 Lors d’une session récente de son séminaire Esthétique de l’image numérique, André Gunthert est revenu sur la question des pratiques amateurs à propos de la parution du livre de Patrice Flichy Le sacre de l’amateur: sociologie des passions ordinaires à l’ère numérique.

Les lecteurs de Culture Visuelle connaissent bien le terme amateurs. Sur cette plate-forme de blogs, il signifie pratiquement toujours photographes amateurs et se comprend de fait en rapport (et parfois en rivalité) à la photographie professionnelle. Mais le champ couvert par les pratiques amateurs est évidemment bien plus vaste, même si l’on se limite aux activités dites « de loisir » impactées par les technologies numériques .

En examinant cette question d’un point de vue historique, André Gunthert identifie plusieurs domaines où l’amateurisme s’est développé bien avant de se transformer en un système alliant reconnaissance académique et professionnalisation. Il s’agit en particulier de l’amateur d’art et du rôle de l’accumulation ostentatoire des œuvres pratiquée par les rois et princes. De la même manière, l’activité des savants n’a pu se développer que parce que ceux-ci étaient alors protégés et financés par ces mêmes puissants personnages, qui étaient également amateurs de science. Mais à côté de ce mécénat artistique et scientifique, certains savants de premier plan furent engagés par ailleurs dans une activité lucrative quelconque et pratiquaient les sciences presque « comme un loisir ». Au XVIIeme siècle, la vie et l’œuvre de Pierre de Fermat, « prince des amateurs » , sont à cet égard emblématiques.

Avec la professionnalisation et l’institutionnalisation des sciences, il semble qu’il n’y ait plus guère de place pour ces amateurs de science éclairés et inventifs. Les sciences sont devenus bien trop complexes et spécialisées pour qu’il soit possible pour un amateur de s’y intéresser autrement qu’en spectateur. La figure de l’amateur de sciences dans le meilleur des cas serait alors celle d’un érudit ou d’un praticien approximatif de telle ou telle discipline pour laquelle il se passionne. Mais le chercheur professionnel moderne ne peut pas lui reconnaître le niveau requis pour « faire de la vraie science ». Il existerait ainsi deux continents : les véritables scientifiques qui participent de manière active à l’avancement d’un savoir et les amateurs qui ne peuvent prétendre qu’à une compréhension vulgarisée, ludique et simplifiée de ce savoir et sont alors rangés dans le rayon des « loisirs créatifs » au côté des férus du point de croix. Au mieux, on reconnaîtra dans certaines disciplines où des moyens techniques considérables ne sont pas toujours indispensables, que des autodidactes de génie puissent rivaliser ou même dépasser les professionnels. Ils sont alors, en règle générale, rapidement intégrés au système académique classique; le cas du mathématicien Ramanujan vient ici immédiatement à l’esprit.

Les pratiques amateurs dans les sciences seraient donc de facto incommensurables avec celles que l’on connait en photographie où l’on sait qu’elles sont parfois comparables sur le plan des techniques et des résultats aux pratiques professionnelles. Examinons de plus près cette idée à propos d’une discipline, l’astronomie, où d’ailleurs nous rencontrerons à nouveau la photographie.

La grande nébuleuse d'Orion (M42), par Thomas Shahan. Flickr, licence CC.

L’astronomie amateur

Plus encore peut-être que l’expression photographie amateur, la locution astronomie amateur est devenue consacrée. Elle forme un tout indissociable pour les protagonistes de l’activité. Le terme amateur n’est jamais considéré comme péjoratif, ce n’est pas le signe d’un manque par rapport à l’astronomie professionnelle. Les praticiens de la discipline se désignent d’ailleurs de plus en plus souvent par l’abréviation astram.

C’est un vocable similaire comportant le mot amateur qui est utilisé dans la plupart des langues européennes. Au États-Unis, on emploie aussi les expressions backyard astronomy (l’astronomie chez soi) et stargazing lorsque l’on ne s’intéresse pas à l’activité de construction des instruments qui fait partie intégrante de l’amateur astronomy.

Une brève histoire de l’astronomie amateur en France

Il existe en France une longue tradition de l’astronomie populaire. Elle remonte à trois ouvrages majeurs : le Traité philosophique d’astronomie populaire d’Auguste Comte (1844), l’Astronomie Populaire de François Arago – édition posthume (1854) par Jean-Augustin Barral, et enfin l’Astronomie Populaire de Camille Flammarion (1880) . Ces livres s’inscrivent certes dans le remarquable développement de la vulgarisation scientifique au cours du XIXème siècle , mais dans le cas de l’astronomie, ils ont aussi leur origine dans une véritable politique scientifique.

Le rapport du 7 messidor an III (25 juin 1795) rédigé par l’abbé Grégoire crée le Bureau des Longitudes. Le texte précise: « Ce Bureau fera, chaque année, un cours public d’Astronomie ». Il s’agissait grâce à ce cours de commencer à former de futurs observateurs et calculateurs pour remplir les missions dévolues au Bureau, en premier lieu améliorer la détermination des longitudes en mer – tâche évidemment très importante à l’époque tant du point de vue militaire que civil.

L’ouvrage d’Arago, en quatre volumes, est la transcription de ce cours oral public donné à l’Observatoire de Paris de 1812 à 1840 et qui rencontre un très grand succès au long de ces années. Arago veut être élémentaire et clair, il utilise dans son texte très peu de mathématiques. Mais son cours demeure un ouvrage de savant, didactique, précis et sans fioritures.

La version que donne Flammarion de l’astronomie populaire est bien différente. Son ouvrage est certes dédié à Arago, « fondateur de l’Astronomie populaire », mais son style tout en digressions romantiques n’a rien à voir avec celui du célèbre astronome.

À cette époque, un rapport précise que les observatoires d’État sont minoritaires dans les pays anglo-saxons du fait de l’importance des observatoires privés et universitaires . En France également, des observatoires privés font leur apparition. Ainsi, Flammarion n’est pas un astronome institutionnel. C’est un savant « indépendant ». Chassé de l’Observatoire de Paris par Le Verrier alors qu’il était apprenti, il a manifesté toute sa vie une certaine défiance envers la science académique tout en conservant de bons rapports avec de nombreux astronomes institutionnels. Il était en fait très soucieux de la légitimité scientifique de ses différentes activités, en astronomie comme dans les autres disciplines qu’il a abordé (dont le spiritisme). Le succès de son ouvrage majeur lui permettra de développer son observatoire privé à Juvisy-sur-Orge où il entreprendra entre autres travaux de nombreuses expériences de photographie astronomique.

Dès l’édition de 1880, l’Astronomie Populaire mentionne l’astronome amateur ou l’amateur d’astronomie. La figure de l’astronome amateur apparaît bien à cette époque et très probablement chez Flammarion. Elle s’est ensuite diffusée dans la culture populaire à travers différents canaux dont la littérature. En 1877 par exemple, le professeur Palmyrin Rosette du roman Hector Servadac de Jules Verne est encore un astronome autodidacte, probablement inspiré d’ailleurs par Flammarion lui-même. Plus tard, en 1901, ce sont explicitement des astronomes amateurs que le même auteur met en scène dans La chasse au météore.

Car « pratiquer et faire pratiquer l’astronomie est l’objectif, l’obsession de Flammarion » .  Il fonde en 1887 la Société Astronomique de France (SAF), diffuse la revue associée L’Astronomie, et crée ensuite un véritable réseau international d’astronomes amateurs, parallèle à celui de l’astronomie académique.

La SAF est ouverte à tous, professionnels comme amateurs, et cela mérite d’être souligné à propos d’une « société savante ». Tous les présidents de la SAF qui se sont succédés sont néanmoins des astronomes professionnels, membres de l’Institut, et la grande majorité des articles de la revue sont écrits par des professionnels. D’une certaine manière, cela légitime la place des amateurs tout en les infériorisant.

Le « creuset unique » rassemblant amateurs et professionnels est demeuré longtemps l’une des caractéristiques les plus originales de ce milieu, et de nombreux astronomes professionnels ont commencé par être amateurs et membres actifs de la SAF .

Sur le plan institutionnel également et jusqu’aux années cinquante environ, les amateurs sont parfois sollicités dans certains observatoires de façon à assurer au moindre coût un certain nombre de tâches routinières .

L’Astronomie populaire de Flammarion a été entièrement réécrite en 1955 sous la direction d’André Danjon et d’un comité de professionnels. À cette occasion, l’ouvrage a totalement perdu son esprit romantique teinté d’un positivisme suranné. Il est cependant demeuré l’un des meilleurs ouvrages d’initiation à cette science. Ce livre a incontestablement formé sous ses différentes éditions de nombreux astronomes amateurs et suscité la vocation de plusieurs professionnels.

Mais avant cette refonte du livre phare de Flammarion, d’autres auteurs ont publié des ouvrages de vulgarisation. Les plus importants furent sans doute Lucien Rudaux, qui fut aussi un artiste dont le travail préfigure celui de Chesley Bonestell, et l’abbé Moreux.

