OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Psychanalyse du web http://owni.fr/2011/10/27/psychanalyse-du-web/ http://owni.fr/2011/10/27/psychanalyse-du-web/#comments Thu, 27 Oct 2011 10:21:24 +0000 Christian Fauré http://owni.fr/?p=84805

L’ingénieur Christian Fauré analyse la portée de la distinction entre les notions de transport et de transfert sur Internet. Dans son propos, le transport fait référence aux moyens matériels de mise en relation, au cuivre ou la fibre qui achemine vos données. Le transfert fait référence lui aux représentations que nous échangeons, par le biais du peer-to-peer ou par le protocole SMTP utilisé pour nos emails chargés de sens.

Parler d’infrastructure du numérique c’est toujours prendre le risque d’ennuyer son auditoire et de faire peur :

On va encore nous parler des autoroutes de l’information, d’accès internet à très haut débit, de la taille des tuyaux, etc.

Or je ne parlerai pas de tuyaux, ni d’accès internet à très haut débit, ni de fibre optique ou de Wimax. Non pas que ces questions soient secondaires — elles sont même nécessaires — mais ce ne sont pas les questions qui sont premières selon l’ordre des questions qui sont les miennes.

Mais alors, que reste-t-il de l’infrastructure du numérique si on fait abstraction des réseaux de transport ? Eh bien, ce qui reste — le reste qui m’intéresse —  ce sont les réseaux de transferts. Il s’agira donc ici d’infrastructures de transferts plus que d’infrastructures de transports.

Quelle distinction fais-je entre transport et transfert (Cf Transfert ou Transport en 2009)?

Tout d’abord, et l’on me pardonnera d’évacuer si grossièrement la question, si les deux relèvent de la mobilité et du déplacement, on peut dire que les réseaux de transports déplacent des objets et plus généralement de la matière, là où les réseaux de transferts déplacent des représentations, des symboles et, d’une manière générale du signifiant.

N’allez pas croire pour autant que j’oppose les réseaux de transferts aux réseaux de transports. Les distinguer n’est pas les opposer, et cela d’autant plus que, à ma connaissance, aucun réseau de transfert n’existe s’il ne s’appuie pas lui-même sur un réseaux de transport.

En informatique, cette articulation entre les différents protocoles de réseaux est illustrée par le modèle en couche OSI. Modèle dans lequel on voit bien que l’ensemble des protocoles qui « changent la donne » sont les protocoles de transferts : SMTP, FTP et, bien sûr, HTTP qui sont les protocoles applicatifs qui s’occupent des data. C’est en ce sens que je parle de Dataware et de Metadataware à propos des technologies de transferts.

Dans l’ouvrage collectif « Pour en finir avec la mécroissance » j’ai présenté cette dimension industrielle de l’infrastructure des réseaux de transferts du numérique qui n’est pas l’infrastructure de transport ; il s’agissait de lutter contre l’incurie d’une idée qui s’était propagée dans l’intelligentsia française, dans la classe politique et dans les discours des média analogiques. Une idée qui présentait le numérique comme l’équivalent du virtuel ; un lieu en dehors des questions d’économies et de politiques industrielles ; ce que l’on nomme à présent la fable de l’immatériel.

Ce qui a été qualifié de virtuel, et qui donc a été manqué, c’est précisément les infrastructures de transferts, celles dont l’usine moderne est le data center (déviance centripète des réseaux distribués). En matière de réseaux de transports du numérique, la France est plutôt bonne. Il est souvent souligné que la qualité du réseau français est bien meilleure que celle du réseau américain. Mais là où çà pèche, si je puis dire, c’est dans les réseaux de transferts qui sont, aujourd’hui encore, en attente d’une politique industrielle.
Ne pas faire la distinction entre les infrastructures de transport et les infrastructures de transferts c’est ne pas comprendre la guerre de tranchée que les industries du transport et celles du transfert mènent depuis plusieurs années. Cela se manifeste par exemple lorsque les opérateurs telecom refusent d’investir seuls dans les nouvelles infrastructures de transports sous prétexte que ceux qui vont se connecter à ce réseau de transport vont ensuite être captés par les serveurs de transferts des nouveaux industriels du web, c’est à dire les industriels des technologies de transfert. [Cf les citations des patrons de telecom]

De la même manière, les débats sur la « neutralité du net » relèvent pleinement la distinction entre Transport et Transfert.

Le propre du Transfert

Par ailleurs, puisque nous nous intéressons aux réseaux de transferts, le Littré nous rappelle que « transfert » est un terme d’origine financière et juridique ; on transfère des droits, des actions, des biens et donc des propriétés. Ce qui veut dire que le transfert est le domaine du propre.

Je pense qu’il est inutile de rappeler à quel point les questions juridiques sont en première ligne de la mutation induite par l’émergence des industries de transferts numériques puisque la principale réponse du gouvernement Français aux enjeux des réseaux numériques de transferts a été de criminaliser les pratiques de transferts.

Puisqu’il est question de propre et de propriété, il faut à ce sujet rappeler que la première des propriétés qui est la notre, dans ces réseaux numériques, c’est les données que nous produisons puisque, avec l’architecture associé du numérique — associé au sens ou l’on est à la fois récepteur et émetteur —  chacun peut produire et publier (et même publier à ses dépends).

Or, que font les industries du transfert numérique ? Elles ont tendance à fonctionner précisément sur la base du transfert nos propres données, de notre propre numérique, de nos traces numériques. Ainsi,  la première chose que nous acceptons en rejoignant un service de réseau social privé, ce sont les « Conditions Générales d’Utilisation » en vertu desquelles nous transférons des droits d’usages sur notre propriété numérique.

Malheureusement, dans l’économie que nous propose les industriels des réseaux numériques de transferts, il y a toujours le risque qu’en s’appropriant les données des utilisateurs, leur propriété numérique, ces derniers ne deviennent purement et simplement des « propres à rien » dans cette logique d’exploitation des données qui vire à la dépossession.

S’approprier les réseaux numériques de transferts n’est pas la même chose que s’adapter aux réseaux numériques (on reconnaît là le discours latent des propos qui se focalisent sur l’accès internet à haut débit). L’alternative entre adoption du numérique (prendre en soi) et adaptation au numérique (prendre sur soi, comme un fardeau) est celle que Bernard Stiegler présente sous la forme suivante :

« servitude volontaire automatisée versus économie de la contribution ».


Article initialement publié sur le blog de Christian Fauré, sous le titre “Le propre du transfert et le transfert du propre (infrastructure studies)”.

Illustration CC FlickR erix (cc-by)

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Techniques et technologies de masturbation http://owni.fr/2011/06/18/techniques-et-technologies-de-masturbation/ http://owni.fr/2011/06/18/techniques-et-technologies-de-masturbation/#comments Sat, 18 Jun 2011 07:50:45 +0000 Christian Fauré http://owni.fr/?p=68176

En matière de masturbation, j’appartiens plutôt à la génération de l’impression et de l’édition. Mes supports allaient des cartes à jouer récupérées dans les fêtes foraines aux pin-up des calendriers en passant par la section sous-vêtements du catalogue de La Redoute.

Coucou, tu veux voir ma...

C’était finalement des supports publics en ce sens qu’ils n’étaient pas uniquement des stimulants technologiques de la masturbation. En effet, on pouvait toujours dire que les cartes servaient à jouer, les calendriers à connaître la date et les jours et que, bien sûr, on ne regardait jamais les pages consacrées aux sous-vêtements dans La Redoute.

Il existait bien sûr des magazines érotiques et pornographiques mais, là, le jeu n’était plus le même : s’ils étaient trouvés, on était grillé. Il était inutile d’essayer d’expliquer que c’était pour un autre usage que nous les avions. Tout devait donc être mis en œuvre pour ne pas éprouver cette honte.

Il fallait donc une stratégie de mise en réserve et d’archivage desdits magazines. Des cachettes hyper-sûres devaient être dénichées. Du coup, l’appartement ou la maison devenaient des architectures qui n’étaient appréhendées que dans la perspective d’y trouver la meilleure cachette.

Et puis le temps de l’analogique et des vidéos est arrivé, vidéos qui bien souvent n’étaient que les enregistrements des films diffusés par Canal+. Mais cela restait très exceptionnel.

Je dis ces magazines et ces vidéos, mais il n’y avait pas pour autant abondance. Bien souvent on faisait avec un fond très réduit de quatre ou cinq magazines et une ou deux vidéos. Ce qui amenait à se masturber un nombre incalculable de fois sur les mêmes images, sur les mêmes plans, les mêmes scènes et avec les mêmes acteurs. Ces satanées musiques d’ascenseurs en bande-son me courent encore dans la tête des décennies plus tard.

Avec l’avènement du numérique, les caractères ASCII étaient bien souvent la matière première des nouvelles formes érotiques. C’était le temps où le numérique nous faisait faire un bond en arrière par rapport au confort de l’impression et de l’analogique. C’était le temps où il fallait plisser les yeux pour ne plus voir les caractères ASCII ou les sprites pour voir émerger, dans notre tête, ce que cachait le numérique tout autant qu’il le montrait.

Ce que le numérique apportait n’était donc pas tant une qualité des supports qu’un confort dans la gestion des supports de masturbation. La question de la cachette des supports venait enfin d’être définitivement résolue : personne dans mon entourage ne savait utiliser un ordinateur. En conséquence de quoi on pouvait commencer à stocker un nombre beaucoup plus important de supports. C’est donc une grande variété qui a marqué cette époque mais aussi une socialisation plus forte autour des supports de masturbation au travers des échanges de fichiers sur disquette.

A l’heure du web et du porno en streaming, c’est une banque de données impressionnante qui est à présent disponible et qui s’enrichit des pratiques d’amateurs qui s’auto-filment et s’auto-publient dans de bonnes ou de mauvaises intentions. Quoi qu’il en soit, on est loin des pratiques qui accompagnaient les technologies et les supports des années 80. Vous voulez une Asiatique à forte poitrine ? Une amatrice qui pratique une fellation ? Quoi que vous vouliez, c’est à portée d’un clic. Il suffit de parcourir les catégories, les mots clés et d’utiliser le moteur de recherche. Les supports de masturbation aussi ont été indexés.

Je n’évoque ici que l’évolution des technologies de publication mais il y a également l’aspect chimique (pilules en tout genre) et gadgets plus au moins robotisés (que j’avais évoqué dans L’érotisme japonais). Face à cette évolution sans précédent des technologies de publication donc, que peut-on dire de l’évolution des techniques et pratiques de masturbation ?

Maintenant que chaque écran devient potentiellement une « station d’assistance à la masturbation », peut-on dire que cela appauvrit l’imagination ? Est-ce que cela augmente le nombre de masturbation par personne connectée ? Y a t il des phénomènes d’addiction ? Les filles, que j’ai toujours crues, à tort ou à raison, moins à même d’avoir recours aux technologies de publication pour se masturber, ont-elles changé leurs pratiques en s’alignant sur celles des garçons ? Y a t il un onanisme technologique et numérique ?

Pas facile en tout cas d’aborder cette question sans se mettre soi-même en interrogation, surtout quand on a connu différents milieux technologiques en si peu de temps. Pas facile non plus de publier ses réflexions sur un sujet à la fois aussi intime que partagé par tous. Et, finalement, dans quelle mesure peut-on dire que la masturbation appartient aux techniques de soi ?

Billet initialement publié sur le site de Christian Fauré

Photo Flickr AttributionNoncommercial Henry M. Diaz

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Biodiversité : la bonne affaire du capitalisme sauvage http://owni.fr/2011/01/26/biodiversite-capitalisme/ http://owni.fr/2011/01/26/biodiversite-capitalisme/#comments Wed, 26 Jan 2011 16:30:05 +0000 Christian Fauré http://owni.fr/?p=44013 Le World Resources Institute (WRI) est une organisation qui se présente de la manière suivante :

Le WRI est un think tank environnemental qui va au delà de la recherche pour trouver des moyens pratiques pour protéger la planète et améliorer la vie des peuples.