En décembre 1945, Pierre Bourge, un jeune astronome amateur, crée la Société Astronomique de Normandie et la revue Le Ciel Normand. L’année suivante, il fonde avec Jean Chauvet l’Association Française d’Astronomie Éducative, cette fois à vocation nationale, qui deviendra un peu plus tard l’Association Française d’Astronomie (AFA). L’association publie une revue qui changera plusieurs fois de nom et s’appelle maintenant Ciel et Espace.

En 1969, Pierre Bourge publie avec Jean Lacroux un guide intitulé A l’affût des étoiles – Guide pratique de l’astronome amateur. Ce livre qui en est actuellement à sa seizième édition a contribué à la formation de nombreux amateurs.

L’objectif de l’AFA est de regrouper les amateurs et de les aider directement et concrètement dans la pratique de leur passion. À travers les stages qu’elle propose et dans son magazine, l’AFA se veut beaucoup plus pragmatique que la SAF et ne propose pas de contenus théoriques ardus ou sous forme mathématique. De nombreux articles sont ainsi consacrés à la construction artisanale d’un télescope, activité « de bricolage » indispensable à une époque où les optiques professionnelles et les montures industrielles étaient hors de portée des amateurs. Des techniques d’observation et d’astrophotographie relativement faciles à mettre en œuvre sont aussi largement décrites.

Jusqu’à la fin des années soixante-dix, la SAF est ainsi perçue comme une société un peu élitiste, dispensant une vulgarisation de haut niveau en astronomie et astrophysique, tandis que l’AFA regroupe les amateurs préoccupés par la fabrication de leurs instruments et leur optimisation à des fins d’observation directe ou photographique. De nombreux amateurs sont toutefois membres des deux sociétés, et la SAF ne se coupera jamais de sa « base amateur », demeurant ainsi fidèle à l’esprit de Flammarion. Elle répondra aussi de façon exemplaire aux amateurs engagés dans la fabrication de leur instrument en publiant en 1961 le livre La construction du télescope amateur par Jean Texereau , ouvrage devenu un classique dans ce milieu.

Du côté des professionnels, la Société française d’astronomie et d’astrophysique (anciennement appelée Société Française des Spécialistes d’Astronomie) est fondée en 1978 par Évry Schatzman. Comme son nom initial l’indique, elle n’est pas ouverte statutairement au monde de l’astronomie amateur.

Le développement de l’astronomie amateur au niveau mondial durant les années soixante-dix, stimulé par la médiatisation de la conquête spatiale, a incité l’édition à publier plusieurs livres de vulgarisation. Ces ouvrages étaient souvent écrits par des astronomes professionnels dans un esprit pédagogique mais ils étaient la plupart du temps très succincts et parfois même condescendants envers les pratiques amateurs. C’est à cette époque également que plusieurs entreprises japonaises et américaines s’intéressent réellement à ce marché et proposent des lunettes et télescopes enfin accessibles aux non professionnels. Deux tendances se manifestent alors parmi les astronomes amateurs. Certains estiment que la construction d’un instrument n’est désormais plus du ressort de l’amateur. Celui-ci d’après eux ne construit pas plus son télescope que l’automobiliste ne fabrique sa voiture. D’autres au contraire défendent un point de vue bien différent – que l’on qualifierait maintenant de hacker – selon lequel la maîtrise de la construction fait partie intégrante de l’amateurisme et constitue une formation très importante aux techniques d’observation, en particulier pour la photographie astronomique qui nécessite une bonne connaissance des caractéristiques optiques de son instrument.

Ce clivage est l’une des causes d’un changement d’orientation important de l’AFA. Les anciens dirigeants de l’association sont remplacés en 1981 par une nouvelle génération issue du monde de la communication. Le fondateur « historique », Pierre Bourge, est évincé. La revue Ciel et Espace devient un magazine scientifique grand public et s’ouvre largement aux sujets astronautiques. Elle parle de moins en moins d’astronomes amateurs, locution souvent remplacée par passionnés d’astronomie et d’espace. La ligne éditoriale est celle d’un magazine éducatif, axé sur la dimension culturelle de la discipline. Les aspects pratiques et actifs de l’astronomie, les techniques photographiques des amateurs, leur implication dans certains programmes de recherche accessibles, sont moins présents qu’auparavant. Une agence de photos astronomiques est créée , l’association participe à des initiatives en direction de l’éducation, l’un de ses dirigeants, Alain Cirou, devient consultant auprès de la télévision pour les questions spatiales ou astronomiques. Au final, les astronomes amateurs les plus avancés ne se sont guère retrouvés dans cette nouvelle orientation.

Quelques associations plus spécialisées comme l’Association nationale pour la protection du ciel et de l’environnement nocturnes ont aussi vu le jour. Mais surtout, les clubs d’astronomie locaux et régionaux qui existaient déjà au temps de Flammarion se sont beaucoup développés. Une grande part de la formation théorique et pratique des amateurs s’effectue actuellement dans ces groupements plutôt qu’à travers les deux grandes associations nationales que sont la SAF et l’AFA et leurs magazines respectifs. En parallèle, une presse autonome, dirigée vers les amateurs et non liée à des associations, a fait son apparition. Les titres les plus connus sont Astronomie Magazine, créé en 1999, qui s’annonce comme « la revue des astronomes amateurs » et AstroSurf Magazine créé en 2003. Ces revues reprennent assez nettement une orientation hacking, bricolage, techniques d’observation et de photographie, recherche amateur, etc. un peu délaissée par les magazines « historiques » liés aux associations.

Pour terminer ce rapide panorama, on doit relever enfin que de très nombreux sites, forums et blogs d’astronomie amateur se sont créés sur le Web . Les astronomes amateurs qui sont bien souvent également compétents en informatique sont à l’aise avec Internet qui est devenu leur média favori. Le développement d’Internet et des technologies numériques dans la photographie astronomique mais aussi pour le guidage des instruments et le repérage des objets observés constituent sans nul doute de nouveaux champs d’application de cet esprit inventif qui caractérise l’astronomie amateur.

La nébuleuse du Lagon (M8), par Fred Locklear. Flickr, licence CC.

Quelques pratiques de l’astronomie amateur

L’astronomie amateur peut constituer un loisir passif, contemplatif. Mais elle est aussi souvent créative, et pas seulement au sens limité et un peu désuet que l’on donne habituellement à cet adjectif lorsque l’on évoque les loisirs. Avec des moyens qui lui sont propres et même si ses résultats demeurent modestes, elle s’inscrit dans le même mouvement de curiosité et de recherche que l’astronomie institutionnelle. Quelques exemples nous aideront à comprendre cette caractéristique.

Construction, bricolage, hacking

L’apparition d’instruments d’observation à prix abordables a réduit considérablement le nombre d’amateurs qui taillent leurs miroirs et construisent leurs télescopes. Désormais, la plupart des astronomes amateurs utilise des lunettes et télescopes fabriqués par des entreprises spécialisées. Mais de nombreuses personnalisations des outils d’observation nécessitent bien souvent des talents de bricolage en optique, mécanique, électronique et informatique. L’adaptation de dispositifs parfois complexes, le souci de tirer parti au mieux des équipements, le souhait de mener à bien telle observation difficile ou de réaliser telle photographie délicate conduisent souvent les amateurs avancés à mettre en œuvre des solutions ingénieuses. Ainsi, c’est un amateur, John Dobson, qui a mis au point la monture actuellement utilisée sur de nombreux télescopes et qui permet d’accéder à des tailles d’instruments auparavant réservées aux professionnels.

Beaucoup d’amateurs utilisent aussi des techniques qui ne leur étaient pas accessibles jadis comme la spectroscopie. Certains se sont même lancés dans la radioastronomie et il existe des associations regroupant ces observateurs de l’invisible (ici et ). De même, plusieurs amateurs ont développé l’informatisation de leurs installations jusqu’à réaliser de véritables observatoires entièrement robotisés.

Astrophotographie

L’astrophotographie est pratiquée depuis longtemps par les amateurs et les images produites sont partagées et discutées par les passionnés. Flickr compte ainsi plus de 1000 groupes sur l’astronomie et près de 500 sur l’astrophotographie. Mais les techniques utilisées, argentiques d’abord et maintenant numériques, ne servent pas seulement à réaliser de belles photos. La photographie astronomique permet aussi grâce à de longs temps de pose d’enregistrer la présence d’objets inaccessibles à l’observation visuelle. À l’instar de son utilisation par les professionnels, c’est aussi avec cet objectif de découverte que l’astrophotographie est extrêmement populaire chez les amateurs.

De nombreux articles publiés dans les revues mentionnées précédemment, des livres, des stages, et surtout des études et informations disponibles sur le web – comme celles proposées par l’association Astro Images Processing créée en 2009 – permettent à l’amateur de se former aux techniques en question.

Surveillance et recherche d’objets

La surveillance d’objets instables et la recherche d’objets inconnus sont les deux domaines de prédilection où l’astronomie amateur aide l’astronomie institutionnelle.

Ainsi, les amateurs sont engagés depuis fort longtemps dans la surveillance et la mesure de la luminosité des étoiles variables. L’Association Française des Observateurs d’Étoiles Variables (AFOEV) a été fondée en 1921 et rassemble des observateurs professionnels et amateurs. La coopération entre les deux communautés est d’ailleurs inscrite dans les statuts de l’association.