C’est très noble.

Mais une autre manière de voir, s’y l’on croit les journalistes Agnès Bertrand et Françoise Degert, est celle qui va suivre. Après avoir écouté leur entretien dans l’émission Terre à terre du 16 Octobre, voici à la fois ce que j’en ai compris et comment je l’interprète.

Le World Resources Institute et la convention pour la biodiversité

World Resources Institute est une organisation de lobbying et d’influence, contrôlée par des grandes firmes (banques d’affaires, agro-alimentaire, chimie, extraction de matière première, etc.) qui vise à la fois le détournement de la « Convention pour la Biodiversité » et l’appropriation des ressources naturelles et de la biodiversité.

Le détournement de la Convention pour la Biodiversité, adopté lors du Sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992 (texte PDF de la convention en français), était la première motivation. En effet, cette convention prônait notamment la fin des subventions (à l’horizon 2020) pour toute activité qui nuirait à la biodiversité. Pétroliers, industries de l’agro-alimententaire et de l’extraction minière et autres ont bien compris que si cette convention venait à être appliquée, leur profit risquait de fondre comme neige au soleil. C’est comme si chaque industriel devait être tenu comptablement et financièrement responsable des externalités négatives qu’il produit : ce qui n’est pas acceptable. Il fallait donc détourner la convention.

Détournement qui se fait en trois moments :

  • cela commence tout d’abord par une opération sophistiquée de détournement systématique du vocabulaire et du sens des propositions. On commence à être largement habitué à cette pratique institutionnelle qui consiste à renommer tous les termes, à les adoucir jusqu’à les rendre incompréhensibles et équivoques (exemple : le balayeur qui devient « technicien de surface »), le tout saupoudré d’une communication millimétrée qui distille des « éléments de langage ».
  • dans la confusion qui en résulte, prendre la main sur le dispositif de gestion de l’application de la politique en matière de biodiversité qui se met en place. C’est l’acte par lequel on va court-circuiter les populations mais aussi les politiques dans la définition de la mise en place d’une articulation entre finance et écologie. Articulation qui va se faire selon une modalité de soumission du système écologique au système financier.
  • le dernier moment étant proprement celui de l’appropriation de fait et en droit de la biodiversité par le marché.

Entre la Convention sur la Biodiversité de 1992 et le sommet de Nagoya de 2010, le système financier a transformé une menace en une gigantesque opportunité. Nous sommes passés d’une hégémonie menacée à une hégémonie triomphante et sans vergogne.

Leur crédo, très classiquement libéral, est que le meilleur moyen de préserver les ressources naturelles ainsi que la biodiversité est de confier tout cela au marché. Dit autrement, il faut que la biodiversité ait une valeur marchande pour qu’elle puisse devenir objet d’intérêt et donc être protégée. L’argument qui justifie la démarche étant que : la meilleure façon d’échapper aux effets toxiques de la spéculation financière des marchés est encore … de rentrer dans le marché. La meilleure façon d’être à l’abri des effets et du fonctionnement d’un système étant de s’y fondre.

Cependant la voie du marché n’est empruntable que par des propriétaires, ceux qui possèdent un titre de propriété. Pour entrer dans le marché, et être « protégé mécaniquement » des effets du marché, il faut donc que la biodiversité trouve un propriétaire.

De l’inventaire au catalogue des services écosystémiques

Mais d’abord il va falloir inventorier et classifier la biodiversité. Puisque l’on souhaite mettre quelque chose sur le marché, il faut être en mesure de le caractériser et de lui donner une valeur. Comment va-t-on pouvoir classer et répertorier toute la biodiversité afin de pouvoir la présenter au marché en tant que marchandise ? Prendre la question au niveau de la molécule serait beaucoup trop long et complexe, un classement en matière de « service rendu » sera préféré. Après tout, à quoi çà sert la biodiversité ? Quels services cela rend-il ?

Si c’est un service, cela a nécessairement une valeur. C’est d’ailleurs presque une tautologie tant c’est l’établissement d’une valeur qui justifie un service.

Service => Valeur puis Service = Valeur

Un jour, tous les services rendus par la nature auront une valeur marchande ; l’air que l’on respire, la graine que l’on plante, la terre que l’on cultive, l’eau que l’on boit, la pharmacie naturelle des plantes, les molécules produites naturellement, etc. C’est une histoire de fournisseur : fournisseurs d’énergie qui deviennent fournisseurs de nature et de biodiversité. Au sens strict, les fournisseurs sont ceux qui mettent au four, qui enfournent ce qui va être consumé et consommé.

On va donc faire comme ça : on va dire que la biodiversité produit des services. Au début on parlera de la biodiversité, puis après d’écosystèmes et à l’arrivée de « services écosystémiques » !

Ne reste plus au WRI qu’à faire pression sur l’ONU pour financer un programme sur l’environnement sensé faire une classification des écosystèmes (pour mieux protéger la biodiversité bien sûr). Le projet devant produire le rapport « Millenium Ecosystem Assessment ». Un « assessment » de la biodiversité qui va identifier et classer 31 services écosystémique regroupés en quatre catégories :

  • Approvisionnement en matière première (textile, pêche, minerai, etc.) ;
  • Services de supports (les sols) ;
  • Régulation du climat et de l’eau ;
  • Services culturels (les savoir-faire, et notamment ceux des femmes, c’est très important).

La mise en place de la marchandisation de la biodiversité

On assiste à la création d’un marché, celui de la biodiversité, de la diversité de la vie. Y compris jusqu’aux savoir-faire compris comme « services culturels ».

Pour qu’un service soit sur le marché, il faut qu’il puisse avoir des équivalences avec d’autres services et d’autres marchandises. Cette activité existe, c’est le métier des banques de compensation (Clearstream par exemple, est une banque de compensation). Il faut pouvoir dire que tel territoire a telle valeur et peut s’échanger contre d’autres services. De la sorte, les aires protégées deviennent des actifs financiers.

C’est ce qui s’est passé quand le Brésil a épongé une dette de 61 M$ avec les USA en vendant une aire protégée, la Mata Atlantica (la forêt atlantique du Brésil). Cette zone va donc être géré par les USA. Grâce à cet actif, les USA pourront se dédouaner plus facilement de leur impact écologique et pourront influer sur le marché du Carbone. L’achat de la gestion d’une aire protégée va donner des passe-droits, des joker qui vont sécuriser les profits d’une industrie de guerre. Il s’agit de pouvoir acheter des bonus pour ne pas subir les conséquences des malus, s’acheter une bonne conduite.

Mais pas seulement. La compensation, en faisant entrer la biodiversité dans le marché et dans des transactions financières, étend radicalement l’« aire de jeu » des pratiques spéculatives à tout le vivant. C’est un nouveau marché, un nouveau golden field (un champ d’opportunité en or).

« Compensation »

Pour être sur un marché, il faut donc qu’il y ait compensation. Le Littré nous indique que compenser désigne l’acte de déclarer équivalente la valeur de deux choses puis, par extension, la compensation est ce qui intervient dans le dédommagement d’un préjudice ou d’un désavantage (on réclame une compensation pour préjudice subi). Enfin, un troisième sens sous la forme d’un verbe réfléchi : « se compenser », au sens où des erreurs qui se compensent n’affectent pas le résultat.

Avec ce dernier sens, on ne déclenche pas de transaction pour les opérations qui s’annulent entre elles sans affecter le résultat. Cette pratique à le nom de « novation », elle désigne le fait, toujours selon le littré, « d’éteindre une ancienne obligation en changeant le titre, le créancier ou le débiteur « , c’est ce que font les chambres de compensation en se substituant successivement aux créanciers, ou débiteurs, lors d’une opération de gré-à-gré.

Les pays fortement endetté pourraient ainsi éponger leur dette grâce à des compensation en biodiversité. Un visage de l’industrie capitaliste, celui qui détruit la biodiversité, se propose maintenant d’effacer l’ardoise en récupérant en plus le peu qu’il en reste. « Je possède ce que je détruit », la boucle est bouclée. Ainsi un parlementaire allemand, du parti de Mme Merkel, a-t-il suggéré qu’en retour de son aide financière à la Grèce, celle-ci devrait céder en compensation ses îles à l’Allemagne !

Les actifs de ces banques de compensation passent ensuite dans des chambres de compensation qui sont totalement opaques et occultes dans leur mode de fonctionnement. L’opacité de ces activités a ainsi fait dire que ces banques avaient une activité de blanchiment d’argent sale qui permet également de faire marcher la planche à billet.

Imposer un système de gestion pour court-circuiter les logiques contributives

Ce qui donc a été présenté à Nagoya, du 23 au 30 Octobre 2010, c’est le fruit d’un travail qui a été confié à un banquier de la Deutsche Bank, basé à Bombay. Il s’agit de « The economy of ecosystems and biodiversity » (TEEB). Avant même d’être présenté à Nagoya, des extraits et un pré-rapport ont été présenté à Londres le 13 Juillet 2010 sous l’intitulé « The economy of ecosystems and biodiversity for Business ».

La prochaine étape est la mise en place de l’IPBES (Plateforme intergouvernementale,  scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques). Présentée comme le « GIEC de la biodiversité », l’IPBES est beaucoup plus qu’un groupe d’experts scientifiques puisque il a des prérogatives politiques avec un droit de gestion de toute la biodiversité sans forcément directement passer par les états, c’est à dire en pouvant dialoguer directement avec les collectivités locales et les populations autochtones.

Tout est donc en place pour un arrimage de la biodiversité à la finance : les aspects juridiques et la répartition des tâches sont en train d’être finalisés, et on peut être certain que l’IPBES va court-circuiter la mise en place des mesures préconisées par la Convention sur la biodiversité, au premier rand duquel les subventions aux activités produisant des externalités négatives sur la biodiversité.

Article initialement publié sur le blog de Christian Fauré sous le titre : « Biodiversity (for Business) »

>> photos flickr CC Stéfan ; Rodrigo Soldon ; Michael Grimes

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La tragédie WikiLeaks http://owni.fr/2010/12/05/la-tragedie-wikileaks/ http://owni.fr/2010/12/05/la-tragedie-wikileaks/#comments Sun, 05 Dec 2010 18:18:27 +0000 Christian Fauré http://owni.fr/?p=38220 Sept remarques sur WikiLeaks.

Première remarque : « single point of failure » dans l’architecture distribuée

C’est peut-être la première fois que j’écris une note en me demandant comment je vais faire un lien vers l’organisation dont je parle, à savoir WikiLeaks.

Voilà le premier problème que pose WikiLeaks, site chassé du web par des hébergeurs, puis par le DNS qui apparaît comme single point of failure du web, une clé de voûte du système trop centralisée pour susciter un intérêt renouvelé pour des DNS en p2p.

Deuxième remarque : une divulgation numérique de masse

Outre ce débat sur les DNS et l’architecture du web, on parle également de liberté d’expression à propos de l’affaire WikiLeaks. En l’occurrence je ne vois pas trop bien pourquoi car il ne s’agit pas tellement de l’expression d’une thèse ou d’une idée mais d’une « divulgation numérique de masse », sans commentaires,  et rendue possible par l’évolution du système technologique. Quoi qu’il en soit les discussions les plus fréquentes se posent en terme de droit et de légalité.

Troisième remarque : une sélection

Nous n’avons pas à faire à des micros divulgations faites par des milliers de personnes grâce au travail d’autres milliers de personnes organisant des copies et des fuites d’information. Nous avons plus vraisemblablement quelques personnes, peut-être une seule, qui dévoile des données qui sont ensuite sélectionnées, organisées et divulguées par une seule organisation.

Aussi, ce ne sont pas les données d’un petit pays africain qui sont divulguées ; ce sont les données de l’administration américaine. Et que se serait-il passé si cela avait été les données de l’administration russe, chinoise ou iranienne ? Il y aurait eu a minima un problème de traduction d’une part, et d’autre part les moyens technologiques mis en œuvre pour pousser WikiLeaks hors du web n’aurait probablement pas été aussi importants.