La recherche d’objets nouveaux est aussi l’un des terrains où les amateurs peuvent exercer leurs talents. L’une des activités de ce type parmi les plus connue est la recherche de comètes. Chaque année en effet quelques-unes sont découvertes par des amateurs comme on peut s’en rendre compte sur ces statistiques . Le prix Edgar Wilson a d’ailleurs été institué en 1998 par l’Union Astronomique Internationale, l’organisation qui coordonne les travaux des astronomes au niveau mondial, afin de stimuler ces recherches effectuées par des amateurs.

Il existe d’autres niches de l’observation de recherche occupées par les amateurs : détection de novae et de supernovae (exemples ici ou ), chasse aux amas stellaires inconnus, aux nébuleuses planétaires (exemple ici), aux exoplanètes (exemple ici), etc.

On pourrait croire que les amateurs mis à contribution dans ces travaux de surveillance et recherche sont considérés par les professionnels comme des soutiers de l’astronomie, une sorte de main d’œuvre gratuite, tolérée seulement parce que la tâche est immense et ingrate. Les quelques témoignages que nous avons pu lire et l’existence d’associations comme l’AFOEV où la « mixité » entre les deux populations d’astronomes est de règle ne montrent pas cet état d’esprit.

Calcul distribué et crowdsourcing

L’astronomie demeure donc l’une des rares sciences où les amateurs peuvent encore produire des données d’observation utiles aux professionnels. Avec le développement d’Internet, d’autres projets qui font appel aux amateurs sont apparus. La plupart de ceux-ci reposent sur le calcul distribué. Le plus connu est SETI@home, développement du projet SETI de recherche d’une intelligence extraterrestre. On trouvera des listes d’autres initiatives basées sur le calcul distribué sur BOINC et Zooniverse.

Ces projets de volunteer computing ne nécessitent en réalité aucune connaissance en astronomie (ou dans toute autre science comme les mathématiques où de telles initiatives sont assez nombreuses). Il suffit pour le participant de s’intéresser à un sujet proposé et d’installer un logiciel qui effectue tout le travail. Nombre de tels projets s’inscrivent dans un mouvement plus large de « science citoyenne » dont l’ambition est d’impliquer le grand public dans la recherche scientifique.

De véritables projets collaboratifs qui nécessitent une [toute petite] expertise de la part du participant sont également apparus plus récemment. On peut citer parmi ces travaux de crowdsourcing scientifique, la classification de plus d’un million de galaxies avec Galaxy Zoo et la recherche d’exoplanètes avec Planet Hunters.

Nébuleuse planétaire OU1 découverte par l'astronome amateur Nicolas Outters.

Pour une socio-épistémologie des pratiques amateurs

Les amateurs ne sont pas en concurrence avec les astronomes professionnels. Ils ne sont pas organisés à cette fin et savent pertinemment qu’ils ne possèdent pas les compétences et les moyens nécessaires pour mener de véritables travaux de haut niveau. Ils ne développent pas non plus une manière alternative d’effectuer des recherches dans cette science.

Bien que de nombreuses activités en direction du grand public et certains articles de revues puissent le laisser penser, l’astronomie amateur n’est pas non plus assimilable à la vulgarisation scientifique. Les amateurs savent qu’ils pratiquent un loisir culturel, mais pour la plupart d’entre eux, il s’agit plus que de « comprendre » le ciel, les astres, l’univers; c’est pour eux un ensemble de pratiques actives stimulées par le goût de la découverte et dont nous avons donné ci-dessus quelques exemples.

Coincée entre l’astronomie institutionnelle, la vulgarisation scientifique, les loisirs culturels, l’astronomie amateur n’est cependant pas réductible aux seules caractéristiques sociologiques que l’on peut tirer de sa pratique, de ses modes de fonctionnement, de ses instances (associations, clubs), de ses productions (photos, livres, magazines, webs, blogs, crowdsourcing, etc.).

L’astronomie amateur est-elle une astronomie « en miniature » ? La construction ou la mise en œuvre d’un dispositif d’observation de taille modeste à l’échelle professionnelle ainsi que l’utilisation de méthodes qui demeurent relativement simples au regard de ce qui est pratiqué dans la discipline institutionnelle pourraient autoriser la comparaison avec le modélisme. Cette assimilation déplait en général fortement aux amateurs. Ils défendent plutôt l’idée que les amateurs et les professionnels poursuivent grosso modo les mêmes objectifs mais à l’aide de moyens différents.

Il existe de véritables enquêtes sociologiques concernant les photographes amateurs ; il ne semble pas par contre que de tels travaux concernant les astronomes amateurs aient été réalisés. Une telle enquête en tout cas devrait s’adresser à la fois aux astronomes amateurs et aux professionnels et s’intéresser à la perception des pratiques amateurs par chacune des communautés. Elle devrait chercher à comprendre la conception que les deux populations se font de leurs savoirs respectifs. Autrement dit, une véritable étude concernant le statut socio-épistémologique des pratiques amateurs mériterait d’être conduite auprès des astronomes amateurs et professionnels.

>> Article initialement publié sur Culture Visuelle

>> Illustration FlickR CC : write_adam

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La fabrique des images sur 4chan http://owni.fr/2010/11/22/la-fabrique-des-images-sur-4chan/ http://owni.fr/2010/11/22/la-fabrique-des-images-sur-4chan/#comments Mon, 22 Nov 2010 15:52:21 +0000 Patrick Peccatte http://owni.fr/?p=36620 L’Internet vient de vivre une guerre picrocholine entre le board /b/ de 4chan et la plateforme de micro-blogging tumblr. Plusieurs channers ont en effet reproché à des utilisateurs de tumblr de mettre en ligne sur leurs blogs des images provenant de 4chan sans mention de leur origine. Ils ont alors organisé une attaque par déni de service contre tumblr. Les observateurs du phénomène étaient un peu consternés de découvrir à cette occasion un réflexe d’appropriation de contenus visuels produits collectivement et anonymement.

Les /b/tards de 4chan ont en effet la réputation de créer et de faire circuler de nombreux mèmes visuels. À tel point que le site dans son ensemble est parfois qualifié d’usine à mèmes. Le créateur de 4chan, Moot (Christopher Poole), a lui-même décrit la plateforme en ces termes lors d’une intervention partiellement retranscrite

Si la question de l’accès à la notoriété des créations graphiques de 4chan retient nombre d’observateurs, les processus de création des nouvelles images sont par contre très rarement abordés et jamais réellement expliqués, sauf à utiliser l’expression vague de « création collective ». À lire certains articles, 4chan serait une sorte de chaudron magique produisant sporadiquement des mèmes visuels issus d’une sorte de cerveau collectif dont le fonctionnement est obscur et ne présente guère d’intérêt.

Nous avons montré dans un article précédent que les images qui transitent par 4chan proviennent pour l’essentiel du Web ouvert habituel. Nous écrivions en conclusion de nos observations que le caractère sulfureux de ce site provient en grande partie de l’accumulation d’images en un endroit unique et de leur détournement, malaxage et transformation sur cet espace. Mais pourquoi et comment sont constamment réalisées ces transformations, ces fabrications de nouvelles images sur 4chan ?

The Internet and /b/ (sélection)

Nous décrirons ici les principaux procédés qui conduisent à l’apparition de nouvelles images ou de nouveaux usages iconiques sur 4chan et tenterons d’expliquer les conditions de leur succès sur le site lui-même. Cette activité soutenue mais brouillonne, faite de tâtonnements et d’essais plus ou moins heureux, est en effet préalable dans bien des cas à la constitution (éventuelle) de nouveaux mèmes visuels sur Internet.

Rappelons tout d’abord que les contenus postés sur 4chan sont extrêmement volatiles. Plusieurs centaines de posts arrivent chaque jour sur le board /b/ et un thread (un fil de discussion, nous conserverons le terme anglais dans la suite de ce billet) ne reste visible que très peu de temps, de quelques heures à quelques jours. Il n’est pas possible dans ces conditions de mentionner ici directement des références à des threads ou à des images. Nos observations ont donc été réalisées en grande partie (mais pas seulement) sur le site d’archives partielles 4chanarchive qui effectue une sauvegarde des threads les plus intéressants (les epic threads) sélectionnés par des participants et par un collectif de “curateurs” (plus de précisions ici).

Tous les liens que nous mentionnons par la suite renvoient ainsi à des threads archivés sur 4chanarchive. Ils sont cités ici avec leur titre tel qu’il figure sur ce dernier site, mais ce nom bien sûr ne figurait pas à l’origine sur 4chan.

Il est important de comprendre la structure d’un thread qui commence toujours par une image accompagnée d’une invitation à discuter. Celle-ci est souvent formulée de manière stéréotypée : Discuss, X thread, Tell me X, Rate my X, How is X, It’s X time, X tiem (altération de X time), Your face when X, Sauce, Dump, Hey /b/, /b/rother, What does /b/ X, Any X fags here, etc., où est X est le sujet du thread.

Pour comprendre les modes de fabrication de ces images, on ne doit pas négliger les discussions associées qui éclairent bien souvent les orientations et les choix iconographiques effectués par les participants. Il existe par ailleurs des threads pratiquement dénués d’images. Ce sont essentiellement des discussions, des joutes ou des concours, par exemple de poésie farfelue (Poetry), de chanson (Song Time), de résumés d’œuvres littéraires en quelques mots (Story Summaries), des séries d’histoires sur un thème (Retarded Customer Stories), ou même des propos émouvants dont on ne peut savoir s’il s’agit de fakes (brother Says His Goodbye), etc.

Image issue du thread "Birds!!!"

Même les threads peu imagés sont rythmés par des méta-illustrations qui les ponctuent de temps à autre. Il s’agit d’images figurant l’approbation (brilliant, I like this thread, X approves, etc.), la désapprobation, le rire, l’identification d’une provocation (troll), des avertissements (no spam), etc., ou même des images analogues aux signes phatiques du langage et qui n’ont d’autre but que de « relancer la machine ». Pour certains threads, ces méta-illustrations sont parfois plus originales que les images en contexte.

Un thread archivé comporte en moyenne de 50 à 150 images. Toutes ne sont pas, loin de là, en rapport avec le post l’ayant initié. De même que les réponses textuelles au post initial et les conversations qui s’ensuivent peuvent être en contexte ou totalement hors contexte, il existe de nombreuses “pic unrelated” dans les threads (en plus des spams déjà mentionnés). Tant en ce qui concerne le texte que l’iconographie déployée, le point d’arrivée d’un thread peut être tout à fait différent du sujet de départ. Les changements fréquents de sujet constituent l’une des caractéristiques de /b/ dont la dynamique principale, sur le plan visuel, est bien la recherche des images exploitables, celles qui possèdent un fort potentiel de détournement.

La focalisation sur ce type d’images entraine aussi parfois la manifestation explicite ou implicite d’une volonté de “faire du même à tout prix”, concrétisée par les forced memes.

Après ce bref rappel sur la constitution des threads, examinons quelques mécanismes utilisés pour fabriquer de nouvelles images. Nous en avons recensé une trentaine décrits ci-dessous suivis de quelques exemples:

Collections

Ces nombreux threads sur des sujets très divers constituent d’importants lieux de découvertes d’images « brutes » qui seront ultérieurement transformées dans d’autres threads.
Become Useful, Thor, Stencilfags, BIRDS!!!, Ladies Tied To Other Ladies,  Knock-Off Bootlegged Shit, Mods Are Asleep; Post Tea Cozies, George Bush’s handshakes, Robot Unicorn Attack Comics, Infothread (voir aussi Info Thread No. 9001),  Epic Art Thread , accident gifs (gifs animés d’accidents).

Images curieuses

Atypical Photography, Weird, But Fascinating Pics, Kick Shoop (jouets et gadgets curieux)

Image issu du thread "Weird but fascinating pics"

Wallpapers

Epic Wallpapers, Scenic Route Wallpaper

Collections lol sur un thème

Stormtroopers, Lolporn (gifs animés), Nostalgia Tiem (thème revenant plusieurs fois, cf. Moar Nostalgia), Cornography,  Overthrowing Our Metallic Overlords, Oldfags Inherit the Earth

Ajouts de légendes sur une image proposée

Courage Wolf’s Son (à partir du même Courage Wolf et avec une incitation à produire un nouveau mème), Advice Shepard, GTA: SA Nostalgia

Ajouts de légendes sur des images choisies selon un processus pseudo-aléatoire

Cancer Cure et Cancer Cure Part 2, images réalisées à l’aide du cadre Motivator (autre outil fréquemment utilisé: Memegenerator)

Sujet variable, manifestation du hasard

Epitome of Random,  random band names, most random thread of 2007

Ajouts de légendes et titres sur des dessins détournés

Asshole Jesus (devenu mème sous le nom Jesus is a Jerk), SoniComics (et son mème Sandwich Chef), Tapestry (avec de nombreuses reprises: tapestrybayeaux [sic] tapestry time; devenu une image-macro, voir ici)

Image issue du thread "Asshole Jesus"

Modèles à compléter, stéréotypes

4chan Drinking Card Game (Updated), Spidey/Venom OC,  Division By Zero

Montages selon une règle imposée

Combo Advice

Détourage et collage

Keanu et Sad Keanu,  Let’s Have Some Fun (la partie vide est un modèle), Face replace (remplacement de visages), Kick Shoop, Cool Guy Is Cool, Shearing Teeth, Kobr ’shopped

Ajout d’éléments sur des images

Iz Dat Sum OC? (ajout de lunettes, v. aussi les parties 2 et 3, devenu le mème Holdy), draw rockets on fish, Awesome Animals With Frickin’ Laser Beams Attached To Their Heads

Ajouts d’éléments et déformations

Can You Make Me Look Less Fat?, Shooping Girls

Associations d’images sur un thème

Pee Wee’s Secret Word: “Nigger”, Oceanfags Report In, Photobomb, 4chan Inc.

Créations de dessins et variations d’images

Epic Green Guy (voir aussi Gentlemen, décliné en plusieurs threads et devenu un même), Draw Desktop Icon In 30 Seconds, Draw Like You’re 5, Draw Trollface From MemoryBeer Drinking Owl, Anti-Recycling Signs, Stuck On The Top Of A Stone Pillar, How /b/ digs out of a hole (sur un thème imposé)

Demande de manipulation d’images

Faggots Becoming OP’s Personal Army, World Leaders Converse (demande détournée vers un autre mécanisme créatif jugé plus intéressant)

Micro roman photo en quelques images, montage vertical

Moar Verticals, Verts

Descriptifs excessifs

Too Much Win

Parodies de poèmes ou de chansons

Hitler Rhapsody,  Hitler Sings To /b/, The /b/tles

Illustrations de phrases célèbres

Favorite Movie Quotes

Légendes sur des dessins animés ou des mangas

Blowing This Bubble, DBZ Puns

Cinéma

/b/’s Favorite Movies, anybody seen that movie… (création de titres), Renamed Movies That Sound Horrible

Illustrations sur une phrase récurrente (catchphrase, motto)

Lol, You Can’t, Haters Gonna Hate Variations (catchphrase devenu mème), Classic Innuendoes (et seconde partie), Don’t Know Much, things /b/ hates, Ted2010, I love

Illustrations sur un modèle de phrase

I __ While I __

Rule 34, rule 35 (s’il n’existe pas de version pornographique d’une image, elle doit être créée)

best of rule 34, epic rule 34

Planches-contact (en général pornographique)

Ariel Rebel

Variations sur un mème visuel produit sur /b/

moot Kills EFG (note: EFG = Epic Fail Guy)

Histoire parodique développée le long du thread

Argentina Vs Britain, Poor Germany (histoire de la Seconde Guerre mondiale), Julius Caesar

Jeux sur les numéros de post

Foar Science

Autodérision envers 4chan, thread introspectif, 4chan et le reste d’Internet (v. illustration ci-dessus)

4chan Comparisons, DBZ Puns, 4chan movie casting

À propos de Moot

Moot message, moot fanmail, moot At Datacenter

Cette liste ne prétend évidemment pas être exhaustive. Les procédés recensés ne sont pas non plus uniformément utilisés dans un même thread et plusieurs créations graphiques peuvent être issues de l’application successive de divers mécanismes (et il n’est pas toujours facile d’en reconstituer l’historique).

Les procédés en question ressemblent en fait à des recettes ludiques simples dont l’objectif est de produire à grande vitesse des images exploitables et susceptibles de capter l’attention (cf. le concept de prosécogénie introduit par André Gunthert). Les jeux visuels produits ainsi collectivement ressemblent à ces créations verbales ou textuelles que les anglo-saxons nomment round robin. On pourrait aussi les comparer à des histoires racontées par une assemblée de scouts autour d’un feu de camp où les épisodes sont complétés successivement et très rapidement par chacun des participants.

La dimension temporelle est très importante. Comme nous l’avons déjà signalé, un thread ne dure pas longtemps. Il existe ainsi une logique interne du développement du thread où les intervenants se répondent, s’interpellent, s’injurient, à l’aide de mots et d’images, dans une course contre le temps. Il s’agit de faire reconnaître les nouvelles créations dans un fatras qui disparaît rapidement. Le pari est gagné quand une image apparue dans un thread est reprise dans un autre. En ce sens, les demandes d’archivages qui interviennent lors du développement des meilleurs threads peuvent être vues comme une consécration. L’archivage permet de pérenniser l’éphémère et fonctionne comme l’antichambre du mème visuel. La fabrique des images sur 4chan est essentiellement un processus d’accrétion dans un ensemble de flux volatiles où l’image agglomère de nouveaux usages; elle s’autonomise ainsi en subissant des transformations et des associations inédites.