La démarche de WikiLeaks est dirigée contre les États-Unis, même si c’est tout le monde qui est arrosé par effets de bord.

Quatrième remarque : une tragédie numérique

Outre que WikiLeaks fasse un choix, c’est-à-dire sélectionne les données, tout ceci s’accompagne d’une mise en scène : les annonces sont faites avant les divulgations, la figure de Julian Assange est mise en avant, des stratégies de diffusion se font avec la complicité des grands journaux nationaux. Tout sauf une fuite accidentelle relayée anonymement sur Internet de manière improvisée, à la manière du piratage des œuvres dites « culturelles ».

La mise en scène et la théâtralisation de l’affaire WikiLeaks en font une tragédie numérique.

Comme toute tragédie grecque, il y a un public mais aussi un chœur, peut-être joué par les journalistes, ou tout du moins par un certain journalisme d’investigation que l’on croyait en voie de disparition.

Cinquième remarque : le principe de vérité

Ce que WikiLeaks révèle est vrai. Aucune personne n’a, à ma connaisse, contesté la véracité des documents.

On ne parle pas de rumeurs, les documents sont vrais et il est difficile de s’opposer à la diffusion de la vérité. Quel principe, dans notre civilisation occidentale, peut-on placer au dessus de la vérité ? La justice elle-même recherche la vérité pour juger.

Sixième remarque : une fonction cathartique

Il a été argué que la divulgation de ces documents mettait en danger la sécurité et la vie de certaines personnes. Mais, en même temps, l’état du monde est aujourd’hui tel qu’on ne peut s’empêcher de penser que ces divulgations ne peuvent qu’être bénéfiques car la manière dont fonctionne le monde aujourd’hui ne fait pas que menacer la sécurité ou la vie de quelques personnes.

De la à ce que WikiLeaks endosse une fonction cathartique, une fonction de purification et de libération, il n’y a qu’un pas. D’ailleurs, le logo de WikiLeaks l’illustre et le revendique parfaitement.

Septième remarque : crise de confiance

Cette tragédie numérique témoigne d’une crise de confiance sans précédent, non seulement entre les gouvernements eux-mêmes, mais également entre les gouvernements et les citoyens. Situation renforcée par le fait que, finalement, la seule chose sur laquelle le consensus se fasse entre les gouvernements, c’est la mise à l’index de WikiLeaks. Les gouvernements font bloc et exercent une pression énorme sur tous les acteurs privés pour fermer le robinet : hébergement, DNS, mais aussi solution de paiement avec Paypal qui jette l’éponge.

WikiLeaks, peut jouer le rôle d’un déclencheur, mais sera-t-il pour autant cathartique ?

>> On consultera sur ce le sujet : À propos de wikileaks par Stéphane Bortzmeyer et Suites de la fuite de Jean-Noël Lafargue

>> Article initialement publié sur le blog de Christian Fauré

>> Illustrations FlickR CC : Leo Reynolds, alexjtam, kevindooley

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Les paysans victimes d’une agriculture de guerre http://owni.fr/2010/11/04/les-paysans-victimes-dune-agriculture-de-guerre-kokopelli-pesticides-agroalimentaire-nourritur/ http://owni.fr/2010/11/04/les-paysans-victimes-dune-agriculture-de-guerre-kokopelli-pesticides-agroalimentaire-nourritur/#comments Thu, 04 Nov 2010 15:23:35 +0000 Christian Fauré http://owni.fr/?p=37096 Dominique Guillet, fondateur de Kokopelli, association qui produit et distribue des semances potagères bio de variétés anciennes, fait l’ouverture du documentaire « Solutions locales pour un désordre global » de Coline Serreau. Il va poser ce qui constitue les prémices de la thèse qui est défendue par la réalisatrice :

Qu’est-ce que c’est la première guerre mondiale en fait ? C’est l’éradication de la paysannerie franco-germanique qui se fait massacrer au front, des millions de paysans sont morts !

Puis il poursuit :

Et donc, cette entreprise de dé-paysannerie a été parachevée par le deuxième guerre mondiale. Et viens se greffer, par dessus tout cela, la synthèse de l’ammoniaque qui permet de faire des bombes et qui après permet de faire des fertilisants de synthèse. Ensuite, l’invention du gaz moutarde qui va donner quoi ? Eh bien tous les insecticides, qui sont des gaz de combats. Puis, avec le plan Marshall de 1947, les États Unis arrivent avec leur tracteurs qui sont la suite logique des tanks. Donc, en fait, l’agriculture occidentale est une agriculture de guerre.

Ce propos est ensuite souligné par celui d’Ana Primavesi, ingénieur agronome, docteur, professeur en gestion des sols de l’université de Santa Maria:

Cette agriculture occidentale est un pacte, une alliance entre deux parties. Le deal était entre l’agriculture et l’industrie qui, après la seconde guerre mondiale, avait d’énormes stocks de poison sur les bras, qui devaient soit-disant « tuer des ennemis » mais, une fois la guerre finie, il n’y avait plus d’ennemis à tuer.

Elle poursuit :

Alors [...] on a eu une idée fantastique. On a dit : l’agriculture n’achète presque rien à l’industrie, de temps en temps un petit tracteur, mais rien quoi… Alors on va faire comme ça, on va passer un accord : l’agriculture achètera des machines puissantes, des engrais chimiques, des pesticides, le tout provenant de l’industrie. L’industrie empochera les bénéfices, l’agriculture sera déficitaire, mais le gouvernement va détourner une partie des impôts pour subventionner et renflouer l’agriculture.

La « révolution verte » est l’expression douteuse qui désigne le bond technologique de l’agriculture pendant la période 1945-1970, grâce aux progrès scientifiques de la première partie du 20° siècle. Elle a été largement diffusé dans le monde jusqu’à modifier radicalement le visage de la paysannerie mondiale et, par voie de conséquence, l’ensemble des ressources naturelles.

Fumigation aérienne en Argentine.

En se lançant à la conquête de l’agriculture, en faisant de l’agriculture un marché industriel, cette industrie dont les racines plongent dans une économie de guerre va défigurer pays et paysans. Cette défiguration repose sur un processus de dissociation systématique de l’économie du vivant.

[Dans son fond cette politique industrielle est profondément pétrie de la métaphysique occidentale et de l'hégémonie de son schème hylémorphique, il faut être ainsi aveuglé par cette pensée pour en arriver à croire que la terre n'est qu'un substrat, de la matière morte et inerte.]

Maintenir le vivant malade pour qu’il reste rentable

Il s’agit d’une dissociation en ce sens que la démarche consiste à briser les liens économiques et écologiques. Les processus naturels sont niés et détruits dans l’objectif d’y substituer l’utilisation des produits de l’industrie. Les milieux qui étaient naturellement associés sont décomposés pour être ensuite recomposés artificiellement dans un milieu industriel dissocié.

Ce milieu industriel dissocié qui s’est mis en place n’a cessé de se généraliser en tendant à privatiser les ressources naturelles en y substituant des ressources artificielles, notamment avec le scandale des semences.

Cette agriculture intensive et industrielle a une production qui n’est pas saine, qui est toujours toxique, même si c’est à des degrés divers et même parfois infinitésimaux. Pourquoi produire des plantes (mais la question vaut aussi pour les animaux) malades ? Cela se comprend aisément : plus les plantes sont en mauvaise santé durant le cycle de leur exploitation, plus il faudra utiliser les services et les produits de l’industrie chimique et agro-alimentaire pour les maintenir en vie, sous perfusion.

L’ensemble de ces actions visant à maintenir le vivant malade induit en même temps une augmentation du nombre de transactions qui fait mécaniquement augmenter le PIB d’un pays. De là à interpréter le PIB comme une mesure indiquant le degré d’intoxication d’une nation, il n’y a qu’un pas. Un pas que l’on peut franchir lorsqu’un intervenant du documentaire de Coline Serreau explique que :

[...] une rivière en bonne santé n’est pas valorisée en économie, elle ne représente aucune richesse. Mais commencez par la polluer puis essayer de réparer l’irréparable et vous observerez que tout cela a augmenté sensiblement le PIB. (citations de mémoire)

Face à de tels exemples, on comprend l’importance et l’enjeu de la réforme du PIB. Indicateur qui est devenu un instrument de mesure qui ne valorise essentiellement que l’ensemble des transactions d’une industrie qui fonctionne de manière quasi exclusive sur le mode de la dissociation. (Extrapolons : occupez-vous de vos parents et vous ne produisez aucune richesse, mais mettez-les en maison de repos et vous augmentez le PIB, pareil pour vos enfants quand vous les faites garder voire quand vous les mettez devant la télévision.)

En ce qui concerne l’agriculture, le résultat est là : on a beau voir de beaux champs à perte de vue, symboles photogéniques de la modernité agricole mais, ce qu’il faut voir, c’est en réalité un désert stérile, un paysage mortifié et à l’agonie.

Le paysan devenu exploitant agricole, impuissant face au système qui les endette

La terre est morte, elle ne respire plus car toute sa diversité micro-biologique a été éradiquée à coup de labours et d’intrants toxiques. Même les blés que l’on voit de nos propres yeux ne sont que des morts vivants. Car tout a été fait et organisé pour que rien ne pousse et rien de croisse sans le recours à l’industrie de l’intensité : de la graine génétiquement modifiée et brevetée jusqu’à la récolte en passant par les pesticides, herbicides et engrais. Toute l’agriculture se fait en réalité « hors-sol » car la terre a été tuée. Il s’agit d’un terracide dont toute l’écologie environnementale et alimentaire paye quotidiennement son tribut économique et environnemental.

Sans surprise, mais avec encore plus de tristesse, on constate que ce que le capitalisme productiviste et consumériste fait à notre psychique (cf. la baisse tendancielle de l’énergie libidinale, la débandade généralisé et le malaise dans lequel nous sommes), il le fait aussi en même temps, dans une même tendance, à nos terres. À la prolétarisation du travailleur (perte de savoir-faire) , puis à celle du consommateur (perte de savoir-vivre) fait écho celle de l’agriculteur et du paysan, devenus exploitants agricole, c’est à dire qu’on en a fait les agents de leur propre déchéance.

En France, les premières et les plus grandes victimes de cette prolétarisation sont d’abord et majoritairement les exploitants agricoles regroupés sous le syndicat FNSEA. On y trouve de plus en plus des hommes qui sont devenus dangereux car endettés jusqu’au cou et empêtrés dans un système aberrant, soutenu par la politique agricole commune dont il sont à la fois les agents et les premières victimes. Quel système pernicieux !

Si le diagnostic est une chose importante et première, il doit toutefois conduire à des thérapeutiques et des thérapies, et notamment conduire à des processus de reconversion qui offrent de nouvelles perspectives. Le documentaire de Coline Serreau, qui m’a ici servi de prétexte, en donne. La réalisatrice en fait un résumé dans un cours entretien vidéo :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Il faut donc reconstruire nos pays et notre paysannerie et trouver des passerelles pour offrir des solutions non seulement à ceux qui sont devenus bien malgré eux des paysans prolétarisés mais également à ceux qui souhaitent se reconvertir dans la paysannerie. Si la question de la paysannerie est plus que jamais une question d’avenir, c’est aussi parce qu’il ne s’agit pas de revenir mille ans en arrière en niant les progrès accomplis : il y a nécessairement un avenir industriel et technologique à la question agricole, mais elle ne peut pas passer par des pratiques qui nous inscrivent dans la « mécroissance » sous prétexte de maintenir des rentes de situations industrielles héritées d’une industrie qui est en guerre contre l’humanité et la terre entière depuis près d’un siècle.

Je signale que le documentaire de Coline Serreau est en vente dès le 2 Novembre 2010, et que ce n’est pas qu’un produit de consommation, comme vous l’aurez sans doute compris (même si j’ai par ailleurs quelques réserves qui ne sont pas opportunes de développer ici et maintenant)

Billet originellement publié sur le blog de Christian Fauré sous le titre Prolétarisation paysanne et terracide.

Photo FlickR CC Ol.v!er [H2vPk] ; Santiago Nicolau ; C.G.P. Grey ; Diego Lorenzo F. Jose.

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Des techniques relationnelles aux technologies relationnelles http://owni.fr/2010/10/07/des-techniques-relationnelles-aux-technologies-relationnelles/ http://owni.fr/2010/10/07/des-techniques-relationnelles-aux-technologies-relationnelles/#comments Thu, 07 Oct 2010 11:01:58 +0000 Christian Fauré http://owni.fr/?p=30778 L’évolution du web et le succès des réseaux sociaux ont mis en avant l’importance de ce que nous nommons d’une manière plus large les « technologies relationnelles ». Celles-ci débordent et diffèrent pourtant de ce que nous appelons les « réseaux sociaux », en nous référant aux grands noms des services en ligne que sont Facebook ou Twitter, pour ne citer que les plus populaires d’entre eux.
C’est ce débordement que je souhaiterais décrire, notamment en distinguant les techniques relationnelles des technologies relationnelles. Cette distinction pouvant être appréhendé à partir du prisme des pratiques relationnelles.

§1. Les techniques sont des pratiques

De plus en plus, le terme de technologie supplante celui de technique. Tantôt la technologie désigne le discours sur la technique  – ou science de la technique – comme l’indique son étymologie, mais le plus souvent on utilise le terme comme désignant l’ensemble des techniques scientifiques qui se sont la plupart du temps développées dans des activités industrielles.

L’expression de «technologies relationnelles», elle, est encore plus récente. Son utilisation croissante est notamment due au succès phénoménal que rencontrent, depuis 2003, les services de réseaux sociaux sur le web.
Plus prosaïquement, les techniques ont ceci de particulier que, contrairement aux technologies, elles s’accompagnent toujours de pratiques, comme quand on dit de quelqu’un qu’il a « la technique » ; ce qui signifie qu’il a le « tour de main » ou le savoir-faire, c’est-à-dire qu’il sait pratiquer.

Si la technique est un savoir-faire qui requiert une pratique, la chose sera beaucoup moins évidente lorsque nous aborderons à proprement parler les technologies relationnelles. J’emploie ici le futur car je voudrais, dans un premier temps, aborder les technologies relationnelles depuis la question des techniques relationnelles, et tout d’abord en redéfinissant le périmètre de ces dernières.

§2. Typologies des pratiques relationnelles

Si aujourd’hui, par «technologies relationnelles» on entend vaguement des techniques de communication, nous souhaiterions préciser plus distinctement la conception que nous nous faisons des techniques relationnelles et des pratiques relationnelles qui leur sont intrinsèquement liées. Or ce périmètre est beaucoup plus vaste que ce que l’on peut penser de prime abord.
S’il y a des pratiques relationnelles, celles-ci doivent d’abord s’entendre comme des activités qui nécessitent une forme d’altérité que souligne le terme «relationnelles». D’une manière générale, il faut être en public, en groupe ou en société pour exercer des pratiques relationnelles. À ce titre, je n’hésite pas présenter la courtoisie, la politesse, ou encore l’hospitalité comme relevant pleinement des pratiques relationnelles. Ce sont des activités qui font l’objet d’un apprentissage (d’une éducation), et qui requièrent l’utilisation de techniques appropriées.

A ces activités qui relèvent du savoir-vivre et plus généralement de l’éthique (je crois que c’est Derrida qui disait que « l’éthique, c’est l’hospitalité »), il faut rajouter les pratiques oratoires développées grâce aux techniques d’animation (de réunions, de discussions, …) jusqu’aux techniques de prise de parole et d’argumentation qui, elles, relèvent de ce que l’on nomme la rhétorique.
La rhétorique et l’éthique relèvent pleinement des techniques relationnelles. Et Aristote, qui enseignait la rhétorique à l’Académie de Platon, est assurément la figure majeure du philosophe des techniques relationnelles.

Les protocoles que respectent les ambassadeurs et les ministères des relations extérieures sont également des techniques relationnelles, au même titre que les rituels et les liturgies religieuses, mais aussi sociales.
Enfin, à un niveau politique, c’est le vivre-ensemble et la civilité qui désignent le champ où s’exercent les techniques relationnelles. Au-delà, c’est le règne des barbares avec leurs mœurs et leurs pratiques incompréhensibles.
Les techniques relationnelles visent à élever l’homme, certains diront à le civiliser. C’est ainsi que, dans le film de Truffaut sur l’enfant sauvage, le professeur commence à s’employer à initier l’enfant aux techniques et aux pratiques relationnelles, conditions même de tout apprentissage ultérieur. Encore aujourd’hui à l’école, on commence à apprendre aux enfants à rester assis avant de pouvoir poursuivre tout enseignement théorique.

§3. Politique de civilisation


On se souvient que, lors de ses voeux à la nation du 31 décembre 2008, le président français avait utilisé l’expression de « politique de civilisation ». Il est d’autre part surprenant que ce soit ce président «bling-bling» qui lâche des «casse-toi pov’con !» qui soit en même temps celui qui vienne nous parler de politique de civilisation], reprenant ainsi un des titres du sociologue Edgar Morin : Pour une politique de civilisation (éd. Arléa, 2002).

Ce dernier avait fait des propositions concrètes aux candidats à la présidentielle, « notamment sur le terrain du rétablissement des solidarités, de la création de maisons de solidarité ou d’un service civil ad hoc » [ Cf dans Le Nouvel Obs, Edgar Morin : "Que connaissent Sarkozy et Guaino de mes thèses ?"]. En se proposant de « régénérer la vie sociale, la vie politique et la vie individuelle », Edgar Morin désignait par là, mais sans l’expliciter pour autant, la nécessité de réactiver les techniques relationnelles en tant que pratiques constitutives de la civilité et de la civilisation.

On pressent bien que c’est un combat contre la barbarie croissante qui se joue à présent, et que celle-ci ne vient pas de l’extérieur mais se trouve au cœur de nos sociétés, agissant tel un poison qui menace le processus d’individuation psychique et collective.

Si donc il nous faut réactiver une politique de civilisation, cela doit passer par les pratiques et les techniques relationnelles.

§4. Techniques de soi & techniques du nous


Ars Industrialis a beaucoup mis en avant l’intérêt et l’enjeu des techniques de soi. Or, les techniques relationnelles répondent aux techniques de soi en tant que « techniques du nous ». La complémentarité des « techniques de soi » et des « techniques du nous » fait écho à la relation transductive à l’œuvre dans l’individuation psychique et collective de Simondon : je ne m’individue grâce aux techniques de soi que parce que je me singularise également dans un nous grâce à des techniques du nous.

Techniques de soi et techniques du nous composent, et le théâtre est haut lieu historique de cette composition. Il n’est pas étonnant que la question du théâtre soit au cœur de l’œuvre de Goethe, notamment dans ses «romans d’éducation», car cette littérature allemande (et je pense également à L’Arrière-saison de Adalbert Stifter, que m’a fait découvrir Caroline Stiegler) montre bien à quel point les techniques de soi ne peuvent se déployer qu’en regard des techniques du nous.

Ces œuvres sont de formidables leçons de courtoisie, d’hospitalité et de savoir-vivre. Si L’Arrière-saison est un chef d’œuvre inégalé aux yeux de Nietzsche, c’est certainement qu’il contient l’esprit d’un nous dans lequel les singularités peuvent s’épanouir. L’expression de roman d’éducation souligne du coup la nécessité conjointe d’apprendre tout autant les techniques de soi que les techniques du nous. Or, quand l’enseignement s’en tient à l’ingurgitation de «connaissances», ce sont les techniques de soi et les techniques du nous passent à la trappe : c’est l’âme même de l’éducation qui fond comme neige au soleil quand ces techniques ne sont pas, ou plus, enseignées.

Foucault lui-même parle des techniques du nous, mais il ne les appelle pas comme çà. Lui, parle de «techniques des autres». Dans Le  Gouvernement de soi et des autres, il avait d’ailleurs l’intention de réunir des textes et des cours qu’il avait fait alternativement sur les techniques de soi puis sur les techniques des autres.

§5. La logique des technologies relationnelles

Outre le sens de technologie compris depuis son horizon scientifico-industriel, il y a une compréhension plus originaire de la technologie comme inscription du symbolique dans la matière, que l’on peut également présenter comme technique de spatialisation d’un flux.

Présentée de la sorte, la distinction entre techniques et technologies n’est plus simplement pensée selon des strates historiques («avant il y avait la technique, aujourd’hui c’est plutôt de la technologie».) Techniques et technologies cohabitent depuis l’invention de l’écriture, si ce n’est depuis les premières peintures préhistoriques.

C’est donc avec raison que Sylvain Auroux parle de la révolution « technologique », et non « technique », de la grammatisation. Ce processus de grammatisation, que l’on reprend ici dans le sens élargi – proposé par Bernard Stiegler- de discrétisation du continu (grammatisation des flux), est une des composantes de la «double hélice» de la technologie dont la deuxième est le devenir algorithmique.
Avec la technologie, le relationnel devient médiatisé, il faudrait même dire hypermédiatisé. Ce n’est plus un relationnel du hic & nunc. La relation, passée à la moulinette de la décomposition puis de la recomposition est ainsi différée dans le temps et l’espace. C’est cette distance spacio-temporelle que ne cesse d’élargir le milieu technologique, grâce aux bras armés de la science, de l’économie et de l’industrie. Mais alors l’enjeu, quel est-il ?

Il s’agit des pratiques.
Quelles pratiques devons-nous développer en cette période hégémonique des technologies relationnelles ? Puisque nous ne sommes plus dans des techniques qui s’accompagnent systématiquement de pratiques, nous voyons émerger quatre cas de figures tendancielles :

  • Peu de développement de pratiques ni d’usages (tendances technophobes et réactionnaires)
  • Peu de développement de pratiques mais beaucoup d’usages (figure dominante du consumérisme, avec des extrêmes comme les Otaku)
  • Beaucoup de développement de pratiques mais peu d’usages (la figure du hacker)
  • Beaucoup de développement de pratiques et d’usages

L’industrie, telle quelle est configurée dans le système consumériste, favorise le développement des usages car ils sont plus «monétisables» et rentables à court terme que des pratiques (cf. la logique du grand emprunt : développement du « machin numérique »). En partie parce qu’il est plus aisé de contrôler des usages que des pratiques. Aussi, l’industrie des technologies relationnelles qui gère les réseaux sociaux en ligne tend à produire des services relationnels qui court-circuitent le développement de pratiques.

Il y a donc une double distinction pour aborder pleinement la question des technologies relationnelles. D’abord la distinction entre technique et technologie, puis l’on déplie cette distinction en :

  • Techniques/Technologies relationnelles, puisque le relationnel est ici le sujet de notre investigation. Notons au passage que cette thématique du relationnel n’est pas anodine : elle doit s’entendre dans un cadre conceptuel plus largue qui prône un réalisme relationnel. À savoir qu’il y a une forme de primauté de la relation sur les termes de celle-ci (ces derniers se constituant et s’individualisant dans, et par, celle-ci).
  • Techniques /Technologies de soi, à ce niveau force est de reconnaître que le champ des technologies de soi n’a pas encore été proprement délimité, l’expression s’effaçant à chaque fois sous la prédominance des «techniques de soi», sauf si le terme a été américanisé, c’est-à-dire là où il n’y a plus que de la technologie [Notons que Laurence Allard utilise l’expression de «Technologies de soi»].  Par ailleurs, on ne peut pas suivre Foucault dans la distinction qu’il fait, ou ne fait pas, entre techniques et technologie : ainsi il présente l’écriture de soi comme une technique de soi, là où nous nous dirions qu’il s’agit plutôt d’une technologie de soi.
  • Techniques/Technologies du nous, champ que développe Foucault via l’expression «technique des autres». Je n’ai pas repris ce terme car la notion d’altérité s’accommode souvent mal du réalisme relationnel et de la transduction.