Article initialement publié sur Culture Visuelle

Illustration de Une CC FlickR par RedHerring1up

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http://owni.fr/2010/11/22/la-fabrique-des-images-sur-4chan/feed/ 9
Mais qui est Mr Leggs? http://owni.fr/2010/08/27/mais-qui-est-mr-leggs/ http://owni.fr/2010/08/27/mais-qui-est-mr-leggs/#comments Fri, 27 Aug 2010 15:10:43 +0000 Patrick Peccatte http://owni.fr/?p=26252 Les publicités d’antan sont à la mode sur Internet. Une recherche de l’expression vintages ads sur Google Images renvoie plus d’un million d’images et le moteur suggère d’affiner la requête avec vintage smoking ads, vintage cigarette ads, creepy vintage ads, etc. De nombreux sites et blogs sont spécialisés sur ce type d’images anciennes. Il existe des communautés de collectionneurs et plusieurs groupes d’amateurs sur Flickr.

Quelques bases de données académiques documentent les publicités de jadis, des entreprises les rassemblent et les commercialisent sur Internet, des particuliers et des sociétés les proposent à la vente sur eBay. Les agences généralistes ne sont pas en reste et proposent également leurs lots de vieilles annonces. Enfin, plusieurs médias et Google Books mettent en ligne des collections plus ou moins complètes de publications numérisées permettant de feuilleter rapidement d’anciens magazines ou même de rechercher d’anciennes annonces.

On pourrait penser avec cette profusion de sources qu’il est désormais assez facile de documenter correctement une publicité ancienne, c’est-à-dire de retrouver sa date précise de première parution, les publications dans lesquelles elle est apparue, ses variantes éventuelles, la série à laquelle elle appartient, l’agence ou le studio qui l’a créé, les publicités qui lui étaient directement concurrentes, etc., en bref de décrire son origine et son contexte de diffusion. Ce n’est pas toujours le cas. Surtout, paradoxalement, si l’annonce est devenue très connue en circulant sur Internet.

À la suite d’un article récent d’Alain François sur Culture Visuelle, intéressons-nous à la publicité Mr Leggs figurant les jambes d’un homme dans un pantalon élégant avec le pied droit sur la tête de sa proie abattue, une femme-tigresse. Elle a donné lieu à quelques échanges sur Facebook et en commentaires du billet en question à propos de son origine et de sa date de publication. Le présent article est un développement de ces recherches présenté d’un point de vue méthodologique. Il constitue en quelque sorte une nouvelle illustration d’un article précédent dans lequel je soutenais que l’application de règles heuristiques explicites permet tout à la fois d’optimiser la recherche d’informations sur Internet et de favoriser la sérendipité.

Trop de résultats, tue le résultat

Le moteur de recherche inversé TinEye retrouve 56 images identiques (ou presque) à notre annonce, Google Images retourne plusieurs dizaines d’images similaires sur la requête Mr Leggs et slacks, et une recherche Google textuelle sur It’s nice to have a girl around the house conjugué à Mr Leggs produit presque 200 items. L’examen rapide de ces résultats montre qu’il s’agit en fait de la même image, écornée dans le coin inférieur gauche et froissée en haut à droite, souvent accompagnée de la transcription du texte publicitaire et d’un très bref descriptif la datant de 1970.

Cette publicité a donc beaucoup circulé sur Internet et rencontre un grand succès. Tous les articles repérés à l’aide de ces premières méthodes de recherche reproduisent l’image par un copié-collé panurgique sans produire aucune information. Plusieurs blogs affirment que cette publicité est parue dans de nombreux magazines, mais aucun ne donne de nom de journal ni de date précise. Les commentaires sur les blogs sont cependant parfois intéressants. Quelques-uns essaient ainsi de préciser la date de parution (pub des années 60 ou des années 70 ?) par la seule analyse de l’image afin de situer celle-ci au mieux dans le contexte de l’émergence des mouvements féministes aux États-Unis.

Dans ce type de recherche, la redondance visible des résultats retournés constitue en fait une variété de bruit documentaire extrêmement gênant, et si l’on procède sans méthode, l’examen des items retrouvés devient vite fastidieuse et décevante. On pourrait imaginer que les découvreurs de cette étonnante publicité ont été plus précis et qu’il soit préférable de se concentrer sur les premières apparitions de cette image sur Internet.

Le signal pertinent enfoui dans tout ce bruit est-il dans les premiers billets de blogs qui décrivent cette publicité ? Selon notre pointage, la plus ancienne mention dans un blog date du 17 avril 2007 sur Make the logo bigger. L’image est ensuite reprise sur Adfreak le 18 avril, puis sur SpareRoom le 19 avril. On la retrouve sur Creative Skirts en octobre 2007 et sur Sociological Images – un blog très lu et influent – en janvier 2008. Cependant, même en examinant attentivement une dizaine de ces « premiers billets » sur notre sujet ainsi que les commentaires associés, nous n’avons pas obtenu les précisions souhaitées. Le problème doit être abordé autrement, en effectuant des recherches détaillées sur les informations à notre disposition et en suivant les premières « règles heuristiques » formulées dans l’article précédemment mentionné.

Contextualiser dans le temps

Examinons tout d’abord l’annonceur. Thomson Company a déposé la marque Mr Leggs le 29 janvier 1962 pour commercialiser des vêtements masculins, essentiellement des pantalons. Cette marque a expiré en octobre 1987 et Thomson Company a disparu en 1996. En 1969 cependant, la marque de collants féminins L’eggs est apparue (elle existe toujours d’ailleurs). Nous n’avons pas retrouvé trace de problèmes juridiques concernant ces deux noms très similaires sur un même secteur d’activité (la confusion est manifeste dans certains commentaires de blogs). Il est probable qu’à cette époque la commercialisation des pantalons Mr Leggs n’existait déjà plus. Nous pouvons donc formuler l’hypothèse que la date de publication de notre annonce se situe entre 1962 et 1969.

Passons maintenant au produit vanté. Une exploration systématique des sources citées au début de ce billet conduit à repérer 4 annonces pour des pantalons Mr Leggs :

Elles sont présentées ici par ordre croissant de prix qui s’échelonnent de 9,95 $ à 14,95 $. Cet ordre est indicatif et ne reflète pas nécessairement l’ordre de parution des annonces (qui suivrait la hausse des prix). En effet, le premier pantalon est en pur synthétique (Creslan). C’est évidemment le moins cher. Le second est en mélange Dacron/laine. Le troisième, au même prix que le précédent, est en mélange Dacron/rayonne. Enfin le dernier, en pure laine, est le plus cher.

Malgré les différences de prix, ces publicités appartiennent visiblement à une série très cohérente, et il est vraisemblable qu’elles aient été publiées durant une courte période de l’ordre de 1 ou 2 ans. La première annonce est parue en 1964 dans le journal Playboy selon la notice qui accompagne sa vente sur eBay. Cela confirme l’intuition d’Alain François exprimée dans un commentaire à son billet et fondée sur sa perception de la provocation et de l’ironie présentes dans cette image.

On remarque certaines similitudes dans la composition de ces images, en particulier le fait que l’homme soit toujours présenté réduit à ses jambes, tronqué. On note aussi bien sûr que les deux premières mettent en scène un homme dominé/soumis par une femme, alors que la situation est inversée dans les deux suivantes. En restant prudent car nous ignorons s’il existe d’autres publicités analogues de la même marque, cela ressemble tout de même à une sorte de recherche d’équilibre de la part de l’annonceur dans la distribution des rôles masculins et féminins, même si la figure de la femme-tigresse nous semble la plus violente de la série.

Vive la concurrence

L’étape suivante consiste à élargir nos recherches aux publicités d’autres fabricants de pantalons en privilégiant les références dûment datées. Pour cela, il est préférable d’éviter Google Images qui renvoie décidément trop de bruit et de procéder par investigations dans les magazines numérisés et en premier lieu bien sûr Playboy.

Tout d’abord une série d’annonces pour les pantalons Broomsticks, publiées entre 1965 et 1971 :

Ensuite un échantillon de publicités de différentes marques parues de 1963 à 1970 – toujours pour des pantalons:

L’exemple de Broomsticks montre que les séries d’images provocatrices et décalées existent à cette époque pour d’autres marques que Mr Leggs. On note au passage que Broomsticks perd le balai emblématique de son logo vers 1966.

La figuration de l’homme tronqué, réduit à ses jambes, se retrouve sur plusieurs images et n’est donc pas spécifique à la marque Mr Leggs. L’homme tronqué est parfois vu de dos (Male Scrubbed, 1965). Le tigre fait son apparition dans la publicité Dickies dès 1963, mais il est dessiné et c’est un homme.

À l’exception du tigre Dickies bien sûr et de la fausse perspective Broomsticks en 1969, aucune de ces images n’est véritablement irréaliste. Ce n’est pas le cas de la série Mr Leggs dont les 4 images vont au delà du montage et jouent sur le « trucage » en présentant des situations irréalistes, comme lors d’une séance de prestidigitation. De ce point de vue, la marque Mr Leggs détonne par rapport à ses concurrentes.

Quand le macho était vendeur

Toutes ces publicités sont évidemment machistes, mais à des degrés divers. La sous-série The game is Broomsticks apparaît bien plus dérangeante à nos yeux que les scénettes un peu caricaturales de Levi’s. La dernière particulièrement qui date de 1968 fait évidemment penser à un viol (sur un mode ludique!). Cette publicité est au moins aussi connue sur le Web que la tigresse de Mr Leggs. Elle est reprise bien sûr par Sociological Images et par de nombreux sites féministes.