*

On connaît les problèmes de communication qu’a suscité l’utilisation de la messagerie électronique : cette technologie relationnelle ne portait pas en elle, nécessairement, une bonne pratique relationnelle. On peut ainsi utiliser une multitude de technologies relationnelles comme les blogs, le email, les réseaux sociaux, etc. tout en étant pauvre en techniques et en pratiques relationnelles (cf. les pratiques de « troll » sur les forums de discussion, la nécessité d’avoir des modérateurs, etc). Les initiatives autour de la netiquette sont en ce sens des techniques relationnelles qui sont recommandées dans l’utilisation des technologies relationnelles :

«La nétiquette est une règle informelle, puis une charte qui définit les règles de conduite et de politesse recommandées sur les premiers médias de communication mis à disposition par Internet.

S’il ne fallait retenir qu’une règle : ce que vous ne feriez pas lors d’une conversation réelle face à votre correspondant, ne prenez pas l’Internet comme bouclier pour le faire. À cette notion de courtoisie et de respect de l’autre viennent ensuite se greffer des règles supplémentaires relatives aux spécificités de plusieurs médias

(Wikipedia , 19 avril 2010)

L’anonymat (la confusion des identités) et l’absence de présence physique désajustent les pratiques relationnelles. La relation via des protocoles de connexion en réseau a ainsi été orpheline de politiques relationnelles pour accompagner les changements. Par défaut, on a surtout assisté à une déferlante de postures stigmatisant l’ensemble des technologies relationnelles comme portant avec elles une hégémonie de l’irresponsabilité, de l’incivilité, et la gamme des reproches va bien sûr jusqu’à la piraterie.

Étrangement, ce sont ceux-là même qui ne comprennent pas la nécessité d’une politique des technologies de l’esprit, à savoir ici les technologies relationnelles, qui sont les premiers à se plaindre de ce qui se passe sur le web. Ils ont délaissé toute politique d’éducation relative aux technologies relationnelles et s’étonnent ensuite de n’y voir que de la barbarie.

Le défaut d’une politique des technologies relationnelles laisse le champ libre à un détournement de celles-ci qui court-circuite le développent des techniques relationnelles, laissant se développer une «barbarie technologique».

Mais s’il est certes vrai que les technologies relationnelles peuvent court-circuiter les techniques et les pratiques relationnelles, il n’en reste pas moins que toute personne civilisée est toujours mieux armée pour développer des pratiques relationnelles sur la base des technologies relationnelles. Il faut réarmer les techniques relationnelles, ces technique du nous, si nous ne voulons pas que les technologies relationnelles nous plongent dans le on, à défaut d’un nous.

Il y a une bataille pour le nous à mener qui passe aussi bien par le développement des techniques de soi que des techniques du nous.

Ce sont notamment les technologies relationnelles qu’enseignaient les sophistes en Grèce ancienne, or celles-ci en arrivaient à ne produire aucune pratique relationnelle. Et le Socrate de Platon s’aperçoit bien que les technologies relationnelles, contrairement aux techniques relationnelles, n’engendrent pas nécessairement des pratiques relationnelles. C’est la raison pour laquelle il invitait la jeunesse à des écoles buissonnières de la dialectique.

Billet initialement publié sur le blog de Christian Fauré

Image de une CC Flickr joshfassbind.com

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Marketing et bêtise http://owni.fr/2010/07/29/marketing-et-betise/ http://owni.fr/2010/07/29/marketing-et-betise/#comments Thu, 29 Jul 2010 08:45:37 +0000 Christian Fauré http://owni.fr/?p=23285 Be stupid

“Be Stupid”, voici le slogan de la marque de vêtements DIESEL depuis début 2010. Slogan que l’on retrouve imprimé directement sur les t-shirts.

Il se décline également dans une campagne d’affichage, opposant les “intellos” aux “idiots”. Les premiers ont un cerveau, font des plans, et critiquent alors que les seconds ont des couilles, improvisent et créent :

Évidemment, DIESEL est résolument du côté des “idiots” :

Il s’agit bien sûr d’une campagne qui ne doit être prise qu’au second degré, une nouvelle manière d’être “cool”, de ne pas se “prendre la tête”. Je vais toutefois la prendre au mot pour tenter d’expliciter la relation qu’il y a entre le marketing et la bêtise. Premier constat : la publicité de DIESEL utilise le terme de “stupid”, et l’on traduit généralement le “stupid” anglais par l’ “idiot” français. Parle-t-on pour autant de la même chose quand on évoque l’idiotie, la stupidité ou la bêtise ?

Idiotie, stupidité et bêtise

Idiotie, stupidité et bêtise sont souvent amalgamées et les termes semblent interchangeables, mais ils ont pourtant des différences.

L’idiot est celui qui comprend après coup, il a toujours un temps de retard, c’est ce qui l’amène à faire des gaffes. Ainsi le personnage de Lagaffe, celui de la bande dessinée, est un idiot. Un lointain descendant d’Epiméthée, qui est la figure de l’idiot dans la mythologie grecque (en grec ancien Ἐπιμηθεύς / Epimêtheús, « qui réfléchit après coup »).

Le stupide est celui qui ne comprend pas, même après coup. Il est borné et n’apprend pas de ses erreurs et, tel l’eau qui stagne, il est condamné à croupir (dans mon sud-ouest natal, on appelle le stupide un “étau”). C’est la raison pour laquelle on ne traduira pas le “stupid” de DIESEL par “stupide” mais plutôt par “idiot”.

Celui qui est bête est celui qui se roule dans les lieux communs tout en se croyant pertinent, il provoque généralement la fatigue et la lassitude. Dès lors, on pourrait dire que celui qui porte un t-shirt “Be Stupid” n’est ni stupide ni idiot mais bête : tour de force du marketing de DIESEL, des bêtes se prennent pour des idiots tout en se croyant malin.

Bêtise et lieux communs

Sur la bêtise donc, je me tournerai volontiers vers la conception qu’en propose Deleuze. Celle-ci elle est faite de bassesse et de paresse et n’aspire qu’à se couler dans le moule des opinions toutes faites. La bêtise se définit comme une pensée désincarnée et fantomatique. Avec elle, la pensée “tourne à vide” sur le boulevard des lieux communs. Anne Sauvagnargues, dans son “Deleuze. L’empirisme transcendantal” écrit :

Être bête, ce n’est pas penser mal, mais ne pas user du tout de la pensée, que l’on cantonne aux retrouvailles et aux confirmations, au lieu de la confronter à l’impensable dans une aventureuse exploration de possibles [...] Pour la qualifier d’un mot que Bergson affectionne, elle est la pensée toute faite, et non la pensée se faisant. (p.20)

C’est depuis les topoi grecs, ces lieux communs, que la bêtise règne. Et jusqu’à Heidegger, qui écrivait que l’homme du coin de la rue ne pense pas, on retrouve cette idée que la pensée est une force créatrice et singulière qui doit s’arracher du flux ambiant de la bêtise qui ne véhicule que du “prêt à penser”. La bêtise est l’ombre de la pensée, peut-être la même ombre que voyaient les prisonniers de la caverne de Platon, lui qui exhortait les jeunes Athéniens à penser par eux-mêmes.

La bêtise est nécessaire

Pourtant, on a besoin de la bêtise et nous portons tous en nous, aussi brillant que nous croyons être, notre lot de bêtise. La lumière a besoin de l’ombre pour exister. Seul Lucky Luke tire plus vite que son ombre, c’est d’ailleurs ce qui le signifie comme au-dessus de la bêtise, voire de la stupidité ambiante des personnages de la bande dessinée, d’Averell à Rantanplan qui, soit dit en passant, pourraient très bien être des personnages de la publicité de DIESEL.

On a besoin de la bêtise car on besoin de lieux communs en tant que lieux de partage et de synchronicité. A ce titre, vouloir éradiquer la bêtise serait certainement la volonté la plus bête qui soit. Mais c’est quand la bêtise devient hégémonique, où quand on en vient à oublier la part de bêtise qui nous habite tous, que la situation devient critique.

Bêtise et prolétarisation

La bêtise s’installe donc là où la pensée tourne à vide, là où l’esprit critique a cessé d’opérer. Quand Platon condamne les sophistes, c’est parce qu’il juge que leur enseignement rend bête la jeunesse athénienne et ne développe pas leur esprit critique en ne leur proposant que du “prêt à penser”.

Ce “prêt à penser” est en même temps une perte de connaissance qui n’est autre qu’un processus de prolétarisation. Or, prolétarisé, privé de connaissance, on ne peut plus penser, on devient condamné à la bêtise, c’est-à-dire à croire que l’on a encore des idées, que se sont les nôtres, que personne ne nous oblige à acheter ceci ou cela, que nous sommes souverains dans nos choix, etc.

Il ne faut pas croire que la bêtise génère de l’inculte comme le ferait la stupidité, d’ailleurs la bêtise se donne souvent en spectacle dans des jeux télévisés tels “Question pour un champion”. La bêtise forge une conception de la connaissance basée sur l’accumulation, conception en vertu de laquelle plus on connaîtrait de choses, plus on serait intelligent. C’est ainsi, par exemple, que le système scolaire de la Corée du sud se base sur l’ingurgitation des informations et des connaissances. Nombre de voies s’élèvent contre ce système qui tend à produire des enfants incapables d’une pensée critique, incapable de penser par eux-même.

C’est comme si le bachotage permanent, tel du javel, avait détruit tout l’environnement nécessaire à la pensée. Un système scolaire, par ailleurs bien intentionné, peut donc produire des perroquets savants : des enfants prolétarisés qui s’installent dans le règne de la bêtise, le tout orchestré par une importante économie de cours privés en marge de l’école (les Hagwon).

Mais redisons-le, la bêtise est nécessaire : ainsi dictionnaires et encyclopédies sont des produits de la bêtise. Il sont indispensables pour la connaissance mais ne disent jamais comment penser, ni ce qu’est la pensée. Imaginez un monde ou les seuls livres seraient des dictionnaires et des encyclopédies : plus d’essais, de poésies ou de romans, et vous aurez un aperçu de ce que pourrait être un monde dans lequel règne la bêtise.

Or, si la connaissance et la pensée n’étaient qu’accumulation d’information, chacun d’entre-nous ne serait plus une singularité mais une particularité, caractérisée par un certain degré d’accumulation, mesurable et comparable aux autres.

La bêtise comme terreau du marketing

Il y a un lien tout particulier et primordial entre la bêtise et le marketing. Le marketing, dans sa composante “relation publique” et publicitaire, compte en permanence sur la bêtise, c’est son terreau naturel de prédilection. Le succès d’une campagne de communication réside bien souvent dans la capacité à faire circuler des idées qui vont devenir des lieux communs capables de modifier les comportements.

Or, si vous voulez changer le comportement d’une ou de quelques personnes, vous argumenterez. Si, en revanche, vous devez changer le comportement de milliers ou de millions de personnes, il faudra employer d’autres techniques de persuasion qui misent généralement sur la bêtise (l’individu est particulier et non singulier). Car la bêtise est ce qui nous fait agir sans interroger le pourquoi d’une telle motivation : on agit sans trop savoir, notamment parce que d’autres le font aussi, c’est là le comportement grégaire qui est l’autre visage de la bêtise.