Celle de Harris, elle aussi bien connue, rappelle l’affiche du film de James Bond, You Only Live Twice, 1967. La connotation sexuelle de certains slogans (Broomsticks, 1966) et de certaines compositions (Male Scrubbed, 1965) ne fait guère de doute. Une seule image montre la femme dominant l’homme (Mr Wrangler, 1966). La marque Mr Leggs avec ses deux premières compositions montrant ce type de rapport inversé se démarque là encore de ses concurrentes.

Les informations qui figurent dans les textes des annonces peuvent aussi être exploitées. Une comparaison fine des prix des pantalons qui figurent sur les annonces datées des concurrents de Mr Leggs permettrait peut-être de préciser un peu mieux l’année de parution dans notre intervalle 1962-1969.

En première observation, on constate en tout cas que les prix annoncés par Mr Leggs sont tout à fait comparables à ceux pratiqués par ses concurrents durant cette décennie. Les prix affichés pour les pantalons en pur synthétique Broomsticks en 1971 sont par contre sensiblement plus élevés. Ceci conforte l’hypothèse de la seconde moitié des années 1960 pour nos 4 annonces Mr Leggs.

Si l’on étend enfin notre recherche à toutes la gamme des vêtements masculins (et pas seulement aux pantalons), nous pouvons retenir les trois publicités suivantes :

La tigresse de Mr Leggs qui retient notre attention est presque un condensé, une fusion de ces trois annonces. On retrouve en effet sur la première l’homme réduit à une paire de jambes, vu de face et une femme à ses pieds, sur la seconde une femme allongée sur une peau de bête (le feu de cheminée dont parle Alain François dans son article n’est pas oublié), et sur la dernière enfin l’assimilation de celle-ci à un tigre.

Mr Leggs court toujours

Ces recherches ne sont pas terminées. C’est un échec sur le point précis qui nous occupait car nous ne savons toujours pas précisément quand et où cette publicité est apparue pour la première fois. Malgré tout le bruit documentaire observé, cette minuscule énigme reste entière, manifestation du silence obstiné d’Internet quand il manque un fil d’Ariane pour retrouver l’information (ou que celle-ci est absente du Web, bien sûr).

Notre petite enquête permet néanmoins de proposer comme vraisemblable la revue Playboy vers 1964-1966. Mais surtout, elle montre qu’avec un peu de méthode et d’obstination, il est possible d’obtenir un ensemble d’informations permettant de préciser le contexte d’apparition et de diffusion de ce type d’images anciennes. Il serait intéressant de construire un projet collaboratif fonctionnant sur le crowdsourcing en regroupant des amateurs décidés à aller plus loin que le simple empilement d’images parfois étonnantes. Les vieilles réclames méritent aussi d’être redocumentarisées.

Crédits photos (c) Patrick Pecatte et cc FlickR giveawayboy, uber-tuber.

Article initialement publié sur Culture Visuelle

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Lady Gaga, virtuose de l’image dropping http://owni.fr/2010/06/03/lady-gaga-virtuose-de-l%e2%80%99image-dropping/ http://owni.fr/2010/06/03/lady-gaga-virtuose-de-l%e2%80%99image-dropping/#comments Thu, 03 Jun 2010 10:43:56 +0000 Patrick Peccatte http://owni.fr/?p=17348 La plupart des analyses des vidéos de Lady Gaga mettent en avant un ensemble de références visuelles empruntées à une catégorie précise de sources et ignorent d’autres allusions. Ainsi, tel article considère que ces clips sont construits comme des bandes-annonces usant de références évidentes à des séquences de longs métrages, un autre reconnaît les tenues vestimentaires remarquables de la star, tandis qu’un troisième s’attache à mettre en évidence les emprunts au symbolisme occultiste. En réalité, les références visuelles que l’on peut déceler dans ces films sont nombreuses et s’enchevêtrent tellement qu’il n’est guère possible de privilégier une source ou un point de vue sans risquer une mésinterprétation.

Sur une séquence très brève de la vidéo du titre Paparazzi, nous identifierons des références diverses qui s’entrecroisent de façon apparemment chaotique. Il devient alors difficile de postuler que ces séquences possèdent une interprétation unique qui ne pourrait être connue que par ceux qui en possèdent les clés. Nous avançons bien au contraire l’hypothèse selon laquelle ces collages d’images puisées dans des réservoirs hétéroclites constituent un “image dropping“, une technique d’expression visuelle dont le ressort est l’étonnement du spectateur et qui a pour objectif principal la légitimation de la star en tant qu’artiste.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Soit donc la séquence de la vidéo Paparazzi comprise entre les timecodes 2:04 et 2:27 (23 secondes, pas plus…) où Lady Gaga chute puis gît au sol entourée de journalistes et photographes. On peut y retrouver les références explicites ou allusives suivantes :

Mode et marques : lors de la chute, elle passe sa main devant le visage, les bagues sur chaque doigt forment le mot DIOR. Les gants sont une création Gloved Up, un styliste londonien. Durant la chute, elle porte un corset Thierry Mugler et un bustier Tra La La. Ensuite, allongée inanimée sur le sol, elle porte une autre création de Thierry Mugler1, etc.
Source : Interview de Bea Åkerlund (femme du réalisateur Jonas Åkerlund et styliste de Paparazzi)

Publicité et cinéma : la spirale tournoyante est un moyen d’hypnose bien connu que l’on retrouve par exemple dans une publicité Wonderbra. La dernière phase de la chute rappelle aussi le film Vertigo d’Hitchcock et son affiche. Par ailleurs, le texte de Bad Romance mentionne aussi trois films d’Hitchcock dont Vertigo.

Occultisme : dans ses différentes vidéos, Lady Gaga se masque fréquemment un œil, attitude très souvent rapportée à un symbolisme occultiste. La spirale en mouvement est également parfois associée à un symbolisme ésotérique.

Faits-divers et cinéma : le corps de Gaga gisant sur le sol est une allusion au meurtre de Black Dahlia dont Brian de Palma a fait un film à partir d’un roman de James Ellroy. Sur les photos du meurtre2, la position des bras est identique et le collier dans la bouche figure l’horrible mutilation (Glasgow smile) stylisée sur l’affiche du film de Brian de Palma. Le groupe de journalistes et photographes autour du corps renvoie également au film et peut-être aussi à la bande-annonce de Watchmen (voir l’article de Constance Ortuzar).

Musique : Le journal The Evening Star surgit à l’image avec le titre Lady Ga Ga Hits Rock Bottom et la photo du corps de la star dans la position de Black Dahlia. Il est remplacé par une autre édition du même journal avec le titre Lady Gaga is Over et une photo de Gaga en fauteuil roulant.

Ces images rappellent la défenestration en 1973 du batteur Robert Wyatt qui est depuis cet accident en fauteuil roulant. Ce qui ne l’a pas empêché de réaliser ensuite son chef-d’œuvre Rock Bottom. Pour qui doute de cette référence musicale, rappelons que le réalisateur de la vidéo, Jonas Åkerlund, a lui-même été batteur du groupe de black-metal Bathory dix ans plus tard.

Les références on le voit sont multiples : mode, marques, cinéma, publicité, faits divers, occultisme, musique, sans oublier que ces films renvoient aussi à des images issues des jeux vidéos (les danseurs en vinyle dans Bad Romance et Silent Hill) et recyclent également des images de la star parues dans les médias (voir par exemple ici) ou des images provenant d’autres vidéos (Telephone comporte de nombreuses références à Paparazzi). Sans compter sans doute les sources que nous n’avons pas su détecter.

Il semble donc difficile d’attribuer une véritable cohérence narrative à ces références éparses. Visuellement, ces films ne sont pas réductibles à une influence dominante. Interpréter les vidéos de Gaga comme inspirées principalement par la mode, le cinéma ou l’occultisme constitue à notre sens une erreur.

Sur l’ensemble des vidéos de la star, c’est bien le personnage de Gaga en performance sur une ligne musicale qui font “tenir ensemble” toutes ces images disparates3. L’artiste devient ainsi un medium au service d’une machinerie commerciale4.

En fait, ces vidéos fonctionnent comme le name dropping dans le discours verbal et l’argumentation, c’est-à-dire selon un procédé d’expression qui consiste à citer des noms connus – notamment des noms de personnes, d’institutions ou de marques commerciales – et qui dénote souvent la tentative d’impressionner les interlocuteurs (d’après Wikipedia).

L’accumulation d’images qui rappellent d’autres images puisées dans divers réservoirs de la culture populaire, leur apparition très brève et leur télescopage dans un format court, constituent ce que nous appelons un effet d‘image dropping. Cette toile de fond est parfaitement reconnaissable mais elle doit néanmoins demeurer suffisamment en retrait par rapport à la prestation visuelle de la star.