A vrai dire, on va dans le sens qui nous est indiqué, ou suggéré, pour ne pas être “à découvert”, pour ne pas réellement attirer l’attention, pour ne pas être en décalage. Ainsi, celui qui est bête a une principale crainte qui est celle de ne pas être dans le coup, d’être un “has been”. Je donne deux exemples, que j’avais présenté dans la note sur le bon sens paysan :

  • après que les américains aient mis sur le marché un maïs hybride, l’INRA n’a pas résisté à la pression marketing et s’est engouffré dans cette activité qui est à l’origine de l’agriculture intensive et destructrice en France. Un des dirigeants de l’INRA de l’époque avoua plusieurs années plus tard qu’il avait promu et développé la culture de maïs hybride pour “faire comme les américains” et par peur d’être dépassé.
  • dans le monde des systèmes d’informations c’est également la même chose : quand j’avais demandé à un ancien directeur des systèmes d’information d’une grande entreprise pourquoi il avait lancé un grand chantier SAP, il m’avait répondu que “à l’époque, si tu n’avais pas de chantier SAP tu étais un has been”. Dans l’informatique on a par la suite connu la même chose avec la SOA et maintenant avec le Cloud Computing (ce faisant, je ne dis pas qu’il ne faut pas en faire, mais qu’il faut savoir pourquoi et comment on en fait).

Dans chacun des cas : le marketing de l’industrie agro-chimique, puis celui de l’industrie logicielle, a imposé sa solution grâce à la bêtise des directeurs et des responsables en place : ne comprenant pas se qui se jouait, et pris dans un engrenage de signaux insistants, ils ont fait acte de mimétisme en mettant leur responsabilité en sourdine de peur de “louper le coche”, d’être un “has been”. La peur du ridicule est le catalyseur de la bêtise que cherche a activer systématiquement les techniques marketing.

La bêtise rend incapable de prendre des décisions, surtout lorsqu’il s’agit de situations de crise. (Domenech nous a donné un bel exemple de bêtise cet été). Or, c’est précisément ce que recherche le marketing, dont l’objectif reste de vendre, et rien de mieux pour cela que de s’adresser à des personnes qui ne sont pas ou plus capables de prendre des décisions.

Les champions de la bêtise

Dans le monde du marketing des technologies de l’information pour l’entreprise, IBM est le champion dans l’utilisation de la bêtise de ses clients et prospects. Combien de fois ai-je entendu que le choix s’était porté sur les solutions ou les services d’IBM “parce que c’est IBM” (sous-entendu “personne ne pourra me reprocher d’avoir choisi IBM”). Le marketing d’IBM ne cesse d’utiliser la peur de se tromper et la peur du ridicule en pariant sur la bêtise des clients pour gagner des parts de marché. La publicité ci-après pourrait ainsi faire l’objet d’une psychanalyse : qui voudrait vivre le cauchemar de ce gros has been du département informatique qui fait intervenir le FBI pensant qu’on a volé tous les serveurs de la DSI ?

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Dans le secteur de l’informatique grand public, c’est Apple qui a la palme en soulignant de manière sérielle, tout au long de dizaines de spots publicitaires, le ridicule du personnage représentant le PC face au personnage représentant le Mac.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

La peur du ridicule nous fait nous jeter dans le boulevard de la bêtise où là, à découvert, le marketing peut nous tirer comme des lapins. Si chacun cultivait sa singularité, il y aurait beaucoup moins de marché de masse et de positions dominantes et monopolistiques dans chacune des industries.

Inception

Dans Inception, le dernier film de Christopher Nolan, il est question d’inoculer une idée dans l’esprit d’une personne pendant son sommeil. Le film lui-même est une déception, sauf pour Guillaume Loisin de Chronicart (et “spécialiste du cinéma pour le magazine Gala”) qui, tout en reconnaissant le caractère mystificateur du réalisateur, y voit un grand film “oscarisable”. Pourquoi un grand film ? Le critique ne le dit pas, il ne joue plus son rôle de critique, il a peur de passer à côté de quelque chose, peur d’être ridicule en ne reconnaissant pas la valeur cinématographique du film (pensez-donc, un film oscarisable !), alors il dépose son cerveau pour se vautrer dans la bêtise.

Si  je fais allusion à ce film c’est parce que la bêtise est le terreau idéal pour inoculer des idées qui vont générer des comportements. Et le plus important, comme le souligne le scénario d’Inception, c’est que la personne ne doit pas avoir conscience de ce qui se passe. Dans le film, le dormeur ne doit pas se rendre compte qu’il rêve, sans quoi toute l’opération échoue. La où le film Dune martelait “Le dormeur doit se réveiller”, Inception lui fait écho en insistant sur le fait que “le dormeur ne doit surtout pas se réveiller”.

C’est à l’inconscient des gens qu’il faut s’adresser

Comme le souligne le documentaire d’Adam Curtis, The Century of the Self, Bernays fait partie de ces personnes qui ne croient pas que le peuple puisse lui-même décider de son destin. Le peuple a besoin qu’on lui dise ce qu’il faut faire, qu’on lui indique la bonne politique à mener. Dit autrement, cette conception revient à reconnaître que le peuple est bête (plus que le peuple, c’est surtout les masses et les foules qui intéressent toutefois les marketeurs). Ce qui, pour des gens comme Bernays,  ne serait pas antinomique avec une certaine conception de la Démocratie : “j’aime la Démocratie, j’aime mon peuple, mais comme il est incapable de prendre une décision, je vais l’aider et lui dire ce qu’il doit penser”.

Mais pour le lui dire, rien ne sert de s’adresser à la conscience et à la rationalité des individus. C’est ce qu’Edward Bernays avait bien compris de l’enseignement de son oncle Freud en inventant les relations publiques, ancêtres du marketing : ce n’est pas à la conscience des gens qu’il faut s’adresser, mais à leur inconscient si vous voulez modifier massivement leurs comportements.

Cela tombe bien car l’industrie de masse commence à cette époque a avoir besoin de faire passer des messages pour dire également, non plus au citoyen mais au consommateur, comment il doit se comporter et ce qu’il doit acheter dans un contexte de crise du à la surproduction.

Or, que ce soit pour des raisons politiques ou commerciales, le recours à l’inconscient pour modifier les comportement, favorise systématiquement la propagation de la bêtise. Si la propagande en temps de guerre laisse place aux relations publiques en temps de paix, il y a quelque chose qui ne change pas, c’est le présupposé selon lequel la bêtise est le premier vecteur, et le plus efficient, pour propager des idées et influer sur des comportements.

*

Miser sur la bêtise n’est pas une fatalité quand on fait du marketing, c’est juste la solution la plus simple, la moins chère et la plus efficiente à court terme. Mais, à fricoter ainsi avec elle, on en devient bête soit-même : produire de la bêtise rend bête. Il faudra bien sauver le marketing lui-même de la bêtise, notamment grâce aux gens du marketing qui ne sont pas tous bêtes et qui ne misent pas exclusivement sur la bêtise pour atteindre leur objectifs.

Article initialement publié sur le site de Christian Fauré

Illustration CC FlickR par Ayalon

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http://owni.fr/2010/07/29/marketing-et-betise/feed/ 3
Quelle filière industrielle pour la numérisation du patrimoine ? http://owni.fr/2010/07/01/quelle-filiere-industrielle-pour-la-numerisation-du-patrimoine/ http://owni.fr/2010/07/01/quelle-filiere-industrielle-pour-la-numerisation-du-patrimoine/#comments Thu, 01 Jul 2010 16:11:27 +0000 Christian Fauré http://owni.fr/?p=20934

Le contexte de la consultation sur le Grand Emprunt

La cacophonie et la mécompéhension autour du Grand Emprunt, et plus précisément sur le volet numérisation, font qu’on est actuellement dans une situation de crise, au sens propre du terme : quelque chose va se décider.

Au départ, c’étaient 150 millions qui devaient être alloués aux institutions pour qu’elles puissent poursuivre et accélérer les projets de numérisation ; au final ce ne sont plus que des montants de prêts (donc remboursables avec intérêts) pour favoriser la mise en place d’une filière industrielle du numérique, basée sur des partenariats publics/privés.

On sait que l’actualité de la crise économique de ces derniers mois a certainement beaucoup favorisé la formulation très libérale de la consultation publique (le développement du « machin numérique ») lancée par le secrétariat de la Prospective et du Développement de l’économie numérique. De plus, dans le cadre d’une période d’austérité et de restrictions budgétaires importantes dans les dépenses de l’État, le Grand Emprunt devient un dossier beaucoup particulièrement épineux pour le gouvernement : difficile de dire « on fait les valises et on rentre » après avoir fait de la relance par l’innovation un axe important de la stratégie française.

Deux tentations s’opposent donc entre celle du ministère de la Culture et celle du ministère des Finances : le premier veut continuer à croire à la nécessité d’une politique culturelle tandis que le second tente de radicaliser les choix qui devront être faits sur la base exclusive du principe de rentabilité. Il n’y a donc plus de consensus au sein même du gouvernement sur l’avenir du Grand Emprunt, et les différentes institutions qui doivent participer à la solution (BnF, bibliothèques municipales, INA, IRCAM, Cinémathèque, Cité des Sciences, archives, musées, etc.) ne comprennent plus la règle du jeu, qui semble par ailleurs changer chaque jour en ce moment.

La vision qui est présentée ici est une tentative de réponse à la consultation publique sur le volet numérique. Elle a l’ambition de sortir par le haut des apories dans lesquelles la question de la numérisation du patrimoine dans le cadre du grand emprunt se retrouve aujourd’hui.

La publicité est-elle la solution ?

L’activité industrielle autour de la numérisation de contenus culturels et patrimoniaux est l’activité de numérisation qui est aujourd’hui la moins rentable si on la compare aux archives, cadastres et autres documents administratifs (littérature grise). D’autre part, on sait que Google a beaucoup investi sur cette activité avec sa plate-forme Google Books dont on commence à peine à entrevoir l’ampleur. Quel industriel voudrait, dans ces conditions, prendre le risque d’investir sur un secteur d’activité à faible potentiel rémunérateur tout en ayant la machine de guerre de Google en embuscade ? Soyons clairs : personne. Il faut donc poser le problème différemment.

Commençons pour cela par évacuer toutes les fausses bonnes idées que l’on peut entendre sur le modèle d’affaire qui pourrait rendre cette filière numérique rentable. Pour cela il faut d’abord savoir que la numérisation d’un ouvrage n’est, en moyenne,  rentabilisée qu’au bout de vingt ans, uniquement en ce basant sur le service de reproduction que propose la BnF. C’est une moyenne car, bien évidemment, certains ouvrages ne font l’objet d’aucune demande de reproduction. Quand se pose la question de savoir comment ce seuil peut être abaissé ne serait-ce que sur dix années, la réponse que j’entends systématiquement est : la publicité.

La publicité est généralement le joker que l’on avance quand on est à court d’idées. Et c’est assurément le modèle d’affaire le plus simple à proposer : il me manque 100 millions ? Qu’à cela ne tienne, la pub fera le reste. Comment et sur quelles bases ? La réponse est généralement plus évasive. Faut-il monter un mécanisme et une régie publicitaire en propre ? Faut-il s’appuyer sur les solutions clés en mains proposées par Google ? Cette dernière réponse serait pour le moins ironique puisque Google aurait une part importante du bénéfice publicitaire sans avoir investi dans la numérisation. Faire sans Google, c’est à l’inverse prendre le risque de se retrouver dans le collimateur d’un industriel du web qui s’y connaît et qui a les moyens de ses ambitions.

On préférera donc essayer de composer avec Google plutôt que de le concurrencer sur son propre terrain en faisant « Cocorico ! ». Les arguments basés sur la valorisation via un modèle d’affaire fondé sur la publicité ne tiennent pas la route, encore moins quand l’on sait que la valeur publicitaire sur le web, comme l’avait écrit Tim O’Reilly dès 2007, tend à se diluer très fortement. C’est la raison pour laquelle Google doit indexer toujours plus de contenus, nativement numériques ou à numériser,  pour amortir la baisse tendancielle de la valeur unitaire et nominale de la publicité.

Que vaut le numérique ?

Retour à la case départ : comment valoriser la numérisation du patrimoine ? Songeons-y un instant, si l’on se donne tant de mal pour imaginer un modèle d’affaire viable pour une filière industrielle de numérisation, c’est peut-être parce que le numérique, de manière tendancielle, ne vaut rien. Le numérique a un coût, surtout lorsqu’on doit numériser, mais, une fois l’investissement réalisé, financièrement et en tant que tel, il ne vaut plus rien. Soyons plus précis : un fichier numérique ne vaut rien. Et c’est bien la raison pour laquelle le monde de l’édition freine des quatre fers lorsqu’il s’agit de faire circuler un fichier numérique existant (même pour en donner une copie pour archive à une institution, la plupart refusent). Un fichier numérique en circulation, c’est de la nitroglycérine pour celui qui en attend une source de revenu.

Acceptons donc cette thèse, qui est aussi une hypothèse de travail, que le fichier numérique ne vaut rien. Et vérifions cette proposition :

  • pour les institutions, c’est généralement le service de reproduction qui est la principale source de revenu, c’est-à-dire le retour à l’impression papier.
  • pour les plates-formes de diffusion de contenus numériques, on sait bien que ce n’est pas le fichier numérique que l’on paye mais un écosystème technologique (format de fichiers propriétaires, logiciels verrouillés, périphériques spécifiques, fonctionnalités d’achat rapide brevetées, etc.)
  • pour d’autres initiatives plus confidentielles mais notables (par exemple PublieNet), c’est la qualité d’une présence sur le web et la sensibilité de la communauté des lecteurs/clients qui fait la différence : entre l’éditeur numérique et les lecteurs/acheteurs, il y a un crédit et une confiance.

La valeur d’un fichier numérique a donc besoin d’un service autre que la simple diffusion pour pouvoir avoir une valeur financière.

Le service de reproduction doit devenir le premier industriel d’impression à la demande

Loin d’enterrer les poussiéreux services de reproduction, il faut les muscler. Ces services, qui aujourd’hui nous semblent d’un autre âge, doivent se doter d’un service d’impression à la demande digne des autres acteurs leaders sur ce créneau. L’économie d’échelle qu’ils peuvent avoir, qui plus est sur la base d’oeuvres particulièrement attrayantes ne peut qu’être profitable. Cette re-fondation peut ramener dix ans, au lieu des vingt actuels, le délai d’amortissement d’une numérisation.

La chose n’est pas gagnée d’avance pour autant : il faut une plate-forme web en self-service qui demande du travail, il faudra être très rapide et avoir une logistique aussi affûtée que celle d’Amazon, a minima sur le territoire français. L’objectif est clairement de livrer au domicile d’un client l’impression d’un ouvrage relié de qualité en moins de 48 heures, et à peine plus s’il y a une demande d’impression personnalisée.

Sur cette voie, il va y avoir des frictions avec les plate-formes de distribution des éditeurs de la chaîne du livre. Mais pas dans l’immédiat puisque les modèles sont actuellement différents (pas d’impression à la demande, pas de self-service et pas de livraison au particulier), mais si la plate-forme d’impression à la demande est un succès, elle pourra proposer ses services différenciants aux éditeurs (traditionnels, mais aussi numériques) : par exemple proposer des « templates » de formats variés et personnalisables. N’oublions pas que près des trois quarts du coût d’un livre représentent les coûts d’impression, de distribution, de diffusion et de points de vente.

Le cas Gallica

Comment doit s'articuler le lien entre la BnF et Gallica ?

La filière de numérisation peut donc trouver un premier modèle économique dans l’impression. Pour où l’on voit que la valorisation de la numérisation se fait d’abord sur… l’impression. Mais se pose toujours la question de la diffusion sous format numérique et en ligne. Premier constat : c’est la vocation de Gallica. On comprendra dès lors que la filière numérique qui est appelée de ses vœux par le gouvernement aura du mal à accepter de faire le travail de numérisation pour que le fruit de son investissement se retrouve diffusé en ligne gratuitement sur Gallica.

Gallica devra être repensée, et pour commencer il faut que la bibliothèque numérique quitte le giron exclusif de la BnF. Cela veut dire que Gallica aura le statut d’un établissement public-privé dans lequel l’ensemble de plate-forme technologique sera possédée et gérée par le consortium privé investissant dans la filière numérique.

Statutairement, la BnF doit garder le contrôle et la maîtrise de la politique culturelle que porte Gallica. Mais cette maîtrise ne sera plus exclusive, elle devra être partagée car si cette bibliothèque en ligne se nourrit des ouvrages numérisés, et il faudra bien un modus vivendi et des droits de quotas pour chacun : la BnF peut vouloir numériser en premier des ouvrages qui ne sont pas jugés commercialement opportun pour le partenaire privé. Un système de quotas, qui devra évoluer dans le temps, doit être mise en place. Par exemple, sur les cinq premières années, sur dix ouvrages numérisés, le partenaire privé pourra en choisir cinq, tout comme la BnF. Par la suite, les résultats de la filière numérique serviront de référent pour faire évoluer les quotas : si la filière est sur le chemin de la rentabilité le ratio peut s’infléchir en faveur de la BnF, ou l’inverse si la rentabilité tarde à se faire jour. L’essentiel est de ne pas figer la formule et d’y introduire une variable dépendant de la rentabilité, sans quoi tout l’édifice s’effondre.

Cette réorganisation du statut juridique de Gallica devra nécessairement initier une refonte de la politique de gestion des droits des oeuvres qui n’est pas opérationnelle en l’état actuel (une licence sur mesure que ne peuvent pas exploiter les robots, et que d’ailleurs personne ne comprend vraiment).

Bien évidemment, d’un point de vue technologique, la plate-forme de service d’impression évoquée précédemment sera nativement intégrée à Gallica, on peut même forcer le trait en disant que Gallica ne sera qu’un module de la plate-forme d’impression.

Les métadonnées : clés de voûte de la nouvelle filière industrielle

Aussi étonnant que cela puisse paraître, dans cette consultation publique sur « le développement de l’économie numérique », il n’y est jamais question de métadonnées. Le mot n’y apparaît même pas une seule fois le long des trente-neuf pages du document. C’est proprement sidérant. Et ça l’est d’autant plus que la politique industrielle qui va être mise en place devra placer la question des métadonnées au cœur de tout le dispositif industriel.

Si l’impression à la demande était le volet diffusion papier et Gallica le volet diffusion numérique, ces deux activités passent à une niveau supérieur grâce à la politique sur les métadonnées. La richesse numérique de notre patrimoine est directement proportionnelle aux métadonnées qui le décrivent. Le trésor des institutions patrimoniales réside aussi et surtout dans leurs catalogues et leurs thesauri : tout comme on ne peut gérer un patrimoine physique sans métadonnées la question devient encore plus urgente quand l’oeuvre est numérisée : une politique numérique sans politique des métadonnées n’est qu’une chimère, un délire, une schwarmerei comme disait Kant.

Plutôt que de me répéter, je vous renvoie ici à ma note sur Les enjeux d’une bibliothèque sur le web où il était question des orages sémantiques mais aussi d’étendre la pratique de gestion d’un catalogue d’oeuvres à une pratique de gestion d’un catalogue des discussions et des polémiques relatives à ces oeuvres. Ainsi, fort de ce nouveau positionnement, et sur la base de sa nouvelle plate-forme technologique, la nouvelle filière industrielle du numérique pourra proposer des outils avancés à l’Éducation nationale pour doter l’enseignement d’un outil d’annotation et de contribution qui dépasse la vision simpliste et fade des « like », et donne enfin le pouvoir aux enseignants d’enseigner.

Chaque plate-forme de diffusion des oeuvres numériques rencontre très vite sa limite dans les faiblesses de sa politique des métadonnées. Le cas d’iTunes est représentatif : c’est une panique monstre pour faire des découvertes dans le catalogue, c’est pourtant paradoxal quand on sait que, même sur iTunes, les métadonnées (titre, auteur, artistes, jaquette, etc.) sont la vraie valeur des fichiers numériques (Cf. Quand les métadonnées ont plus de valeur que les données).

Pour les oeuvres qui sont du ressort de la BnF, le travail de bascule de l’ensemble des catalogues au format du web sémantique avec leur diffusion sur le web a déjà été initié : cette démarche est la clé de voûte, à la fois technologique et économique, de tout le système. Pour les oeuvres audios et vidéos (des oeuvres de flux), les outils d’annotation contributives (avec des métadonnées BottomUp et TopDown) doivent être développés en complément des catalogues descriptifs existants.

Le catalogage des orages sémantique permet également d’obtenir tout un appareil critique issu des informations collectées via le dispositif des orages sémantiques Si celui-ci est géré par la BnF, on peut réussir à mener une politique industrielle des technologies numérique dont le coeur du dispositif s’appuie, et trouve son crédit, dans la politique culturelle. Une logique économique exclusivement consumériste n’est pas une fatalité, loin s’en faut, car ce qui est brièvement décrit ici est un chemin vers une économie de la contribution financièrement rentable.

*

On peut donc sortir de l’alternance destructrice entre :

  • d’un côté une logique libérable de la privatisation adossée à une vision exclusive sur les retours sur investissement à court terme, grâce au dieu de la publicité ;
  • de l’autre une politique culturelle maintenue sous perfusion publique, mais à perte (la logique de la réserve d’indiens).

Que le Grand Emprunt accouche de quelque chose ou non, nous n’échapperons pas à cette lancinante question : quelle politique industrielle pour les technologies de l’esprit ? La seule réponse crédible passe par le positionnement de la politique culturelle au cœur de l’outil industriel, pas à côté. « Trade follows film » disait le sénateur américain McBride en 1912 : on va peut-être arriver à le comprendre cent ans plus tard en France, notamment pour donner au commerce et à l’économie un autre visage que le consumérisme américain.

Enfin, par pitié, arrêtons de parler systématiquement de e-tourisme dès qu’il est question des territoires. Les territoires sont autre chose que des destinations touristiques, et les régions n’hivernent pas toute l’année pour se réveiller quand les Parisiens et les étrangers prennent leur vacances. Ces modèles d’affaire sur le e-tourisme sont dangereux et méprisants.

Billet initialement publié sur le blog de Christian Fauré

Images CC Flickr Troy Holden et ►bEbO

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Les enjeux d’une bibliothèque sur le web http://owni.fr/2010/06/10/les-enjeux-d%e2%80%99une-bibliotheque-sur-le-web/ http://owni.fr/2010/06/10/les-enjeux-d%e2%80%99une-bibliotheque-sur-le-web/#comments Thu, 10 Jun 2010 08:45:20 +0000 Christian Fauré http://owni.fr/?p=18113 La plupart des débats sur le rôle et la présence des bibliothèques sur web s’est jusqu’à présent concentré fortement sur les enjeux de numérisation des fonds et sur son corolaire de diffusion des œuvres numériques. Autre thème, mais dans une moindre mesure (surtout à l’échelle du grand public) : la mise en ligne des catalogues et la disponibilité des métadonnées des institutions qui les gèrent. Ces questions sont importantes, mais j’aimerais en proposer une troisième, qui s’appuie sur l’exposition des métadonnées, et constitue à mes yeux la clé de voute pour une stratégie des bibliothèques sur le web.

1. Avoir des ressources facilement identifiables et consultables sur le web

Chacun aura remarqué qu’il n’est pas facile de faire un lien vers l’URL d’un livre qui pointe vers les catalogues en ligne que proposent les bibliothèques. Moi-même, quand je parle d’œuvres ou d’auteurs, je privilégie un lien vers la page associée chez Amazon ou Wikipedia, c’est tellement plus rapide. Mais, à part amener du trafic à ces sites, ce geste de faire un lien n’est pas valorisé en lui-même. Une bibliothèque doit donc commencer par augmenter la visibilité de ses ressources pour ensuite pouvoir donner de la valeur à mon lien.

L’exposition des métadonnées passe par la mise à disposition d’URLs pérennes pour l’ensemble des ressources signifiantes. Ces URLs doivent donc être pérennes (je vous renvoie chez figoblog pour la littérature et les réflexions associées), mais aussi  facilement identifiable (voire inférençable : par exemple, je peux déduire l’URL d’un auteur à partir de celle d’un autre), ainsi que déréfençables (cf. Qu’est-ce qu’une URI déréférençable ?). Point d’autre salut dans cette démarche que d’embrasser les standards du web sémantique et d’emboîter le pas à l’initiative Linked Data.