Dans cet ensemble de sources, la mode et les marques ont cependant un rôle plus important. Dans le cas des marques s’ajoute alors à l’image dropping un véritable name dropping sur le nom des objets ou services reconnaissables (une dizaine de marques dans la dernière vidéo Telephone). Le name dropping renforce alors l’image dropping. Pour la mode, nous sommes en présence à la fois d’une esbroufe, d’un étourdissement du spectateur par une litanie de tenues et d’accessoires de luxe portés par Gaga et d’une légitimation de sa prestation artistique par association ; la star capte le statut artistique accordé à la haute couture.

(Merci à Sam Chapman et Claude Estèbe pour leurs idées et remarques)

  1. Oui, elle change de tenue durant la chute. []
  2. Lien non fourni, mais c’est facile à trouver si vous y tenez… []
  3. Lire aussi Lady Gaga killed the music star, par André Gunthert. []
  4. Lady Gaga = Michael Jackson 2.0 par Fabrice Epelboin []

Billet initialement publié sur Déjà vu ; image CC Flickr qthomasbower

À lire aussi : Referential Mania: Analyzing Lady Gaga’s and Beyonce’s “Telephone”

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Les magazines sur Google Books – l’exemple de Popular Science http://owni.fr/2010/02/17/les-magazines-sur-google-books-%e2%80%93-l%e2%80%99exemple-de-popular-science/ http://owni.fr/2010/02/17/les-magazines-sur-google-books-%e2%80%93-l%e2%80%99exemple-de-popular-science/#comments Wed, 17 Feb 2010 11:26:43 +0000 Patrick Peccatte http://owni.fr/?p=8392 Google Books, comme son nom ne l’indique pas, permet aussi d’accéder à des magazines numérisés. Le service a débuté en décembre 2008 et compte actuellement 104 titres : 92 en anglais, 8 en espagnol, 3 en portugais, 1 en français (Mobiles magazine du groupe Oracom). Les titres disponibles les plus connus sont Life (de novembre 1936 à décembre 1972), Ebony (de novembre 1959 à novembre 2008), Popular Mechanics (de janvier 1905 à décembre 2005) et Popular Science (de mai 1872 à mars 2009). Pour Life, rappelons que les photos de la collection sont disponibles sur Google Images.

La recherche à l’aide de Google Books porte par défaut sur les livres et les magazines mais on peut aussi renvoyer uniquement les résultats concernant les magazines en utilisant la fonctionnalité Advanced Book Search. L’outil de navigation et de recherche est très simple ; on se reportera éventuellement à l’aide succincte et au blog de Google dédié à la recherche sur Books. Cet outil est à la fois extrêmement puissant et utile tout en demeurant, à certains égards, frustre et insatisfaisant. Pour illustrer cette dualité, je montrerai dans ce billet comment Google Books permet de reconstituer rapidement l’évolution éditoriale d’un titre de magazine sans pouvoir répondre à certaines questions pourtant simples.

J’ai retenu comme exemple le magazine Popular Science dont plus de 1600 parutions sont intégralement disponibles sur le service de Google. Popular Science est un magazine mensuel américain de vulgarisation scientifique et technique fondé en 1872 par Edward L. Youmas. Les premières parutions reprenaient des articles publiés dans des revues anglaises, et en plus de cent ans, le titre a évidemment beaucoup évolué. En janvier 2007, le groupe Time Warner a vendu Popular Science avec 17 autres magazines au groupe Bonnier.

Son principal concurrent est Popular Mechanics du groupe Hearst, également disponible sur Google Books et qui propose par ailleurs toutes ses couvertures sur son propre site.

October 1920

October 1920 – Illustration de Norman Rockwell

L’historique succinct du titre qui figure sur la version anglaise de Wikipedia mentionne le changement radical de politique éditoriale en 1914-1915. L’analyse qui suit repère d’autres évolutions notables très faciles à observer depuis Google Books. Je ne prétends pas toutefois avoir reconstitué ci-dessous un historique exhaustif des évolutions du magazine durant sa longue histoire. Mon objectif ici consiste uniquement à montrer que l’outil permet de travailler rapidement une masse considérable d’informations éditoriales, d’identifier aisément les changements de maquettes qui sont très souvent accompagnés d’une inflexion de ligne éditoriale, et d’en tirer une assez bonne connaissance de son évolution.

Critères retenus pour cet examen

  • analyse des couvertures (illustration, sous-titre, sommaire)
  • repérage des techniques utilisées (illustrations, photos noir et blanc, photos couleur, etc.)
  • identification de la structure de la parution (pagination, composition, organisation du texte et des illustrations, rubriques)
  • liste des articles

Fonctionnalités utilisées

  • Overview / Browse all issues, présentation des parutions selon une ligne de temps qui permet l’examen rapide des couvertures ; j’ai également utilisé l’excellent site coverbrowser.com
  • section Contents, donne la liste des articles de la parution
  • bouton Thumbnails, permet de prendre connaissance de la structuration d’ensemble du magazine et de sa pagination, des grandes règles de sa composition, de l’articulation entre les masses de texte et d’illustrations, etc.

La méthodologie suivie consiste en « coups de sonde » dans la collection. Je n’ai pas ouvert chacune des parutions une à une ! Quand un changement intervenait dans les critères exposés ci-dessus, j’ai procédé par dichotomie en resserrant successivement l’écart de temps pour déterminer la date précise du changement.

La première livraison en mai 1872 comporte déjà des illustrations dont un portrait de Samuel Morse. Il contient onze articles composés sur une seule colonne. On notera que pour les anciens numéros, Google Books ne donne pas la table des articles dans la section Contents. Chaque numéro suivant s’ouvre avec un portrait gravé de savant. À partir de 1880 environ, le portrait est parfois à la fin (juillet 1880) et par la suite il peut apparaître au milieu de la parution (janvier 1895).

Janvier 1878 marque la première illustration en couverture.

À partir de janvier 1890, l’index des articles figure dans la section Contents ce qui facilite grandement la navigation. Chaque titre d’article dans Contents est accompagné de quelques mots-clés ou d’un bref résumé en quelques mots, suivi de la page du début de l’article. Ce découpage du contenu et cette indexation sont donc visiblement effectués manuellement et le vocabulaire d’indexation n’est pas contrôlé. Plus grave, il ne semble pas possible d’effectuer des recherches sur cette indexation.

À partir de la fin 1891, on relève l’apparition de photos et d’illustrations réalisées à partir de photos (mentions from a photograph., ex. janvier 1896).

Les parutions des trois derniers mois de 1915 ne figurent pas dans la collection en ligne. Le changement est manifeste en janvier 1916 où figurent de nombreux articles et illustrations. La composition passe alors sur deux colonnes. D’après Wikipedia en effet : « En 1914, la Modern Publishing Company a acheté Electrician and Mechanic et au cours des deux années qui suivirent, plusieurs magazines ont fusionné dans un magazine scientifique destiné au grand public. Le magazine a subi une série de changements de nom : Modern Electrics and Mechanics, Popular Electricity and Modern Mechanics, Modern Mechanics puis finalement World’s Advance. Les éditeurs étaient alors à la recherche d’un nouveau nom lorsqu’ils ont acheté Popular Science Monthly. La parution d’octobre 1915 était intitulée Popular Science Monthly and World’s Advance. Le numéro de volume (vol. 87, N ° 4) était bien celui de Popular Science, mais le contenu était celui de World’s Advance. Le changement de Popular Science Monthly a été radical. L’ancienne version était une revue savante ; chaque numéro d’une centaine de pages contenait 8 à 10 articles et 10 à 20 photos ou illustrations. La nouvelle version contenait de multiples articles courts et faciles à lire ainsi qu’une profusion d’illustrations. La diffusion a doublé la première année ».

En juillet 1913 une photo ouvre un article. En janvier 1916 le magazine est composé sur deux colonnes, puis la première photo de couverture apparaît en avril 1916. Chaque numéro est alors structuré en deux parties à peu près égales : la première avec de très nombreuses photos et gravures, l’autre moins illustrée.

On note l’absence de parution après décembre 1916 et la reprise en juillet 1917. Les couvertures illustrées deviennent alors sensationnalistes et la publicité fait son apparition. De 1917 à 1919, seules certaines couvertures sont illustrées. À partir de 1920, pratiquement toutes les couvertures sont illustrées, toujours avec des images spectaculaires dont la plupart sont des fictions ou anticipations dans les arts mécaniques (automobiles, avions, navires, trains, parachutes, ballons, etc.). Certaines couvertures semblent manquer dans la collection de Google Magazine. L’une de ces illustrations, signée Norman Rockwell, est célèbre; elle est parue en octobre 1920 et figure un homme qui s’interroge sur la possibilité du mouvement perpétuel.

La composition est sur deux colonnes jusqu’à septembre 1918 avec de nombreux habillages des images (cf. janvier 1918 p. 80). À partir d’octobre 1918, la composition se fait sur 3 colonnes, toujours avec des habillages sophistiqués et parfois des chevauchements d’images (cf. octobre 1918 p. 60).

En juin et juillet 1925, le journal organise un concours dont l’illustration de couverture est le support (What’s Wrong in this Picture?). On retrouve ce picture contest durant quatre mois, d’octobre 1930 à janvier 1931 ; il s’agit toujours de retrouver des erreurs dans des photos. Un autre type de concours, toujours sur des images mais cette fois sous la forme de puzzles, est proposé de mars à juin 1932.