2. Exploiter la vie de ces ressources sur le web

On n’envoie plus un satellite dans l’espace pour pouvoir dire « je sais le faire », mais pour exécuter une mission bien précise qui repose sur la collecte et la récupération de données. Par analogie, c’est cet objectif qui manque souvent aux stratégies d’ouverture et d’exposition des données. Je suis le premier à dire qu’il faut mettre à disposition les données sur le web, tout comme je suis le premier à dire qu’il faut du très haut débit. Mais si ces initiatives sont nécessaires, elles n’en sont pas pour autant suffisantes, car elles ne sont que les prémices d’une politique, il manque encore quelque chose. C’est notamment la raison pour laquelle je terminais mon texte dans « Pour en finir avec la mécroissance » en écrivant :

« Pire peut-être, ces politiques se limitent à favoriser l’accès à Internet et à offrir des débits de connexion toujours plus important, mais pour quoi faire ? » p. 278.

Je crois qu’il faut partir de là : accéder à des contenus ou des données sur le web, d’accord, mais « pour quoi faire ? » Je balaye ici d’un revers de main toute la rhétorique qui consiste à dire : « ouvrez vos données et vous verrez ce sera formidable ». Oui, je crois effectivement que ce sera formidable, mais ce discours ne favorise pas la prise de décision pour celui qui doit faire l’effort : il faut donc trouver d’autres motivations.

La logique et la stratégie de l’accès orientent trop souvent les débats autour d’une stratégie de diffusion. C’est très bien de diffuser, surtout quand il s’agit de ressources culturelles comme celles que gèrent les bibliothèques, mais je pense que ce n’est pas là que les choses se jouent. La plupart des bibliothécaires ne peuvent pas se satisfaire de concevoir le web comme un simple outil de communication et de diffusion. Le métier de bibliothécaire croule tellement sous la charge de travail que représente la politique d’acquisition, de conservation, de gestion des catalogues, d’archivages, plus tous les aspects fonctionnels d’accueil du public, de relation avec les chercheurs etc. que la perspective du web comme nouvel outil de diffusion ne représente à leur yeux qu’une contrainte de plus qui va surtout donner lieu à une énième refonte du système informatique.

Faire tous ces efforts simplement parce que cela semble inéluctable n’est pas la meilleure des motivations qui soit. On revient donc à notre question « pour quoi faire? », car si la réponse est « parce que c’est nécessaire », on peut être sûr que c’est l’inertie qui va s’installer (pourquoi faire des efforts si la situation est tellement inéluctable ?).

Il faut donner une motivation aux bibliothèques : pénétrer dans l’économie générale du web, cela ne doit pas représenter uniquement un surplus de travail et d’effort, même si la diffusion et la valorisation sont des missions essentielles d’une bibliothèque.

Concernant les bibliothèques, ma proposition sera donc la suivante : il faut développer les « orages sémantiques ». Par cette expression on entend l’ensemble des discussions, polémiques, argumentations autour d’une ressource (auteur, oeuvre, thème, etc.). Dans cette perspective, il faut considérer que chaque ressource disponible en ligne est un paratonnerre dont le but est de capter les polémiques et les discussions dont elle fait l’objet.

Avec cette approche, l’activité de catalogage s’étend au-delà du catalogage des œuvres puisqu’il couvre le catalogage des débats sur autour des ressources sur le web. Grâce à ce catalogage des « orages sémantiques », une bibliothèque peut commencer à fournir de nouveaux services, comme par exemple une sorte de « Zeitgeist », un esprit du temps.

Aujourd’hui la Library of Congress archive, plus qu’elle ne catalogue, les messages plubliés sur la plateforme de Twitter. La question qui est posée aux biblitohèques est la suivante : souhaitez-vous être condamnées à négocier avec des acteurs privés le catalogage des orages sémantiques via leur plateforme commerciale, ou souhaitez-vous développer vous-même ces dispositifs ? C’est-à-dire être pro-actif dans la conception de ces dispositifs pour réinventer le catalogage et les services d’une bibliothèque sur le Web. Voulez-vous n’être que des archivistes sous-traitants des plateformes commerciale ou des promoteurs d’une politique économico-culturelle de la contribution ?

Parlant de contribution, je me dois ici de préciser que je ne parle pas de crowdsourcing, de site participatifs ou autres espaces personnalisés de contribution dont pourrait se doter un site web de bibliothèque. Il ne s’agit pas de ici de rajouter des fonctions de tags ou des folksonomies car le squelette de la démarche repose sur l’autorité des métadonnées de la bibliothèque. Le dispositif de captation des orages sémantiques doit reposer sur les acquis des catalogues et des notices d’autorités pour faire la révolution copernicienne du catalogage : elle ne se fait pas en marge de lui ou contre lui mais avec lui, avec ce trésor des métadonnées.

Ne cherchez pas l’outil magique pour faire cela, je crois qu’il n’existe pas, et il reste à faire. Il y a en fait deux dispositifs qui peuvent répondre à cet enjeu des orages sémantiques :

  • Le premier est un dispositif indirect basé sur l’analyse traces, celui dont je parle ici.
  • Le deuxième est un dispositif direct basé sur des outils critiques offrant des fonctionnalités d’annotation et de traçabilité des polémiques (le modèle que j’ai en tête étant les outils de gestion des sources dans les projets de développement informatique). De celui ci je ne parle pas dans cette note.

La démarche indirecte doit se construire à partir de plusieurs briques fonctionnelles :

  • du « web analytic » au travers de l’ensemble des services qui permettent d’analyser des trafics de sites web ;
  • du text-mining pour dégager des métadonnées des sources qui pointent vers les ressources exposées de la bibliothèque ;
  • du data-mining
  • des technologies d’indexation
  • bien sûr, si l’effort a été fait d’avoir les données structurées en RDF, la granularité des informations de consultations et de requêtes n’en sera que plus fine et plus facilement exploitable.

Il s’agit donc bien d’un panaché de technologies pour ne pas avoir en sortie un simple hit parade ou un moteur de recommandation à la Amazon. De plus, les expérimentations de publication des statistiques brutes de consultations ont montré que c’est Mein Kampf ou Le Kamasutra qui vont trôner en haut des classements. Je précise également qu’il ne s’agit pas uniquement d’utiliser des informations de consultations, mais surtout des informations provenant de la source des liens qui pointent vers ce lieu de référence qu’est une bibliothèque (pensez ici à BackRub, l’ancêtre de Google).

Un petit résumé de ce qui change avec cette approche des orages sémantiques :

  • Les bibliothécaires et conservateurs en « back office » ont un feed-back de ce qui se passe sur le web autour des ressources dont ils ont la gestion. Retour appréciable, me semble-t-il, quand on doit gérer l’évolution de son catalogue : les orages sémantiques placent le bibliothécaire au coeur de son temps, des polémiques et de ce qui fait débat ;
  • La bibliothèque peut ajouter des services innovants sur son site web. Par exemple, je n’irai pas spontanément sur la page d’un auteur sur le site web d’une bibliothèque mais plutôt sur Wikipedia à cause de la richesse des informations. Mais si la page en question me donne une « météo culturelle » de cet auteur, alors cela peut changer mes pratiques ;
  • enfin, au delà du Zeitgeist, c’est une extension de la pratique de catalogage qui révolutionne l’activité d’une bibliothèque en la plaçant au cœur de l’économie générale du web.

Je termine par un dernier point car, les bibliothèques, en ces temps budgétaires difficiles, cherchent à augmenter leurs fonds propres, or je serai le premier à acheter une œuvre (papier ou numérique) qui comprenne un appareil critique issu des informations collectées via le dispositif des orages sémantiques géré par une institution publique telle qu’une bibliothèque. Cela changerait à coup sûr les rapports entre les bibliothèques et les éditeurs, ces derniers ayant beaucoup trop tendance à les mépriser. C’est d’ailleurs quelque chose qui m’a frappé en m’intéressant à la chaîne du livre : l’indifférence et le mépris règne entre les acteurs ce milieu tandis que de nouvelles industries arrivent et raflent la mise, le sourire en coin.

J’espère que les bibliothécaires me pardonneront mon ingérence dans leur domaine de compétence.

Billet initialement publié sur le blog de Christian Fauré ; images CC Flickr beelaineo, Reini68, jakebouma

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http://owni.fr/2010/06/10/les-enjeux-d%e2%80%99une-bibliotheque-sur-le-web/feed/ 2
Les interfaces graphiques du web sémantique http://owni.fr/2010/05/11/les-interfaces-graphiques-du-web-semantique/ http://owni.fr/2010/05/11/les-interfaces-graphiques-du-web-semantique/#comments Tue, 11 May 2010 09:01:33 +0000 Christian Fauré http://owni.fr/?p=15185 Bien souvent, quand je vois les interfaces graphiques des applications du web sémantique, cela me fait penser à du Picasso.

Paradoxe : quand les données sont structurées, les interfaces graphiques donnent mécaniquement une impression de dé-structuration.

Si le document Word est le modèle de document qui a inspiré la page du web de document, alors on pourrait peut-être penser que c’est le tableur qui représente le modèle de document du web de données? On pourrait certainement le croire quand on regarde le très justement nommé Tabulator de Berners-Lee, outil pour « surfer sur du RDF » :

Et bien non, c’est la carte et la localisation qui « prennent ». Ainsi, lorsque Tim Berners-Lee a présenté les résultats des démarches d’ouverture des données publiques à TED 2010, il n’a présenté que des interfaces basées sur la géolocalisation des données :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Retour aux fondamentaux finalement, puisqu’on se souvient que les APIs et les mashups du web 2.0 ont commencé avec Google Maps. Ce qui tend à montrer que la mise à disposition de données structurées sur le web s’inscrit dans une logique de re-territorialisation : rien n’est plus démonstratif que de projeter les données sur une carte.

Imaginez par exemple que vous soyez une bibliothèque et que vous vouliez publier vos données en RDF : que pouvez-vous espérer qu’il en ressorte ? Et quelles interfaces pourront être proposées, par des tiers, quand les données seront disponibles ? Avoir les données agrégées autour d’une œuvre ou d’un auteur est bien utile mais l’on retombe sur un web documentaire classique même si le moteur est en RDF.

Alors on repense à cette histoire de re-territorialisation, et on imagine immédiatement des services de localisation des ouvrages dans les bibliothèques. On revient encore à la carte en projetant sur elle les données, même si, en l’occurrence, c’est typiquement un réflexe d’institution que de vouloir in fine « router » et ramener le public dans ses murs.

Si nous devions formuler correctement la question, il faudrait dire : « Quelles sont les informations territoriales que je possède ? » Et dans notre cas : « quelles informations territoriales possède une bibliothèque ? », si l’on retient l’idée qu’il y a corrélation entre l’ouverture des données structurées et une logique de re-territorialisation.

Pour y répondre, il faudrait tirer le fil d’une grappe RDF par les concepts de localisation : tout voir au travers du filtre d’un territoire : maison, rue, quartier, ville, région, pays, etc. Cette « perspective de données » nous dirait certainement beaucoup de choses et stimulerait l’intérêt d’avoir des interfaces graphiques appropriées. Pour l’heure, j’ai l’impression que cela tend vers une interface à la SimCity avec Google Maps, Open StreetView ou l’IGN qui fourniraient le fond d’écran des applications du web sémantique.

J’ai parlé du territoire, c’est-à-dire de l’espace, mais c’est aussi vrai du temps, ici le projet Simile avait déjà tracé la voie. Ce sont les informations avec une métadonnée temporelle ou spatiale dont le « marché » a besoin en priorité.

Billet initialement sur le blog de Christian Fauré

Illustration CC Flickr par yoyolabellut

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