Février 1926 voit paraître la première image non figurative. Il s’agit de lettres multicolores figurant un « test d’imagination » (expliqué en page 14) et du slogan How fast can you mind work ?.

Février 1930 : le sommaire des articles figure sur la couverture qui n’est donc plus l’espace d’un seul sujet traité par un illustrateur. Cette disposition prend fin en octobre 1930 avec l’annonce du concours (v. ci-dessus).

Les aplats en couleur font leur apparition en février 1935 et les photos colorisées en janvier 1936.

On note la première image d’une fusée, tirée d’un canon, en avril 1936 et d’une fusée autopropulsée en avril 1938. Les fusées avaient fait l’objet d’un article dès août 1928 – mais uniquement en tant que propulseurs d’automobiles – et en décembre 1931 avec un article sur Robert Goddard.

Popular Science incorpore le magazine Mechanics and Handicraft en février 1939. La photo en couleur fait son apparition et la composition revient sur 2 colonnes. Les couvertures présentent souvent des images de matériels militaires divers et futuristes dès juillet 1936.

Le sous-titre change et devient Three magazines in one. Automobiles. Home & Shop. Mechanics en novembre 1940. Ce sous-titre disparaît en décembre 1941.

Les couvertures sont presque très souvent des photos en couleurs à partir de janvier 1941. Durant toute la guerre, les couvertures figurent des matériels ou des personnels militaires en action ; à noter, l’illustration de propagande raciste de janvier 1945.

Le magazine renoue avec les illustrations spectaculaires et prospectives en couverture à partir de janvier 1946. Les fusées deviennent véritablement des vecteurs de l’exploration spatiale en mai 1946. Les couvertures où figurent des réalisations techniques récentes alternent avec les sujets futuristes. Les techniques de pointe susceptibles d’améliorer la vie quotidienne apparaissent, parfois dans une mise en scène familiale.

Un essai d’incrustation de photo intervient en décembre 1949, et cette petite illustration se systématise dans le coin supérieur droit de la couverture à partir de février 1950. Cette maquette où la petite illustration complémentaire est le plus souvent une photo devient la règle durant les années 1950 et durera jusqu’en août 1954. Le sous-titre de couverture change à nouveau en 1951 et 1952, Mechanics and Handicraft d’abord puis à nouveau Automobiles. Home & Shop. Mechanics. Le magazine semble hésiter sur son positionnement. Les sujets liés à l’automobile sont majoritaires à partir de l’année 1954. La conquête de l’espace fait véritablement son apparition en janvier 1956 (Inside the New Midget Moon), plus d’un an avant le lancement du premier Spoutnik. C’est alors le seul sujet qui donne parfois lieu à des images prospectives (décembre 1962), les autres sujets semblent ancrés dans la vie quotidienne.

En novembre 1956, un titre annonce des full color photos d’automobiles à l’intérieur du magazine. Les photos couleurs sont suffisamment rares pour faire l’objet d’annonces en couverture jusqu’en octobre 1970.

Les robots font leur apparition en couverture en novembre 1965 sous la forme des Man Amplifiers.

L’acteur Sean Connery marque l’arrivée d’un people en couverture du magazine en janvier 1966 (illustration), suivi de Steve McQueen en novembre 1966 (mais cette fois, c’est une photo). Il semble que l’expérience n’ait pas été renouvelée.

Le sous-titre The What’s New Magazine apparaît en juillet 1969. Le magazine se recentre sur les nouveautés qui ont ou pourraient avoir un impact sur ses lecteurs. La composition revient sur trois colonnes en février 1970.

Avec les années 70, les couvertures prospectives disparaissent presque complètement – à l’exception de quelques vaisseaux spatiaux futuristes – pour laisser la place aux objets techniques du quotidien (dont l’automobile et l’avion, toujours en première place). Les sujets relatifs à l’énergie font leur apparition en 1975.

À la fin des années 70, la couleur se généralise pour les publicités et devient plus importantes pour les photos rédactionnelles à part égale environ avec le noir et blanc.

À partir de juin 1978, progressivement, on voit à nouveau des illustrations prospectives en couverture. Elles sont très fréquentes au début des années 80.

Les photos en noir et blanc deviennent minoritaires à la fin des années 80.

Le sous-titre The What’s New Magazine disparaît en juin 1989 marquant une nouvelle rupture éditoriale.

Les illustrations prospectives sont à nouveau majoritaires à partir de 1992.

1996-1997 nouvelle rupture : plusieurs articles sont mentionnés sur la couverture, The What’s New Magazine est en sur-titre à partir de janvier 1997, l’illustration occupe toute la page de couverture à partir de juin 1997, et l’infographie fait son apparition.

La seule couverture où figure un dinosaure est celle de septembre 1996 (à comparer avec les innombrables images en rapport avec l’espace, l’aéronautique, l’automobile…).

Un petit raté de Google : la parution d’octobre 1997 est présente deux fois.

1998-1999 marque la montée en puissance de l’infographie et des encadrés à l’intérieur des articles, le retour des habillages complexes du texte autour des images, l’alternance des compositions sur 2 et sur 3 colonnes, les doubles pages. Il s’agit d’une maquette typique de ces années. On relève de nombreuses couvertures sur l’espace.

À partir d’octobre 2001, plusieurs couvertures à fond blanc font leur apparition. Le sur-titre Wat’s new, What’s next revient et disparaît à nouveau en mars 2002.

Janvier 2006 : le cartouche rond The Future Now apparaît en couverture. Il est aussi présent sur le site actuel du magazine. Le mot Future est très souvent mentionné dans les titres. Les contenus mettent l’accent sur les futures réalisations techniques possibles. Le magazine comporte de nombreuses photos pleine page à l’intérieur et la rubrique Megapixels. The Must-see Photos of the Month apparaît. À quelques détails près, c’est la maquette qui est toujours utilisée actuellement.

En résumé : Popular Science était à l’origine un magazine de vulgarisation scientifique de haut niveau. Depuis 1916, c’est un magazine de vulgarisation populaire caractérisé par l’abondante illustration et la multiplicité d’articles brefs faciles à parcourir. Google Books permet de retracer rapidement sa ligne éditoriale qui a plusieurs fois évolué entre prospective à moyen terme et fiction spectaculaire d’une part, prospective à court terme et consumériste des objets techniques du quotidien d’autre part.

De nombreux paramètres supplémentaires devraient être pris en compte pour écrire une véritable histoire de ces variations éditoriales. La comparaison avec l’évolution de son principal concurrent Popular Mechanics serait par ailleurs très intéressante (un beau sujet d’histoire comparée de deux médias, les données et les outils sont là sous nos yeux…).

April 1933

April 1933

Il est possible d’effectuer des recherches sur la parution en cours, sur toute la collection en ligne, ou sur une période spécifique (via la recherche avancée et en utilisant l’ISSN du titre). Cette fonctionnalité permet par exemple de savoir que la première occurrence du mot Dinosaur intervient en décembre 1876 ou que serendipity est mentionné pour la première fois dans ce magazine en juillet 1969. On observe aussi qu’Einstein est cité en août 1910 (la théorie de la relativité date de 1905) ou que le mot pulsar est mentionné en juin 1969 (la découverte de ces objets astronomiques date de 1967). L’étude de la vulgarisation scientifique et technique, de la diffusion du vocabulaire d’une discipline et de ses concepts sont ainsi largement facilitées. La recherche d’illustrations spécifiques est par contre assez difficile et il faut passer en revue beaucoup de « bruit » pour repérer par exemple la gravure des squelettes réalisée par Waterhouse Hawkins pour un ouvrage de Thomas Henry Huxley dans un article intitulé The Proofs of Evolution by E.E. Free en septembre 19231.

Cette dernière difficulté est pénalisante pour les spécialistes des études visuelles, et plus généralement pour toutes les recherches fines qui nécessitent la structuration des contenus indexés (recherches sur légendes ou crédits des images, sur les titres, sur les signatures, voire même sur les entités nommées, etc.). Sur ce point, la technologie déployée par Google n’est pas encore au niveau de certaines réalisations comme ActivePaper Archive (Olive Software), Bondi Digital Publishing ou celles d’autres sociétés, toutes basées néanmoins sur Flash ou Silverlight. Espérons que la montée en puissance du langage HTML5 permettra à la société de Mountain View d’améliorer substantiellement son produit en ce qui concerne l’accès aux magazines numérisés.

February 2010

February 2010

Un dernier point : si vous parcourez trop longtemps une publication, Big Brother Google vous prend pour un automate (« notre système a détecté une requête automatique en provenance de votre adresse IP de réseau »). En punition, vous ne pourrez pas accéder à Google Books pendant quelques heures. À vos outils de masquage d’IP, donc…

PS : l’idée de cet article vient d’une séance récente du séminaire d’André Gunthert intitulée De la photographie à l’illustration, ou du bruit au signal. Je l’en remercie.

1 Métamorphoses de l’évolution. Le récit d’une image, par André Gunthert []

> Article initialement publié sur Culture visuelle

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